Propos recueillis par Anne-Sophie Hojlo et François Sionneau
- Thierry Lévy , avocat au barreau de Paris, ancien président de l'Observatoire International des Prisons (OIP)
Les politiques ne peuvent plus avoir réellement une influence directe sur le travail des juges, mais, en revanche, peuvent manipuler l'opinion pour faire voter une loi, ce qui est très dangereux. Surtout quand ils diffusent des informations fausses : Rachida Dati avait prétendu, pour illustrer la nécessité d'une loi sur la rétention de sûreté, qu'un détenu, condamné dans une affaire d'agression sexuelle, avait déclaré qu'il récidiverait dès sa sortie. C'est un mensonge : il n'a jamais tenu de tels propos, est sorti, et n'a pas récidivé.
Mais on remarque que les hommes politiques tiennent un double discours – qu'ils soient de droite ou de gauche, d'ailleurs – tantôt ils se répandent en commentaires sur certaines affaires, tantôt ils préfèrent dire, quand cela les arrange : 'Laissons faire la justice'."
- Gilbert Collard , avocat au barreau de Marseille
Or les hommes politiques parlent des affaires parce qu'il y a un pouvoir médiatique, et profitent de ce pouvoir pour influencer l'opinion. Il est facile de tout mettre sur le dos des politiques : si leurs propos sont répercutés, c'est qu'il y a des journalistes pour le faire. La justice, déjà protégée de l'influence politique, doit également l'être de l'influence médiatique. Certains journalistes sont aux ordres de Nicolas Sarkozy, d'autres à ceux de François Hollande, ou d'intérêts du capital… Ce n'est pas normal qu'ils n'aient de comptes à rendre à personne, parce qu'il n'y a pas de conseil de l'ordre des journalistes."
- Serge Portelli
Depuis lors, ces commentaires sont devenus quelque chose d'assez régulier. Mais, aujourd'hui, ils ont changé de nature. Tous les grands principes, et la présomption d'innocence notamment, sont en train d'être oubliés par le gouvernement actuel. Nicolas Sarkozy tout particulièrement se saisit d'affaires en cours avant qu'elles soient jugées et va encore plus loin en proposant d'emblée le projet de loi qui est censé apporter une solution au problème posé.
Nicolas Sarkozy manifeste en cela une ignorance des principes fondamentaux du droit assez rare pour un président de la République. Je considère que la plus grave des violations a été effectuée dans l'affaire Dupuy [le double assassinat dans un hôpital psychiatrique à Pau, ndlr] lorsqu'il a déclaré qu'un non-lieu était impossible en la matière. Il s'agit d'une violation flagrante de l'indépendance des juges à qui on dit ce qu'ils doivent faire. Tout ceci est extrêmement paradoxal, car le premier gardien du temple de la magistrature est le président de la République."
- Eric de Montgolfier
- Philippe Bilger
Mais on peut également considérer que les hommes et les femmes politiques ne sont pas nécessairement totalement déconnectés des réactions et des sentiments de la population. Dès lors qu'une procédure fait réfléchir sur un phénomène social, on ne peut pas interdire à un homme politique d'exprimer une opinion, et notamment parce qu'il est un représentant de la collectivité publique.
Ainsi, je n'ai pas été outré lorsque Lionel Jospin en 2001, alors Premier ministre, s'était dit choqué par la libération conditionnelle de Jean-Claude Bonnal dit "le Chinois", comme je n'ai pas été outré par les commentaires de Nicolas Sarkozy lorsqu'il était candidat à l'élection présidentielle sur un certain nombre de libérations conditionnelles. Dans la mesure où un homme politique exprime sa voix avec modération, je crois qu'il faut raison garder. Je pense que les hommes politiques sont assez grands pour savoir s'il convient de se taire ou de s'exprimer. La classe politique a bien intériorisé depuis quelques années qu'elle serait complètement discréditée si elle exprimait sa réprobation sur le cours de certaines procédures. Mais il ne faut pas pour autant faire d'elle une sorte de muet du sérail.
Je ne dénie donc pas le droit à l'émotion pour un homme politique mais je rappelle que ce n'est pas sur cela que l'on peut fonder une politique."
- Jean Gicquel
- Bruno Thouzellier
- Régine Barthélémy
- Hélène Franco
Non seulement ces déclarations se font le plus souvent au mépris de la présomption d'innocence et de la complexité des affaires, mais cela laisse entendre au public que la justice est aux ordres, et qu'il n'y a pas de séparation des pouvoirs. Ce n'est pas comme cela que cela marche, bien sûr, mais cela explique que la confiance dans l'institution judiciaire s'effrite. C'est d'autant plus choquant que cela vient du président de la république, garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, selon l'article 64 de la constitution."
- Lionel Escoffier
Mais la séparation des pouvoirs est un principe qui doit être respecté. Les politiques peuvent commenter : cela ne revient pas à donner des instructions au parquet – même si la frontière peut être mince. La Constitution prévoit que la justice est indépendante, et les magistrats ne statuent pas en fonction des commentaires distillés par les politiques. Séparation des pouvoirs et liberté d'expression doivent cohabiter. La justice se fiche de l'opinion, elle est là pour appliquer la loi."