Tombent les chemises, tombent les masques
L’arrestation à grand spectacle, ce matin, de six salariés d’Air France accusés d’arrachage de chemise démontre une conception très sélective de la violence : celle d’un système qui cache systématiquement la sienne.
Six salariés d’Air France ont donc été placés en garde à vue ce lundi 12 octobre, dont quatre arrêtés à leur domicile dès six heures du matin : bel exemple de célérité d’une justice trop souvent accusée d’extrême lenteur. Il faut dire que l’affaire était grave et ne pouvait souffrir une simple convocation de justice. Terrorisme ? Important trafic de stupéfiants ? Bien plus grave, puisqu’il s’agit d’un crime de lèse-majesté ou, pour être plus précis, d’outrage à patrons. Devant un tel méfait, il fallait une réaction rapide et déterminée, Manuel Valls s’y était engagé, l’horreur de la situation l’exigeait.
On serait bien en peine de trouver un équivalent récent dans d’autres mobilisations ayant, elles aussi, fait l’objet de débordements. Les Bonnets rouges, pour ne pas parler de la multirécidiviste FNSEA, ont eu la pleine impunité. La grande délinquance financière qui détourne des milliards d’euros est au mieux poliment convoquée quand elle n’est pas absoute moyennant le paiement de quelques pénalités. Mais ce ne sont pas réellement des violences physiques, c’est toute la différence, objectera la cohorte des bien-pensants. C’est oublier les déclarations de Bernard Cazeneuve visant à couvrir les forces de répression lors de la mort de Rémy Fraisse à Sivens : « Ce n’est pas une bavure ». Pourtant, lui n’y a pas laissé sa chemise, mais sa vie. Ce cas, parmi bien d’autres, rappelle que l’impunité policière est aussi une réalité française.
Cette violence qu’on ne veut pas voir
Au-delà, c’est la petite musique qu’il y aurait d’une part des violences symboliques, acceptables, et des violences physiques, insupportables bien sûr, qui est révoltante. La violence sociale d’un plan de licenciements est elle aussi physique. À chaque fois, ce sont des vies brisées, des dépressions à répétitions, souvent des suicides. La direction d’Orange qui, par ses pratiques a généré plusieurs dizaines de suicides, n’a jamais été inquiétée. Pourtant, disons-le, celles et ceux au sein de la direction qui ont organisé, planifié ces méthodes sont des assassins et devraient relever de la Cour d’assises.
Lors d’un débat vif avec Clémenceau à l’Assemblée nationale en juin 1906 (lire ici), Jean Jaurès répondait ceci à celui qui, ministre de l’Intérieur, réprimait durement les grèves :
« Un geste de menace, il est vu, il est retenu. Une démarche d’intimidation est saisie, constatée, traînée devant les juges. Le propre de l’action ouvrière, dans ce conflit, lorsqu’elle s’exagère, lorsqu’elle s’exaspère, c’est de procéder, en effet, par la brutalité visible et saisissable des actes. Ah ! Le patronat n’a pas besoin, lui, pour exercer une action violente, de gestes désordonnés et de paroles tumultueuses ! Quelques hommes se rassemblent, à huis clos, dans la sécurité, dans l’intimité d’un conseil d’administration, et à quelques-uns, sans violence, sans gestes désordonnés, sans éclat de voix, comme des diplomates causant autour du tapis vert, ils décident que le salaire raisonnable sera refusé aux ouvriers ; ils décident que les ouvriers qui continueront la lutte seront exclus, seront chassés, seront désignés par des marques imperceptibles, mais connues des autres patrons, à l’universelle vindicte patronale. Cela ne fait pas de bruit ; c’est le travail meurtrier de la machine qui, dans son engrenage, dans ses laminoirs, dans ses courroies, a pris l’homme palpitant et criant ; la machine ne grince même pas et c’est en silence qu’elle le broie. »
Décidément, Jean Jaurès, c’est un tout autre socialisme que celui des commis du Medef qui gouvernent aujourd’hui la France. Qui en douterait ?
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