Faisant écho"rétrospectif" avec le terrible accident survenu, voici un article assez..prémonitoire!
Trois hommes et un cockpit
http://www.humanite.fr/node/55904
Jeudi, 13 Mai, 1993
L'Humanité
A quelques semaines de la publication du rapport de la commission d'enquête sur la catastrophe aérienne du mont Sainte-Odile, un livre de Romain Kroës, commandant de bord à Air Inter, souligne la nécessité d'intégrer le facteur humain dans la définition des choix technologiques.
«ERREURS HUMAINES?», tel est le titre en forme de provocations d'un livre présenté hier à la presse (1) qui se propose comme «une contre-enquête sur une catastrophe annoncée». La catastrophe est celle qui a fait 87 morts, dans le crash d'un A-320 d'Air Inter, au mont Sainte-Odile, près de Strasbourg, le 20 janvier 1992. L'auteur, Romain Kroës, est précisément pilote de ligne, affecté au secteur A-300 dans cette compagnie. Il est aussi porte-parole de l'Union syndicale des personnels navigants techniques (USPNT), représentant 45% du personnel navigant d'Air Inter.
Signe particulier: l'auteur s'est toujours opposé, avec son organisation, à l'application d'une dérogation permettant un pilotage par un équipage réduit à deux personnes au lieu de trois. Motif: la surcharge de travail en fonction de la spécificité d'Air Inter. Cette compagnie effectue des vols intérieurs de courte distance dans des conditions nécessairement liées à des impératifs de service public associant ponctualité et rapidité des liaisons. En fait, une exploitation à haute fréquence pervertie, de surcroît, par un contexte de déréglementation aérienne et de profits commerciaux. A Air Inter, l'A-320 détient le record du monde pour le nombre de cycles par machine et par an, sur la base de 8 à 9 navettes quotidiennes.
La conférence de presse de l'USPNT tombait doublement à point nommé hier à Paris. Elle avait pour objectif de présenter le livre de Romain Kroës, à quelques semaines de la publication du rapport de la commission d'enquête sur le crash du mont Sainte-Odile. A quelques semaines également de la mise en service de l'A-330, d'une capacité de 415 personnes. Publication plusieurs fois reportée, les mauvaises langues prétendant que les membres de la commission ne parviennent pas à se mettre d'accord sur un exercice de haut vol: sauver l'avion, ne pas trop accabler les pilotes et conclure à une erreur humaine qui ne serait cependant pas une faute de pilotage. «Mon ambition n'est pas seulement de faire le récit des dernières secondes dans le cockpit avant le drame, a précisé Romain Kroës, mais de démonter le mécanisme du crash.»
«En réalité, selon l'auteur, l'équipage a été victime d'un «bug ergonomique». Autrement dit, «une collision entre le travail spécifique sur un vol intérieur et les conditions de travail de l'équipage dans un avion dont les automatismes tendent incomplètement à se substituer à la charge de travail du troisième homme». En l'occurrence, l'officier mécanicien navigant. Le rôle du mécanicien est précisément de contrôler les paramètres de recoupement, vérifiant la validité des choix de pilotage. Au-dessus du mont Sainte-Odile, au cours de la poignée de secondes où tout s'est joué, les pilotes étaient absorbés par la mise en alignement horizontal de l'appareil. Tout cela dans des conditions de surcharge d'attention, le contrôle aérien ayant, au dernier moment, suggéré une approche de l'aéroport de Strasbourg par une voie différente que celle qu'avait préalablement choisie le commandant, entraînant notamment une nouvelle et longue check-list.
Pendant ce temps, les pilotes n'ont pas eu le temps de vérifier le paramètre de verticalité qui leur aurait permis de comprendre qu'il y avait confusion, pour des raisons restant obscures, dans la sélection informatisée du mode d'atterrissage. Ils se croyaient en mode de «plan de descente», alors que l'appareil, réglé en «taux de descente», effectuait les manoeuvres prévues dans ce cas par l'ordinateur. Les ordres donnés par le commandant étaient alors interprétés et exécutés dans une tout autre logique. «C'est la seule explication possible, a estimé Romain Kroës, car si le commandant de bord n'avait pas été convaincu de sa sélection, il n'aurait jamais pris délibérément la décision de perdre 1.000 mètres d'altitude par minute alors qu'il se trouvait au-dessus des Vosges.»
Paradoxalement, les choix technologiques d'automatismes sur l'A-320 rendraient ainsi la présence d'un troisième homme dans le cockpit encore plus nécessaire que dans un avion de conception classique. «Nous réclamons qu'au moins pour deux ou trois ans, l'exploitation des A-330 se fasse à trois, et qu'on fasse ensuite un bilan comparatif avec ce qui s'est passé sur les A-320», a ajouté Romain Kroës. Il a souligné que son syndicat venait d'imposer par voie judiciaire la réunion du «comité des avions nouveaux» à Air Inter, pour mener cette étude. «Nous mettrons la direction et la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) face à leurs responsabilités devant l'opinion publique», a-t-il précisé.
Selon l'USPNT, Air Inter ne conteste plus la spécificité d'exploitation sur les lignes intérieures. Mais, pour échapper à la remise en cause du pilotage à deux, elle envisagerait, à brefs délais, de supprimer cette spécificité. Ce qui aboutirait à un allongement de 20%, en moyenne, de la durée des liaisons intérieures. Un créneau qui pourrait alors fortement intéresser des compagnies privées.
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(1) «Erreurs humaines?» Romain Kroës. Ed. de Magie.
Trois hommes et un cockpit
http://www.humanite.fr/node/55904
Jeudi, 13 Mai, 1993
L'Humanité
A quelques semaines de la publication du rapport de la commission d'enquête sur la catastrophe aérienne du mont Sainte-Odile, un livre de Romain Kroës, commandant de bord à Air Inter, souligne la nécessité d'intégrer le facteur humain dans la définition des choix technologiques.
«ERREURS HUMAINES?», tel est le titre en forme de provocations d'un livre présenté hier à la presse (1) qui se propose comme «une contre-enquête sur une catastrophe annoncée». La catastrophe est celle qui a fait 87 morts, dans le crash d'un A-320 d'Air Inter, au mont Sainte-Odile, près de Strasbourg, le 20 janvier 1992. L'auteur, Romain Kroës, est précisément pilote de ligne, affecté au secteur A-300 dans cette compagnie. Il est aussi porte-parole de l'Union syndicale des personnels navigants techniques (USPNT), représentant 45% du personnel navigant d'Air Inter.
Signe particulier: l'auteur s'est toujours opposé, avec son organisation, à l'application d'une dérogation permettant un pilotage par un équipage réduit à deux personnes au lieu de trois. Motif: la surcharge de travail en fonction de la spécificité d'Air Inter. Cette compagnie effectue des vols intérieurs de courte distance dans des conditions nécessairement liées à des impératifs de service public associant ponctualité et rapidité des liaisons. En fait, une exploitation à haute fréquence pervertie, de surcroît, par un contexte de déréglementation aérienne et de profits commerciaux. A Air Inter, l'A-320 détient le record du monde pour le nombre de cycles par machine et par an, sur la base de 8 à 9 navettes quotidiennes.
La conférence de presse de l'USPNT tombait doublement à point nommé hier à Paris. Elle avait pour objectif de présenter le livre de Romain Kroës, à quelques semaines de la publication du rapport de la commission d'enquête sur le crash du mont Sainte-Odile. A quelques semaines également de la mise en service de l'A-330, d'une capacité de 415 personnes. Publication plusieurs fois reportée, les mauvaises langues prétendant que les membres de la commission ne parviennent pas à se mettre d'accord sur un exercice de haut vol: sauver l'avion, ne pas trop accabler les pilotes et conclure à une erreur humaine qui ne serait cependant pas une faute de pilotage. «Mon ambition n'est pas seulement de faire le récit des dernières secondes dans le cockpit avant le drame, a précisé Romain Kroës, mais de démonter le mécanisme du crash.»
«En réalité, selon l'auteur, l'équipage a été victime d'un «bug ergonomique». Autrement dit, «une collision entre le travail spécifique sur un vol intérieur et les conditions de travail de l'équipage dans un avion dont les automatismes tendent incomplètement à se substituer à la charge de travail du troisième homme». En l'occurrence, l'officier mécanicien navigant. Le rôle du mécanicien est précisément de contrôler les paramètres de recoupement, vérifiant la validité des choix de pilotage. Au-dessus du mont Sainte-Odile, au cours de la poignée de secondes où tout s'est joué, les pilotes étaient absorbés par la mise en alignement horizontal de l'appareil. Tout cela dans des conditions de surcharge d'attention, le contrôle aérien ayant, au dernier moment, suggéré une approche de l'aéroport de Strasbourg par une voie différente que celle qu'avait préalablement choisie le commandant, entraînant notamment une nouvelle et longue check-list.
Pendant ce temps, les pilotes n'ont pas eu le temps de vérifier le paramètre de verticalité qui leur aurait permis de comprendre qu'il y avait confusion, pour des raisons restant obscures, dans la sélection informatisée du mode d'atterrissage. Ils se croyaient en mode de «plan de descente», alors que l'appareil, réglé en «taux de descente», effectuait les manoeuvres prévues dans ce cas par l'ordinateur. Les ordres donnés par le commandant étaient alors interprétés et exécutés dans une tout autre logique. «C'est la seule explication possible, a estimé Romain Kroës, car si le commandant de bord n'avait pas été convaincu de sa sélection, il n'aurait jamais pris délibérément la décision de perdre 1.000 mètres d'altitude par minute alors qu'il se trouvait au-dessus des Vosges.»
Paradoxalement, les choix technologiques d'automatismes sur l'A-320 rendraient ainsi la présence d'un troisième homme dans le cockpit encore plus nécessaire que dans un avion de conception classique. «Nous réclamons qu'au moins pour deux ou trois ans, l'exploitation des A-330 se fasse à trois, et qu'on fasse ensuite un bilan comparatif avec ce qui s'est passé sur les A-320», a ajouté Romain Kroës. Il a souligné que son syndicat venait d'imposer par voie judiciaire la réunion du «comité des avions nouveaux» à Air Inter, pour mener cette étude. «Nous mettrons la direction et la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) face à leurs responsabilités devant l'opinion publique», a-t-il précisé.
Selon l'USPNT, Air Inter ne conteste plus la spécificité d'exploitation sur les lignes intérieures. Mais, pour échapper à la remise en cause du pilotage à deux, elle envisagerait, à brefs délais, de supprimer cette spécificité. Ce qui aboutirait à un allongement de 20%, en moyenne, de la durée des liaisons intérieures. Un créneau qui pourrait alors fortement intéresser des compagnies privées.
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(1) «Erreurs humaines?» Romain Kroës. Ed. de Magie.