Pourquoi le Qatar investit dans nos banlieues et pour qui ?
Mehdi Lazar | leplus.nouvelobs.com & liberation.fr | mardi 25 & jeudi 27 septembre 2012
jeudi 27 septembre 2012
En mai 2011, le Qatar avait racheté 70% des parts du club de football du PSG (Paris Saint Germain). L’émirat a également investi dans un certain nombre de fleurons de l’économie française, comme le prestigieux hôtel Royal Monceau, le groupe Lagardère, Suez Environnement, Veolia environnement, EADS, …, etc. En juin 2011, Eric Leser, le directeur du site Slate.fr, s’était désolé de ces prises de participation : « Le Qatar aime tellement la France, qu’il a décidé de se la payer... au sens propre. De se payer sa classe politique, ses grandes entreprises, sa fiscalité, ses grandes écoles, son patrimoine immobilier, ses footballeurs… Et cela ne semble gêner personne. »
Pourquoi le Qatar investit dans nos banlieues
Mehdi Lazar | leplus.nouvelobs.com | jeudi 27 septembre 2012
Ces élus qui ont convaincu le Qatar de payer pour les banlieues
Alice Géraud & Willy Le Devin | liberation.fr | mardi 25 septembre 2012
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Pourquoi le Qatar investit dans nos banlieues
Mehdi Lazar | leplus.nouvelobs.com | jeudi 27 septembre 2012
Après le PSG, ce sont les banlieues françaises qui vont bénéficier de fonds en provenance du Qatar. Pourquoi ? À qui profite l’opération ? Mehdi Lazar, géographe spécialiste du Qatar, revient sur les raisons d’un investissement qui interroge.
L’Emir du Qatar rencontre François Hollande pour parler de la Syrie. Le 22/08/12 à Paris (K. TRIBOUILLARD)
Agaçant, visible, ambitieux, les qualificatifs pour désigner le Qatar ne manquent pas : depuis quelques années, l’émirat ne laisse pas indifférent.
Et pas plus depuis que le lundi 24 septembre, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a approuvé la création d’un fond à financement qatari pour les banlieues françaises déprimées. Légitimement, on peut s’interroger sur le but d’un tel geste de la part du Qatar.
La France n’est pas le Mali
Tout d’abord, il faut écarter l’hypothèse d’un fond que le Qatar utiliserait afin de financer des acteurs politico-militaires de la mouvance islamiste en France. Cette stratégie existe certes de la part du Qatar, mais elle est réservée à des zones bien particulières, à savoir l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Les services français, en outre, seront particulièrement vigilants sur ce point et le Qatar n’y a aucun intérêt.
Par ailleurs, l’État français et son administration vont contrôler les flux financiers de ce fond, qui sera de fait un outil de développement économique. Les responsables qataris sont des hommes d’affaires avisés qui ont vu le potentiel de beaucoup de personnes de nos banlieues. Il est vrai qu’un certain nombre de jeunes français, notamment issus de l’immigration, sont partis ces dernières années au Qatar faire de belles carrières.
Une telle opération a néanmoins plusieurs avantages pour les Qataris.
Un outil du soft power qatari
Tout d’abord, et répétons-le, il s’agit investissements financiers. Ils s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie de diversification des actifs qataris dans le monde – visible dans de nombreux pays, du Kenya en Chine, en passant par l’Europe – afin de doter l’émirat d’actif solides pour préparer l’après pétrole. En France, de tels investissements se retrouvent dans de nombreux secteurs économiques avec des participations notamment dans de grandes entreprises.
Ensuite, c’est une opération de séduction. Envers l’État français tout d’abord, afin de montrer que ce projet qui avait été entrepris sous la présidence Sarkozy (puis mis en attente pendant l’élection) fonctionne également avec le président Hollande. Les Qataris souhaitent en effet soigner leur relation avec la France, un partenaire économique, politique et militaire de premier plan (tout particulièrement au moment où les manœuvres qataries au Mali indisposent les occidentaux).
Séduction également vers de jeunes entrepreneur français que le climat économique de nos banlieues ne porte pas. Le Qatar espère par cette opération fait naître de futures élites économiques, voire politiques – comme l’ont fait les États-Unis à une époque – afin de tisser des liens solides et de long terme entre nos deux pays. Il s’agirait également d’éventuellement les faire venir s’installer au Qatar pour faire des affaires (le taux de croissance exponentiel du PIB de l’émirat fait qu’il est en pénurie de cadres bien formés).
Un mini plan Marshall ?
Finalement, cette opération en dit plus sur la France que sur le Qatar. La crise de nos finances publiques fait que nous acceptons un fond d’investissement étranger dans nos banlieues, ce qui aurait été impensable il y a quelques années.
Quel que soit son origine, symboliquement – et bien que ce ne soit pas un fond de reconstruction – ce plan d’investissement nous renvoie aux précédentes aides que nous avons connues : le plan Marshall, le FEDER européen, etc. Il prouve une fois de plus l’urgence d’une action efficace et décisive dans nos banlieues.
Pour finir, ce fond surprend car il change le regard que nous avons sur nos banlieues paupérisées et déprimées : avec des investissements, il peut s’y passer des choses positives. Bref, un peu de décentration ne fait pas de mal.
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Ces élus qui ont convaincu le Qatar de payer pour les banlieues
Alice Géraud & Willy Le Devin | liberation.fr | mardi 25 septembre 2012
A Roissy, le 11 juillet 2011, des membres de l’Aneld s’apprêtent à embarquer pour un voyage d’étude aux Etats-Unis. (Photo Laurent Troude pour Libération)
« Robin des Bois des banlieues » ou « zozos irresponsables » ? On entend de tout, ces jours-ci, au sujet des membres de l’Association nationale des élus locaux pour la diversité (Aneld). Eux qui, en novembre 2011, ont été reçus au palais Diwan par l’émir du Qatar en personne, le cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, pour lui demander d’investir dans les banlieues. Une initiative qui se concrétise aujourd’hui avec la mise en place par le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, d’un fonds franco-qatari d’au moins 100 millions d’euros à destination des « territoires délaissés ». Décidée « à rester vigilante le temps que le dossier soit définitivement sur les rails », l’Aneld a fait savoir qu’elle ne s’exprimerait pas pendant quelque temps dans les médias. Au risque d’entretenir un certain mystère.
Pragmatisme anglo-saxon
En réalité, cette association est née en 2009, peu de temps après l’élection du premier président noir des Etats-Unis, Barack Obama. Ambition déclarée du collectif : convertir la France au « pragmatisme anglo-saxon sur l’intégration des minorités. » Sur le site de l’Aneld, on peut lire ce petit texte à valeur de profession de foi : « Notre combat, participer activement à faire progresser ce vieux et récurrent débat sur la diversité. Nous voulons également être une force de propositions, car nous savons que faire progresser cette thématique, n’est pas de gauche, de droite ou du centre, c’est une ambition que chacun peut faire sienne. »
Rapidement, l’Aneld fait de la publication de statistiques ethniques dans l’Hexagone son cheval de bataille. Et multiplie les voyages d’études à l’étranger. Canada, Suède, Maroc, de nombreux pays sont passés au peigne fin. Au printemps dernier, un documentaire de Canal+, intitulé « La diplomatie des banlieues », suivait une délégation de l’Aneld aux Etats-Unis. Les élus y enchaînent les rencontres avec d’éminents représentants du Parti démocrate, mais aussi avec des chercheurs de la société civile. En rentrant, ils rédigent des synthèses qu’ils soumettent aux parlementaires français, comme des lobbys vanteraient les vertus d’un nouvel incinérateur moins polluant.
Hamza, sarkozyste décomplexé
Habile communiquant, le président de l’Aneld, Kamel Hamza, la quarantaine, a offert à son collectif une visibilité médiatique de tout premier ordre. Conseiller municipal UMP de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), et sarkozyste décomplexé, il est la figure charismatique de l’association. A tel point qu’il est courant d’entendre dans les couloirs de l’Assemblée nationale que l’Aneld est une formation de droite. L’élu vert de Vigneux (Essonne), Fouad Sari, et la centriste Leïla Leghmara, de Colombes (Hauts-de-Seine), sont pourtant les lieutenants les plus visibles d’Hamza. A l’échelon national, l’Aneld compterait 200 adhérents de tous bords.
En ces temps de polémique autour du fonds franco-qatari, c’est peu dire que l’Aneld en prend pour son grade. En coulisses, des acteurs de l’intelligence économique vilipendent « cette bande de cow-boys qui n’ont pas un cinquantième de légitimité pour démarcher un chef d’Etat étranger. Pour qui se prennent-ils ? C’est au ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, ou à la cellule diplomatique de l’Elysée de gérer de tels enjeux. Ils outrepassent largement leur rôle. » Pendant la campagne présidentielle déjà, l’entourage du ministre de l’Intérieur d’alors, Claude Guéant, artisan du rapprochement France-Qatar durant les années Sarkozy, s’était irrité « du bordel foutu par l’Aneld. Ces élus n’ont pas compris dans quoi ils foutaient les pieds. Les relations franco-qatariennes, c’est plus que sensible ».
« Les fantasmes sur le Qatar ne se posent que lorsqu’ils investissent en banlieue »
L’association cristallise une partie des méfiances contre ce projet. Et ne bénéficie pas d’une reconnaissance institutionnelle lui permettant d’être considérée comme un interlocuteur valable. Pour le ministre de la Ville, François Lamy, « ce petit groupe d’élus » n’a tout simplement pas compétence pour décider de la distribution de telles aides à l’investissement sur l’ensemble des zones paupérisées. L’association Villes et Banlieues est, elle, encore plus radicale : « Il s’agit d’un groupe d’élus de banlieue communautaires. Or, pour nous, il n’est pas question de faire entrer le fait religieux ou le fait communautaire dans l’attribution d’aides. Ce serait stigmatiser encore la banlieue », explique Renaud Gauquelin, qui souhaite une « clarification de cette question ».
Reste que dans les quartiers populaires, l’annonce du déblocage des fonds venus du Golfe est plutôt bien accueillie. La page Facebook du collectif est par exemple pleine de messages de jeunes proposant leurs services ou leurs CV. Pour Mohamed Mechmache, président d’ACLeFeu, « les fantasmes sur le Qatar et les musulmans ne semblent se poser que lorsqu’ils investissent en banlieue ». « Cette question ne se pose pas quand ils entrent au PSG, chez Lagardère ou Veolia ». Selon lui, la réponse positive du Qatar aux sollicitations de l’Aneld est peu surprenante. « Il y a dans les quartiers un vivier de gens qui ont des idées, des compétences, des projets mais qui ne trouvent personne pour les accompagner. L’Etat a déserté et les banques refusent systématiquement de s’engager à leurs côtés. Ce n’est pas parce qu’il y a des musulmans dans les quartiers que le Qatar est venu, c’est parce qu’il y a des projets. »
Mehdi Lazar
Géographe - Educateur
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