« Tout le monde a intérêt à transformer Internet en Minitel
»
par Astrid Girardeau
http://www.ecrans.fr/Tout-le-monde-a-interet-a,5762.html
Héberger ses vidéos sur YouTube ou utiliser un compte Hotmail, est-ce encore Internet ? A ’origine, le net a la particularité d’être un réseau où rien n’est centralisé, où les données ne sont pas stockées dans un seul et même endroit. Or pour Benjamin Bayart, président de FDN (French Data Network), le plus vieux fournisseur d’accès Internet français, cette structure est en danger. Selon lui,
un ensemble de décisions politiques, économiques et techniques tendent à transformer, depuis quelques années, Internet en réseau finalement proche du Minitel. Parallèlement il dénonce les atteintes à la neutralité du net.
Notamment par les projets de loi de filtrage actuellement en préparation par le gouvernement français : Loi Création et Internet, Charte de confiance, etc.
Lors des rencontres mondiales du logiciel libre d’Amiens, en juillet
2007, Benjamin Bayart exposait son propos lors d’une conférence, intitulée Internet libre ou Minitel 2.0, dont la vidéo a depuis été très consultée. Et nous a donné envie de le rencontrer.
Qui a intérêt à transformer Internet en Minitel ?
Tout le monde. Car Internet représente une révolution, au même
titre que l’imprimerie. Et les gens à qui Internet fait peur sont à peu près les mêmes à qui l’imprimerie faisait peur. Tout d’abord, ce sont ceux qui ont un business en place. Les éditeurs de DVD ayant remplacé les moines copistes. Ensuite les politiques, qui préfèrent que le peuple se taise. Lors du traité européen, c’était le seul lieu de contestation. Et finalement les gens ont voté non. Cela concernait 10% de la population, ça n’a donc pas eu un réel poids
électoral, mais c’est un reflet. Internet est une fenêtre d’expression. Or les politiques préfèrent le modèle TF1 qui calme les esprits, comme nos rois n’avaient pas envie qu’on diffuse du Voltaire ou du Montesquieu. Enfin, ce sont les marchands de tuyaux qui ont tout un intérêt à un Internet à péage où les
contenus sont contrôlés et bien rémunérés.
La faiblesse du Minitel était qu’il était un réseau centré. L’avantage d’Internet est d’être décentralisé. Et même acentré. C’est ce qui fait tout la différence entre Internet et les autres réseaux. Et ce qui permet à chacun d’innover. Là, on est à cheval entre les
deux. Il y a une citation de Linus Tovalds (créateur du noyau Linux) qui disait en 1995 : « les backups c’est pour les fillettes, les vrais hommes mettent leurs données sur un serveur FTP et laissent le reste du monde créer des miroirs. » Or si vous regardez le noyau Linux, son code source est un paquet de données, au même titre qu’un film ou qu’un livre, dont toutes les versions, depuis la première en 1991-92, sont sur le net. Comme elles sont librement copiables, il y en a des centaines de milliers de copies. Chacun de ces sites peut disparaître, on ne perdra jamais son contenu.
De l’autre côté, il y a la bibliothèque numérique : je n’ai pas le droit de faire de miroir pour que les données ne se perdent pas. Tout est gardé sur un gros ordinateur central en espérant que ça ne crame pas. Comme dans la scène de Rollerball où un scientifique gueule contre un ordinateur : « Cette saloperie m’a perdu tout le XIIIe siècle ! » C’est du Minitel. C’est tout le contraire d’Internet, et c’est très dangereux. On sait que la bibliothèque d’Alexandrie, ça finit toujours par brûler.
On le sait, mais on continue ?
Oui. Et ça n’est pas une question neutre de savoir si, le savoir de l’humanité, on va le garder ou on va le perdre comme des cons.
Par exemple, la Nasa n’est pas capable de relire les vidéos des différents alunissages. Ils n’ont plus de magnétoscope capable de lire le modèle de bande magnétique sur lequel ils les ont enregistré. Ils ont des copies, mais plus accès aux bandes originales. Et ça plaide pour deux choses. Un : des formats ouverts et standardisés. Deux : le droit de les copier. Quand je reçois un DVD de chez Amazon et en fait une copie pour mon lecteur portable, j’en fait une copie privée. Ce qu’on essaye de m’empêcher de faire. Mais je fais un boulot de conservateur à ma petite échelle puisque je fais la copie d’un savoir qui se perdra d’autant moins. Et plus on fait de copies, moins il se perdra.
« Il n’y a aucune raison que le mail soit centralisé chez Google ou Hotmail. »
Quel est le danger de cette centralisation ?
Les deux modèles ont toujours cohabité, et il y a besoin de deux. Le modèle du Minitel, ça sert à faire des sites de rencontre, ou ses courses sur le net. Là où il faut un point de centralisation. Mais ce qui faisait la spécificité d’Internet est en train de se faire vampiriser par le Minitel. Autant il y a de très bonnes raisons pour que le site de la SNCF soit centralisé, autant il n’y a aucune raison que le
mail soit centralisé chez Google ou Hotmail. Un serveur mail, c’est un ordinateur qui est moins puissant qu’un téléphone portable d’aujourd’hui. Ca coûte moins cher qu’un iPhone.
Les blogs hébergés gratuitement, ça n’est pas gratuit. C’est intéressé. Ces gens ont l’intention de vendre de la pub mais ils n’ont pas de contenus. Pour capter le temps de cerveau disponible, eux n’ont pas les séries télé, ils ont les blogs des particuliers. Et c’est pervers, car héberger son blog chez soi ça ne coûterait pas cher.
Tout le monde ne peut pas avoir un serveur chez lui ?
C’est une fausse approche. A l’heure actuelle, ce qui empêche de le faire, ce sont des problèmes très mineurs, mais que personne ne souhaite régler.
»
par Astrid Girardeau
http://www.ecrans.fr/Tout-le-monde-a-interet-a,5762.html
Héberger ses vidéos sur YouTube ou utiliser un compte Hotmail, est-ce encore Internet ? A ’origine, le net a la particularité d’être un réseau où rien n’est centralisé, où les données ne sont pas stockées dans un seul et même endroit. Or pour Benjamin Bayart, président de FDN (French Data Network), le plus vieux fournisseur d’accès Internet français, cette structure est en danger. Selon lui,
un ensemble de décisions politiques, économiques et techniques tendent à transformer, depuis quelques années, Internet en réseau finalement proche du Minitel. Parallèlement il dénonce les atteintes à la neutralité du net.
Notamment par les projets de loi de filtrage actuellement en préparation par le gouvernement français : Loi Création et Internet, Charte de confiance, etc.
Lors des rencontres mondiales du logiciel libre d’Amiens, en juillet
2007, Benjamin Bayart exposait son propos lors d’une conférence, intitulée Internet libre ou Minitel 2.0, dont la vidéo a depuis été très consultée. Et nous a donné envie de le rencontrer.
Qui a intérêt à transformer Internet en Minitel ?
Tout le monde. Car Internet représente une révolution, au même
titre que l’imprimerie. Et les gens à qui Internet fait peur sont à peu près les mêmes à qui l’imprimerie faisait peur. Tout d’abord, ce sont ceux qui ont un business en place. Les éditeurs de DVD ayant remplacé les moines copistes. Ensuite les politiques, qui préfèrent que le peuple se taise. Lors du traité européen, c’était le seul lieu de contestation. Et finalement les gens ont voté non. Cela concernait 10% de la population, ça n’a donc pas eu un réel poids
électoral, mais c’est un reflet. Internet est une fenêtre d’expression. Or les politiques préfèrent le modèle TF1 qui calme les esprits, comme nos rois n’avaient pas envie qu’on diffuse du Voltaire ou du Montesquieu. Enfin, ce sont les marchands de tuyaux qui ont tout un intérêt à un Internet à péage où les
contenus sont contrôlés et bien rémunérés.
La faiblesse du Minitel était qu’il était un réseau centré. L’avantage d’Internet est d’être décentralisé. Et même acentré. C’est ce qui fait tout la différence entre Internet et les autres réseaux. Et ce qui permet à chacun d’innover. Là, on est à cheval entre les
deux. Il y a une citation de Linus Tovalds (créateur du noyau Linux) qui disait en 1995 : « les backups c’est pour les fillettes, les vrais hommes mettent leurs données sur un serveur FTP et laissent le reste du monde créer des miroirs. » Or si vous regardez le noyau Linux, son code source est un paquet de données, au même titre qu’un film ou qu’un livre, dont toutes les versions, depuis la première en 1991-92, sont sur le net. Comme elles sont librement copiables, il y en a des centaines de milliers de copies. Chacun de ces sites peut disparaître, on ne perdra jamais son contenu.
De l’autre côté, il y a la bibliothèque numérique : je n’ai pas le droit de faire de miroir pour que les données ne se perdent pas. Tout est gardé sur un gros ordinateur central en espérant que ça ne crame pas. Comme dans la scène de Rollerball où un scientifique gueule contre un ordinateur : « Cette saloperie m’a perdu tout le XIIIe siècle ! » C’est du Minitel. C’est tout le contraire d’Internet, et c’est très dangereux. On sait que la bibliothèque d’Alexandrie, ça finit toujours par brûler.
On le sait, mais on continue ?
Oui. Et ça n’est pas une question neutre de savoir si, le savoir de l’humanité, on va le garder ou on va le perdre comme des cons.
Par exemple, la Nasa n’est pas capable de relire les vidéos des différents alunissages. Ils n’ont plus de magnétoscope capable de lire le modèle de bande magnétique sur lequel ils les ont enregistré. Ils ont des copies, mais plus accès aux bandes originales. Et ça plaide pour deux choses. Un : des formats ouverts et standardisés. Deux : le droit de les copier. Quand je reçois un DVD de chez Amazon et en fait une copie pour mon lecteur portable, j’en fait une copie privée. Ce qu’on essaye de m’empêcher de faire. Mais je fais un boulot de conservateur à ma petite échelle puisque je fais la copie d’un savoir qui se perdra d’autant moins. Et plus on fait de copies, moins il se perdra.
« Il n’y a aucune raison que le mail soit centralisé chez Google ou Hotmail. »
Quel est le danger de cette centralisation ?
Les deux modèles ont toujours cohabité, et il y a besoin de deux. Le modèle du Minitel, ça sert à faire des sites de rencontre, ou ses courses sur le net. Là où il faut un point de centralisation. Mais ce qui faisait la spécificité d’Internet est en train de se faire vampiriser par le Minitel. Autant il y a de très bonnes raisons pour que le site de la SNCF soit centralisé, autant il n’y a aucune raison que le
mail soit centralisé chez Google ou Hotmail. Un serveur mail, c’est un ordinateur qui est moins puissant qu’un téléphone portable d’aujourd’hui. Ca coûte moins cher qu’un iPhone.
Les blogs hébergés gratuitement, ça n’est pas gratuit. C’est intéressé. Ces gens ont l’intention de vendre de la pub mais ils n’ont pas de contenus. Pour capter le temps de cerveau disponible, eux n’ont pas les séries télé, ils ont les blogs des particuliers. Et c’est pervers, car héberger son blog chez soi ça ne coûterait pas cher.
Tout le monde ne peut pas avoir un serveur chez lui ?
C’est une fausse approche. A l’heure actuelle, ce qui empêche de le faire, ce sont des problèmes très mineurs, mais que personne ne souhaite régler.