Mediapart
Claude Guéant, porte-drapeau des thèses de l’extrême droite
07 Avril 2011 Par Carine Fouteau
Avec Claude Guéant, la droite majoritaire n'est plus qu'à un pas de
l'immigration zéro prônée par le FN. Musulmans, immigration, France, croisade:
depuis son entrée en fonction le 27 février, le ministre de l'intérieur braconne
sur les terres de l'extrême droite. Méthodiquement: la récurrence de ses
déclarations empêche de les considérer comme des dérapages. Mises bout à bout,
elles construisent un paysage idéologique cohérent salué par Marine Le Pen qui a
symboliquement délivré à l'ex-préfet le titre d'«adhérent d'honneur» de son
parti. Leur répétition ne permet pas non plus de penser que leur auteur fait
cavalier seul. Avec l'aval de Nicolas Sarkozy, c'est le socle droitier de la
campagne présidentielle de 2012 qui prend forme ici. En voici les grands traits.
Famille, travail: Guéant veut moins d'immigrés
Jamais le chef de l'État, y compris quand il était ministre de l'intérieur
chargé des questions migratoires, ne s'était prononcé pour une baisse de
l'immigration légale. C'est chose faite avec Claude Guéant, dans une interview
au Figaro magazine à paraître vendredi 8 avril. Depuis 2002, la rhétorique
officielle ciblait en priorité l'immigration irrégulière et l'immigration
familiale qualifiée de «subie». Il fallait lutter contre la première et réduire
la seconde, à l'inverse de l'immigration de travail dite «choisie» qu'il fallait
favoriser.
À quelques jours de l'examen du projet de loi sur l'immigration, qu'il défendra
en deuxième lecture au Sénat à partir du 12 avril, l'ancien secrétaire général
de l'Élysée déclare qu'il a «demandé que l'on réduise le nombre de personnes
admises au titre de l'immigration du travail (...). Et nous allons continuer à
réduire le nombre d'étrangers venant en France au titre du regroupement
familial». Outre le changement d'axe, la formulation est particulière
puisqu'elle suppose l'existence de quotas, alors que les entrées d'étrangers
sont censées reposer sur des critères valables pour tous sans plafond.
Comme galvanisé par le tollé provoqué par sa proposition, le ministre
surenchérit le 7 avril, affirmant à propos des Tunisiens débarqués à Lampedusa
et susceptibles de venir en France, que Paris ne veut pas «subir une vague
d'immigration».
Expulsion des sans-papiers: «Très franchement, j'espère que nous ferons plus»
Concernant les expulsions des étrangers en situation irrégulière, justement, le
ministre est en phase avec ses prédécesseurs en maintenant l'objectif de 28.000
reconduites à la frontière pour 2011, ajoutant: «très franchement, j'espère que
nous ferons plus».
En matière d'asile, il trouve la France trop généreuse. Et se dit prêt à des
«modifications» s'il «apparaît qu'il y a des anomalies dans nos pratiques». Dès
sa première intervention à l'Assemblée nationale, le 1er mars, Claude Guéant
s'illustre sur ce thème, confondant immigration et asile. En réaction au chaos
en Libye, il met en garde, à la manière de Nicolas Sarkozy, contre «une
immigration non contrôlée». «Les personnes qui se présenteront en France en
situation irrégulière seront refoulées», menace-t-il, feignant d'oublier que les
personnes fuyant des violences ont le droit de demander le statut de réfugié.
Musulmans, «accroissement», «problème»
Trop d'immigrés, trop de demandeurs d'asile, mais aussi trop de musulmans: c'est
le positionnement implicite de Claude Guéant, qui, la veille du «débat» de l'UMP
sur l'islam, parle de laïcité pour mieux focaliser sur les prières de rue. En
1905, année de la loi sur la séparation des Églises et de l'État, «il y avait
très peu de musulmans en France. Aujourd'hui, on estime qu'il y a à peu près 5
ou 6 millions de musulmans en France», amorce-t-il le 4 avril lors d'un
déplacement à Nantes, avant d'ajouter: «C'est vrai que l'accroissement du nombre
des fidèles de cette religion, un certain nombre de comportements, posent
problème.»
Sur l'hôpital et les signes religieux, là encore pour préparer le «débat» sur
l'islam devenu «débat» sur la laïcité, il embarrasse jusque dans son propre
camp. «Les agents des services publics évidemment ne doivent pas porter de
signes religieux, manifester une quelconque préférence religieuse, mais les
usagers du service public ne (le) doivent pas non plus», déclare-t-il le 24
mars, sur Radio classique et i-télé, alors même qu'il existe déjà une charte de
la laïcité régissant la gestion de cette question à l'hôpital.
Marine Le Pen apprécie peu que le ministre marche sur ses plates-bandes.
Soulignant que le FN dénonce «depuis des années les atteintes à la laïcité dans
les hôpitaux et à l'école», elle lui reproche de «tenir des propos
électoralistes». «Il était où monsieur Guéant ces dernières années? Dans une
cave?», insiste-t-elle.
«Les Français (...) plus chez eux»
À l'approche des élections cantonales marquées par l'omniprésence de la
présidente du FN dans l'espace public, et notamment sa visite éclair à
Lampedusa, il balise le terrain sur Europe 1 le 17 mars: «Les Français, à force
d'immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, ou
bien ils ont le sentiment de voir des pratiques qui s'imposent à eux et qui ne
correspondent pas aux règles de notre vie sociale.» Une variante de son
entretien de la veille dans Le Monde, où il soutenait que les Français «veulent
que la France reste la France» et que «les Français veulent que les nouveaux
arrivés adoptent le mode de vie qui est le leur, ils veulent que leur mode de
vie soit respecté».
La proximité avec «la France aux Français» n'échappe pas à Marine Le Pen, qui
souligne que «quand le FN est à 25%, les responsables de l'UMP parlent comme le
FN», tout en reprochant à la majorité «l'absence de résultats».
La «croisade» en Libye
En mars, les éditorialistes et commentateurs de la vie politique française
hésitent encore entre la maladresse et la formule choisie. C'est le cas lorsque,
le 21 mars sur le Figaro.fr, il justifie l'intervention en Libye en ces termes:
«Le monde entier s'apprêtait à contempler à la télévision des massacres commis
par le colonel Kadhafi, heureusement, le président a pris la tête de la croisade
pour mobiliser le Conseil de sécurité des Nations unies et puis la Ligue arabe
et l'Union africaine.»
Quelques jours auparavant, Vladimir Poutine, le premier ministre russe, avait
évoqué son scepticisme à l'égard de l'intervention, la comparant aux «appels à
la croisade du Moyen Age», tandis que Guido Westerwelle, le ministre des
affaires étrangères allemand, avait estimé qu'il était «essentiel que nous ne
donnions pas l'impression qu'il s'agit (...) d'une croisade chrétienne contre
des populations de croyance musulmane».
[Baromètre Politis.fr des dérapages racistes à l’UMP :
http://www.dipity.com/emanach/Derapages/ ]
Malgré ces prises de position successives, Claude Guéant se fait passer pour une
victime. Au Figaro magazine, il répète qu'«il est facile de sortir une phrase de
son contexte et de déformer des propos». Pour le défendre, François Fillon
dénonce des «méthodes dignes des procès staliniens», tandis que Jean-François
Copé appelle au «cessez-le-feu» dans «l'acharnement».
Dérapages? Non. Maladresses? Non plus. Le premier flic de France agit en
connaissance de cause quand il s'empare des questions migratoires et
religieuses. Dans son genre, il n'est pas le seul à l'UMP, comme en témoigne la
frise réalisée par Politis.fr(ci-dessus). Comme son mentor, il lance des
polémiques, convaincu d'en tirer profit. II sait qu'il n'a pas été élu, mais
avoir été choisi par Nicolas Sarkozy lui suffit pour aller chercher, à l'extrême
droite, les voix dont le chef de l'État a besoin pour espérer rester président
cinq ans de plus. Le poste même de ministre de l'immigration a été créé dans
cette optique. Ce qui explique peut-être l'improbable crescendo à sa tête depuis
2007.
http://www.mediapart.fr/journal/france/070411/claude-gueant-porte-drapeau-des-theses-de-l-extreme-droite
Claude Guéant, porte-drapeau des thèses de l’extrême droite
07 Avril 2011 Par Carine Fouteau
Avec Claude Guéant, la droite majoritaire n'est plus qu'à un pas de
l'immigration zéro prônée par le FN. Musulmans, immigration, France, croisade:
depuis son entrée en fonction le 27 février, le ministre de l'intérieur braconne
sur les terres de l'extrême droite. Méthodiquement: la récurrence de ses
déclarations empêche de les considérer comme des dérapages. Mises bout à bout,
elles construisent un paysage idéologique cohérent salué par Marine Le Pen qui a
symboliquement délivré à l'ex-préfet le titre d'«adhérent d'honneur» de son
parti. Leur répétition ne permet pas non plus de penser que leur auteur fait
cavalier seul. Avec l'aval de Nicolas Sarkozy, c'est le socle droitier de la
campagne présidentielle de 2012 qui prend forme ici. En voici les grands traits.
Famille, travail: Guéant veut moins d'immigrés
Jamais le chef de l'État, y compris quand il était ministre de l'intérieur
chargé des questions migratoires, ne s'était prononcé pour une baisse de
l'immigration légale. C'est chose faite avec Claude Guéant, dans une interview
au Figaro magazine à paraître vendredi 8 avril. Depuis 2002, la rhétorique
officielle ciblait en priorité l'immigration irrégulière et l'immigration
familiale qualifiée de «subie». Il fallait lutter contre la première et réduire
la seconde, à l'inverse de l'immigration de travail dite «choisie» qu'il fallait
favoriser.
À quelques jours de l'examen du projet de loi sur l'immigration, qu'il défendra
en deuxième lecture au Sénat à partir du 12 avril, l'ancien secrétaire général
de l'Élysée déclare qu'il a «demandé que l'on réduise le nombre de personnes
admises au titre de l'immigration du travail (...). Et nous allons continuer à
réduire le nombre d'étrangers venant en France au titre du regroupement
familial». Outre le changement d'axe, la formulation est particulière
puisqu'elle suppose l'existence de quotas, alors que les entrées d'étrangers
sont censées reposer sur des critères valables pour tous sans plafond.
Comme galvanisé par le tollé provoqué par sa proposition, le ministre
surenchérit le 7 avril, affirmant à propos des Tunisiens débarqués à Lampedusa
et susceptibles de venir en France, que Paris ne veut pas «subir une vague
d'immigration».
Expulsion des sans-papiers: «Très franchement, j'espère que nous ferons plus»
Concernant les expulsions des étrangers en situation irrégulière, justement, le
ministre est en phase avec ses prédécesseurs en maintenant l'objectif de 28.000
reconduites à la frontière pour 2011, ajoutant: «très franchement, j'espère que
nous ferons plus».
En matière d'asile, il trouve la France trop généreuse. Et se dit prêt à des
«modifications» s'il «apparaît qu'il y a des anomalies dans nos pratiques». Dès
sa première intervention à l'Assemblée nationale, le 1er mars, Claude Guéant
s'illustre sur ce thème, confondant immigration et asile. En réaction au chaos
en Libye, il met en garde, à la manière de Nicolas Sarkozy, contre «une
immigration non contrôlée». «Les personnes qui se présenteront en France en
situation irrégulière seront refoulées», menace-t-il, feignant d'oublier que les
personnes fuyant des violences ont le droit de demander le statut de réfugié.
Musulmans, «accroissement», «problème»
Trop d'immigrés, trop de demandeurs d'asile, mais aussi trop de musulmans: c'est
le positionnement implicite de Claude Guéant, qui, la veille du «débat» de l'UMP
sur l'islam, parle de laïcité pour mieux focaliser sur les prières de rue. En
1905, année de la loi sur la séparation des Églises et de l'État, «il y avait
très peu de musulmans en France. Aujourd'hui, on estime qu'il y a à peu près 5
ou 6 millions de musulmans en France», amorce-t-il le 4 avril lors d'un
déplacement à Nantes, avant d'ajouter: «C'est vrai que l'accroissement du nombre
des fidèles de cette religion, un certain nombre de comportements, posent
problème.»
Sur l'hôpital et les signes religieux, là encore pour préparer le «débat» sur
l'islam devenu «débat» sur la laïcité, il embarrasse jusque dans son propre
camp. «Les agents des services publics évidemment ne doivent pas porter de
signes religieux, manifester une quelconque préférence religieuse, mais les
usagers du service public ne (le) doivent pas non plus», déclare-t-il le 24
mars, sur Radio classique et i-télé, alors même qu'il existe déjà une charte de
la laïcité régissant la gestion de cette question à l'hôpital.
Marine Le Pen apprécie peu que le ministre marche sur ses plates-bandes.
Soulignant que le FN dénonce «depuis des années les atteintes à la laïcité dans
les hôpitaux et à l'école», elle lui reproche de «tenir des propos
électoralistes». «Il était où monsieur Guéant ces dernières années? Dans une
cave?», insiste-t-elle.
«Les Français (...) plus chez eux»
À l'approche des élections cantonales marquées par l'omniprésence de la
présidente du FN dans l'espace public, et notamment sa visite éclair à
Lampedusa, il balise le terrain sur Europe 1 le 17 mars: «Les Français, à force
d'immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, ou
bien ils ont le sentiment de voir des pratiques qui s'imposent à eux et qui ne
correspondent pas aux règles de notre vie sociale.» Une variante de son
entretien de la veille dans Le Monde, où il soutenait que les Français «veulent
que la France reste la France» et que «les Français veulent que les nouveaux
arrivés adoptent le mode de vie qui est le leur, ils veulent que leur mode de
vie soit respecté».
La proximité avec «la France aux Français» n'échappe pas à Marine Le Pen, qui
souligne que «quand le FN est à 25%, les responsables de l'UMP parlent comme le
FN», tout en reprochant à la majorité «l'absence de résultats».
La «croisade» en Libye
En mars, les éditorialistes et commentateurs de la vie politique française
hésitent encore entre la maladresse et la formule choisie. C'est le cas lorsque,
le 21 mars sur le Figaro.fr, il justifie l'intervention en Libye en ces termes:
«Le monde entier s'apprêtait à contempler à la télévision des massacres commis
par le colonel Kadhafi, heureusement, le président a pris la tête de la croisade
pour mobiliser le Conseil de sécurité des Nations unies et puis la Ligue arabe
et l'Union africaine.»
Quelques jours auparavant, Vladimir Poutine, le premier ministre russe, avait
évoqué son scepticisme à l'égard de l'intervention, la comparant aux «appels à
la croisade du Moyen Age», tandis que Guido Westerwelle, le ministre des
affaires étrangères allemand, avait estimé qu'il était «essentiel que nous ne
donnions pas l'impression qu'il s'agit (...) d'une croisade chrétienne contre
des populations de croyance musulmane».
[Baromètre Politis.fr des dérapages racistes à l’UMP :
http://www.dipity.com/emanach/Derapages/ ]
Malgré ces prises de position successives, Claude Guéant se fait passer pour une
victime. Au Figaro magazine, il répète qu'«il est facile de sortir une phrase de
son contexte et de déformer des propos». Pour le défendre, François Fillon
dénonce des «méthodes dignes des procès staliniens», tandis que Jean-François
Copé appelle au «cessez-le-feu» dans «l'acharnement».
Dérapages? Non. Maladresses? Non plus. Le premier flic de France agit en
connaissance de cause quand il s'empare des questions migratoires et
religieuses. Dans son genre, il n'est pas le seul à l'UMP, comme en témoigne la
frise réalisée par Politis.fr(ci-dessus). Comme son mentor, il lance des
polémiques, convaincu d'en tirer profit. II sait qu'il n'a pas été élu, mais
avoir été choisi par Nicolas Sarkozy lui suffit pour aller chercher, à l'extrême
droite, les voix dont le chef de l'État a besoin pour espérer rester président
cinq ans de plus. Le poste même de ministre de l'immigration a été créé dans
cette optique. Ce qui explique peut-être l'improbable crescendo à sa tête depuis
2007.
http://www.mediapart.fr/journal/france/070411/claude-gueant-porte-drapeau-des-theses-de-l-extreme-droite