"Michèle Alliot-Marie cherche à faire un exemple à t ravers Julien"
"Michèle Alliot-Marie cherche à faire un exemple à travers Julien"
Gérard Coupat estime, dans une interview à nouvelobs.com, que le maintien
en détention provisoire de son fils, Julien Coupat, soupçonné d'avoir
participé aux sabotages des lignes de TGV, procède d'une volonté politique
visant à tuer dans l'oeuf toute révolte de la jeunesse contre le
"totalitarisme mou qui tente de s’installer en France".
Vendredi, la cour d'appel de Paris a infirmé la demande d’un juge des
libertés et de la détention de libération de Julien Coupat, en décidant
son maintien en détention, dans le cadre de l’enquête sur les sabotages de
plusieurs lignes de TGV commis en novembre. Avez-vous pu voir votre fils
après l'audience ?
- Ma femme avait pris un parloir au cas où Julien ne serait pas libéré.
Elle l'a vu pendant une demi-heure. Il était effondré après ce qu'il
venait de vivre. Effondré d'avoir subi cinq fouilles à nu entre la prison
de la Santé et le Palais de justice, en moins de deux heures. Quand il a
voulu aller uriner avant l'audience, les policiers ont de nouveau procédé
à des vérifications, il a dû enlever ses lacets, et y est allé sous leur
étroite surveillance. Ce n'est qu’une fois mis dans cet état d'humiliation
que l’audience a commencé. Il y a de quoi se demander si la détention
préventive n'a pas pour but unique de casser les personnes. Ensuite, il
s'est retrouvé face à trois magistrats en vacation qui ne connaissaient
pas bien l'affaire, sachant que le dossier de Julien compte 5 tomes et
qu'ils avaient 17 ou 18 affaires à traiter en moins de 8 heures. D'emblée,
les magistrats se sont montrés agressifs, l'accusant de mal se tenir et le
traitant d'"Essec égaré". Julien les a sentis hostiles. Il sentait que ces
magistrats n'avaient pas envie de contrecarrer la volonté du parquet et du
ministère de l’Intérieur.
Comment expliquez-vous son maintien en détention ?
- A partir du moment où le parquet, qui est le représentant du pouvoir
politique, a utilisé une procédure exceptionnelle – le référé rétention
infirmant ce que le juge des libertés, indépendant du pouvoir politique,
avait décidé, à savoir la remise en liberté immédiate –, on se doutait que
personne, surtout pendant les vacances où les décisions sont prises par
des juges vacataires, n'allait aller à l’encontre de l'avis du parquet.
Résultat, comme l'avocat de Julien va probablement déposer une nouvelle
demande de remise en liberté mi-janvier, il faudra encore 15 jours pour
qu'elle soit étudiée, cela signifie que Julien en reprend pour un mois
minimum, alors que rien ne justifie sa détention. Depuis le début de cette
affaire, on se trouve face à une justice manipulée directement par le
ministère de l’Intérieur ou indirectement par le parquet; ce qui revient
au même.
Pouvez-vous le voir souvent ? Parvenez-vous à échanger tous les deux ?
- On a le droit à une visite de 40 minutes environ trois fois par semaine,
sachant qu’on est sous stricte surveillance pendant les entretiens, vu que
Julien est considéré comme "un terroriste dangereux". Les conditions de
détention sont difficiles. Le père d'Yldune (la compagne de Julien,
également gardée en détention, ndlr), raconte qu'elle est réveillée toutes
les deux heures, soi-disant pour qu'elle ne se suicide pas. Quand je vois
Julien au parloir, je passe mon temps à lui dire qu'il faut qu'il tienne
bon, qu'il prenne de la distance. Même s'il a des gros coups de barre,
comme vendredi, il reste solide face aux pratiques policières visant à
l’humilier.
Vous êtes persuadé de son innocence. Pourquoi ?
- Je suis convaincu que Julien n'a rien à voir avec le terrorisme. Il est
en désaccord, comme beaucoup de gens, avec une politique qui instaure une
surveillance et une répression accrues des individus au nom du "tout
sécuritaire", qui est le nouveau credo de notre ministre de l’Intérieur.
Les jeunes de Tarnac considèrent que le capitalisme financier et l'hyper
consumérisme actuels détruisent la planète et la solidarité entre les
hommes et entre les peuples. Mais surtout, ce qu'on leur reproche, c'est
d'être des jeunes plutôt instruits, appartenant à la classe moyenne, et
ayant décidé de vivre réellement selon leurs idées. Non seulement ils
contestent notre mode de vie et notre organisation sociale, mais en plus
ils osent mettre les leurs en application : c’est cela qui fait peur à la
police. A Tarnac, sur le plateau des Millevaches, ils essaient avec des
amis de mettre en pratique une nouvelle façon de vivre fondée sur une
vision collective de la société et sur une certaine frugalité. C'est une
expérimentation sociale. Et c'est pour cela que leur collectif a choisi le
plateau des Millevaches, un milieu âpre, pauvre, froid et symbole de
résistance, pour ainsi développer ces liens sociaux tellement
enrichissants.
Que pensez-vous des pièces à charge du dossier ?
- Dès le premier jour, la ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie a
clamé qu'elle avait beaucoup de preuves à charge. Et puis, en quelques
jours, ces preuves sont devenues un faisceau de présomptions, c’est à dire
pas grand chose. Aujourd'hui, son dossier ne tient tellement pas la route
qu'elle est obligée d’extirper des bibliothèques un livre aux auteurs
anonymes. C’est vraiment n’importe quoi. Entre temps, heureusement, trois
jeunes de Tarnac ont été libérés… Il ne reste que Julien et Yldune.
La police a donné aux journalistes un certain nombre d'éléments à charge
pour laisser penser qu'elle avait attrapé un gros poisson. Ces éléments
étaient censés prouver qu'il s'agissait de terroristes. Selon cette
version, Julien serait un "grand terroriste" parce qu'il n'utilise pas de
téléphone portable, parce qu'il est soi-disant caché à Tarnac, parce qu'il
a passé clandestinement la frontière entre le Canada et les Etats-Unis…
C’est grotesque. Mais ce que le ministère de l'Intérieur ne comprend pas,
c'est que tous ces indices ridicules ne sont que des éléments du mode de
vie que les jeunes de Tarnac ont choisi. Julien, pour ne prendre que la
dernière accusation, ne se déplace qu'en stop, afin de prendre le temps de
rencontrer et de comprendre les gens. Quant à se "cacher" à Tarnac, c’est
tout le contraire : le collectif est très intégré au village, c'est grâce
aux enfants du collectif que l'école se perpétue, ils tiennent l'épicerie,
le bar-restaurant, le ciné-club... Je suis allé à Tarnac, et ce que j’ai
vu, c'est beaucoup de travail et beaucoup de discussions. La notion de
chef n'existe pas, le collectif refusant toute structure hiérarchique.
Julien ne peut donc pas être "chef de bande", comme le dit Mme
Alliot-Marie.
On est totalement dans la logique du marketing de la peur et de la
manipulation policière. L'idée géniale mise en avant par le procureur
général, c'est qu'il faut prendre le terrorisme à la base. Il a fait le
parallèle avec la Bande à Baader, mettant en avant le fait que cette fois,
les "terroristes" avaient été pris avant qu’ils ne soient véritablement
des terroristes ! Mais, hélas pour lui, dans le collectif de Julien, il
n’ont pas trouvé l’ombre d’une arme. Et pendant les six mois de filature
et en dépit des dizaines de policiers à leurs trousses, ceux-ci n’ont rien
trouvé de très répréhensible. Quel gâchis d’argent et d’énergie, dépensés
pour rien, ou uniquement pour le cirque médiatico-policier mis en scène
par le ministère de l’Intérieur !
L’enquête de police dit tout de même que Julien et Yldune ont été vus près
de l'une des lignes de TGV qui a été sabotée, le 7 novembre…
- Comme ils étaient suivis depuis six mois, les policiers savaient déjà
tout sur eux. Nous étions tous surveillés, les enfants et les parents.
Pourquoi alors, s'ils disent savoir que Julien était avec Yldune près de
cette voie ferrée, ne sont-ils pas intervenus aussitôt ? Ils disent qu'ils
ont perdu leur trace dans le noir pendant 20 minutes avant de les
retrouver. Or, il est impossible de saboter une caténaire, à deux, pendant
un laps de temps aussi court. Les professionnels sont formels. Et comment
se fait-il qu’en retrouvant leur filature, les policiers n’aient pas
fouillé leur voiture pour trouver des pièces à conviction ? Bizarre…
De plus, ce que la police nomme des actes terroristes sont en réalité des
actes vandalisme. La seule chose sur laquelle ils fondent la procédure
terroriste est le lien qu'ils établissent entre les sabotages sur les
lignes TGV et le livre "L'Insurrection qui vient", dont ils affirment sans
aucune preuve que Julien est l'auteur principal. Dans ce livre, il est
notamment écrit que la révolte peut passer par le blocage des voies de
communication. Or, couper les voies de communication, n'est-ce pas ce que
font régulièrement les cheminots en grève, les pêcheurs ou les camionneurs
? Cela fait un demi-siècle que les mouvements de contestation emploient
cette technique. Et soudain, le ministère de l’Intérieur décide que ces
actes seront dorénavant des actes terroristes. On marche sur la tête…
Depuis le début, une autre histoire est connue des policiers mais n’a pas
été prise en compte. Dès le 9 novembre, soit deux jours avant l’attaque
policière sur Tarnac, les sabotages ont été revendiqués par des
écologistes allemands militant contre le transport des déchets nucléaires.
Ils écrivaient dans leur communiqué qu'ils avaient mis des fers à béton
sur les lignes des TGV allemandes et françaises pour marquer un grand
coup. Or, de ce que je sais, pas un policier n'est allé enquêter de ce
côté là.
Mais pourquoi alors, selon vous, cet acharnement sur Julien ?
- Déjà parce que la ministre de l'Intérieur ne veut pas perdre la face en
libérant une personne qu'elle s’est empressées d’accuser à la légère de
terroriste. En outre, les idées des jeunes de Tarnac dérangent notre
ministre, qui sait qu'il y a un ras-le-bol chez les jeunes de la classe
moyenne qui pourrait s'embraser, comme en Grèce. Je pense que Michèle
Alliot-Marie cherche à faire un exemple à travers Julien et à tester la
capacité des Français à réagir à cette nouvelle agression liberticide. Ce
qu'elle fait ainsi savoir c'est : regardez, si vous osez contester, voilà
ce qu’il vous arrivera. En prenant pour boucs émissaires des jeunes ayant
un casier judiciaire vierge, plutôt instruits, de la classe moyenne, elle
réussit bien son coup en distillant la peur à grande échelle et en prenant
le rôle de la grande déesse protectrice de tous les malheureux… Espérons
que les Français ne se feront pas prendre à cette mise en scène.
Vous êtes ultra présent dans les médias. Dans quel but ?
- A l'inverse de la ministre de l'Intérieur, dont les équipes n'ont pas
respecté le secret de l'instruction en accusant d'emblée le collectif,
nous, les parents des inculpés, nous avions décidé d'attendre la fin des
96 heures de garde à vue avant de parler à la presse. Nous voulions
respecter la loi républicaine. Mais après toutes ces déclarations qui
faisaient de nos enfants des coupables – car d'emblée le ministère de
l’Intérieur a considéré qu'ils étaient coupables –, imaginez le travail
qu'on a dû faire pour réparer cette image mensongère, qui, de plus, ne
respecte pas la présomption d'innocence ! Imaginez comme c'est difficile
de faire en sorte que les gens changent de point de vue quand, dès les
premiers jours, Mme Alliot-Marie s’est efforcée de convaincre les Français
qu'elle les a sauvés d'actes terroristes, dans un contexte de peur
généralisée ! Par notre travail, les journalistes, en allant à Tarnac, se
sont rendus compte ensuite par eux-mêmes qu'ils avaient été manipulés,
voire bernés.
Vous mêlez, au combat du père qui veut sauver son fils, celui du citoyen
qui s'insurge contre les pratiques politiques actuelles… Pourquoi ce
deuxième engagement ?
- Mon premier objectif, c'est, en tant que père, qu'Yldune et Julien
sortent de prison le plus vite possible. Car le but de la prison
préventive, je le répète, dans ce cas, c'est de les casser. Plus courte
sera cette période de détention, mieux ce sera pour nos enfants, qui
risquent d'en sortir détruits. Nous sommes plutôt pessimistes, car nous
voyons bien que Michèle Alliot-Marie et sa police politique mettront le
paquet pour s’opposer à leur libération. Il faut savoir que lorsque les
magistrats vont ordonner une enquête, c'est cette même police qui va s'en
charger. On va donc se retrouver immanquablement confronté au ministère de
l’Intérieur, et cela peut durer des années. Je pense qu'ils vont tout
faire pour que cela prenne du temps. La justice est instrumentalisée par
les policiers, c’en est le parfait exemple. Mais je me battrai tant que
Julien ne sera pas blanchi de cette infamie et que les pratiques
policières et du ministère de l’Intérieur ne seront pas remises en
question.
Mon deuxième but, c'est de montrer à tous ce que je viens de découvrir :
que ces lois, qui sont des lois d'exception faites pour al-Qaida et
consorts, sont utilisées pour des personnes qui ne font que contester une
politique, un mode de société. J'ai découvert la scandaleuse complicité
entre la justice et le ministère de l'Intérieur, une complicité plus
proche d'une république bananière que d'une démocratie en bonne et due
forme. Ce que je veux dire c'est, d'une part, qu'il doit y avoir respect
de la constitution française, donc présomption d'innocence et non
présomption de culpabilité, et, d'autre part, qu'il doit y avoir respect
des droits de l'Homme, donc que la prison doit demeurer un fait
extrêmement exceptionnel.
Moi qui n'avais pas de forte démarche politique dans ma vie, qui votait
tantôt à droite, tantôt à gauche, en fonction des personnalités
politiques, qui avais été myope, un peu lâche, je sais désormais ce que je
vais faire du reste de ma vie. Je vais m'engager contre ces lois
liberticides : ce sont nous, les hommes et les femmes de 40 à 60 ans, qui
avons laissé les gens au pouvoir mettre en place ces lois scélérates ;
c’est à nous, avec l’aide des jeunes, de les faire sauter car elles sont
contraires à l’esprit de la démocratie française.
Et puis, je vais mettre toute mon énergie pour que Tarnac continue à
vivre, car c’est pour moi un symbole merveilleux de résistance au
totalitarisme mou qui tente de s’installer en France. Merci au peuple de
Tarnac de nous avoir réveillés.
Interview de Gérard Coupat par Sarah Halifa-Legrand
(Mardi 30 décembre 2008)
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/opinions/20081230.OBS7792/michele_alliotmarie_cherche_a_faire_un_exemple_a_traver.html