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“voisins vigilants”, “participation citoyenne”... le changement n’est pas pour demain
article de la rubrique justice - police > délation
date de publication : dimanche 25 novembre 2012
Trop nombreux sont les maires qui cèdent aux sirènes du tout-sécuritaire. L’exemple de la commune de La Crau, dans le Var, devrait pourtant les alerter sur les dérives auxquelles une telle politique peut conduire – de la mise en place d’un réseau de référents anonymes au partage d’informations entre l’ Éducation nationale, la mairie et la gendarmerie.
Par une circulaire du 22 juin 2011, Claude Guéant demandait aux préfets de promouvoir le dispositif de “participation citoyenne à la sécurité”, habituellement désigné par l’expression “Voisins vigilants”. On pouvait espérer que le changement de majorité mettrait un terme à ces penchants dangereux ... Il n’en est rien si l’on en juge par la lettre de la Direction générale de la Gendarmerie nationale adressée au président de l’association de lutte contre les dérives sécuritaires dans le département des Vosges (LDS88), en réponse à un courrier que ce dernier avait envoyé au ministre de l’Intérieur.
le 19 novembre 2012
Monsieur le Président,
Vous avez adressé un courrier au ministre de l’Intérieur destiné à lui faire part des inquiétudes de votre association concernant la mise en oeuvre du dispositif de participation citoyenne, notamment dans votre département.
Ce concept novateur est fondé sur une démarche partenariale associant les élus, les forces de sécurité (services de police et unités de gendarmerie) et la population afin qu’ils participent ensemble à la sécurité d’un quartier ou d’une commune.
Il complète la gamme déjà existante d’outils dédiés à la prévention de la délinquance et doit ainsi se concevoir comme participant à une démarche de prévention globale et non comme une action isolée. Une cohérence est ainsi recherchée avec les différents plans mis en oeuvre localement (opérations tranquillité vacances par exemple).
Sa mise en oeuvre permet de rappeler aux habitants d’une commune ou d’un quartier toute l’importance des gestes élémentaires de prévention (fermeture systématique des différents accès des habitations, mise en sécurité des biens de valeur, relève du courrier par les voisins en cas d’absence, ...), tout en raffermissant le lien social.
De plus, il n’a pas vocation à être appliqué de manière uniforme sur l’ensemble du territoire. Il doit permettre aux forces de sécurité intérieure, par une démarche pédagogique et après un diagnostic partagé, de susciter l’adhésion des élus et l’engagement des différents partenaires afin de répondre in fine aux attentes de la population.
En cas de dérives, il ne fait pas de doute que les élus concernés et les structures de concertation déjà mises en oeuvre réagiraient immédiatement auprès des autorités administrative et judiciaire. A notre connaissance, tel n’est pas le cas jusqu’ici dans le département des Vosges.
Bien au contraire, là où il a été déployé, ce dispositif contribue à réduire la délinquance d’appropriation. Ainsi, les atteintes aux biens (essentiellement cambriolages) connaissent une diminution en moyenne de 9,15% dans les 4 communes vosgiennes dans lesquelles le dispositif de participation citoyenne est actif. Ce dernier contribue par ailleurs à renforcer le sentiment de sécurité de la population et développe, dans les secteurs concernés, de vraies solidarités de voisinage.
Enfin, il sera rappelé aux échelons territoriaux de bien contrôler que l’application sur le terrain respecte strictement les principes édictés par la circulaire ministérielle et déclinés dans la doctrine de la gendarmerie en la matière.
Espérant avoir répondu à vos inquiétudes, je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’expression de mes sentiments distingués.
UNE DÉRIVE « À L’AMÉRICAINE »
[Vosges-Matin, le 14 août 2012]
« Quand on a vu ça, on a décidé de monter une association. » Par « ça », il faut comprendre la tentative de la municipalité de Dogneville, en 2009, de créer un réseau de Voisins vigilants, dénoncée par Sébastien Raguet, président de l’association départementale de lutte contre les dérives sécuritaires. Très rapidement, il lance une pétition contre ce projet, « qui a recueilli 500 signatures dans tout le département », et multiplie réunions publiques et alertes aux élus. Face à cette réaction, la mairie a préféré renoncer. « Il y a eu une opposition minoritaire mais virulente. Faute d’unanimité, la commune s’est laissé un délai de réflexion. Nous n’excluons pas de refaire cette proposition : il y a de l’intérêt à créer un maillage de surveillance. Contrairement à ce que disent les opposants, il ne s’agissait pas de délation », argumente Yvon Leclerc, 1er adjoint au maire.
Pour Sébastien Raguet, c’est le principe même du concept qui est inacceptable, en dévoluant à la sphère privée une mission aussi fondamentale du service public : « Avec ces initiatives privées, on en arrive à l’autodéfense à l’américaine. On n’est pas très loin des milices, il ne resterait plus qu’à les armer… Cela entretient un climat de suspicion anxiogène : tout le monde se méfie de tout le monde. » Un climat qui favorise les dérives : « Dans une commune située près de Carcassonne, la mairie n’appelle pas seulement les voisins à la vigilance : elle a créé des fiches dans lesquelles chacun doit préciser les caractéristiques physiques d’un suspect et de sa voiture. » Ce qui est illégal, au regard de la loi informatique et libertés.
Bien décidé à ne pas laisser faire, Sébastien Raguet saisit régulièrement la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) pour contraindre les collectivités à l’informer de leurs projets sécuritaires. Il a aussi écrit au nouveau ministre de l’Intérieur pour lui demander d’abroger la circulaire Guéant de 2011 qui a conféré un embryon de cadre légal au dispositif des Voisins vigilants ( voir plus haut).
Si la mayonnaise ne prend pas dans les Vosges, Sébastien Raguet entend poursuivre la lutte. Et a depuis ouvert un nouveau front : contre la vidéosurveillance, qui se développe notamment à Thaon et Remiremont.
N.C.
Document
Un extrait du guide des Voisins vigilants, téléchargeable sur le site de la commune de Villemoustaussu près de Carcassonne [1] :
LORRAINE : LE BILAN DE VOISINS VIGILANTS
[Est-Républicain, le 30 octobre 2012]
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Thaon-les-Vosges, dans le quartier de la Prairie. En Lorraine, Thaon-les-Vosges a testé en premier, dès 2009, le système controversé de surveillance civile pour lutter contre les cambriolages initié en 2011 par Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur. A l’exception du Sud-est de la France, l’innovation n’a pas fait école. Loin de là. Dans les Vosges, le zèle de l’ex-patron des gendarmes du département, le lieutenant-colonel Hamel, a poussé plusieurs maires (dont Sanchey et Saint-Nabord) à développer l’opération calquée sur des techniques de « coproductions de la sécurité » issues des USA ou de Grande-Bretagne.
À l’image d’Épinal, et son député-maire, certaines localités ont a contrario refusé tout net la pente glissante de l’auto-protection. Quel bilan, trois ans plus tard, à Thaon-les-Vosges ? Dans le quartier des Charmilles et de la Prairie, les habitants ont oublié au fil du temps le panneau avec son œil si reconnaissable installé aux deux entrées de cette enclave proprette et middle class de la cité de 8 000 habitants au nord d’Épinal. « C’est une bonne chose ; ça a permis aux voisins de se rencontrer. Ce n’est pas faire de la délation sur Pierre, Paul ou Jacques. Il y a tellement de gens qui aujourd’hui ont peur ne serait-ce que d’appeler la police ou la gendarmerie. C’est un moyen de retrouver des réflexes citoyens », estime ce quadra, croisé dans les entrelacs de maisonnettes entourées de leur carré de verdure et de leurs haies. Vigilance ou espionnage ?Entre vigilance et espionnage institutionnalisé, Sébastien Raguet, professeur, la trentaine, de l’association Lutte contre les Dérives Sécuritaires (LDS), plutôt à gauche, a tranché : « Pour moi, personne n’a besoin d’avoir une organisation hiérarchisée, avec un responsable de quartier, deux adjoints, pour que les gens se parlent. C’est le début de la discrimination, de la stigmatisation ». Lui a fait capoter le projet de Voisins vigilants prévus à Dogneville, à quelques kilomètres de là. Dans sa main, il tient les documents qui circulent dans la petite ville de l’Aude où l’opération s’est installée ces dernières années. « On y voit une sorte de portrait-robot, qui permet de décrire quelqu’un de la couleur des cheveux à celle du blouson. Idem, il y a une feuille pour désigner les voitures. Ne me dites pas que ce n’est pas une incitation aux réflexes racistes ? » se fâche l’opposant. Les artisans en camionnettes blanches de la communauté des gens du voyage et tout autre démarcheur n’ont qu’à bien se tenir…
Efficacité. L’évaluation de l’efficacité du dispositif pose également question. Quand le réseau Voisins vigilants avance une réduction de cambriolages jusqu’à 70 % dans certains quartiers, la statistique est purement et simplement invérifiable. Sur place, après une vague de vols avec effraction assez marquée en 2008 et 2009, le phénomène semble désormais contenu. « On en avait quatre ou cinq par an. On a voulu tester le système. Depuis trois ans, il n’y a plus cambriolages, grâce à cela ou pour d’autres raisons, je vous l’accorde », réagit Dominique Momon, le maire UMP, qui se défend de toute politique sécuritaire malgré les 15 caméras de vidéoprotection à 130.000 € installées en ville. « Il n’y a jamais eu de dérive, type dénonciation abusive », insiste-t-il. Il prévoit dans les prochains mois de développer Voisins vigilants dans deux autres quartiers de Thaon-les-Vosges.