De nombreux pays, dont les Etats-Unis ou l'Uruguay, ont changé d'approche dans la lutte contre la drogue, et le cannabis en particulier. Comment expliquer cette évolution ? La politique de répression est doublement coûteuse : elle est onéreuse et inefficace. La France se situe en effet parmi les plus gros consommateurs de cannabis par habitant en Europe. Dans cette étude, Pierre Kopp, Christian Ben Lakhdar et Romain Perez mesurent l'impact de trois scénarios possibles pour sortir cette politique de l'impasse. C'est la légalisation de la production, de la vente et de l'usage dans le cadre d'un monopole public qui apparaît comme la politique la plus apte à contrôler la consommation et à permettre la prévention nécessaire.
Synthèse
La politique du cannabis a pris une nouvelle direction dans de nombreux pays. Plusieurs Etats ont récemment évolué dans leurs pratiques : la « guerre à la drogue »[1], coûteuse et inefficace, y a laissé place à des approches fondées sur la tolérance au cannabis, voire dans certains cas, à la légalisation.
Notre pays ne devrait-il pas, à son tour, envisager un tel tournant idéologique et politique ? Les arguments qui ont conduit au revirement dans l’Amérique de Barack Obama, par exemple, semblent tout aussi valables chez nous. De fait, la politique de répression est en échec en France : non seulement la prévalence du cannabis ne diminue pas significativement, mais elle reste l’une des plus élevées d’Europe.
Pis, cette politique coûte cher : elle capte une part considérable des ressources publiques allouées au maintien de l’ordre et à la justice. Au total, ce sont quelques 568 millions d’euros par an qui sont directement consacrés à la lutte contre le cannabis, et qui ne vont ni à d’autres missions utiles, ni aux politiques de prévention et d’accompagnement pour les usagers dépendants.Dans ce contexte, trois scénarios sont envisageables : la dépénalisation[2] de l’usage du cannabis (scénario 1), la légalisation de la production, de la vente et de l'usage dans le cadre d'un monopole public (scénario 2) et la légalisation de la production, de la vente et de l'usage dans un cadre concurrentiel (scénario 3). Nous avons tenté de mesurer l'impact de chaque scénario sur le nombre d'usagers, les quantités consommées, les finances publiques (dépenses et recettes fiscales) et l'évolution du marché noir.
Le scénario 1 (dépénalisation de l'usage) permettrait de réduire fortement le coût budgétaire de la répression, mais pas de contrôler le niveau des prix du cannabis, qui est un déterminant essentiel de la demande. Elle est donc susceptible d’augmenter la prévalence au cannabis en réduisant son coût psychologique d’acquisition. Nous estimons cette hausse potentielle à 16 % du trafic et 12 % du nombre d'usagers quotidiens, à prix de vente inchangé.
La légalisation de la production, de la vente et de l'usage du cannabis dans le cadre d'un monopole public (scénario 2) permettrait de fixer le prix à un niveau plus élevé qu’aujourd’hui de manière à garantir une relative stabilité du nombre de consommateurs et du volume consommé. Cette option génèrerait des recettes fiscales significatives pour l’Etat (1.3 milliards d'euros par an) et entraînerait une réduction des dépenses publiques liées à la répression. L'impact budgétaire total pour un prix du cannabis majoré d'environ 40 % par rapport au prix de vente actuel sur le marché noir, s'élèverait à 1.8 milliards d'euros pour un nombre de consommateurs inchangé.
La légalisation dans un cadre concurrentiel (scénario 3) s'accompagnerait probablement d'une baisse significative des prix et, du même coup, d'une hausse forte du nombre de consommateurs quotidiens et du volume consommé. Elle ferait par ailleurs baisser très sensiblement les dépenses publiques liées au cannabis et permettrait surtout à l'Etat de récolter 1,7 milliards de recettes fiscales. L'inconvénient de cette solution est naturellement qu'elle ferait augmenter de manière très significative la prévalence au cannabis dans notre pays.
Nous privilégions le scénario 2, c'est-à-dire la légalisation dans le cadre d'un monopole public avec un prix de vente majoré. Mais cette approche impliquerait la subsistance transitoire du marché noir, même si le marché légal offre des avantages certains sur la clandestinité (garantie sur la qualité des produits, moindres risques pour l’usager…). Si l’on veut assécher ce marché noir, il pourrait être envisagé de légaliser initialement à un tarif proche du tarif de marché actuel, permettant ainsi un assèchement de l'essentiel du trafic clandestin et une marginalisation des filières parallèles, avant d’augmenter progressivement ce tarif pour réduire la prévalence.
De manière générale, la légalisation permettrait surtout de mieux accompagner les populations en difficulté en allouant des ressources conséquentes à la prévention, en particulier chez les jeunes adultes. Elle assurerait un meilleur contrôle du niveau général de la consommation de cannabis en agissant sur les prix d'acquisition, plutôt que sur une répression inopérante. C’est cette approche, fondée sur la prévention et une majoration des prix, qui a permis de réduire significativement le tabagisme en France[3].
Crédits photos : Flickr
[1] L’expression est attribuée au président américain Nixon (1971).
[2] La dépénalisation recouvre différents cas de figure allant de la suppression pure et simple des sanctions de l’usage du cannabis (hypothèse que nous avons retenue dans notre premier scénario), à la contraventionnalisation de cet usage (qui consiste à déclasser l’infraction de l’usage de manière à la rendre justiciable des tribunaux de police et non plus du tribunal correctionnel).
[3] Le volume de tabac consommé en France a ainsi diminué de 37 % entre 2001 et 2013 malgré la hausse de la démographie, du fait essentiellement des hausses tarifaires.
http://www.tnova.fr/note/cannabis-r-guler-le-march-pour-sortir-de-l-impasse
Synthèse
La politique du cannabis a pris une nouvelle direction dans de nombreux pays. Plusieurs Etats ont récemment évolué dans leurs pratiques : la « guerre à la drogue »[1], coûteuse et inefficace, y a laissé place à des approches fondées sur la tolérance au cannabis, voire dans certains cas, à la légalisation.
Notre pays ne devrait-il pas, à son tour, envisager un tel tournant idéologique et politique ? Les arguments qui ont conduit au revirement dans l’Amérique de Barack Obama, par exemple, semblent tout aussi valables chez nous. De fait, la politique de répression est en échec en France : non seulement la prévalence du cannabis ne diminue pas significativement, mais elle reste l’une des plus élevées d’Europe.
Pis, cette politique coûte cher : elle capte une part considérable des ressources publiques allouées au maintien de l’ordre et à la justice. Au total, ce sont quelques 568 millions d’euros par an qui sont directement consacrés à la lutte contre le cannabis, et qui ne vont ni à d’autres missions utiles, ni aux politiques de prévention et d’accompagnement pour les usagers dépendants.Dans ce contexte, trois scénarios sont envisageables : la dépénalisation[2] de l’usage du cannabis (scénario 1), la légalisation de la production, de la vente et de l'usage dans le cadre d'un monopole public (scénario 2) et la légalisation de la production, de la vente et de l'usage dans un cadre concurrentiel (scénario 3). Nous avons tenté de mesurer l'impact de chaque scénario sur le nombre d'usagers, les quantités consommées, les finances publiques (dépenses et recettes fiscales) et l'évolution du marché noir.
Le scénario 1 (dépénalisation de l'usage) permettrait de réduire fortement le coût budgétaire de la répression, mais pas de contrôler le niveau des prix du cannabis, qui est un déterminant essentiel de la demande. Elle est donc susceptible d’augmenter la prévalence au cannabis en réduisant son coût psychologique d’acquisition. Nous estimons cette hausse potentielle à 16 % du trafic et 12 % du nombre d'usagers quotidiens, à prix de vente inchangé.
La légalisation de la production, de la vente et de l'usage du cannabis dans le cadre d'un monopole public (scénario 2) permettrait de fixer le prix à un niveau plus élevé qu’aujourd’hui de manière à garantir une relative stabilité du nombre de consommateurs et du volume consommé. Cette option génèrerait des recettes fiscales significatives pour l’Etat (1.3 milliards d'euros par an) et entraînerait une réduction des dépenses publiques liées à la répression. L'impact budgétaire total pour un prix du cannabis majoré d'environ 40 % par rapport au prix de vente actuel sur le marché noir, s'élèverait à 1.8 milliards d'euros pour un nombre de consommateurs inchangé.
La légalisation dans un cadre concurrentiel (scénario 3) s'accompagnerait probablement d'une baisse significative des prix et, du même coup, d'une hausse forte du nombre de consommateurs quotidiens et du volume consommé. Elle ferait par ailleurs baisser très sensiblement les dépenses publiques liées au cannabis et permettrait surtout à l'Etat de récolter 1,7 milliards de recettes fiscales. L'inconvénient de cette solution est naturellement qu'elle ferait augmenter de manière très significative la prévalence au cannabis dans notre pays.
Nous privilégions le scénario 2, c'est-à-dire la légalisation dans le cadre d'un monopole public avec un prix de vente majoré. Mais cette approche impliquerait la subsistance transitoire du marché noir, même si le marché légal offre des avantages certains sur la clandestinité (garantie sur la qualité des produits, moindres risques pour l’usager…). Si l’on veut assécher ce marché noir, il pourrait être envisagé de légaliser initialement à un tarif proche du tarif de marché actuel, permettant ainsi un assèchement de l'essentiel du trafic clandestin et une marginalisation des filières parallèles, avant d’augmenter progressivement ce tarif pour réduire la prévalence.
De manière générale, la légalisation permettrait surtout de mieux accompagner les populations en difficulté en allouant des ressources conséquentes à la prévention, en particulier chez les jeunes adultes. Elle assurerait un meilleur contrôle du niveau général de la consommation de cannabis en agissant sur les prix d'acquisition, plutôt que sur une répression inopérante. C’est cette approche, fondée sur la prévention et une majoration des prix, qui a permis de réduire significativement le tabagisme en France[3].
Crédits photos : Flickr
[1] L’expression est attribuée au président américain Nixon (1971).
[2] La dépénalisation recouvre différents cas de figure allant de la suppression pure et simple des sanctions de l’usage du cannabis (hypothèse que nous avons retenue dans notre premier scénario), à la contraventionnalisation de cet usage (qui consiste à déclasser l’infraction de l’usage de manière à la rendre justiciable des tribunaux de police et non plus du tribunal correctionnel).
[3] Le volume de tabac consommé en France a ainsi diminué de 37 % entre 2001 et 2013 malgré la hausse de la démographie, du fait essentiellement des hausses tarifaires.
http://www.tnova.fr/note/cannabis-r-guler-le-march-pour-sortir-de-l-impasse