Entièrement d'accord, Charpal.
Francis Delattre et le Big Bazar des fichiers policiers
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Francis DelattreFrancis Delattre est l’un des principaux responsables
des dérives que connaît la France en matière de fichage policier. Et il
est fort probable qu’il soit aujourd’hui victime du grand bazar qu’il a
lui-même cautionné lorsque, en 2004, député et membre de la CNIL, il a
libéralisé la création des fichiers policiers.
En accusant Ali Soumaré, tête de liste PS aux élections régionales dans
le Val-d’Oise, d’être un “délinquant mutirécidiviste chevronné“, Francis
Delattre a démontré le peu de fiabilité que l’on pouvait attendre des
fichiers policiers, dès lors que l’on s’en sert servilement, sans
vérifier ce qu’il y a d’écrit dedans.
Le Monde rapporte en effet que “selon plusieurs sources policières et
judiciaires, les allégations divulguées par M.Delattre pourraient
provenir du fichier STIC (Système de traitement des infractions
constatées)“.
Ce fichier, qualifié de “casier judiciaire bis” par la CNIL, répertorie
plus de la moitié de la population française, décomposée comme suit :
près de 6 millions de “suspects“, et plus de 28 millions de “victimes“.
Problème : en 2001, la CNIL, seule habilitée à y contrôler la véracité
des fichiers, à la demande de ceux qui y sont fichés (ce qu’on appelle
le “droit d’accès indirect“, mode d’emploi) y répertoriait 25%
d’erreurs. En 2004, le taux d’erreurs était de 44%, en 2005 de 53%, et,
en 2008, de 83%. Et plus d’un million de personnes y sont encore
considérées comme “suspectes” alors qu’elles ont été blanchies par la
justice (voir En 2008, la CNIL a constaté 83% d’erreurs dans les
fichiers policiers).
Les fichiers policiers contrôlés par la CNIL sont truffés d'erreurs
Créé par Charles Pasqua en vertu de la loi du 21 janvier 1995
d’orientation et de programmation relative à la sécurité, le STIC ne
respectait pas ma “loi informatique et libertés“, ce qui lui avait valu
un Big Brother Awards en l’an 2000, il n’a été légalisé qu’à l’été 2001,
par Lionel Jospin.
Et c’est notamment parce que le STIC ne respectait pas la loi
informatique et libertés qu’il est truffé d’erreurs : la CNIL reconnaît
elle-même qu’il lui faut plus d’un an pour vérifier la licéité de ces
fichiers… quand on lui demande d’aller vérifier la pertinence, et la
légalité, des données qui y sont fichées.
Nombreux sont ceux qui y apparaissent ainsi comme “suspects” alors
qu’ils étaient, a contrario, victimes de ce qui leur est reproché, et
plus d’un million de personnes, blanchies par la justice, y sont
toujours répertoriées comme “suspectes“…: le STIC est un fichier “à charge“.
Or, l’emploi de plus d’un million de salariés dépend de leur
inscription, ou non, dans ce fichier, et plusieurs milliers d’entre-eux
ont d’ores et déjà été licenciés parce qu’ils y figuraient.
Une loi dont l’Etat se fiche pas mal
En 2004, le Parlement modifia la loi dite “informatique et libertés”
adoptée en 1978, pionnière des législations internationales pour ce qui
est de la protection de la vie privée, et donc des libertés, adoptée
suite au scandale SAFARI qui visait à créer un immense fichier policier
résultant de l’interconnexion de tous les fichiers de l’administration.
Plutôt que de régler le problème, en encadrant plus sévèrement les
fichiers policiers et en se donnant les moyens de l’expurger de toutes
ces erreurs, les députés décidèrent de modifier la loi de manière plutôt
originale, comme le souligna alors un article du Canard Enchaîné :
Le Parlement va adopter une nouvelle refonte de la loi Informatique et
libertés particulièrement originale : s’il ne la respecte pas, l’Etat ne
risque pratiquement rien.
Par exemple, s’il veut créer de nouveaux fichiers policiers, le
gouvernement devra certes demander son avis à la Commission nationale
informatique et libertés (Cnil). Mais il ne sera nullement obligé d’en
tenir compte. Cette même Cnil sera désormais autorisée à infliger des
amendes aux contrevenants. Sauf à l’Etat.
Autre cadeau offert à la puissance publique : elle obtient un délai de
six ans pour mettre en règle ses fichiers de police et de gendarmerie.
Ce n’est qu’à partir de 2010 qu’ils devront s’avérer “adéquats,
pertinents, exacts, complets et, si nécessaire, mis à jour”.
Le responsable de ce grand bazar, qui vaut semble-t-il aujourd’hui à
l’UMP de s’empêtrer dans les (fausses) accusations proférées à
l’encontre d’Ali Soumaré par Francis Delattre ? Francis Delattre…
A l’époque député UMP du Val d’Oise, mais également membre de la Cnil,
poste qu’il occupa de 2002 à 2007, Delattre fut désigné rapporteur de la
refonte de la loi dite “informatique et libertés“, censée transposée la
directive européenne du 24 octobre 1995 “relative à la protection des
personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère
personnel et à la libre circulation de ces données“. Une tâche quelque
peu compliquée, à l’en croire :
Après avoir rappelé que l’Assemblée nationale avait examiné ce projet de
loi en première lecture le 30 janvier 2002, alors que la transposition
de la directive européenne du 24 octobre 1995 aurait dû intervenir au
plus tard le 24 octobre 1998, M. Francis Delattre, rapporteur a déploré
ce retard et indiqué que la France était le dernier État membre de
l’Union européenne à y procéder.
La France violait certes ses engagements européens depuis 6 ans, et les
défenseurs des droits de l’homme estimaient que cette refonte de la loi
informatique et libertés déniait ce pour quoi elle avait initialement
été adoptée, à savoir protéger les citoyens face à la toute-puissance
des fichiers d’Etat.
Mais Francis Delattre n’y voyait aucun problème : “il est surprenant
qu’un grand quotidien du soir ait pu titrer à son propos « Big Brother
se rapproche » : on pourrait plutôt dire « Big bazar s’éloigne », tant
il est vrai que ce texte va permettre de débarrasser la CNIL de la
paperasserie qui l’encombre !“.
On notera également que c’est également Francis Delattre qui fit adopter
un amendement autorisant les fichiers policiers non informatisés à
rester “hors la loi” jusqu’en octobre 2010…
Fais comme l’oiseau…
Francis Delattre, glisse un parlementaire UMP du Val-d’Oise sous couvert
d’anonymat, “me fait penser à la définition que donnait Pierre Dac de
l’agent secret, il tire d’abord, il vise ensuite, il réfléchit après“,
et vient de s’excuser.
Je ne sais combien de policiers ont consulté la fiche d’Ali Soumaré
depuis que Francis Delattre l’a accusé d’être un “délinquant
mutirécidiviste chevronné“, ni s’ils seront sanctionnés comme l’a été
Philippe Pichon, l’un des rares policiers à avoir dénoncé les dérives
des fichiers policiers (voir La France a peur d’un… gardien de la paix).
Je ne sais non plus si Delattre Francis sera condamné pour avoir ainsi
livrer en pâture de fausses informations vraisemblablement tirées des
fichiers policiers. Par contre, je sais qu’il s’est doublement trompé :
Big Brother s’est bel et bien rapproché, et “Big bazar” avec.
Depuis la refonte de la loi, le nombre de fichiers policiers a augmenté
de 70%, et un sur quatre est hors la loi, d’après le rapport
parlementaire consacré à l’ampleur, et aux dérives, du fichage policier…
Un rapport commandé suite au scandale Edvige, initialement été adopté à
l’unanimité par la commission des lois, et finalement au Sénat ? Un
certain Alex Türk, sénateur du Nord mais également membre de la CNIL
depuis 1992, grand spécialiste des fichiers policiers, et qui, lui aussi
à l’époque, ne trouva rien à y redire. Il fut d’ailleurs élu, au moment
de l’adoption de cette refonte de la loi, président de la CNIL, poste
qu’il occupe toujours aujourd’hui.