Le Télégramme de Brest a ouvert 2 pages ce jour sur le mal-être de la police. Je pense qu'ici beaucoup de choses sont dites et dignes d'intérêt.
Police. Le mal-être au grand jour
Le Télégramme de Brest - 4 janvier 2010
«On nous empêche de faire notre métier: courir derrière les délinquants!» Malaise dans la police. Sentiment d'impunité chez les délinquants. Incompréhension dans la population. Voici des récits de flics désabusés. Édifiants!
«Au lieu d'être là à faire des contrôles routiers, ils feraient mieux de courir après les vrais délinquants...». Quel automobiliste n'a jamais eu cette pensée? Et si c'était vrai? «La hiérarchie policière envoie de plus en plus les forces de l'ordre faire du contrôle routier», constate un magistrat d'un parquet breton. Conséquence, selon ce parquetier: «Moins de disponibilité pour investiguer, et des temps d'enquête qui s'allongent». Autre problème: «Des affaires résolues, méritant néanmoins d'être creusées (stupéfiants, par exemple), ne le sont pas». Faute de moyens.
Fillon à Brest: 1.000 policiers mobilisés!
Côté police, les principaux syndicats acquiescent et désignent deux responsables. Le premier: «La religion du chiffre et des statistiques, loin des réalités d'une délinquance mobile». Pression pour faire, par exemple, des contraventions? «Oui», tranchent les policiers rencontrés. Sur leurs rapports d'évaluation figure de plus en plus souvent cette remarque: «Activité contraventionnelle insuffisante». «Qu'on nous demande de faire des PV, c'est normal. Mais parfois, on a l'impression qu'on ne nous demande que ça», déplore Laurent, brigadier, une vingtaine d'années de boutique derrière lui, syndiqué à Alliance (réputé proche de la majorité présidentielle). Second responsable: la baisse des effectifs. Pour la seule année 2010, la seule police perdrait au plan national 2.000 postes, «alors que les violences et les cambriolages augmentent». «À part la toute nouvelle Unité territoriale de quartier (Uteq) qui opère en centre-ville de Rennes, nous ne sommes pas le bon nombre, au bon endroit et au bon moment, martèle Laurent, le brigadier rennais. Et les compétences des gars sont mal utilisées... Dans le privé, on ne verrait jamais ça. C'est comme si vous demandiez à un gars qui a vingt ans d'expérience de carreleur de faire de la plomberie, et s'étonner ensuite que les joints sont mal faits!». «Notre mission première, c'est la lutte contre la délinquance, rappelle un policier brestois. Pas d'assurer le transfert de détenus, faire des gardes de bâtiments ou accompagner des personnalités» (NDLR: allusion aux quelque 800 à 1.000 policiers déployés pour la venue du Premier ministre à Brest, il y a trois semaines).
Patrouilles la grande illusion
Concernant l'Uteq de Rennes, Laurent, le brigadier, est tout aussi critique: «Pour garnir cette nouvelle unité, on en a déshabillé d'autres. Alors, oui, en vitrine, sous les projecteurs, c'est beau. Mais derrière, en boutique, c'est le bordel. C'est pareil pour les effectifs. Pour les patrouilles-à quatre c'est bien -, le règlement impose la présence d'au moins deux policiers titulaires. Dans les faits, nous ne sommes souvent que trois fonctionnaires en tout. Trois, ça peut impressionner. On peut faire illusion. Sauf quand il y a un seul titulaire... qui doit veiller sur deux adjoints de sécurité formés en deux mois. Et ça, c'est notre quotidien. Et si on tombe sur quelque chose de sérieux, on ne peut pas tenir». Tous les policiers rencontrés dénoncent ce «manque de moyens». Formation à un nouvel équipement... dont ils ne sont finalement pas dotés, véhicules pas toujours en bon état... «On n'est pas crédible quand on verbalise un automobiliste! Et on ne respecte pas nous-mêmes les réglementations. Faute de place, à Rennes, on tape parfois nos rapports sur des ordinateurs installés dans les couloirs, dans une issue de secours!». À Brest, le commissariat a bien reçu un car de police-secours, flambant neuf... mais sans radio de bord.
"La lutte des classes"
Tous les policiers de terrain rencontrés fustigent «le désintérêt de la hiérarchie», «uniquement préoccupée par sa carrière et les chiffres». «Aucun officier n'est présent à l'appel, rapporte Laurent, un brigadier rennais syndiqué à Alliance. Personne pour vous dire que vous existez ou pour passer un message. Nous, on est sur le terrain, en voie publique. On passe d'un vol à l'étalage à 2,50euros à une nana qui a une tête comme ça, avec des enfants en pleurs, parce que son mec l'a fracassée, à une découverte de cadavre qui a quinze jours... Vous rentrez au commissariat. Vous êtes farci. Vous avez quatre, cinq rapports à taper. Et là, un officier vous passe une soufflante parce que votre véhicule est garé de travers...». Un responsable de la sécurité publique commente: «Des tensions sont nées quand les officiers ont obtenu le passage en catégorie A (NDLR: gardiens de la paix et gradés souhaitent décrocher la catégorie B). Depuis, c'est la lutte des classes au sein de la police...».
«On est l'ennemi»
Éviter les tensions, préserver la paix sociale. Sur la voie publique, les policiers sont devenus des démineurs. Des cibles aussi.
«La société est de plus en plus violente. Avant, quand il y avait un différend, un coup de poing pouvait partir. Aujourd'hui, c'est une pluie de coups. Parfois sans raison, souvent sans limites. Avec nous, c'est pareil. Aujourd'hui, on n'hésite plus à agresser un policier. Les bleus, c'est l'ennemi. Celui sur qui on peut se défouler. Le responsable de tous les maux...», déplore Romain, policier brestois non syndiqué.
«Même les victimes nous agressent»
«Le contexte économique joue beaucoup, commente Thierry, brigadier-chef syndiqué à l'Union SGP-Unité Police (classé à gauche). Quand on arrive sur une intervention, les gens nous renvoient tout ça. On se fait même agresser par les victimes! On nous insulte. On nous dit qu'on ne sert à rien. Depuis que je suis à Rennes, je fais énormément de social. Je calme les esprits. Légalement, on pourrait verbaliser ou placer en garde à vue. Mais on ne le fait pas, pour éviter les dérapages: outrage, rébellion, etc. C'est une forme d'autocensure. Et puis, sans cela, les chiffres exploseraient...». «Il y a dix ans, quand on nous appelait ?les Condés?, on s'arrêtait. Aujourd'hui, on poursuit notre route. Quel intérêt d'aller à l'incident?» analyse un gendarme expérimenté qui, lui aussi, fait état de gens «beaucoup plus agressifs qu'avant. N'importe quelle intervention, banale en apparence, peut dégénérer». «La lourdeur procédurale est devenue telle que la plupart des collègues préfèrent ne pas réagir. Mais c'est usant et pesant», ajoute Thierry.
«Hiérarchie très frileuse»
«On n'a pas su suivre l'évolution de la délinquance, estime Laurent, brigadier à Rennes, syndiqué à Alliance. La hiérarchie est très frileuse. Les chasses (NDLR: les courses poursuites), par exemple, sont désormais interdites. D'ailleurs, on n'utilise plus ce terme mais celui de ?prise en charge de véhicule?. Bref, si tu vois une voiture volée, tu ne fais rien parce que ça risque de foutre le feu à une cité. Pour les manifs, c'est pire. Avant que tu ne reçoives l'ordre d'interpeller un casseur...». Des affirmations que modère un commissaire: «Lorsque l'auteur est identifiable, il est parfois plus sage de différer l'interpellation, en douceur, sans risquer la vie de personnes».
À Brest, la police à la noce (IMPRESSIONNANT!)
Un «mariage marocain» fêté en grande pompe jusque dans le centre-ville de Brest, qui déborde et prend les forces de l'ordre de court. Et c'est l'orgueil et la crédibilité de la police qui en prennent un sérieux coup.
C'est LE sujet dont tout le monde parlait à Brest ces derniers mois. Un joyeux et bruyant «mariage marocain» dans les rues du centre-ville qui reste en travers de la gorge de nombreux policiers et responsables de la sécurité publique. Le samedi 3octobre, en plein après-midi, des dizaines de voitures, moteurs et avertisseurs hurlants, musique à plein volume, drapeaux au vent (lire ci-contre la proposition UMP), investissent la rue Jean-Jaurès, principale artère commerçante de la ville. Pas n'importe quelles voitures: Porsche limousine avec chauffeur pour les mariés, limousine classique, Ferrari, Aston Martin, Lamborghini, BMW, Audi R8, Mercedes AMG pour une partie des invités.
La police... en escorte!
Des véhicules grimpent sur les trottoirs. D'autres déboulent à contresens sur les ronds-points. Tous empruntent les deux lignes de circulation de la rue Jean-Jaurès. L'hyper centre-ville est rapidement paralysé, contraignant la police à... «escorter» le cortège, sous les yeux médusés des nombreux passants. «On les avait là», résume un policier «écoeuré». D'autant que certaines têtes qui s'exhibent par les fenêtres des luxueuses voitures sont bien connues des forces de police. «Des voitures comme ça, personne ne peut se les payer. Même en location, comme c'était le cas... Mais on ne pouvait rien faire. Ils étaient plusieurs centaines. Nous, pas, et il y avait beaucoup de monde dans les rues...». «Ce qui s'est produit est inadmissible, s'étrangle un responsable de la sécurité publique. En plus, des vidéos immortalisant ces scènes ont été mises en ligne sur internet!». «On n'a pas fait ça pour provoquer la police. C'était la fête et la frime, c'est tout», assure un convive. Les véhicules de luxe, une dizaine sur la cinquantaine de voitures présentes dans le cortège, ont été loués en région parisienne et acheminés à Brest par camion. Pour chacun et pour deux jours, la location pouvait grimper jusqu'à 7.000euros. L'incident a en tout cas suffisamment choqué et irrité pour déclencher l'ouverture d'une enquête préliminaire. Histoire de répondre à cette question judicieuse: d'où vient l'argent (non-justification de ressources)? «De ce côté-là, tout est verrouillé, assure un invité. Ce mariage, on le préparait depuis un an. On a eu le temps d'économiser...».
Des billets jetés aux policiers
L'histoire aurait pu s'arrêter là. Mais le lendemain, la police parvient à interpeller l'un des convives, qui n'avait pas de permis. Alors que cette personne est entendue au commissariat central, survient un membre de sa famille, tout en muscle, accompagné d'un acolyte tout aussi bodybuildé et de cinq ou six noceurs qui attendent à l'extérieur. L'individu exige que son parent soit relâché, injurie les policiers présents, leur jette des billets de dix et vingteuros en les traitant de «clochards». La scène se déroule dans l'accueil, sous l'oeil du public qui patiente en salle d'attente. Les patrouilles en ville sont bien appelées en renfort. Une dizaine de policiers afflue. Mais aucune interpellation ne sera tentée. Pourquoi? Vraisemblablement pour ne pas courir le risque de «mettre le feu» au quartier où se déroulait le mariage. «Pour qui on passe?», s'agace un policier. «Quel message croyez-vous que l'on donne en laissant de telles choses se produire?» (çà a beaucoup impressionné la population brestoise. Je vais essayer de retrouver la vidéo. Nous savons tous que c'est l'argent de la drogue!)
Un poste de police attaqué en plein jour à Rennes
La scène, surréaliste, s'est déroulée en mars dernier dans un quartier sensible de Rennes alors que de nombreux policiers présents n'attendaient qu'un ordre: intervenir.
Mercredi 11mars 2009. D'importants moyens policiers sont mobilisés en raison d'une manifestation étudiante. En fin d'après-midi, tout bascule. Plus de 200 manifestants débarquent dans le Carrefour du quartier Villejean pour une opération coup-de-poing «contre la précarité». Nom de code: «Servez-vous, c'est gratuit». Le groupe repart avec près d'une centaine de sacs (*).
«On va vous cramer»
Les forces de l'ordre n'interviennent qu'après, et interpellent... un jeune du quartier (deux étudiants seront également arrêtés). Stupeur dans la cité. En réaction, quelques minutes plus tard, une dizaine de jeunes, rapidement suivis par une centaine d'autres, attaquent le poste de police du quartier où sont réfugiés quatre fonctionnaires. Ceux-ci vident leurs bombes lacrymogènes, avant de se barricader à l'étage. «On va vous cramer», hurlent les assaillants, qui défoncent portes et fenêtres. «Les collègues, très choqués, ont vraiment cru leur dernière heure arriver, rapporte Frédéric Gallet, responsable du syndicat policier Alliance à Rennes. Pourtant, dehors, il y avait tous les renforts qui attendaient l'ordre d'intervenir. Cela a pris de très longues minutes...».
«Absence de décision»
Un tract syndical évoque «l'absence de décision» au moment où les manifestants ont investi le supermarché et une «décision tardive» de la hiérarchie au moment de l'attaque du poste de police. «Pendant que certains jouent leur carrière au ?j'y vais, j'y vais pas?, les collègues, eux, risquent leur vie!», s'insurge le syndicat dans le même tract. Aucune interpellation ne sera réalisée. Le principal meneur de l'attaque, désigné comme tel par les quatre policiers, s'est lui-même livré à la police le lendemain des faits. Jugé en comparution immédiate, il a été condamné à trois mois de prison ferme.
* Le directeur du magasin évoquera un préjudice de 10.000euros constitué essentiellement d'accessoires informatiques, de vidéo et de hi-fi, d'alcool et de téléphones portables.
Ivresses publiques : le fardeau
De nombreux policiers pointent la trop lourde gestion des personnes en état d'ivresse. «Elles doivent être vues par un médecin avant d'être placées en dégrisement. Pour nous, cela veut dire une demi-heure à une heure d'attente à l'hôpital. Pendant ce temps-là, on a de vrais appels d'urgence...». Un autre policier évoque, quant à lui, les soirées étudiantes. «Cela pompe beaucoup d'effectifs qui pourraient être utilisés à d'autres choses, fustige-t-il. Et puis, on sert à quoi? On doit être visible aux abords, mais on ne peut pas intervenir! Ce serait l'émeute générale. Cette situation absurde frustre tout le monde».
Police de proximité en arrière toute
C'est le cheval de bataille de Nicolas Sarkozy: lutter contre la délinquance. Combien de fois a-t-on annoncé la «tolérance zéro», la guerre totale contre le trafic de drogue, contre les bandes, contre l'économie souterraine, la «reconquête des quartiers sensibles»? Le 15décembre dernier, Brice Hortefeux voulait même «donner des coups de pied dans la fourmilière». C'est la «priorité pour 2010»! Pour les quartiers sensibles, on avait même réintroduit une police de proximité: les Uteq (Unités territoriales de quartier). «Une solution qui coûte, mais qui est efficace», assurait, il y a quelques mois, le ministre de l'Intérieur, avançant une baisse de la délinquance de 10% à 20% là où ces unités étaient implantées.
De 100 à 35
Mais voilà, rigueur budgétaire oblige, exit les 100 Uteq! Ne resteront que les 35 déjà créées, dont celle de Rennes. Est-ce seulement une question d'argent? Non. L'Élysée et le gouvernement se disent «préoccupés» par les tensions et réactions que pourraient engendrer dans les quartiers ciblés ces «coups de pied». Tout est dit.