Directeur des Tréteaux de France, Centre Dramatique National itinérant, l’acteur Robin Renucci est très engagé en matière d’éducation et tout particulièrement d’éducation populaire. Rencontre.
Pourquoi avoir accepté de devenir l’un des premiers « ambassadeurs de la réserve citoyenne de l’Éducation nationale » ?
Depuis plusieurs décennies, je suis en lien avec les ministères de l’Éducation nationale, de la Culture, des Sports… en tant que président de l’ARIA (Association des rencontres internationales artistiques), professeur au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique et maintenant comme directeur d’un centre dramatique, Tréteaux de France.
J’ai répondu à l’invitation, car je suis attaché à l’idée que la transmission et l’éducation ne sont pas uniquement du ressort de l’école. C’est également le rôle de la famille, des institutions, des associations… L’engagement des uns et des autres doit « complémenter » le projet de la classe. C’est essentiel dans la construction de la citoyenneté de l’enfant : nous vivons ensemble parce que nous faisons quelque chose avec les autres. Je travaille également avec le Conseil supérieur des programmes afin que les fondamentaux de l’école ne soient pas seulement lire, écrire et compter, mais lire, dire, écrire et compter. Autrement dit, apprendre à être auteur de sa propre parole.
Dans votre autobiographie vous déplorez la façon dont l’école s’empare de l’apprentissage des arts. Pourquoi ?
Je défends une éducation par l’art par opposition à une éducation à l’art. De la même manière qu’apprendre l’histoire des natations au cours des siècles ce n’est pas aller à la piscine. Je milite pour la pratique de l’art au sein de la classe et donc, qu’au sein des programmes, on place les notions d’expérimentation et de pratique.
Dans ce but, vous aviez lancé en octobre 2012 le Collectif pour l’éducation par l’art. Est-il toujours actif ?
Ce collectif — qui compte Philippe Meirieu, Alain Kerlan, Jean-Gabriel Carasso, Emmanuel Wallon, etc. — est un outil de réflexion, d’appui ou de contre-pouvoir en direction de nos tutelles. Oui, il est toujours d’actualité, nous échangeons régulièrement, produisons des textes… Mais je ne vous cache pas notre petite déception, car défendre un temps de l’élévation de l’enfant, qui est un temps non productif, n’est pas la grande tendance du moment ! Nous sommes comme des saumons qui remontent le courant. En fait, nous retrouvons certaines de nos idées, mais édulcorées, saupoudrées, diluées….
La réforme des rythmes scolaires qui a pu amener de la pratique artistique par les activités périscolaires ne vous convient donc pas ?
En effet, c’est l’exemple d’un détournement de ce que nous prônons. L’éducation artistique et culturelle doit être intégrée au cœur même de la classe. Elle doit être le vecteur, le viatique, des fondamentaux. Telle qu’elle est mise en place, c’est facteur de grandes inégalités, puisqu’elle dépend des contraintes, moyens et bonnes volontés locales. L’art n’est donc toujours pas considéré comme une matière à part entière. Pourtant, ouvrir l’école aux disciplines artistiques ce n’est pas une « belle idée », c’est une nécessité.
Cette éducation par la pratique, vous la mettez en œuvre, notamment à l’Aria, le Centre de formation et de création que vous avez créé en Corse il y a presque 20 ans, et qui s’adresse aux enseignants, éducateurs et animateurs.
À travers les formations qu’elle leur propose, l’Aria sensibilise les professeurs au fait que le théâtre est un puissant moyen d’éducation. Je crois que la question de la formation des enseignants est au cœur de la problématique de l’école d’aujourd’hui. Autour d’une cocréation réalisée en une trentaine de jours, nous les mettons en contact avec des praticiens « amateurs » de théâtre, des professionnels du spectacle et des techniciens de l’art qui vont les initier à leurs disciplines. C’est un partage qui invite les enseignants à faire un parcours personnel de mise en poésie d’eux-mêmes. Par le langage, leur façon d’appréhender les textes, de dire des textes, de jouer, ils seront ensuite capables de transmettre la puissance de notre langue, notre langue si précise qui traduit le propre monde, les frontières, de chacun.
J’ai aussi amené cette dimension de formation lors de mon arrivée aux Tréteaux de France avec la constitution de mes « brigades », des acteurs des Tréteaux formés à la transmission et qui interviennent dans les établissements scolaires et dans les communes où nous jouons pour dépasser le simple rapport acteur/spectateur.
Je suis un rémouleur : celui qui apporte la roue, mais pas l’outil. Le rémouleur aiguise les outils des autres.
Vous êtes le père de 4 enfants. Quel est votre regard sur l’école ?
Mes enfants s’en sont bien sortis, mais l’école fut un parcours du combattant terrible pour eux. J’ai détesté ce rapport de compétition permanent qui prévalait dans les lycées où ils sont passés.
J’ai beaucoup de respect pour le corps enseignant, mais je constate qu’il fonctionne trop souvent sous l’égide de la course à la performance. Ce fonctionnement anxiogène est basé sur le paradigme, faux, qui considère l’autre comme est un ennemi, un concurrent. C’est le modèle de l’entreprise qui est appliqué à l’école. Nous sommes devenus des « segments », des « échantillons », et l’école prépare l’enfant à cela.
Comme beaucoup, vous appelez donc à changer l’école ?
Pour moi, c’est l’élève qui confère au maitre son autorité, par son désir – ou son absence de désir — d’être « augmenté » par ce maitre. Je dois tout à mes enseignants, ces hommes et femmes passionnés par une activité qui les faisait croître et qui leur donnait de l’autorité.
Or trop souvent encore, l’autorité est confondue avec la discipline. Il faut passer au 21e siècle, reconstruire le désir, car il n’y a pas de transmission et d’éducation sans désir. J’aime cette phrase très juste qui dit que « nos enfants sont nos racines ». La mission de l’école devrait être d’élargir la parole, d’élargir le champ langagier, car avec les mots, les idées viennent, donc l’inconnu arrive. Ce n’est pas suffisamment le projet de l’école d’aujourd’hui.
Après les révolutions de l’écriture puis de l’imprimerie, nous vivons une troisième révolution : celle du numérique. Pour la première fois, l’enfant en sait parfois plus que l’adulte. Un grand-père va apprendre de son gamin de cinq ans comment utiliser ces outils techniques. Je suis 100 % d’accord pour que l’on fasse entrer les tablettes numériques à l’école, à condition que cela s’accompagne d’une « pharmacologie », dans le sens où quelque chose peut être à la fois un soin et un poison. Le rapport de transmission est totalement basculé, les outils changent, et l’école est au cœur de ça, car l’élévation de l’enfant part de l’école… Alors, oui, il faut radicalement transformer l’école pour s’adapter à ces nouvelles réalités. Je reste optimiste, je trouve cette époque formidable et très intéressante. Mais comme le disait Tocqueville « quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres ». Je tente — comme le colibri de la fable — d’y prendre ma part.
Olivier Van Caemerbèke
http://www.vousnousils.fr/2015/09/25/robin-renucci-ouvrir-lecole-aux-disciplines-artistiques-est-une-necessite-575914
Pourquoi avoir accepté de devenir l’un des premiers « ambassadeurs de la réserve citoyenne de l’Éducation nationale » ?
Depuis plusieurs décennies, je suis en lien avec les ministères de l’Éducation nationale, de la Culture, des Sports… en tant que président de l’ARIA (Association des rencontres internationales artistiques), professeur au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique et maintenant comme directeur d’un centre dramatique, Tréteaux de France.
J’ai répondu à l’invitation, car je suis attaché à l’idée que la transmission et l’éducation ne sont pas uniquement du ressort de l’école. C’est également le rôle de la famille, des institutions, des associations… L’engagement des uns et des autres doit « complémenter » le projet de la classe. C’est essentiel dans la construction de la citoyenneté de l’enfant : nous vivons ensemble parce que nous faisons quelque chose avec les autres. Je travaille également avec le Conseil supérieur des programmes afin que les fondamentaux de l’école ne soient pas seulement lire, écrire et compter, mais lire, dire, écrire et compter. Autrement dit, apprendre à être auteur de sa propre parole.
Dans votre autobiographie vous déplorez la façon dont l’école s’empare de l’apprentissage des arts. Pourquoi ?
Je défends une éducation par l’art par opposition à une éducation à l’art. De la même manière qu’apprendre l’histoire des natations au cours des siècles ce n’est pas aller à la piscine. Je milite pour la pratique de l’art au sein de la classe et donc, qu’au sein des programmes, on place les notions d’expérimentation et de pratique.
Dans ce but, vous aviez lancé en octobre 2012 le Collectif pour l’éducation par l’art. Est-il toujours actif ?
Ce collectif — qui compte Philippe Meirieu, Alain Kerlan, Jean-Gabriel Carasso, Emmanuel Wallon, etc. — est un outil de réflexion, d’appui ou de contre-pouvoir en direction de nos tutelles. Oui, il est toujours d’actualité, nous échangeons régulièrement, produisons des textes… Mais je ne vous cache pas notre petite déception, car défendre un temps de l’élévation de l’enfant, qui est un temps non productif, n’est pas la grande tendance du moment ! Nous sommes comme des saumons qui remontent le courant. En fait, nous retrouvons certaines de nos idées, mais édulcorées, saupoudrées, diluées….
La réforme des rythmes scolaires qui a pu amener de la pratique artistique par les activités périscolaires ne vous convient donc pas ?
En effet, c’est l’exemple d’un détournement de ce que nous prônons. L’éducation artistique et culturelle doit être intégrée au cœur même de la classe. Elle doit être le vecteur, le viatique, des fondamentaux. Telle qu’elle est mise en place, c’est facteur de grandes inégalités, puisqu’elle dépend des contraintes, moyens et bonnes volontés locales. L’art n’est donc toujours pas considéré comme une matière à part entière. Pourtant, ouvrir l’école aux disciplines artistiques ce n’est pas une « belle idée », c’est une nécessité.
Cette éducation par la pratique, vous la mettez en œuvre, notamment à l’Aria, le Centre de formation et de création que vous avez créé en Corse il y a presque 20 ans, et qui s’adresse aux enseignants, éducateurs et animateurs.
À travers les formations qu’elle leur propose, l’Aria sensibilise les professeurs au fait que le théâtre est un puissant moyen d’éducation. Je crois que la question de la formation des enseignants est au cœur de la problématique de l’école d’aujourd’hui. Autour d’une cocréation réalisée en une trentaine de jours, nous les mettons en contact avec des praticiens « amateurs » de théâtre, des professionnels du spectacle et des techniciens de l’art qui vont les initier à leurs disciplines. C’est un partage qui invite les enseignants à faire un parcours personnel de mise en poésie d’eux-mêmes. Par le langage, leur façon d’appréhender les textes, de dire des textes, de jouer, ils seront ensuite capables de transmettre la puissance de notre langue, notre langue si précise qui traduit le propre monde, les frontières, de chacun.
J’ai aussi amené cette dimension de formation lors de mon arrivée aux Tréteaux de France avec la constitution de mes « brigades », des acteurs des Tréteaux formés à la transmission et qui interviennent dans les établissements scolaires et dans les communes où nous jouons pour dépasser le simple rapport acteur/spectateur.
Je suis un rémouleur : celui qui apporte la roue, mais pas l’outil. Le rémouleur aiguise les outils des autres.
Vous êtes le père de 4 enfants. Quel est votre regard sur l’école ?
Mes enfants s’en sont bien sortis, mais l’école fut un parcours du combattant terrible pour eux. J’ai détesté ce rapport de compétition permanent qui prévalait dans les lycées où ils sont passés.
J’ai beaucoup de respect pour le corps enseignant, mais je constate qu’il fonctionne trop souvent sous l’égide de la course à la performance. Ce fonctionnement anxiogène est basé sur le paradigme, faux, qui considère l’autre comme est un ennemi, un concurrent. C’est le modèle de l’entreprise qui est appliqué à l’école. Nous sommes devenus des « segments », des « échantillons », et l’école prépare l’enfant à cela.
Comme beaucoup, vous appelez donc à changer l’école ?
Pour moi, c’est l’élève qui confère au maitre son autorité, par son désir – ou son absence de désir — d’être « augmenté » par ce maitre. Je dois tout à mes enseignants, ces hommes et femmes passionnés par une activité qui les faisait croître et qui leur donnait de l’autorité.
Or trop souvent encore, l’autorité est confondue avec la discipline. Il faut passer au 21e siècle, reconstruire le désir, car il n’y a pas de transmission et d’éducation sans désir. J’aime cette phrase très juste qui dit que « nos enfants sont nos racines ». La mission de l’école devrait être d’élargir la parole, d’élargir le champ langagier, car avec les mots, les idées viennent, donc l’inconnu arrive. Ce n’est pas suffisamment le projet de l’école d’aujourd’hui.
Après les révolutions de l’écriture puis de l’imprimerie, nous vivons une troisième révolution : celle du numérique. Pour la première fois, l’enfant en sait parfois plus que l’adulte. Un grand-père va apprendre de son gamin de cinq ans comment utiliser ces outils techniques. Je suis 100 % d’accord pour que l’on fasse entrer les tablettes numériques à l’école, à condition que cela s’accompagne d’une « pharmacologie », dans le sens où quelque chose peut être à la fois un soin et un poison. Le rapport de transmission est totalement basculé, les outils changent, et l’école est au cœur de ça, car l’élévation de l’enfant part de l’école… Alors, oui, il faut radicalement transformer l’école pour s’adapter à ces nouvelles réalités. Je reste optimiste, je trouve cette époque formidable et très intéressante. Mais comme le disait Tocqueville « quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres ». Je tente — comme le colibri de la fable — d’y prendre ma part.
Olivier Van Caemerbèke
http://www.vousnousils.fr/2015/09/25/robin-renucci-ouvrir-lecole-aux-disciplines-artistiques-est-une-necessite-575914