Alors que se profilent élections présidentielle et législatives, Pierre Laurent s’exprime sur les évolutions internes et les stratégies d’un PCF naguère dominant et aujourd’hui mal connu. Extrait du n° d’automne de Regards qui sort mardi !
Regards. Il y a six ans, quelques mois après votre élection à la tête du PCF vous écriviez que les exigences de transformation du parti étaient dépassées et qu’il fallait désormais se tourner vers le futur. Diriez-vous toujours cela ?
Pierre Laurent. Je ne crois pas avoir écrit que la transformation était accomplie, encore moins dépassée, j’ai dit qu’il me paraissait acquis, pour la majorité des communistes, que nous devions mener ces transformations profondes. Depuis, elles entrent dans la vie, notamment au travers du renouvellement des cadres et des animateurs de la vie du parti. En deux congrès, deux tiers des membres du Conseil national [instance dirigeante du PCF, ndlr] ont changé. Comme les jeunes qui adhèrent au PCF, ces nouveaux dirigeants ont une culture politique moins théorique et sont moins expérimentés dans la lutte politique que leurs prédécesseurs. Mais ils apportent beaucoup de neuf et des pratiques différentes. Ils sont davantage préoccupés par les échecs de la mondialisation capitaliste, qui est leur monde, que tournés vers les échecs passés du socialisme à l’Est. Leur envie de transformer le monde et leur envie de communisme sont très profondes. Ils poussent en avant les évolutions du PCF.
Le congrès de juin a-t-il marqué une évolution dans ce sens ?
Le congrès s’est essayé à faire reculer la verticalité au profit de la culture du réseau à l’intérieur même du parti. Mais ce chantier sera long et il arrive que nous ayons le sentiment que cela ne progresse pas au rythme souhaité. J’ajoute, et c’est un atout, que la confrontation d’opinions est vécue aujourd’hui avec beaucoup de sérénité. En revanche, nous avons toujours du mal à réinventer notre manière de communiquer avec la société. Nos structures sont encore trop en décalage avec la vie même des adhérents. Le débat interne sur les idées est vif, mais il demeure une difficulté à énoncer un projet lisible et accessible. Cela ne tient pas seulement au PCF, mais aussi au bouleversement de notre société. Notre tâche première est de mettre en cohérence tous ces mouvements autour de ce que nous appelons le temps du commun.
« Au fond, nous sommes un parti plus expérimental qu’il ne l’était et qui doit trouver les sources d’une efficacité nouvelle. »
À quoi ressemble le PCF d’aujourd’hui ?
Nous restons un parti de militants, avec beaucoup d’énergie et de dévouement. Nous avons 120.000 adhérents, dont la moitié sont des cotisants réguliers. Parmi eux, entre 30.000 et 40.000 participent à la vie du parti et notamment aux consultations internes. C’est cette part active de l’organisation qui s’est le plus renouvelée et rajeunie. Avec des disparités : le PCF reste divers, à l’image de la société d’aujourd’hui. Il est présent dans toutes ses sphères. Ceux qui nous rejoignent, qui marquent le rajeunissement du cœur le plus militant, sont issus le plus souvent du salariat précaire. Ils viennent assez peu des grandes concentrations ouvrières et de services qui restent au cœur de notre affaiblissement. Pour cela, nous voulons reconstruire notre intervention dans l’entreprise, dans des formes à inventer.
Avec des ressources nettement moindres qu’auparavant…
Nos moyens d’organisation ont beaucoup diminué. Le PCF n’est plus un parti de permanents, certaines grandes fédérations n’ont plus que des moyens bénévoles. L’ancrage militant local reste très puissant, même s’il est moins fort et moins homogène qu’à l’époque de ce qu’on a appelé le “communisme municipal”. Tout cela dessine un parti très militant, très mobilisé, mais d’une certaine manière moins efficace. Nous n’avons pas encore trouvé la façon de mettre en commun la grande diversité d’expériences et de pratiques qui coexistent au sein du parti, celles des plus jeunes et celles des plus aguerris, celles des zones d’influence et celles des territoires de conquête... L’ancienne manière d’assurer cette fonction de cohérence doit changer : nous ne pouvons plus compter sur une structure permanente et verticale pour le faire, parce que la société a changé, parce que nous n’en avons plus les moyens, et surtout que parce que notre vie démocratique appelle de nouvelles manières de décider ensemble. Au fond, nous sommes un parti plus expérimental qu’il ne l’était et qui doit trouver les sources d’une efficacité nouvelle pour notre temps.
Et à quoi ressemble l’électorat communiste, l’influence communiste ?
Les électeurs du Parti communiste ont eux aussi beaucoup changé. La partie fidèle et traditionnelle se réduit au profit d’une nouvelle carte électorale. Des zones de forte influence persistent, d’autres sont réduites à peu tandis que notre influence se maintient ou se renouvelle ailleurs… La carte n’est pas simple à dessiner, elle est très inégale, que l’on prenne l’influence dans les quartiers populaires ou dans le monde intellectuel. Ici et là, l’activité communiste reste forte tandis qu’ailleurs, on constate de grands déserts. Nous sommes en phase de reconstruction.
« Les signes tangibles d’une relance sont là. Nous jouerons un rôle important dans la reconstruction à venir de la gauche. »
Qu’est-ce qui vous fait dire que le déclin est enrayé et que vous êtes en reconstruction ?
Je récuse l’idée d’un déclin continu. Nous sommes dans une phase de relance partielle. Peu à peu, les conditions se réunissent de voir ré-émerger une force communiste de grande ampleur. L’influence communiste est celle de la galaxie communiste. Cette galaxie est composée de nombreux anciens communistes qui continuent d’avoir des liens avec le parti et qui s’investissent dans tous les champs du social. Nous avons connu des phases d’éloignement, mais le dialogue politique entre ces militants et le PCF se renoue sous des formes nouvelles. Dans le moment de montée du Front de gauche, c’est bien l’espace communiste qui s’est réactivé. Par exemple, pour parler de Paris, que je connais bien, ce sont dans les arrondissements où l’on élisait des députés communistes que le Front de gauche fait ses meilleurs résultats. La culture communiste joue un rôle dans le maintien d’une culture militante dans le pays. Il s’opère un mélange entre l’empreinte communiste et les transformations de la société. Depuis les années 2000-2002 avec Le Pen au second tour et 2005 avec le référendum européen, cela se traduit par un retour de la jeunesse dans nos rangs. Et on le voit encore aujourd’hui avec l’arrivée de nouveaux militants contre la loi travail. Les évolutions se font par vagues, sont partielles, mais les signes tangibles d’une relance sont là. Nous jouerons un rôle important dans la reconstruction à venir de la gauche.
Comment définiriez-vous aujourd’hui la fonction politique du Parti communiste ?
Nous avons une double ambition, être utile concrètement et ouvrir une perspective politique pour l’émancipation sociale. Notre utilité concrète et immédiate, nous la concevons d’abord pour ceux qui ont le plus besoin de changement. Sur cette fonction, nous sommes en difficulté. Les conquêtes immédiates – sociales et démocratiques – sont devenues plus ardues. Nous devons d’ailleurs repenser notre engagement quotidien dans les solidarités concrètes. Le Parti communiste a toujours été un des animateurs du débat d’idées et des constructions politiques. Nous n’avons pas quitté ce terrain, mais il nous faut réinventer le projet, changer d’échelle et penser les défis nouveaux sur le travail, la mobilité, la démocratie… Avec la mise en réseau de l’espace communiste, ce travail commence à être visible. Mais en termes de construction politique, tout va devoir être repensé dans la recomposition engagée.
Comment caractériseriez-vous votre espace politique ?
Nous appartenons à la France populaire et à la gauche… toutes deux bouleversées. Au XXe siècle, la gauche a été principalement composée de deux pôles, l’un autour du PS, l’autre autour du PCF. La stabilité de chacun de ces pôles est mise en question. Depuis les années 80, nous avons connu deux grands mouvements. Un premier temps fut marqué par un affaiblissement très profond de l’idéal communiste. Le redressement passe par un projet qui pense la transformation sociale dans la mondialisation et la révolution numérique. L’autre bouleversement est lié à la fin d’une période ouverte par le programme commun, voulu dès les années 60 par le PCF, qui a vu une partie des socialistes quitter le camp de la transformation sociale. Le PS que nous avons connu ne sera bientôt plus. Cela nous pose une question profonde : la France reste un pays dans lequel le changement majoritaire à gauche était une hypothèse crédible. C’est pour nous essentiel, et cela doit être préservé. Avec l’évolution du PS, il nous faut trouver d’autres voies pour le rassemblement de ces majorités de transformation sociale à gauche. La création du Front de gauche a été une tentative dans ce sens. Mais il faut aller plus loin parce que la gauche est en train de changer de visage. Il n’y a là nulle satisfaction et nous ne pouvons ni ne devons regretter le passé. Il nous faut regarder lucidement et admettre que la gauche est à reconstruire.
(…)
Retrouvez l’intégralité de l’interview de Pierre Laurent dans le numéro d’automne de Regards : mardi 13 dans les kiosques, et dès ce week-end au village du livre de la fête de L’Humanité.
http://www.regards.fr/web/article/pierre-laurent-la-bataille-de-la-recomposition-de-la-gauche-est-engagee
Regards. Il y a six ans, quelques mois après votre élection à la tête du PCF vous écriviez que les exigences de transformation du parti étaient dépassées et qu’il fallait désormais se tourner vers le futur. Diriez-vous toujours cela ?
Pierre Laurent. Je ne crois pas avoir écrit que la transformation était accomplie, encore moins dépassée, j’ai dit qu’il me paraissait acquis, pour la majorité des communistes, que nous devions mener ces transformations profondes. Depuis, elles entrent dans la vie, notamment au travers du renouvellement des cadres et des animateurs de la vie du parti. En deux congrès, deux tiers des membres du Conseil national [instance dirigeante du PCF, ndlr] ont changé. Comme les jeunes qui adhèrent au PCF, ces nouveaux dirigeants ont une culture politique moins théorique et sont moins expérimentés dans la lutte politique que leurs prédécesseurs. Mais ils apportent beaucoup de neuf et des pratiques différentes. Ils sont davantage préoccupés par les échecs de la mondialisation capitaliste, qui est leur monde, que tournés vers les échecs passés du socialisme à l’Est. Leur envie de transformer le monde et leur envie de communisme sont très profondes. Ils poussent en avant les évolutions du PCF.
Le congrès de juin a-t-il marqué une évolution dans ce sens ?
Le congrès s’est essayé à faire reculer la verticalité au profit de la culture du réseau à l’intérieur même du parti. Mais ce chantier sera long et il arrive que nous ayons le sentiment que cela ne progresse pas au rythme souhaité. J’ajoute, et c’est un atout, que la confrontation d’opinions est vécue aujourd’hui avec beaucoup de sérénité. En revanche, nous avons toujours du mal à réinventer notre manière de communiquer avec la société. Nos structures sont encore trop en décalage avec la vie même des adhérents. Le débat interne sur les idées est vif, mais il demeure une difficulté à énoncer un projet lisible et accessible. Cela ne tient pas seulement au PCF, mais aussi au bouleversement de notre société. Notre tâche première est de mettre en cohérence tous ces mouvements autour de ce que nous appelons le temps du commun.
« Au fond, nous sommes un parti plus expérimental qu’il ne l’était et qui doit trouver les sources d’une efficacité nouvelle. »
À quoi ressemble le PCF d’aujourd’hui ?
Nous restons un parti de militants, avec beaucoup d’énergie et de dévouement. Nous avons 120.000 adhérents, dont la moitié sont des cotisants réguliers. Parmi eux, entre 30.000 et 40.000 participent à la vie du parti et notamment aux consultations internes. C’est cette part active de l’organisation qui s’est le plus renouvelée et rajeunie. Avec des disparités : le PCF reste divers, à l’image de la société d’aujourd’hui. Il est présent dans toutes ses sphères. Ceux qui nous rejoignent, qui marquent le rajeunissement du cœur le plus militant, sont issus le plus souvent du salariat précaire. Ils viennent assez peu des grandes concentrations ouvrières et de services qui restent au cœur de notre affaiblissement. Pour cela, nous voulons reconstruire notre intervention dans l’entreprise, dans des formes à inventer.
Avec des ressources nettement moindres qu’auparavant…
Nos moyens d’organisation ont beaucoup diminué. Le PCF n’est plus un parti de permanents, certaines grandes fédérations n’ont plus que des moyens bénévoles. L’ancrage militant local reste très puissant, même s’il est moins fort et moins homogène qu’à l’époque de ce qu’on a appelé le “communisme municipal”. Tout cela dessine un parti très militant, très mobilisé, mais d’une certaine manière moins efficace. Nous n’avons pas encore trouvé la façon de mettre en commun la grande diversité d’expériences et de pratiques qui coexistent au sein du parti, celles des plus jeunes et celles des plus aguerris, celles des zones d’influence et celles des territoires de conquête... L’ancienne manière d’assurer cette fonction de cohérence doit changer : nous ne pouvons plus compter sur une structure permanente et verticale pour le faire, parce que la société a changé, parce que nous n’en avons plus les moyens, et surtout que parce que notre vie démocratique appelle de nouvelles manières de décider ensemble. Au fond, nous sommes un parti plus expérimental qu’il ne l’était et qui doit trouver les sources d’une efficacité nouvelle pour notre temps.
Et à quoi ressemble l’électorat communiste, l’influence communiste ?
Les électeurs du Parti communiste ont eux aussi beaucoup changé. La partie fidèle et traditionnelle se réduit au profit d’une nouvelle carte électorale. Des zones de forte influence persistent, d’autres sont réduites à peu tandis que notre influence se maintient ou se renouvelle ailleurs… La carte n’est pas simple à dessiner, elle est très inégale, que l’on prenne l’influence dans les quartiers populaires ou dans le monde intellectuel. Ici et là, l’activité communiste reste forte tandis qu’ailleurs, on constate de grands déserts. Nous sommes en phase de reconstruction.
« Les signes tangibles d’une relance sont là. Nous jouerons un rôle important dans la reconstruction à venir de la gauche. »
Qu’est-ce qui vous fait dire que le déclin est enrayé et que vous êtes en reconstruction ?
Je récuse l’idée d’un déclin continu. Nous sommes dans une phase de relance partielle. Peu à peu, les conditions se réunissent de voir ré-émerger une force communiste de grande ampleur. L’influence communiste est celle de la galaxie communiste. Cette galaxie est composée de nombreux anciens communistes qui continuent d’avoir des liens avec le parti et qui s’investissent dans tous les champs du social. Nous avons connu des phases d’éloignement, mais le dialogue politique entre ces militants et le PCF se renoue sous des formes nouvelles. Dans le moment de montée du Front de gauche, c’est bien l’espace communiste qui s’est réactivé. Par exemple, pour parler de Paris, que je connais bien, ce sont dans les arrondissements où l’on élisait des députés communistes que le Front de gauche fait ses meilleurs résultats. La culture communiste joue un rôle dans le maintien d’une culture militante dans le pays. Il s’opère un mélange entre l’empreinte communiste et les transformations de la société. Depuis les années 2000-2002 avec Le Pen au second tour et 2005 avec le référendum européen, cela se traduit par un retour de la jeunesse dans nos rangs. Et on le voit encore aujourd’hui avec l’arrivée de nouveaux militants contre la loi travail. Les évolutions se font par vagues, sont partielles, mais les signes tangibles d’une relance sont là. Nous jouerons un rôle important dans la reconstruction à venir de la gauche.
Comment définiriez-vous aujourd’hui la fonction politique du Parti communiste ?
Nous avons une double ambition, être utile concrètement et ouvrir une perspective politique pour l’émancipation sociale. Notre utilité concrète et immédiate, nous la concevons d’abord pour ceux qui ont le plus besoin de changement. Sur cette fonction, nous sommes en difficulté. Les conquêtes immédiates – sociales et démocratiques – sont devenues plus ardues. Nous devons d’ailleurs repenser notre engagement quotidien dans les solidarités concrètes. Le Parti communiste a toujours été un des animateurs du débat d’idées et des constructions politiques. Nous n’avons pas quitté ce terrain, mais il nous faut réinventer le projet, changer d’échelle et penser les défis nouveaux sur le travail, la mobilité, la démocratie… Avec la mise en réseau de l’espace communiste, ce travail commence à être visible. Mais en termes de construction politique, tout va devoir être repensé dans la recomposition engagée.
Comment caractériseriez-vous votre espace politique ?
Nous appartenons à la France populaire et à la gauche… toutes deux bouleversées. Au XXe siècle, la gauche a été principalement composée de deux pôles, l’un autour du PS, l’autre autour du PCF. La stabilité de chacun de ces pôles est mise en question. Depuis les années 80, nous avons connu deux grands mouvements. Un premier temps fut marqué par un affaiblissement très profond de l’idéal communiste. Le redressement passe par un projet qui pense la transformation sociale dans la mondialisation et la révolution numérique. L’autre bouleversement est lié à la fin d’une période ouverte par le programme commun, voulu dès les années 60 par le PCF, qui a vu une partie des socialistes quitter le camp de la transformation sociale. Le PS que nous avons connu ne sera bientôt plus. Cela nous pose une question profonde : la France reste un pays dans lequel le changement majoritaire à gauche était une hypothèse crédible. C’est pour nous essentiel, et cela doit être préservé. Avec l’évolution du PS, il nous faut trouver d’autres voies pour le rassemblement de ces majorités de transformation sociale à gauche. La création du Front de gauche a été une tentative dans ce sens. Mais il faut aller plus loin parce que la gauche est en train de changer de visage. Il n’y a là nulle satisfaction et nous ne pouvons ni ne devons regretter le passé. Il nous faut regarder lucidement et admettre que la gauche est à reconstruire.
(…)
Retrouvez l’intégralité de l’interview de Pierre Laurent dans le numéro d’automne de Regards : mardi 13 dans les kiosques, et dès ce week-end au village du livre de la fête de L’Humanité.
http://www.regards.fr/web/article/pierre-laurent-la-bataille-de-la-recomposition-de-la-gauche-est-engagee