Un article du journal “La croix”
En Turquie, l’écrivaine Asli Erdogan est résolument captive
Par Alice Colmart, le 07/09/2016 à 13h10
Depuis le 17 août, la célèbre écrivaine Asli Erdogan est incarcérée par le gouvernement turc. Malgré les mobilisations en faveur de sa libération, le gouvernement ne cède pas pour des raisons stratégiques, selon l’économiste et politologue Ahmet Insel.
Autant le préciser tout de suite : Asli Erdogan n’a aucun lien de parenté avec le président turc Recep Tayyip Erdogan. Alors que les purges des universitaires, auteurs et autres journalistes se sont renforcées depuis la tentative de coup d’État militaire du 15 juillet dernier, cette célèbre romancière n’a pas échappé à la règle. Accusée d’« appartenance à une organisation terroriste », elle a été interpellée dans la nuit du 16 au 17 août à son domicile pour avoir défendu la minorité kurde.
Alors chroniqueuse pour le journal de l’opposition « Özgür Gündem », Asli Erdogan avait dénoncé les exactions faites par les forces turques à l’égard des Kurdes dans le sud-est du pays. Le 9 août, elle avait aussi publié sur son blog une « lettre grave et nécessaire », dans laquelle elle déclarait ses peurs concernant la politique actuelle et les libertés.
Des universitaires, journalistes, et auteurs traqués
Asli Erdogan fait partie de cette génération d’intellectuels issue des années 1980 qui militent pour les droits de l’homme et notamment pour la cause kurde. « Il s’avère que la répression des Kurdes était un sujet central à cette période. Le conflit armé entre le PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) et les forces turques venait de débuter », explique Ahmet Insel, économiste et politologue à l’université de Galatazaray, en Turquie. Comme la plupart des intellectuels, juristes et linguistes qui contribuaient pour le quotidien d’opposition, Asli Erdogan « ne cautionnait en aucun cas les actes de violences perpétrés par le PKK mais défendait le droit des Kurdes à l’enseignement, ou à la création d’un parti politique légal », indique le politologue.
Récompensée par de nombreux prix littéraires, l’auteure mène bien d’autres combats comme celui de la reconnaissance du génocide arménien pour lequel elle a publiquement pris position. Autre cheval de bataille, la condition des femmes. Elle a médiatisé plusieurs affaires de viol commis sur des filles kurdes par la police turque. Par ailleurs, on lui doit l’organisation d’une marche des écrivains à la frontière turco-syrienne, en 2014 lors du siège de Kobané par les forces de l’État islamique.
Une arrestation non loin d’être un hasard
À travers l’arrestation de cette forte personnalité, le gouvernement souhaite « avertir le peuple et notamment les intellectuels de ne pas soutenir le mouvement kurde et de rester en dehors des affaires politiques », selon Ahmet Insel. Coïncidence ou non, l’arrestation s’inscrit également dans un contexte politique particulier et serait stratégique pour le pouvoir en place : « Le parti de gauche pro-kurde (HDP) est visé par une série de poursuites pénales et est susceptible d’être exclu du parlement. Dans ce contexte, l’arrestation favoriserait l’encerclement et l’isolement du HDP », explique Ahmet Insel.
De son côté, le monde littéraire turc n’a pas dit son dernier mot. La mobilisation s’accroît de jour en jour. Tandis que les journaux d’opposition ne cessent de publier les textes de l’auteure, des écrivains se succèdent devant la prison « Barkirköy » dans laquelle elle est confinée.
Sur le Web, le site change.org a lancé une pétition internationale, signée par plus de 30 000 personnes, parmi lesquelles des figures de l’édition française comme le patron de Hachette Arnaud Nourry et plusieurs écrivains : Boualem Sansal, Olivier Rolin… Si ces actions « marquent la force du peuple » et « ne sont pas inutiles », le politologue craint toutefois que la libération ne soit pas immédiate : « Les juges veulent garder les personnes jusqu’à ce qu’elles soient déférées devant les tribunaux », précise-t-il. Un sentiment qui semble se vérifier puisque la demande de libération immédiate déposée par les avocats d’Asli Erdogan, a été rejetée lundi 5 septembre
En Turquie, l’écrivaine Asli Erdogan est résolument captive
Par Alice Colmart, le 07/09/2016 à 13h10
Depuis le 17 août, la célèbre écrivaine Asli Erdogan est incarcérée par le gouvernement turc. Malgré les mobilisations en faveur de sa libération, le gouvernement ne cède pas pour des raisons stratégiques, selon l’économiste et politologue Ahmet Insel.
Autant le préciser tout de suite : Asli Erdogan n’a aucun lien de parenté avec le président turc Recep Tayyip Erdogan. Alors que les purges des universitaires, auteurs et autres journalistes se sont renforcées depuis la tentative de coup d’État militaire du 15 juillet dernier, cette célèbre romancière n’a pas échappé à la règle. Accusée d’« appartenance à une organisation terroriste », elle a été interpellée dans la nuit du 16 au 17 août à son domicile pour avoir défendu la minorité kurde.
Alors chroniqueuse pour le journal de l’opposition « Özgür Gündem », Asli Erdogan avait dénoncé les exactions faites par les forces turques à l’égard des Kurdes dans le sud-est du pays. Le 9 août, elle avait aussi publié sur son blog une « lettre grave et nécessaire », dans laquelle elle déclarait ses peurs concernant la politique actuelle et les libertés.
Des universitaires, journalistes, et auteurs traqués
Asli Erdogan fait partie de cette génération d’intellectuels issue des années 1980 qui militent pour les droits de l’homme et notamment pour la cause kurde. « Il s’avère que la répression des Kurdes était un sujet central à cette période. Le conflit armé entre le PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) et les forces turques venait de débuter », explique Ahmet Insel, économiste et politologue à l’université de Galatazaray, en Turquie. Comme la plupart des intellectuels, juristes et linguistes qui contribuaient pour le quotidien d’opposition, Asli Erdogan « ne cautionnait en aucun cas les actes de violences perpétrés par le PKK mais défendait le droit des Kurdes à l’enseignement, ou à la création d’un parti politique légal », indique le politologue.
Récompensée par de nombreux prix littéraires, l’auteure mène bien d’autres combats comme celui de la reconnaissance du génocide arménien pour lequel elle a publiquement pris position. Autre cheval de bataille, la condition des femmes. Elle a médiatisé plusieurs affaires de viol commis sur des filles kurdes par la police turque. Par ailleurs, on lui doit l’organisation d’une marche des écrivains à la frontière turco-syrienne, en 2014 lors du siège de Kobané par les forces de l’État islamique.
Une arrestation non loin d’être un hasard
À travers l’arrestation de cette forte personnalité, le gouvernement souhaite « avertir le peuple et notamment les intellectuels de ne pas soutenir le mouvement kurde et de rester en dehors des affaires politiques », selon Ahmet Insel. Coïncidence ou non, l’arrestation s’inscrit également dans un contexte politique particulier et serait stratégique pour le pouvoir en place : « Le parti de gauche pro-kurde (HDP) est visé par une série de poursuites pénales et est susceptible d’être exclu du parlement. Dans ce contexte, l’arrestation favoriserait l’encerclement et l’isolement du HDP », explique Ahmet Insel.
De son côté, le monde littéraire turc n’a pas dit son dernier mot. La mobilisation s’accroît de jour en jour. Tandis que les journaux d’opposition ne cessent de publier les textes de l’auteure, des écrivains se succèdent devant la prison « Barkirköy » dans laquelle elle est confinée.
Sur le Web, le site change.org a lancé une pétition internationale, signée par plus de 30 000 personnes, parmi lesquelles des figures de l’édition française comme le patron de Hachette Arnaud Nourry et plusieurs écrivains : Boualem Sansal, Olivier Rolin… Si ces actions « marquent la force du peuple » et « ne sont pas inutiles », le politologue craint toutefois que la libération ne soit pas immédiate : « Les juges veulent garder les personnes jusqu’à ce qu’elles soient déférées devant les tribunaux », précise-t-il. Un sentiment qui semble se vérifier puisque la demande de libération immédiate déposée par les avocats d’Asli Erdogan, a été rejetée lundi 5 septembre