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« On assiste à un vent de pénalisation dans le monde du travail »
Avertissement
Nous publions un article qui nous parait intéressant sur la pénalisation dans le monde du travail. Technologia cependant a réaffirmer son attachement à la négociation interne aux entreprises. La judiciarisassion des problèmes rencontrés au sein des structures n’étant pas toujours profitables aux salariés et aux entreprises.
L’ouverture récente d’une information judiciaire pour « harcèlement moral contre X » à l’encontre de France Télécom et de trois de ses dirigeants annoncerait-elle un vent de pénalisation dans le monde du travail ? L’avis du juriste Olivier Cahn, docteur en droit pénal, maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise et responsable du Centre de recherche et d’études en sciences criminelles - Interview parue dans Repères RSE (juin 2010).
Constatez-vous une pénalisation du droit social aujourd’hui ?
O.C : « Certes, la plupart des exigences du droit du travail – hygiène et sécurité, liberté syndicale – comportent une sanction pénale. L’influence du droit pénal sur le monde du travail est donc indéniable. Cependant, ce n’est pas récent et il faut s’en féliciter puisque cela traduit la volonté du législateur français, au moins depuis les lois Auroux de 1982, de protéger les salariés dans la relation de travail. En revanche, les relations sociales se «judiciarisent» et le monde du travail n’y échappe pas. L’affaire France Télécom pourrait ainsi inciter d’autres acteurs – salariés et syndicats – à choisir la voie pénale dès lors que certaines méthodes de management leur apparaîtront inacceptables. »
Quels sont, selon vous, les scénarios judiciaires possibles dans le dossier France Télécom ?
O. C : « Ce dossier peut s’analyser sous deux angles. Scénario optimiste : l’action engagée contre l’opérateur pour « harcèlement moral » pourra avoir valeur d’exemple si elle démontre qu’en matière de non respect du droit du travail, aucune entreprise n’est à l’abri de poursuites. Ce qui, je l’espère, incitera d’autres entreprises peu soucieuses de la santé de leurs salariés à réviser leurs pratiques managériales. Mais il y a un deuxième scénario plus pessimiste. Il peut en effet sembler étonnant que le Parquet ouvre une information judiciaire, alors qu’il dispose d’un rapport d’enquête de l’Inspection du travail très argumenté. A l’heure actuelle, nombre de dossiers, pourtant tout aussi techniques et bien moins solides, font l’objet d’un renvoi devant le tribunal. On peut donc craindre que la saisine d’un juge d’instruction ne soit qu’un moyen de gagner du temps jusqu’à ce que l’émotion se calme et qu’il puisse enterrer l’affaire. En tant que pénaliste, cette crainte est renforcée par le fait que, si les méthodes de management de France Télécom relevées par l’Inspection du travail sont avérées, des qualifications plus sévères que celle de « harcèlement moral » auraient pu être retenues. Or, il est de principe qu’une instruction soit ouverte sous le chef d’infraction le plus grave. Cela incite à rester vigilant car le but du Parquet – donc du Ministère de la Justice – n’est peut être pas de laisser passer la justice pénale – si tant est qu’elle doive s’exercer dans cette affaire… »
Pensez-vous qu’en France, les dirigeants devront de plus en plus redouter le spectre pénal ?
O.C : « En France, affirmer que les dirigeants sont soumis à une pression pénale excessive et décourageante relève d’une « légende urbaine » ! A la différence des pays anglo-saxons, la justice française se montre extrêmement bienveillante envers les patrons, y compris lorsqu’ils ont commis des infractions. Ainsi, si les peines encourues peuvent inclure de l’emprisonnement, les condamnations prononcées sont généralement peu sévères. Un avocat britannique me confiait d’ailleurs récemment qu’il conseillerait à ses clients peu scrupuleux d’implanter leur siège en France si les règles de notre procédure pénale n’étaient pas si peu respectueuses des droits de la défense. A titre d’exemple, la peine encourue par un employeur pour homicide involontaire résultant d’un manquement aux règles d’hygiène et de sécurité est inférieure à celle encourue par le vigile de l’entreprise si la mort est causée par une attaque de son chien ! En outre, cette forme de délinquance n’intéresse pas l’Etat : le nombre d’inspecteurs du travail chargés de contrôler les entreprises sur le terrain est ridiculement faible. Et la tendance serait même à les déshabiller de leurs prérogatives d’enquête… De même, le nombre de policiers affectés à ces domaines d’enquêtes. Enfin, ces affaires imposent des enquêtes longues pour peu de condamnations, ce qui est statistiquement peu porteur et donc sans intérêt pour les Parquets. En fait, si certains dirigeants ont le sentiment d’un accroissement de la pénalisation du monde du travail, c’est uniquement parce que, longtemps, la loi pénale n’a pas été appliquée contre eux… De rien à un peu, il y a donc bien un accroissement de la pression pénale - mais il n’est pas significatif. »
Depuis un arrêt de la Cour de Cassation du 10 novembre 2009, des méthodes de management peuvent être constitutives de harcèlement moral. Quel sera selon vous l’impact de ces décisions ?
O.C. « Il faut d’abord relever que c’est un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation. Les juridictions pénales seront sans doute amenées à se prononcer à leur tour sur la question mais elles ne l’ont pas fait pour l’instant. Cet arrêt aura peut-être une influence sur les entreprises où la satisfaction des actionnaires et des dirigeants passe avant la santé des salariés. Cela dit, à la différence du harcèlement sexuel, comportement longtemps toléré, la condamnation pour harcèlement moral apparaît souvent comme une faveur faite aux petits chefs. En effet, souvent, les faits retenus comme constitutifs de harcèlement moral pourraient aussi être constitutifs d’homicide involontaire, de violences aggravées par la préméditation et la réunion, ou l’atteinte à la dignité, qui sont des infractions plus sévèrement punies. Il n’y a pas de raison de ne pas les sanctionner sur ces fondements si nous continuons à croire que le droit pénal doit être réservé aux comportements incompatibles avec les valeurs fondamentales de notre société. »
« On assiste à un vent de pénalisation dans le monde du travail »
Avertissement
Nous publions un article qui nous parait intéressant sur la pénalisation dans le monde du travail. Technologia cependant a réaffirmer son attachement à la négociation interne aux entreprises. La judiciarisassion des problèmes rencontrés au sein des structures n’étant pas toujours profitables aux salariés et aux entreprises.
L’ouverture récente d’une information judiciaire pour « harcèlement moral contre X » à l’encontre de France Télécom et de trois de ses dirigeants annoncerait-elle un vent de pénalisation dans le monde du travail ? L’avis du juriste Olivier Cahn, docteur en droit pénal, maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise et responsable du Centre de recherche et d’études en sciences criminelles - Interview parue dans Repères RSE (juin 2010).
Constatez-vous une pénalisation du droit social aujourd’hui ?
O.C : « Certes, la plupart des exigences du droit du travail – hygiène et sécurité, liberté syndicale – comportent une sanction pénale. L’influence du droit pénal sur le monde du travail est donc indéniable. Cependant, ce n’est pas récent et il faut s’en féliciter puisque cela traduit la volonté du législateur français, au moins depuis les lois Auroux de 1982, de protéger les salariés dans la relation de travail. En revanche, les relations sociales se «judiciarisent» et le monde du travail n’y échappe pas. L’affaire France Télécom pourrait ainsi inciter d’autres acteurs – salariés et syndicats – à choisir la voie pénale dès lors que certaines méthodes de management leur apparaîtront inacceptables. »
Quels sont, selon vous, les scénarios judiciaires possibles dans le dossier France Télécom ?
O. C : « Ce dossier peut s’analyser sous deux angles. Scénario optimiste : l’action engagée contre l’opérateur pour « harcèlement moral » pourra avoir valeur d’exemple si elle démontre qu’en matière de non respect du droit du travail, aucune entreprise n’est à l’abri de poursuites. Ce qui, je l’espère, incitera d’autres entreprises peu soucieuses de la santé de leurs salariés à réviser leurs pratiques managériales. Mais il y a un deuxième scénario plus pessimiste. Il peut en effet sembler étonnant que le Parquet ouvre une information judiciaire, alors qu’il dispose d’un rapport d’enquête de l’Inspection du travail très argumenté. A l’heure actuelle, nombre de dossiers, pourtant tout aussi techniques et bien moins solides, font l’objet d’un renvoi devant le tribunal. On peut donc craindre que la saisine d’un juge d’instruction ne soit qu’un moyen de gagner du temps jusqu’à ce que l’émotion se calme et qu’il puisse enterrer l’affaire. En tant que pénaliste, cette crainte est renforcée par le fait que, si les méthodes de management de France Télécom relevées par l’Inspection du travail sont avérées, des qualifications plus sévères que celle de « harcèlement moral » auraient pu être retenues. Or, il est de principe qu’une instruction soit ouverte sous le chef d’infraction le plus grave. Cela incite à rester vigilant car le but du Parquet – donc du Ministère de la Justice – n’est peut être pas de laisser passer la justice pénale – si tant est qu’elle doive s’exercer dans cette affaire… »
Pensez-vous qu’en France, les dirigeants devront de plus en plus redouter le spectre pénal ?
O.C : « En France, affirmer que les dirigeants sont soumis à une pression pénale excessive et décourageante relève d’une « légende urbaine » ! A la différence des pays anglo-saxons, la justice française se montre extrêmement bienveillante envers les patrons, y compris lorsqu’ils ont commis des infractions. Ainsi, si les peines encourues peuvent inclure de l’emprisonnement, les condamnations prononcées sont généralement peu sévères. Un avocat britannique me confiait d’ailleurs récemment qu’il conseillerait à ses clients peu scrupuleux d’implanter leur siège en France si les règles de notre procédure pénale n’étaient pas si peu respectueuses des droits de la défense. A titre d’exemple, la peine encourue par un employeur pour homicide involontaire résultant d’un manquement aux règles d’hygiène et de sécurité est inférieure à celle encourue par le vigile de l’entreprise si la mort est causée par une attaque de son chien ! En outre, cette forme de délinquance n’intéresse pas l’Etat : le nombre d’inspecteurs du travail chargés de contrôler les entreprises sur le terrain est ridiculement faible. Et la tendance serait même à les déshabiller de leurs prérogatives d’enquête… De même, le nombre de policiers affectés à ces domaines d’enquêtes. Enfin, ces affaires imposent des enquêtes longues pour peu de condamnations, ce qui est statistiquement peu porteur et donc sans intérêt pour les Parquets. En fait, si certains dirigeants ont le sentiment d’un accroissement de la pénalisation du monde du travail, c’est uniquement parce que, longtemps, la loi pénale n’a pas été appliquée contre eux… De rien à un peu, il y a donc bien un accroissement de la pression pénale - mais il n’est pas significatif. »
Depuis un arrêt de la Cour de Cassation du 10 novembre 2009, des méthodes de management peuvent être constitutives de harcèlement moral. Quel sera selon vous l’impact de ces décisions ?
O.C. « Il faut d’abord relever que c’est un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation. Les juridictions pénales seront sans doute amenées à se prononcer à leur tour sur la question mais elles ne l’ont pas fait pour l’instant. Cet arrêt aura peut-être une influence sur les entreprises où la satisfaction des actionnaires et des dirigeants passe avant la santé des salariés. Cela dit, à la différence du harcèlement sexuel, comportement longtemps toléré, la condamnation pour harcèlement moral apparaît souvent comme une faveur faite aux petits chefs. En effet, souvent, les faits retenus comme constitutifs de harcèlement moral pourraient aussi être constitutifs d’homicide involontaire, de violences aggravées par la préméditation et la réunion, ou l’atteinte à la dignité, qui sont des infractions plus sévèrement punies. Il n’y a pas de raison de ne pas les sanctionner sur ces fondements si nous continuons à croire que le droit pénal doit être réservé aux comportements incompatibles avec les valeurs fondamentales de notre société. »