BIDONVILLES SUR GARONNE |
LIBERATION 24/03/2009
Bidonvilles sur Garonne
ROMS - Dans la grande cours, à l’arrière des bâtiments tagués, une
gouttière donne un filet crachotant qui sert de point d’eau. A quelques pas, ils ont installé un poulailler. Et à l’intérieur dans le dédale des anciens bureaux
borgnes et murés, les hommes ont bricolé des poêles à bois avec de vieux bidons en acier. Elles sont vingt familles à vivre ici. Près de 80 personnes installées dans ce squat de l’avenue Thiers, à Bordeaux, sur la zone de fret de la SNCF, dans des locaux désaffectés transformés en dortoirs sans douches ni toilettes.
Il y a des vieux, beaucoup d’enfants. Certains sont malades. Tous sont Roms, originaires de Bulgarie, de plus en plus nombreux à rejoindre l’agglomération, dans des conditions de misère qui ne suscitent que l’indifférence.
Une fois par semaine, Médecin du Monde vient à leur rencontre et sillonne les sept squats qui jalonnent la CUB. Leur population est estimée à environ 500 personnes. 700, selon les estimations les plus hautes. La progression est constante : les chiffres auraient doublé ces trois dernières années. Sur la dalle de béton, les femmes cuisinent et lavent le linge. Elles accueillent l’équipe de soignants avec bonne humeur et l’entraînent immédiatement dans les couloirs sombres du bâtiment. Assise sur une chaise derrière une vague tenture, Marinova tend le bras pour se faire prendre la tension. Elle ne se souvient plus de son âge, mais semble flirter avec la soixantaine. Elle est diabétique, et ne prend plus d’insuline depuis des semaines. Le médecin tente de la persuader d’aller faire une prise de sang. Pas sûr qu’il l’ait convaincue. Ici, les pathologies sont multiples : il y a des épileptiques, de grands cardiaques,
des suspicions de saturnisme pour un enfant de deux ans, et une multitude des femmes enceintes peu ou pas suivies du tout.
Le docteur Christophe Adam sait qu’il ne peut pas faire grand chose. Les Roms ont peur de la police. Ils hésitent à fréquenter les centres de soins.
«C’est un problème politique, souligne le médecin. Mais la vraie question, c’est : est-ce qu’on développe un projet spécifique pour cette population en matière d’accès à l’éducation et à la santé. Ou bien est-ce qu’on décide qu’on les laisse à la marge ?». Pour l’heure, la réponse des autorités a surtout consisté
en des expulsions massives, dont les observateurs estiment qu’elles
représenteraient jusqu’à 50% des chiffres de reconduite à la frontière, alimentant ainsi des filières d’aller-retour via lesquelles certains feraient jusqu’à trois le trajet dans l’année. Pour le reste, pas grand-chose. Les collectivités se renvoient la balle. La CUB ne s’estime «pas compétente». La mairie de Bordeaux s’affirme «dans l’incapacité de répondre seule à une question comme celle-là». Et le Conseil général ne gère que les
problématiques liées à l’enfance.
C’est donc la préfecture qui fait le grand écart, et qui, magnant le bâton d’une main, a mandaté de l’autre une équipe de maîtrise d’œuvre urbaine et sociale pour tenter d’envisager une gestion globale du problème. Enfin une première initiative. Elle devrait au moins permettre d’établir un diagnostique précis des difficultés rencontrées par les Roms. Et il y a urgence. Avec les années, la situation s’aggrave. Outre le travail au noir, la mendicité, les
conditions d’hygiène dramatiques, Claude Hamonic, directeur du service social au département pointe également «des pratiques de prostitution dans les deux sexes chez les jeunes ado». Face à un dénuement aussi criant, l’assistanat ponctuel est plus que jamais insuffisant. Et c’est les droits les plus élémentaires de ces personnes, considérées comme des sous catégories sociales dans leur pays, qui, sur les rives de la Garonne, sont également laissés en friches.
Laure Espieu