Contrôles aux frontières, préférence religieuse, construction de murs ...
En l'absence de politiques européennes coordonnées en la matière, les pays du sud-est de l'Europe gèrent bon gré mal gré l'afflux de migrants à leurs portes.
ANALYSE De l'Italie à la Roumanie, les pays du sud-est de l'Europe gèrent l'afflux, chacun à leur manière.
TALIE : LA PÉNINSULE SOUS PRESSION
Environ 5 300 migrants, principalement en provenance d’Afrique subsaharienne, ont été secourus la semaine dernière en Méditerranée près de la côte libyenne, a annoncé mardi l’agence Frontex, chargée des frontières extérieures de l’espace Schengen. Ce sont déjà quelque 95 000 migrants qui ont été secourus en Méditerranée centrale et emmenés dans les centres d’accueil de la péninsule. Critiquées par Berlin et Paris pour n’avoir pas encore mis en place les centres d’enregistrement de première entrée (afin de différencier les demandeurs d’asile des autres migrants), les autorités italiennes ont répondu par la voix du ministre des Affaires étrangères, Paolo Gentiloni, clamant que « l’Italie fait ce qu’elle doit faire […] et même beaucoup plus, en sauvant des dizaines de milliers de vies humaines et en accueillant les réfugiés ». « Nous sommes un modèle positif au niveau international », a-t-il assuré.
GRÈCE : LA PORTE D’ENTRÉE DÉMUNIE
C’est devenu, en 2015, le premier pays d’entrée pour les migrants : 160 000 depuis début janvier, sur les 293 000 arrivées en Europe par la Méditerranée, où ont péri 2 450 personnes. Avec des situations catastrophiques dans certaines îles comme Lesbos ou Kos, que ni le gouvernement ni Frontex (l’agence européenne de surveillance des frontières) n’ont les moyens de gérer. Frontex manque d’avions, de bateaux, et surtout de gardes-frontières pour enregistrer les migrants, a expliqué mercredi sur France Inter le directeur exécutif de l’agence. Fabrice Leggeri rappelle qu’« une majorité des personnes arrivant en Grèce sont vraisemblablement des réfugiés et des demandeurs d’asile potentiels ». Souvent, des Syriens et des Afghans que la législation oblige à accueillir. Mais pour cela, rappelle Leggeri, l’Union européenne doit aider la Grèce pour auditionner les arrivants et identifier ceux qui ne peuvent prétendre à l’asile.
SERBIE : L’HABITUDE DES RÉFUGIÉS
Les Serbes, notamment à Belgrade, multiplient les gestes de solidarité avec les migrants qui affluent en route vers la Hongrie. Ils ont eu l’expérience des centaines de milliers de réfugiés issus des guerres sanglantes ayant accompagné l’éclatement de l’ex-Yougoslavie dans les années 1990. Ils organisent des collectes d’aide en nourriture, médicaments, eaux et vêtements. La municipalité de Belgrade a ouvert un centre d’information, d’assistance médicale et de soutien psychologique, qui fonctionne en trois langues : arabe, ourdou et farsi. Les réseaux sociaux serbes ont joué un rôle non négligeable dans la mobilisation et la sensibilisation de la population. Mais tous ne font pas preuve du même enthousiasme. Des groupes et partis politiques d’extrême droite ont même appelé à l’édification d’une clôture à la frontière avec la Macédoine (sud), semblable à celle que la Hongrie érige pour empêcher les migrants d’entrer sur son territoire.
MACÉDOINE : LE CORRIDOR DÉBORDÉ
La Macédoine accueille chaque jour 3 000 migrants venant de Grèce, selon son Premier ministre, Nikola Poposki. La semaine dernière, Skopje avait décrété l’état d’urgence et fermé sa frontière pendant trois jours. Les autorités, débordées par la masse, ont fini par les laisser passer. Selon le Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR), les entrées se font désormais par groupes de 300 à 400 personnes, qui prennent ensuite des bus ou des trains pour la Serbie. La Macédoine (qui compte deux millions d’habitants) est un point de passage pour les Syriens et les Afghans qui progressent parfois à pied, le long des 230 kilomètres de la voie ferrée du Thessalonique-Belgrade. Quatorze migrants sont morts le 24 avril, percutés par un train. Depuis début juin, au moins 42 000 personnes ont franchi cette frontière - certaines transportées par les autorités grecques désireuses de s’en débarrasser.
BULGARIE : LA VIGILANCE AUX FRONTIÈRES
Des véhicules blindés bulgares ont été déployés depuis le début de la semaine aux quatre postes-frontières avec la Macédoine pour soutenir la police frontalière en cas d’afflux de migrants. « Nous estimons le risque relativement limité car la Bulgarie respecte les procédures d’enregistrement », ce qui n’est pas le cas en Grèce, en Macédoine et en Serbie, a déclaré la ministre de l’Intérieur, Roumiana Batchvarova, à la télévision Nova. La Bulgarie a accueilli depuis le début de l’année 15 000 migrants clandestins, notamment syriens, arrivés de Turquie. Les migrants arrêtés en Bulgarie sont placés pendant plusieurs mois dans des camps de réfugiés avant d’obtenir un statut leur permettant, au mieux, de voyager dans l’Union européenne, sans pouvoir s’y installer. Sofia a érigé sur sa frontière turque une clôture de 30 km dont le prolongement est envisagé, et maintient un millier de policiers pour empêcher les entrées clandestines.
ROUMANIE : LA PRUDENCE DE RIGUEUR
La Roumanie va « préventivement » renforcer la sécurité à ses frontières avec la Serbie, très touchée par l’afflux de migrants, a annoncé jeudi le vice-Premier ministre roumain, Gabriel Oprea, tout en précisant que son pays restait épargné par la crise. Bucarest assure la sécurité de 2 070 km de frontières extérieures de l’Union européenne, dont plus d’un quart avec la Serbie. Jusqu’ici, les migrants en provenance du Moyen-Orient ou d’Afrique ont rejoint l’Union européenne par la Hongrie. Cette voie devant bientôt être fermée, ces migrants seront tentés de passer par la Roumanie qui, pour l’heure, reste peu touchée. Les autorités se préparent en tout cas à augmenter leurs capacités d’accueil, lesquelles, en l’état, ne permettent de loger que 1 500 personnes maximum.
HONGRIE : LE NOUVEAU RIDEAU DE FER
Des centaines de migrants continuent d’affluer à la frontière serbo-hongroise, quelques jours avant la fermeture, prévue le 31 août, d’une clôture métallique censée empêcher leur passage, et donc l’entrée dans l’Union européenne. L’armée devrait s’y déployer dès la semaine prochaine. Au total, la Hongrie a enregistré l’arrivée de plus de 100 000 demandeurs d’asile depuis le début de l’année, soit plus du double du total de 2014. Ils arrivent de Turquie via la Grèce ou la Macédoine. Le président Viktor Orbán, nationaliste et conservateur, a lancé une campagne très dure contre l’immigration, affirmant notamment que des terroristes se dissimulent parmi les réfugiés. La majorité des arrivants sont originaires de Syrie ou d’Afghanistan, mais certains viennent aussi des Balkans, notamment du Kosovo et de Macédoine, fuyant la misère et l’absence de perspectives d’intégration de leurs pays dans l’Union européenne.
SLOVAQUIE : LA PRÉFÉRENCE RELIGIEUSE
La Slovaquie (5,4 millions d’habitants) ne fait pas partie des pays les plus accueillants : elle a accordé l’asile à 650 personnes depuis 1993, date de sa séparation avec la République tchèque. Ces derniers jours, elle se proposait d’accueillir 200 Syriens, mais uniquement des chrétiens, et en étalant cet accueil sur deux ans. Selon le ministère de l’Intérieur, les musulmans seraient malvenus car la Slovaquie, qui en compte très peu, n’a pas de mosquées. Le HCR a réagi en exhortant les pays à « n’exercer aucune discrimination ». Le projet semble depuis au point mort. La Slovaquie n’est pas isolée dans cette attitude, que partagent notamment les pays baltes et la Pologne.
Christian LOSSON, Michel HENRY et Sylvain MOUILLARD, Le Monde, le 27/08/2015
http://www.france-terre-asile.org/actualites/actualites/actualites-choisies/migrants-la-strategie-des-etats
En l'absence de politiques européennes coordonnées en la matière, les pays du sud-est de l'Europe gèrent bon gré mal gré l'afflux de migrants à leurs portes.
ANALYSE De l'Italie à la Roumanie, les pays du sud-est de l'Europe gèrent l'afflux, chacun à leur manière.
TALIE : LA PÉNINSULE SOUS PRESSION
Environ 5 300 migrants, principalement en provenance d’Afrique subsaharienne, ont été secourus la semaine dernière en Méditerranée près de la côte libyenne, a annoncé mardi l’agence Frontex, chargée des frontières extérieures de l’espace Schengen. Ce sont déjà quelque 95 000 migrants qui ont été secourus en Méditerranée centrale et emmenés dans les centres d’accueil de la péninsule. Critiquées par Berlin et Paris pour n’avoir pas encore mis en place les centres d’enregistrement de première entrée (afin de différencier les demandeurs d’asile des autres migrants), les autorités italiennes ont répondu par la voix du ministre des Affaires étrangères, Paolo Gentiloni, clamant que « l’Italie fait ce qu’elle doit faire […] et même beaucoup plus, en sauvant des dizaines de milliers de vies humaines et en accueillant les réfugiés ». « Nous sommes un modèle positif au niveau international », a-t-il assuré.
GRÈCE : LA PORTE D’ENTRÉE DÉMUNIE
C’est devenu, en 2015, le premier pays d’entrée pour les migrants : 160 000 depuis début janvier, sur les 293 000 arrivées en Europe par la Méditerranée, où ont péri 2 450 personnes. Avec des situations catastrophiques dans certaines îles comme Lesbos ou Kos, que ni le gouvernement ni Frontex (l’agence européenne de surveillance des frontières) n’ont les moyens de gérer. Frontex manque d’avions, de bateaux, et surtout de gardes-frontières pour enregistrer les migrants, a expliqué mercredi sur France Inter le directeur exécutif de l’agence. Fabrice Leggeri rappelle qu’« une majorité des personnes arrivant en Grèce sont vraisemblablement des réfugiés et des demandeurs d’asile potentiels ». Souvent, des Syriens et des Afghans que la législation oblige à accueillir. Mais pour cela, rappelle Leggeri, l’Union européenne doit aider la Grèce pour auditionner les arrivants et identifier ceux qui ne peuvent prétendre à l’asile.
SERBIE : L’HABITUDE DES RÉFUGIÉS
Les Serbes, notamment à Belgrade, multiplient les gestes de solidarité avec les migrants qui affluent en route vers la Hongrie. Ils ont eu l’expérience des centaines de milliers de réfugiés issus des guerres sanglantes ayant accompagné l’éclatement de l’ex-Yougoslavie dans les années 1990. Ils organisent des collectes d’aide en nourriture, médicaments, eaux et vêtements. La municipalité de Belgrade a ouvert un centre d’information, d’assistance médicale et de soutien psychologique, qui fonctionne en trois langues : arabe, ourdou et farsi. Les réseaux sociaux serbes ont joué un rôle non négligeable dans la mobilisation et la sensibilisation de la population. Mais tous ne font pas preuve du même enthousiasme. Des groupes et partis politiques d’extrême droite ont même appelé à l’édification d’une clôture à la frontière avec la Macédoine (sud), semblable à celle que la Hongrie érige pour empêcher les migrants d’entrer sur son territoire.
MACÉDOINE : LE CORRIDOR DÉBORDÉ
La Macédoine accueille chaque jour 3 000 migrants venant de Grèce, selon son Premier ministre, Nikola Poposki. La semaine dernière, Skopje avait décrété l’état d’urgence et fermé sa frontière pendant trois jours. Les autorités, débordées par la masse, ont fini par les laisser passer. Selon le Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR), les entrées se font désormais par groupes de 300 à 400 personnes, qui prennent ensuite des bus ou des trains pour la Serbie. La Macédoine (qui compte deux millions d’habitants) est un point de passage pour les Syriens et les Afghans qui progressent parfois à pied, le long des 230 kilomètres de la voie ferrée du Thessalonique-Belgrade. Quatorze migrants sont morts le 24 avril, percutés par un train. Depuis début juin, au moins 42 000 personnes ont franchi cette frontière - certaines transportées par les autorités grecques désireuses de s’en débarrasser.
BULGARIE : LA VIGILANCE AUX FRONTIÈRES
Des véhicules blindés bulgares ont été déployés depuis le début de la semaine aux quatre postes-frontières avec la Macédoine pour soutenir la police frontalière en cas d’afflux de migrants. « Nous estimons le risque relativement limité car la Bulgarie respecte les procédures d’enregistrement », ce qui n’est pas le cas en Grèce, en Macédoine et en Serbie, a déclaré la ministre de l’Intérieur, Roumiana Batchvarova, à la télévision Nova. La Bulgarie a accueilli depuis le début de l’année 15 000 migrants clandestins, notamment syriens, arrivés de Turquie. Les migrants arrêtés en Bulgarie sont placés pendant plusieurs mois dans des camps de réfugiés avant d’obtenir un statut leur permettant, au mieux, de voyager dans l’Union européenne, sans pouvoir s’y installer. Sofia a érigé sur sa frontière turque une clôture de 30 km dont le prolongement est envisagé, et maintient un millier de policiers pour empêcher les entrées clandestines.
ROUMANIE : LA PRUDENCE DE RIGUEUR
La Roumanie va « préventivement » renforcer la sécurité à ses frontières avec la Serbie, très touchée par l’afflux de migrants, a annoncé jeudi le vice-Premier ministre roumain, Gabriel Oprea, tout en précisant que son pays restait épargné par la crise. Bucarest assure la sécurité de 2 070 km de frontières extérieures de l’Union européenne, dont plus d’un quart avec la Serbie. Jusqu’ici, les migrants en provenance du Moyen-Orient ou d’Afrique ont rejoint l’Union européenne par la Hongrie. Cette voie devant bientôt être fermée, ces migrants seront tentés de passer par la Roumanie qui, pour l’heure, reste peu touchée. Les autorités se préparent en tout cas à augmenter leurs capacités d’accueil, lesquelles, en l’état, ne permettent de loger que 1 500 personnes maximum.
HONGRIE : LE NOUVEAU RIDEAU DE FER
Des centaines de migrants continuent d’affluer à la frontière serbo-hongroise, quelques jours avant la fermeture, prévue le 31 août, d’une clôture métallique censée empêcher leur passage, et donc l’entrée dans l’Union européenne. L’armée devrait s’y déployer dès la semaine prochaine. Au total, la Hongrie a enregistré l’arrivée de plus de 100 000 demandeurs d’asile depuis le début de l’année, soit plus du double du total de 2014. Ils arrivent de Turquie via la Grèce ou la Macédoine. Le président Viktor Orbán, nationaliste et conservateur, a lancé une campagne très dure contre l’immigration, affirmant notamment que des terroristes se dissimulent parmi les réfugiés. La majorité des arrivants sont originaires de Syrie ou d’Afghanistan, mais certains viennent aussi des Balkans, notamment du Kosovo et de Macédoine, fuyant la misère et l’absence de perspectives d’intégration de leurs pays dans l’Union européenne.
SLOVAQUIE : LA PRÉFÉRENCE RELIGIEUSE
La Slovaquie (5,4 millions d’habitants) ne fait pas partie des pays les plus accueillants : elle a accordé l’asile à 650 personnes depuis 1993, date de sa séparation avec la République tchèque. Ces derniers jours, elle se proposait d’accueillir 200 Syriens, mais uniquement des chrétiens, et en étalant cet accueil sur deux ans. Selon le ministère de l’Intérieur, les musulmans seraient malvenus car la Slovaquie, qui en compte très peu, n’a pas de mosquées. Le HCR a réagi en exhortant les pays à « n’exercer aucune discrimination ». Le projet semble depuis au point mort. La Slovaquie n’est pas isolée dans cette attitude, que partagent notamment les pays baltes et la Pologne.
Christian LOSSON, Michel HENRY et Sylvain MOUILLARD, Le Monde, le 27/08/2015
http://www.france-terre-asile.org/actualites/actualites/actualites-choisies/migrants-la-strategie-des-etats