Tous amis, tous pistés
LE MONDE | 06.04.09 | 15h31 • Mis à jour le 06.04.09
| 18h09
(Part 1)
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/04/06/tous-amis-tous-pistes_1177283_651865.html#xtor=EPR-32280154
BERLIN ENVOYÉ SPÉCIAL
Un quartier animé de Berlin, par un soir printanier.
Thomas, 31 ans, artiste peintre encore méconnu, s'installe dans son bar habituel
et sort son téléphone mobile, un "smartphone" connecté à Internet. Aussitôt, son
mini-écran affiche la page d'accueil de Aka-Aki, le nouveau réseau social
"géolocalisé" permettant à ses membres de détecter tous les autres membres se
trouvant dans les parages, et de communiquer avec eux en temps réel.
D'un coup d'oeil, Thomas constate que des centaines de Berlinois inscrits sur Aka-Aki sont connectés en ce moment, dont dix-sept à moins de dix minutes de marche.
Leur nom et leur photo défilent automatiquement. D'un geste, il peut consulter
leur profil, contenant toutes sortes de renseignements : ils habitent le quartier, ou y travaillent, ou sont venus pour dîner. Presque tous ont pris l'habitude de coller sur leur profil des stickers (étiquettes) pour expliquer en images leurs goûts et leurs préférences dans tous les domaines. Même ceux qui ne font que passer près du bar, à pied ou en tramway, sont recensés et archivés.
Le système précise que, sur les dix-sept personnes présentes dans le quartier, trois se trouvent à quelques dizaines de mètres de Thomas. La première s'appelle Zina, une jolie brune. Sans hésiter, Thomas lui envoie un message. Zina répond qu'elle habite en face du bar, mais qu'elle n'a pas le temps de venir boire un verre, car elle révise un examen : "Pas grave, se console Thomas, je la retrouverai facilement." Aka-Aki a enregistré la date et l'heure de la rencontre entre les mobiles de Thomas et de Zina, et a inscrit l'événement sur leurs profils respectifs. S'ils se croisent à nouveau, dans un jour ou dans un an, ils recevront un message d'alerte.
Thomas affirme qu'il a fait plusieurs rencontres grâce à Aka-Aki : "La première fois, je me suis fait draguer par un homosexuel qui ne l'avait pas indiqué sur son profil.
Moi, je suis hétéro, dès le lendemain, je l'ai mentionné sur le mien." Il a aussi fait connaissance avec un autre jeune artiste : "Un matin de bonne heure, j'ai remarqué que son profil était apparu près de chez moi. Même chose les jours suivants, alors je lui ai demandé s'il venait d'emménager dans le secteur.
C'était le cas, nous avons très vite sympathisé."
Soudain, le smartphone de Thomas émet un jingle indiquant qu'un nouveau membre vient de pénétrer dans sa zone de proximité : "C'est un ami à qui j'avais donné rendez-vous plus tard, pour dîner. Lui aussi a vu que j'étais ici plus tôt que prévu, il
arrive."
Thomas et sa bande ont adopté Aka-Aki comme mode de communication principal. Quand deux membres signalent au système qu'ils sont officiellement "amis", chacun est mis au courant en temps réel de tout ce que fait l'autre. Et lorsque deux membres qui ne se connaissent pas encore se croisent par hasard, le système leur envoie la liste de leurs amis communs, directs et indirects - un premier sujet de conversation possible.
Peter, 28 ans, l'un des copains d'enfance de Thomas, aujourd'hui instituteur en
maternelle, est devenu un inconditionnel d'Aka-Aki : "Je mets mon profil à jour
aussi souvent que possible, toutes les dix minutes parfois. Quand je fais
quelque chose d'intéressant, j'aime bien partager avec mes potes." Récemment,
Peter faisait la queue devant une discothèque, quand il a vu sur son mobile que
deux de ses amis étaient déjà à l'intérieur : "Ils m'ont dit que l'ambiance
était nulle et la bière trop chère. Nous nous sommes donné rendez-vous ailleurs.
Ce qui est vraiment nouveau, c'est qu'on se retrouve spontanément sans être
obligés de planifier ni de prendre des rendez-vous contraignants."
Pour les utilisateurs, Aka-Aki est simple et instinctif, mais en coulisses le système
est complexe. Les téléphones se trouvant à moins de 30 m les uns des autres se
repèrent grâce à leurs émetteurs Bluetooth - installés pour faire fonctionner
les oreillettes sans fil et échanger des photos. Au-delà de 30 mètres, Aka-Aki
localise les appareils en interrogeant les nombreux réseaux Wi-Fi qui quadrillent la ville. Il peut aussi capter les signaux GPS, indiquant la longitude et la latitude des smartphones qui en sont dotés. Quand aucun autre système n'est disponible, Aka-Aki repère les mobiles connectés au même relais de téléphone GSM, ce qui fournit une localisation approximative. Si un membre se promène avec un vieux mobile non connecté à Internet, il est quand même inclus dans le réseau : à chaque fois qu'il croise un autre membre, il reçoit un SMS d'alerte.
Après des débuts incertains, Aka-Aki comptait plus de 100 000 membres en mars, surtout en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Mais rien n'empêche le reste du monde de se connecter : l'interface est en partie en anglais, et des versions en diverses langues sont en préparation. L'idée est née en 2006 : il s'agissait au départ d'un projet de fin d'études imaginé par cinq étudiants du département publicité de l'Ecole des beaux-arts de Berlin. Le succès de leur invention fut tel auprès de leur entourage qu'ils décidèrent d'interrompre leurs études et de créer une start-up.
Aujourd'hui, la société Aka-Aki, un nom facile à retenir, qui ne veut rien dire, compte 17 salariés, tous jeunes et branchés, installés dans un immeuble agréable au centre
de Berlin. Son avenir à court terme est assuré grâce à une société allemande de
capital-risque. Cela dit, son business model reste flou. Ses jeunes patrons
essaient d'imaginer plusieurs scénarios : publicités géolocalisées ultraciblées,
promotion d'événements, partage des recettes avec les opérateurs Internet... Ils
ont déjà passé un accord avec la compagnie de télécom allemande E-Plus, pour que
le trafic Aka-Aki reste gratuit. Aka-Aki pourrait aussi devenir un outil de
travail. Roman Haensler, 29 ans, l'un des cofondateurs, lance une piste : "Dans
un Salon professionnel, tous les téléphones vont s'échanger des cartes de visite
et des CV numériques, ça va décupler le maillage."
(Part 2)
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/04/06/tous-amis-tous-pistes_1177283_651865_1.html
La puissance de Aka-Aki semble illimitée, car un mobile doté de son logiciel ne repère pas seulement les autres membres, il recense tous les appareils émettant
un signal Bluetooth : téléphones mobiles ordinaires, ordinateurs, imprimantes,
GPS de voiture... Till, 29 ans, chercheur en biologie, fait une démonstration
dans un café fréquenté par des étudiants. Dès qu'il entre, son mobile affiche
une liste de 22 mobiles, 1 GPS et 7 ordinateurs portables. Le plus souvent, le
signal Bluetooth diffuse simplement la marque et le modèle de l'appareil, mais
parfois, le propriétaire a entré un pseudo, ou même son vrai nom. Le serveur
central de Aka-Aki crée un profil pour chaque appareil et note qu'ils ont été
"découverts" par Till en indiquant le jour et l'heure : "C'est comme un jeu de
piste, tous mes amis savent que je suis passé par ici, puis par là, et combien
de fois. C'est étrange, mais sur Aka-Aki, les objets acquièrent une vie propre."
L'ordinateur du gérant du bar, installé dans une arrière-salle, possède bien sûr
son profil depuis longtemps. Il affiche la liste de tous les membres de Aka-Aki
ayant fréquenté le lieu, avec pour chacun d'eux le nombre de visites et la date
du dernier passage.
Les filles, très rares au début, arrivent en masse.
La première copine Aka-Aki de Till s'appelle Mona, 25 ans, étudiante en droit,
détectée dans une fête, puis retrouvée dans un supermarché. Mona, qui a grandi
dans une petite ville, fait un stage professionnel à Berlin, mais elle a du mal
à s'adapter : "Dans ma ville natale, toutes les familles se connaissent, si un
garçon me plaît, je n'aurai aucun mal à savoir qui il est. De toute façon, il
n'y a que deux discothèques là-bas, tous les jeunes s'y retrouvent. Mais Berlin
est si grand, on se sent perdu."
Un soir, alors qu'elle rentrait chez elle en tramway, elle remarqua qu'un jeune homme lui souriait. Elle le trouva beau, se sentit aussitôt séduite : "Nous nous sommes dévorés des yeux pendant tout le trajet, c'était intense." Mais Mona n'ose pas aller vers lui, et le garçon ne se décide pas non plus. Quand elle arrive près de chez elle, elle descend du tramway, la mort dans l'âme : "Je pense à lui tous les jours. S'il
avait été inscrit sur Aka-Aki, son nom et sa photo se seraient affichés sur mon
mobile. Une fois chez moi, j'aurais étudié son profil, et je lui aurais envoyé
des messages, pour faire connaissance avant de lui fixer un rendez-vous.
Bientôt, tous les jeunes Berlinois seront sur Aka-Aki, la vie des filles timides
va changer."
Certaines femmes, dont la photo attire le regard, sont déjà célèbres sur le réseau. Clara, 24 ans, chef de projet marketing, est repérée sans arrêt, car elle circule beaucoup dans Berlin. Si on veut la voir pour de vrai, il suffit d'être un peu patient. Après trois tentatives, elle est enfin localisée un matin, dans un café, devant un petit déjeuner : "Je reçois 20 à 30 messages par jour. Je les lis tous, et je réponds parfois, s'ils sont drôles ou malins. Quand un garçon m'intéresse, je sais que je le retrouverai, à ma guise, sans stress. Aka-Aki offre cette liberté." Sur son profil, Clara a affiché sa
nouvelle devise : "Bye-bye, vie privée !"
Le problème du respect de la confidentialité des informations n'a pas échappé aux créateurs de Aka-Aki : "Nous avons contacté les autorités compétentes pour savoir si notre système est licite, explique Roman Haensler, mais elles n'ont pas su nous répondre, Aka-Aki est trop nouveau. Nous collaborons avec les fonctionnaires pour imaginer un cadre juridique adapté." Cela dit, Roman et ses collègues sont convaincus que les jeux sont faits : "La fusion entre le monde numérique et le monde réel, souvent promise, est enfin en train de se réaliser. Nous allons créer une
"réalité augmentée" inédite, dont personne, pas même nous, ne peut encore
mesurer les conséquences."
Yves Eudes
LE MONDE | 06.04.09 | 15h31 • Mis à jour le 06.04.09
| 18h09
(Part 1)
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/04/06/tous-amis-tous-pistes_1177283_651865.html#xtor=EPR-32280154
BERLIN ENVOYÉ SPÉCIAL
Un quartier animé de Berlin, par un soir printanier.
Thomas, 31 ans, artiste peintre encore méconnu, s'installe dans son bar habituel
et sort son téléphone mobile, un "smartphone" connecté à Internet. Aussitôt, son
mini-écran affiche la page d'accueil de Aka-Aki, le nouveau réseau social
"géolocalisé" permettant à ses membres de détecter tous les autres membres se
trouvant dans les parages, et de communiquer avec eux en temps réel.
D'un coup d'oeil, Thomas constate que des centaines de Berlinois inscrits sur Aka-Aki sont connectés en ce moment, dont dix-sept à moins de dix minutes de marche.
Leur nom et leur photo défilent automatiquement. D'un geste, il peut consulter
leur profil, contenant toutes sortes de renseignements : ils habitent le quartier, ou y travaillent, ou sont venus pour dîner. Presque tous ont pris l'habitude de coller sur leur profil des stickers (étiquettes) pour expliquer en images leurs goûts et leurs préférences dans tous les domaines. Même ceux qui ne font que passer près du bar, à pied ou en tramway, sont recensés et archivés.
Le système précise que, sur les dix-sept personnes présentes dans le quartier, trois se trouvent à quelques dizaines de mètres de Thomas. La première s'appelle Zina, une jolie brune. Sans hésiter, Thomas lui envoie un message. Zina répond qu'elle habite en face du bar, mais qu'elle n'a pas le temps de venir boire un verre, car elle révise un examen : "Pas grave, se console Thomas, je la retrouverai facilement." Aka-Aki a enregistré la date et l'heure de la rencontre entre les mobiles de Thomas et de Zina, et a inscrit l'événement sur leurs profils respectifs. S'ils se croisent à nouveau, dans un jour ou dans un an, ils recevront un message d'alerte.
Thomas affirme qu'il a fait plusieurs rencontres grâce à Aka-Aki : "La première fois, je me suis fait draguer par un homosexuel qui ne l'avait pas indiqué sur son profil.
Moi, je suis hétéro, dès le lendemain, je l'ai mentionné sur le mien." Il a aussi fait connaissance avec un autre jeune artiste : "Un matin de bonne heure, j'ai remarqué que son profil était apparu près de chez moi. Même chose les jours suivants, alors je lui ai demandé s'il venait d'emménager dans le secteur.
C'était le cas, nous avons très vite sympathisé."
Soudain, le smartphone de Thomas émet un jingle indiquant qu'un nouveau membre vient de pénétrer dans sa zone de proximité : "C'est un ami à qui j'avais donné rendez-vous plus tard, pour dîner. Lui aussi a vu que j'étais ici plus tôt que prévu, il
arrive."
Thomas et sa bande ont adopté Aka-Aki comme mode de communication principal. Quand deux membres signalent au système qu'ils sont officiellement "amis", chacun est mis au courant en temps réel de tout ce que fait l'autre. Et lorsque deux membres qui ne se connaissent pas encore se croisent par hasard, le système leur envoie la liste de leurs amis communs, directs et indirects - un premier sujet de conversation possible.
Peter, 28 ans, l'un des copains d'enfance de Thomas, aujourd'hui instituteur en
maternelle, est devenu un inconditionnel d'Aka-Aki : "Je mets mon profil à jour
aussi souvent que possible, toutes les dix minutes parfois. Quand je fais
quelque chose d'intéressant, j'aime bien partager avec mes potes." Récemment,
Peter faisait la queue devant une discothèque, quand il a vu sur son mobile que
deux de ses amis étaient déjà à l'intérieur : "Ils m'ont dit que l'ambiance
était nulle et la bière trop chère. Nous nous sommes donné rendez-vous ailleurs.
Ce qui est vraiment nouveau, c'est qu'on se retrouve spontanément sans être
obligés de planifier ni de prendre des rendez-vous contraignants."
Pour les utilisateurs, Aka-Aki est simple et instinctif, mais en coulisses le système
est complexe. Les téléphones se trouvant à moins de 30 m les uns des autres se
repèrent grâce à leurs émetteurs Bluetooth - installés pour faire fonctionner
les oreillettes sans fil et échanger des photos. Au-delà de 30 mètres, Aka-Aki
localise les appareils en interrogeant les nombreux réseaux Wi-Fi qui quadrillent la ville. Il peut aussi capter les signaux GPS, indiquant la longitude et la latitude des smartphones qui en sont dotés. Quand aucun autre système n'est disponible, Aka-Aki repère les mobiles connectés au même relais de téléphone GSM, ce qui fournit une localisation approximative. Si un membre se promène avec un vieux mobile non connecté à Internet, il est quand même inclus dans le réseau : à chaque fois qu'il croise un autre membre, il reçoit un SMS d'alerte.
Après des débuts incertains, Aka-Aki comptait plus de 100 000 membres en mars, surtout en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Mais rien n'empêche le reste du monde de se connecter : l'interface est en partie en anglais, et des versions en diverses langues sont en préparation. L'idée est née en 2006 : il s'agissait au départ d'un projet de fin d'études imaginé par cinq étudiants du département publicité de l'Ecole des beaux-arts de Berlin. Le succès de leur invention fut tel auprès de leur entourage qu'ils décidèrent d'interrompre leurs études et de créer une start-up.
Aujourd'hui, la société Aka-Aki, un nom facile à retenir, qui ne veut rien dire, compte 17 salariés, tous jeunes et branchés, installés dans un immeuble agréable au centre
de Berlin. Son avenir à court terme est assuré grâce à une société allemande de
capital-risque. Cela dit, son business model reste flou. Ses jeunes patrons
essaient d'imaginer plusieurs scénarios : publicités géolocalisées ultraciblées,
promotion d'événements, partage des recettes avec les opérateurs Internet... Ils
ont déjà passé un accord avec la compagnie de télécom allemande E-Plus, pour que
le trafic Aka-Aki reste gratuit. Aka-Aki pourrait aussi devenir un outil de
travail. Roman Haensler, 29 ans, l'un des cofondateurs, lance une piste : "Dans
un Salon professionnel, tous les téléphones vont s'échanger des cartes de visite
et des CV numériques, ça va décupler le maillage."
(Part 2)
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/04/06/tous-amis-tous-pistes_1177283_651865_1.html
La puissance de Aka-Aki semble illimitée, car un mobile doté de son logiciel ne repère pas seulement les autres membres, il recense tous les appareils émettant
un signal Bluetooth : téléphones mobiles ordinaires, ordinateurs, imprimantes,
GPS de voiture... Till, 29 ans, chercheur en biologie, fait une démonstration
dans un café fréquenté par des étudiants. Dès qu'il entre, son mobile affiche
une liste de 22 mobiles, 1 GPS et 7 ordinateurs portables. Le plus souvent, le
signal Bluetooth diffuse simplement la marque et le modèle de l'appareil, mais
parfois, le propriétaire a entré un pseudo, ou même son vrai nom. Le serveur
central de Aka-Aki crée un profil pour chaque appareil et note qu'ils ont été
"découverts" par Till en indiquant le jour et l'heure : "C'est comme un jeu de
piste, tous mes amis savent que je suis passé par ici, puis par là, et combien
de fois. C'est étrange, mais sur Aka-Aki, les objets acquièrent une vie propre."
L'ordinateur du gérant du bar, installé dans une arrière-salle, possède bien sûr
son profil depuis longtemps. Il affiche la liste de tous les membres de Aka-Aki
ayant fréquenté le lieu, avec pour chacun d'eux le nombre de visites et la date
du dernier passage.
Les filles, très rares au début, arrivent en masse.
La première copine Aka-Aki de Till s'appelle Mona, 25 ans, étudiante en droit,
détectée dans une fête, puis retrouvée dans un supermarché. Mona, qui a grandi
dans une petite ville, fait un stage professionnel à Berlin, mais elle a du mal
à s'adapter : "Dans ma ville natale, toutes les familles se connaissent, si un
garçon me plaît, je n'aurai aucun mal à savoir qui il est. De toute façon, il
n'y a que deux discothèques là-bas, tous les jeunes s'y retrouvent. Mais Berlin
est si grand, on se sent perdu."
Un soir, alors qu'elle rentrait chez elle en tramway, elle remarqua qu'un jeune homme lui souriait. Elle le trouva beau, se sentit aussitôt séduite : "Nous nous sommes dévorés des yeux pendant tout le trajet, c'était intense." Mais Mona n'ose pas aller vers lui, et le garçon ne se décide pas non plus. Quand elle arrive près de chez elle, elle descend du tramway, la mort dans l'âme : "Je pense à lui tous les jours. S'il
avait été inscrit sur Aka-Aki, son nom et sa photo se seraient affichés sur mon
mobile. Une fois chez moi, j'aurais étudié son profil, et je lui aurais envoyé
des messages, pour faire connaissance avant de lui fixer un rendez-vous.
Bientôt, tous les jeunes Berlinois seront sur Aka-Aki, la vie des filles timides
va changer."
Certaines femmes, dont la photo attire le regard, sont déjà célèbres sur le réseau. Clara, 24 ans, chef de projet marketing, est repérée sans arrêt, car elle circule beaucoup dans Berlin. Si on veut la voir pour de vrai, il suffit d'être un peu patient. Après trois tentatives, elle est enfin localisée un matin, dans un café, devant un petit déjeuner : "Je reçois 20 à 30 messages par jour. Je les lis tous, et je réponds parfois, s'ils sont drôles ou malins. Quand un garçon m'intéresse, je sais que je le retrouverai, à ma guise, sans stress. Aka-Aki offre cette liberté." Sur son profil, Clara a affiché sa
nouvelle devise : "Bye-bye, vie privée !"
Le problème du respect de la confidentialité des informations n'a pas échappé aux créateurs de Aka-Aki : "Nous avons contacté les autorités compétentes pour savoir si notre système est licite, explique Roman Haensler, mais elles n'ont pas su nous répondre, Aka-Aki est trop nouveau. Nous collaborons avec les fonctionnaires pour imaginer un cadre juridique adapté." Cela dit, Roman et ses collègues sont convaincus que les jeux sont faits : "La fusion entre le monde numérique et le monde réel, souvent promise, est enfin en train de se réaliser. Nous allons créer une
"réalité augmentée" inédite, dont personne, pas même nous, ne peut encore
mesurer les conséquences."
Yves Eudes