- I - L’historique du droit de pétition et sa consécration par le Constituant
Comme en beaucoup d’autres, il n’y a pas en ce domaine création pure par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003. C’est dire que le "droit d’initiative populaire" ou "droit de pétition" - ces expressions sont synonymes - est un procédé de démocratie semi-directe relativement ancien et bien connu à l’étranger. Ainsi, largement entendu au niveau fédéral comme dans le cadre des cantons, le droit de pétition a une valeur constitutionnelle en Suissedepuis la révision, en 1920, de la Constitution de la Confédération helvétique de 1848, et il est admis aujourd’hui autant pour la révision de la Constitution fédérale que pour l’élaboration des lois ordinaires. Mais un tel constat se saurait surprendre quand on sait, avec le Professeur Jean Gicquel, que la Confédération helvétique est depuis longtemps "la terre d’élection" de "la démocratie semi-directe" . En France, le droit de pétition est plus ancien, puisqu’il avait été introduit à l’époque de la Révolution française. La Constitution du 24 juin 1793 prévoyait en effet, à côté du référendum législatif, l’initiative populaire pour sa révision (article 115) et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui la précède décide que "le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l’autorité publique ne peut, en aucun cas, être interdit, suspendu ni limité" . Cependant, cette Constitution n’est jamais entrée en vigueur. Le droit de pétition a néanmoins toujours existé au niveau national et de manière presque permanente, depuis cette l’époque, dans le domaine législatif. C’est dire qu’il a survécu à presque tous les régimes. Dans le cadre de la Vème République, ce droit d’initiative populaire est ainsi défini par l’article 4 d’une ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement de l’Assemblée nationale et du Sénat. Les pétitions y sont présentées comme des demandes ou suggestions écrites adressées par une ou plusieurs personnes au président de l’une ou l’autre de ces deux assemblées parlementaires. En revanche, les nombreuses Constitutions françaises qui se sont succédé depuis la Révolution - c’est un de leurs dénominateurs communs - n’avaient jamais accordé une place, jusqu’à présent, à ce mécanisme de démocratie directe au niveau local, c’est-à-dire à l’échelon communal ou départemental et, a fortiori, à l’échelon régional. Certes, la question du droit de pétition au sein des collectivités territoriales n’avait pas été abordée par le Constituant avant la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003. En revanche, elle avait été prise en considération, il y a une dizaine d’années, par le Législateur dans un cas particulier qui est toujours d’actualité. Il s’agit de la loi "d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire" du 4 février 1995 (J.O.R.F., 5 février 1995, pp. 1973-1991). Dans son article 85, la loi permet en effet à "un cinquième des électeurs inscrits sur les listes électorales" de "saisir le conseil municipal en vue de l’organisation d’une consultation sur une opération d’aménagement relevant de la décision des autorités municipales" (référendum local d’initiative populaire) . L’article 6 de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 permet à la France de combler son "déficit démocratique" en la matière. Cette clause insère dans la Constitution un article 72-1 qui consacre le droit de pétition et renforce, par ricochet, le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales de la République. Dans son alinéa 1er, l’article 72-1 reconnaît l’initiative populaire dans l’administration locale aux populations directement intéressées qui pourront ainsi intervenir, plus facilement qu’hier, dans la conduite des affaires locales.Auniveau des principes,le droit de pétitionest reconnu au profit des citoyens de chaque collectivité - notamment des communes, des départements ou des régions - pour faire inscrire "à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de cette collectivité (...) une question relevant de sa compétence".
- II - La procédure à suivre pour la mise en œuvre du droit de pétition
Le droit de pétition est ainsi érigé au rang de principe fondamental de la République, au même titre que le référendum local. Désormais, tout citoyen d’une collectivité territoriale a le droit de présenter aux assemblées délibérantes compétentes des protestations, des requêtes ou suggestions visant la défense de droits précis, le respect de la loi, le perfectionnement du service public ou plus largement encore l’épanouissement de l’intérêt général. Cependant, cette forme de participation directe des citoyens à la gestion des affaires locales ne saurait être anarchique. À ce sujet, l’une des questions les plus controversées a trait aux conditions dans lesquelles les citoyens peuvent être autorisés à soumettre une question aux responsables des collectivités dans lesquelles ils résident. En d’autres termes, il convient d’établir un seuil requis pour accéder à la demande de pétition ainsi que la qualité exacte des personnes habilitées à participer à un tel processus démocratique. Pour que la pétition soit prise en considération par les assemblées délibérantes compétentes, il faut qu’elle remplisse deux conditions. Il est d’abord nécessaire que la pétition soit signée par des personnes identifiées dans tous les cas comme étant des "électeurs de chaque collectivité territoriale". Dans son alinéa 1er, l’article 72-1 de la Constitution exige ainsi que la pétition soit signée par des habitants titulaires d’un droit de vote sur le territoire de la collectivité intéressée. Ainsi, seuls les électeurs inscrits stricto sensu - et non les "habitants", ressortissants ou "administrés" (termes beaucoup trop généraux) - dans une collectivité territoriale pourront être invités à s’exprimer en mettant en œuvre le droit de pétition. Cette condition est nécessaire. Mais elle n’est pas suffisante. Il faut encore que la pétition - qui correspond toujours à la mise en œuvre d’un "droit collectif" - soit signée par un certain nombre d’électeurs. Certes, la possibilité pour les citoyens des pays membres de l’Union européenne et pour d’autres citoyens étrangers de pétitionner en France a été évoquée, lors des débats au Parlement. Mais c’est finalement une solution intermédiaire qui a été retenue. La qualité d’électeur qui est exigée interdit à des résidents étrangers, qui ne sont pas citoyens de l’Union européenne, de participer à une quelconque activité de la collectivité territoriale. Il était néanmoins souhaitable que des éclaircissements soient apportés. Ils le sont indirectement par la loi organique prévue par l’article 72-1 (alinéa 2) de la Constitution qui précise ce qu’il faut entendre par "électeurs de cette collectivité", appelés à participer à la vie locale. Dans son article unique, la loi du 1er août 2003, "relative au référendum local", dispose en effet : "Seuls peuvent participer au scrutin les électeurs de nationalité française inscrits (...) sur les listes électorales de la collectivité territoriale ayant décidé d’organiser le référendum et, pour un référendum local décidé par une commune, les ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne inscrits (...) sur les listes électorales complémentaires établies pour les élections municipales" (J.O.R.F., 2 août 2003, p. 13219). Par analogie, on peut en déduire que le droit de pétitionner appartient aux mêmes citoyens de la collectivité intéressée. Sur un plan procédural, il convient déjà d’observer que le droit de pétition doit toujours s’exercer par une demande écrite. Cependant, dans la mesure où le droit administratif français n’est pas en principe formaliste, la demande en question adressée aux pouvoirs publics peut être rédigée sur papier libre : ce qui importe pour sa validité, c’est que soient indiqués dans l’instrumentum ou support matériel l’objet précis de la pétition ainsi que les coordonnées paramétriques des personnes ayant vocation à être signataires ou pétitionnaires . La pétition doit ensuite être expédiée aux responsables des collectivités territoriales directement intéressées qui sont, dans la plupart des cas, les maires, les présidents des Conseils généraux ou les présidents des Conseils régionaux.
- III - Les conséquences de la mise en œuvre du droit de pétition
Il est peut-être encore trop tôt pour juger l’institution du droit de pétition qui a désormais droit de cité dans la Loi fondamentale de la Vème République. On ne saurait être toutefois trop optimiste sur les conséquences de sa mise en œuvre dans les diverses collectivités territoriales, qu’elles soient métropolitaines ou ultramarines. Ce mécanisme de la "démocratie de proximité" aura en effet une utilité toute relative, à la suite d’une intervention déterminante du Sénat. En première lecture, la Haute Assemblée du Palais du Luxembourg a en effet entendu limiter la portée du "droit de pétition", dans la mesure où les assemblées délibérantes des collectivités territoriales de la République auront la simple possibilité et non pas l’obligation formelle d’inscrire à l’ordre du jour de leurs travaux une question posée par les électeurs de ces collectivités . Ce point de vue a été par la suite retenu par l’Assemblée nationale et il est aujourd’hui consacré par l’article 72-1 de la Constitution qui déclare simplement que "les électeurs de chaque collectivité territoriale peuvent, par l’exercice du droit de pétition, demander l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de cette collectivité d’une question relevant de sa compétence" (alinéa 1er). Cela revient à dire, par un raisonnement a contrario, que les assemblées délibérantes compétentes ne sont jamais dans l’obligation de prendre connaissance des pétitions qui leur sont adressées et d’en tirer des conséquences sur le plan juridique. Certes, elles peuvent les étudier. Mais elles peuvent aussi purement et simplement les ignorer, en invoquant des raisons d’opportunité. Manifestement, la décentralisation n’a pas encore atteint en France sa phase de culmination !
Réflexions terminales
Vingt-et-un ans après le vote de la loi du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, la décentralisation entre dans une deuxième phase qui se veut ambitieuse. Tout laisse à penser que la révision du Titre XII de la Constitution, relatif aux "collectivités territoriales", va susciter un nouvel élan de la décentralisation avec l’évidente promotion des régions, qui seront de plus en plus au cœur des problèmes économiques et culturels dans le cadre d’une Europe, à la fois libérale et fédérale. Il en est ainsi même si on sait déjà que la réforme consacrée par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 sera longue à produire des effets tangibles. Est-il besoin d’ajouter qu’elle rencontre déjà certaines résistances, ici et là, au niveau de sa mise en œuvre, notamment dans le domaine de l’Education, comme l’ont prouvé les mouvements de grève qui ont perturbé le pays en mai 2003 ? Cependant, l’important est qu’il y ait déjà - ainsi que le soulignait M. Jean-Pierre Raffarin, le 4 décembre 2002, lors d’une conférence-débat organisée par l’Institut de la décentralisation - "une adhésion très forte des Français à l’idée de décentralisation" . Qui pourrait douter d’un tel credo, au moins au niveau des principes ?
Unedécentralisation authentique implique un nouvel équilibre entre le Pouvoir central et les diverses collectivités territoriales, ainsi que de nouveaux transferts de compétences au profit de ces dernières, afin de favoriser leur développement économique, social et culturel. Dans ce contexte, on peut observer avec M. Bernard Perrin, que les maîtres mots à employer se nomment désormais : concertation, dialogue, information, proximité, participation, transparence . En vérité, ces mots-outils ont pour objectif de faciliter l’avènement d’une "démocratie de participation" et de rendre plus efficace la gestion des affaires locales. Ils doivent permettre à ceux qui les utilisent - simples citoyens ou associations - de s’impliquer plus intensément que par le passé dans la vie des collectivités dans lesquelles ils résident. La mise en œuvre des référendums locaux et du droit de pétition doit contribuer à assurer le développement de la démocratie de proximité et renforcer le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Sur ce point précis, personne ne peut vraiment se montrer hostile à la loi constitutionnelle du 28 mars 2003. Au demeurant, la promotion de la "démocratie de participation" n’est pas une préoccupation spécifique à la France, en ce début de 21ème siècle. Ainsi, le projet de Constitution européenne présenté officiellement à la presse le 13 juin 2003 par M. Valéry Giscard d’Estaing innove sur un point digne ici d’être noté, puisqu’il concerne directement le droit de pétition ou droit d’initiative populaire. Afin de rendre les citoyens des différents États membres toujours plus proches des pouvoirs publics sur le vieux continent, l’article I-46 - qui est consacré au "principe de la démocratie participative" - reconnaît en effet aux citoyens de l’Union européenne le droit - s’ils réunissent au moins un million de signatures en provenance d’un "nombre significatif d’Etats membres" - de demander à la Commission de Bruxelles de rédiger une proposition de loi appropriée Pour en revenir au cas spécifique de la France, une ultime réflexion peut ici être formulée à propos de l’exercice du droit de pétition dans les diverses collectivités territoriales de la République. En dépit de son caractère novateur et de son actualité, "l’Acte II de la décentralisation" demeure encore caractérisé par son incomplétude ou sa pusillanimité dans un pays qui est toujours perçu comme étant gestionnaire et imprégné de jacobinisme. Son apport à l’épanouissement de la citoyenneté locale nous paraît insuffisant, dès lors que l’exercice du droit de pétition n’aboutit pas à la saisine obligatoire des assemblées délibérantes compétentes, que ce soit dans le cadre de la commune, du département ou de la région. |