par bye Lun 2 Juin - 23:25
Je viens de lire un excellent livre " overdose d'info " de Michel Lejoyeux, paru en 2006, et qui complète les réflexions déjà émises sur ce sujet.
En effet, les news se suivent et semblent obéir à la loi des séries: attentats, crashs aériens, cyclones et autres tremblements de terre..Les gros titres des quotidiens et des journaux télévisés nous plongent dans l'angoisse. Une angoisse sans cesse éveillée - on se souvient des images du 11 septembre diffusées en boucle sur nos écrans - qui mène facilement à la névrose: hypocondrie médiatique, boulimies d'informations, compulsions..Les actualités tournent à l'obsession.
Spécialiste de l'addiction, le professeur Michel Lejoyeux nous aide à comprendre les mécanismes pervers de notre rapport à l'information et nous donne des pistes pour sortir de l'angoisse et de la dépendance.
Quelques extraits du livre:" Professeur à l'université de Floride, John Sommerville était un historien bien tranquille jusqu'à ce que lui apparaissent comme une évidence les dangers de la surinformation et ses causes économiques secrètes. En 1999, il a commencé à dénoncer la manière dont les news nous rendent fous. Après avoir étudié l'histoire de la presse en Angleterre, John Sommerville a voulu mettre en garde ses contemporains. Il a été frappé par les dangers que le journal de 20 heures ( le six o'clocks news des américains ) fait courir à notre tranquillité. Dans un pamphlet peu connu en France, il a montré que "l'asservissement médiatique" était avant tout une bonne affaire pour les nouveaux diffuseurs d'actualité. Son postulat de base est économique. Les pourvoyeurs de news doivent nous rendre fous pour nous transformer en clients réguliers. Ainsi, ils peuvent nous vendre leur dose de terreur quotidienne, mais aussi leurs services et leurs publicités. L'industrialisation de l'information déclenche, à en croire John Sommerville, un processus de décérébration collective. Le sous-titre de son livre ne laisse pas de doute sur son propos : " la mort de la sagesse dans une société de l'information".
Pourquoi et comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi nous terrorise-t-on pour que nous restions informés en permanence ? Ce jeu avec la peur est nouveau. Il tien à la manière moderne que nous avons de consommer les news.Les informations sont devenues quotidiennes, et même pluriquotidiennes, pour notre plus grand malheur. Le journal de 20 heures est consultable en ligne pluqieurs fois par jour. Quoi qu'il arrive dans le monde, une dose d'actualité doit être produite chaque jour, vendue et consommée. Dans la logique du marché de l'actualité, une journée sans nouvelles ne peut pas exister. Difficile d'imaginer, nous dit John Sommerville, le présentateur du journal de 20 heures annoncer tranquillement : " Aucune information importante pour aujourd'hui, je ne retiens pas plus longtemps votre attention. Je referme ce journal pour ne pas vous faire perdre votre temps." Feriez-vous confiance à un présentateur du 20 heures qui vous offrirait du Mozart et quelques toiles de Cézanne plutôt que de gaspiller votre temps avec des informations déjà connues et d'autres qui ne valent pas la peine d'être annoncées?
Toute la mise en scène de l'actualité est faite pour éviter le cauchemar économique de l'absence de changement. Les amateurs de sport n'échappent pas à la pression de l'actualité menaçante. les matches s'enchaînent selon une logique de production maximale d'information nouvelle, de suspense et de coups de théâtre. Quitte à mettre en péril la santé des joueurs et les nerfs des supporters, les fédérations multiplient les compétitions pour conserver le lien de dépendance entre le spectateur et son spectacle préféré.Dans une logique qui tient plus du développement indistriel que du sport,les coupes d'Europe et les championnats nationaux créent autour du client de cette actualité sportive un filet de nouvelles et de matchs exceptionnels dont il ne doit pas pouvoir s'échapper. les images de détresse sont les plus attirantes. Un joueur qui manque les cages , une bagarre ou une erreur d'arbitrage créent des situations savoureuses. Un bon entraîneur doit faire suffisamment de colères dans l'année pour alimenter les commentaires. S'il peut se lever de son banc et menacer l'arbitre , un dossier spécial sera proposé sur la crise de l'esprit sportif. Il faut donc, en plus des matches eux-mêmes, dse bagarres, des démissions, des chutes dans le classement, des scandales financiers, des joueurs trop ou trop peu payés et des entraîneurs limogés pour sue le sport garde sa fonction cathartique.
Dans bien d'autres domaines de l'actualité, les évènements sont annoncés ou créés dans le dessein d'entretenir des news quotidiennes suffisamment stressantes pour que nous les suivions chaque jour. Les cotes de popularité des hommes politiques ou des personnages publics qui fluctuent , créent des micoévènements à commenter avec ardeur. Chaque mouvement de l'opinion peut alimenter un flash d'actualité. La détresse de celui qui est moins aimé des électeurs ou de ses pairs fournit des séquences d'émotion alimentant le besoin d'être surinformé. Les rivalités personnelles, les petites phrases attirent vers la politique ceux que les grandes idées laissent de marbre. Les chiffres de l'insécurité et ceux de la délinquance ou de l'économie varient eux aussi. Leurs mouvements justifient des commentaires inquiétants; des dossiers et des éditions spéciales. En fabriquant des nouveautés ou des news artificielles, l'information satisfait sa logique industrielle. elle crée chez le spectateur pétrifié un beoin, un manque ou une attente qu'elle s'emploie ensuite à satisfaire. C'est ainsi que les nouvelles deviennent un bien de consommation dont nous ne pouvons pas plus nous passer que d'un nouveau modèle de voiture. Nous avons appris la leçon de la surconsommation médiatique et nous avons fini par croire vraiment que notre identité de citoyen moderne vient de notre capacité à recevoir en temps réel les actualités les plus diverses.
Il ne suffit pas de nous rendre gourmands. Il faut aussi nous rendre insatiables. Comment installer durablement une relation de dépendance à l'actualité ? En augmentant le nombre de médias et en accélérant le rythme des nouvelles, répond John Sommerville. Le tempo des news s'est en effet accéléré avec la multiplication des sources d'information. La radio doit annoncer un nouveau changement dans l'état de la nation ou du monde à chaque heure, et internet à chaque minute. La multiplication des flash, censée aiguiser notre besoin d'actualité, se fait aux dépens de la précision de l'information. Il n'est plus nécessaire de vérifier une nouvelle avant de la répercuter. Un chef d'Etat est donné comme mort par un de ses proches ? Personne n'hésitera à annoncer le décès, quitte à ressussiter le moribond à l'occasion du flash suivant.
Rappelons-nous, dit encore John Sommerville, que la principale raison pour laquelle les informations sont quotidiennes, est économique. Les journaux et la télévision sont une industrie qui doit travailler tous les jours. Si les journaux attendaient un évènement important, ils ne seraient pas quotidiens.../...
Résister aux images continues de l'actualité
Les faux choix nés de l'abondance des images sont destinés à nous passionner de manière superficielle et à entraîner notre adhésion aux grandes causes du moment plutôt qu'à nous éclairer vraiment ou à nous faire réfléchir. Cette mobilisation, pourtant, masque notre indifférence. Il faut repérer à quel point la surinformation porte en elle un message conservateur caché sous une fausse compassion. Le spectacle de l'information en continu porte sur des évènemenst montés en épingle de manière successive. A force de revoir les mêmes images, nous nous y habituons et les décriptons comme des messages irréels. L'information permanente construit donc un présent qui veut oublier le passé et qui ne donne plus impression de croire à un avenir. Cette construction d'un présent immobile, qui est chaque jour ni tout à fait un autre ni tout à fait le même, est obtenue par l'incessant passage circulaire de l'information. celle-ci revient à tout instant sur une liste très limitée de mêmes évènements annoncés passionnément comme d'importantes nouvelles. dans le même temps, ne passent que rarement et brièvement les nouvelles effectivement importantes et inédites. Elles pourraient nous réveiller, nous faire sortir de la passivité et nous conduire à abandonner notre rôle de spectateur. C'est pour cela que les pourvoyeurs d'actualités n'en abusent pas! mais il est bien difficile de distinguer, sous le feu de l'actualité immédiate, la nouvelle importante de l'anecdote. Seul le temps qui passe, fait la différence entre le fait divers et l'histoire. Sortir du flux de ces images est un autre moyen de s'éloigner de l'angoisse."