L'ELECTION RUSSE
L'issue des élections russes, qui ont porté Dmitri Medvedev à la présidence, était connue d'avance. Mais des observatoires internationaux contestent le scrutin. Qu'en est-il réellement ? Dans le cas d'élections non démocratiques, comment comprendre que les pays occidentaux félicitent si rapidement le nouveau président ?
- La plus grande fraude dans cette élection a été l'absence de véritables autres candidats, empêchés de se présenter, et surtout, la mobilisation totalement unilatérale des chaînes de télévision en faveur de Dmitri Medvedev. Il est hautement vraisemblable que, en beaucoup de points du pays, les autorités locales aient poussé par tous les moyens imaginables le taux de participation. Mais sur le fond, il ne faut pas oublier que Vladimir Poutine est extrêmement populaire et que l'homme qu'il avait demandé aux Russes d'élire pour lui succéder ne pouvait, fraudes ou pas, que recueillir une majorité.
Sur la réaction des pays occidentaux, autant il était choquant que Nicolas Sarkozy ait cru devoir féliciter Vladimir Poutine en novembre pour le résultat des élections parlementaires, autant il est normal que les chefs d'Etat étrangers félicitent le nouveau président. Cela relève des usages diplomatiques et les pays européens ont de surcroit tout intérêt à nouer de bonnes relations avec Medvedev. L'intérêt économique et politique du contient Europe requiert en effet un modus vivendi et, si possible, une bonne entente entre l'Union Européenne et la fédération de Russie.
Dmitri Medvedev, nouveau président de la Russie. Qui est ce nouvel homme, que l'on présente comme plus libéral et plus pro-occidental que Poutine ? Bénéficiera-t-il de la même assise populaire que son prédécesseur ?
- On sait peu de choses de Medvedev, qui s'est toujours attaché à peu se dévoiler. Ce fut certainement une clé de sa réussite, mais deux choses semblent certaines.
La première est que ce juriste, qui contrairement à Poutine, n'est pas un membre des services secrets, est de tempérament plus débonnaire et conciliateur que son parrain.
La deuxième, est que les cercles dirigeants russes ne sont aucunement monolithiques. Il y a dans ce milieu des dirigistes et des libéraux, des centralisateurs et des décentralisateurs, des personnes autoritaires et d'autres plus attachées à un minimum de respect des libertés économiques, politiques et individuelles.
Les courants les plus libéraux et les moins autoritaires dans cette oligarchie ont très clairement misé sur Medvedev et les infléchissements qu'il pourrait apporter à l'actuelle brutalité du régime. Ces gens considèrent que la Russie doit aujourd'hui, pour se développer et rattraper son retard sur les pays riches comme sur les pays émergents, instaurer un minimum d'Etat de droit, indispensable à une mobilisation nationale et à la confiance des investisseurs.
Il n'est pas certain que le nouveau président sache être à la hauteur de ces espoirs, mais cette possibilité existe.
Par ailleurs, Poutine, quand il est apparu sur le devant de la scène, était lui aussi totalement inconnu des Russes. Ce sont les télévisions et la hausse du niveau de vie permises par les revenus pétroliers qui ont fait sa popularité. Ces revenus ne vont pas baisser, les télévisions soutiendront le nouveau président s'il sait s'affirmer. Medvedev a donc des cartes en main.
Justement, un pouvoir à deux têtes est-il possible en Russie ? Le président Medvedev va-t-il essayer de faire cavalier seul, ou le système Poutine, totalement verrouillé, ne lui laisse-t-il aucune marge de manœuvre ?
- C'est toute la question. Personne ne peut prétendre connaître la réponse. Poutine fera tout ce qu'il pourra pour conserver, comme Premier ministre, l'essentiel du pouvoir. Mais il est frappant que Medvedev ait tenu à rappeler avant l'élection, que le régime russe était un régime présidentiel, qu'il ne pouvait y avoir plusieurs centres de pouvoir dans son pays. Frappant aussi qu'il ait précisé, au soir des résultats, que la politique étrangère relèverait de sa responsabilité. Pour la suite… tout reste à voir.
Interview de Bernard Guetta par Sibylle Laurent
(le lundi 3 mars 2008)
(le lundi 3 mars 2008)
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