Nanotechnologies : le symdrome OGM
On a du mal à imaginer que Monsanto signe un jour une lettre ouverte avec
la Confédération Paysanne déplorant le peu de financement accordé, par les
autorités, à l’évaluation scientifique des risques liés aux d’OGM. C’est
pourtant ce qui s’est passé, aux Etats-Unis en matière de
nanotechnologies.
Dans un courrier envoyé en février 2006 à tous les parlementaires
américains, quinze sociétés et ONG (dont Dupont, BASF, le Foresight Nanotech
Institute et l’Union of Concerned Scientists) déploraient qu’aucune ligne
budgétaire spécifique n’ait été allouée à la recherche en matière de risques
sanitaires, environnementaux et de sécurité liés aux nanotechnologies.
En 2006, la National Nanotechnology Initiative (NNI), forte d’une enveloppe
d’un milliard de dollars, ne disposait que de 38,5 millions (moins de 4%) pour
financer de tels programmes de recherches. En 2009, le budget est passé à 76
millions de dollars, portant à 256 millions la somme investie, en quatre
ans.
Le Project on Emerging Nanotechnologies (PEN - Projet sur les
nanotechnologies émergentes, créé par deux fondations américaines afin de
renforcer l’implication du public et de limiter des risques en la matière)
estime pour sa part qu’en 2006 (la dernière année où l’on dispose de données),
seuls 13 millions de dollars, sur les 1,5 milliards de dollars de la NNI,
étaient investis dans ce type de recherches, soit un investissement de l’ordre
de 1%, alors que, pour le PEN, “la majeure partie des experts estiment qu’il
faudrait y consacrer un minimum de 10%“.
La base de données du PEN répertoriant les recherches effectuées sur les
risques potentiels posés par les nanoparticules et les nanotechnologies recense
à ce jour plus de 560 projets de recherche, dans 17 pays. Un chiffre à manier
avec précaution, car on n’est encore qu’au début du travail de caractérisation
des risques, et nombreuses sont les études qui se bornent ainsi à déplorer
l’absence d’études, et de méthodologies, ou à en esquisser les prémices.
Il n'existe aucune méthode permettant d évaluer l'inocuité des
nanomatériaux
Le problème se double du fait que le matériel coûte cher, et que peu
nombreux sont les laboratoires équipés d’outils leur permettant d’effectuer de
telles recherches, généralement cantonnées aux seuls laboratoires
universitaires.
Intervenant récemment sur la Radio Suisse Romande, Jean-François Roche,
responsable de la législation communautaire sur les nouveaux aliments à la
Commission européenne, expliquait ainsi qu’ "actuellement, il faut bien
reconnaître que ça reste très difficile de caractériser la présence de
nanomatériaux dans les aliments, c’est vraiment à l’état de recherche, et ça
demande des moyens assez considérables qui ne sont pas à la portée des
laboratoires d’analyse qui font le contrôle de routine des denrées
alimentaires“.
Le Parlement européen adoptait pour sa part, en mars dernier, une
résolution invitant la Commission à renforcer son contrôle des aliments produits
grâce aux nanotechnologies :
“Tout ingrédient contenu sous la forme d’un nanomatériau doit être
clairement indiqué dans la liste des ingrédients. Le nom de cet ingrédient est
suivi de la mention “nano” entre parenthèses. Les aliments auxquels ont été
appliqués des procédés de production qui nécessitent des méthodes spécifiques
d’évaluation des risques (par exemple les aliments produits au moyen de
nanotechnologies) ne peuvent pas être inscrits sur la liste communautaire aussi
longtemps que l’utilisation de ces méthodes spécifiques n’a pas été approuvée et
qu’une évaluation adéquate de l’innocuité sur la base de ces méthodes n’a pas
prouvé que l’utilisation de chacun des aliments en question est sûre.”
Or, “il n’existe actuellement aucune méthode permettant d’évaluer
l’innocuité des nanomatériaux“, notent les eurodéputés, qui proposent de
développer “de toute urgence des méthodes d’expérimentation spécifiques aux
nanomatériaux et ne recourant pas aux essais sur les animaux“.
Dans une opinion scientifique portant sur les risques potentiels posés par
les nanosciences et les nanotechnologies, rendue publique en février dernier,
l’autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) estime elle aussi que l’on
manque cruellement de méthodologies, et que l’évaluation des effets engendrés
pas les nanoparticules est dès lors sujet à “un très haut degré
d’incertitude“.
Le Conseil et le Parlement européen viennent cela dit d’adopter un
compromis en vue d’un réglement destiné à renforcer les contrôles en matière
d’utilisation de nanomatériaux dans les produits cosmétiques. Ceux-ci devront
clairement être etiquetés, mais aussi soumis à une évaluation de sécurité avant
d’être autorisés sur le marché lorsqu’utilisés dans certains buts précis (comme
colorants, conservateurs ou filtres UV).
Le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc), qui regroupe plus de
quarante organisations européennes, se félicite de ce premier pas, et notamment
du fait que, pour la première fois, il existe une définition juridique des
nanomatériaux. Dans le même temps, le Beuc déplore cela dit que
“malheureusement, elle ne couvre que les nanomatériaux bio-persistants et
insolubles – ce qui revient à dire que tous les produits cosmétiques contenant
tout autre type de nanomatériaux, dont on ne sait pas s’ils sont sûrs ou non
pour les consommateurs, seront mis sur le marché sans aucune évaluation de
sécurité“.
Le Beuc souligne ainsi que “des centaines d’autres utilisations possibles
des nanomatériaux ne seront soumise à aucune évaluation : les fabricants devront
simplement informer la Commission des nanomatériaux utilisés“, et note enfin que
cette règlementation n’entrera en vigueur qu’en 2012, “offrant ainsi aux
fabricants trois ans de plus pour mettre sur le marché de nouveaux produits
cosmétiques contenant des nanomatériaux potentiellement dangereux et non
contrôlés. Cela signifie également que les produits utilisés aujourd’hui par les
consommateurs ne devront pas être soumis à une évaluation…“.
Plus de 800 (nano)produits de grande consommation ont été mis sur le
marché
Car nanotechnologies et nanoparticules ont bel et bien commencé à se
répandre sur le marché, et ne sont plus cantonnées aux seuls laboratoires de
recherche. En 2006, la base de données du PEN des produits commercialisés et
dont la composition contenait des nanoparticules recensait 212 (nano)produits de
consommation (vêtements, articles de sport, produits cosmétiques, crèmes
solaires, produits électroniques et informatiques, d’entretien ou de jardin,
compléments alimentaires). En 2009, le PEN en répertorie plus de 800,
commercialisés par plus de 400 compagnies, dans 21 pays.
Pendant ce temps, que fait le gouvernement ? En application du Grenelle de
l’environnement, il vient de lancer, début mars, un débat nationnal relatifs aux
nanotechnologies visant, entre autres, à évaluer la toxicité sur l’homme et
l’environnement, à élaborer des référentiels et outils pour la détection des
nanoparticules, mais aussi à protéger les salariés impliqués dans les industries
et laboratoires ès-nanotechnologies.
Comme le souligne Dealers de sciences, qui organisait en mars dernier un
débat “Nanotechnologies : quels enjeux pour la santé ?“, et avait pour cela
compilé une très intéressante revue de presse, “comme aucune loi ne peut être
établie sur des suppositions, les instances se chargeant de la question se
contentent donc de simples recommandations“. Or, “ce n’est rien de moins que la
santé de l’Homme qui est ici en jeu, incluant au passage les dizaines de
milliers de scientifiques et autres ouvriers qui travaillent au contact de ces
particules potentiellement mortelles depuis déjà plusieurs années“.
Le Comité de la Prévention et de la Précaution (CPP) notait ainsi, dans un
rapport demandé en 2007 par le ministère de l’écologie, que “les incertitudes
sur le comportement à terme des nanoparticules dans l’environnement, leur
écotoxicité et leur impact sur l’homme sont très grandes, qu’il s’agisse de
l’exposition en milieu de travail, de la dissémination dans l’environnement ou
des usages thérapeutiques“.
L’émission Sur les docks de France Culture se penchait récemment à la
Nano-éthique : faut il avoir peur des nano-technologies? On y apprenait qu’en
France comme ailleurs, les pouvoirs publics sont dépassés : les normes de type
ISO ne verront pas le jour avant 2015, et on ne sait pas dénombrer la variété
des nanomatériaux existants.
Ils ne sont pas inventoriés, ni repérables d’un point de vue sanitaire,
alors qu’on en connaît ni leurs effets toxiques sur la santé humaine, ni leur
cycle de vie dans l’environnement. On sait par contre que les nanoparticules
peuvent passer toutes les barrières du corps, désorienter les cellules, voire
causer des lésions de l’ADN.
L’information n’est pas nouvelle : on sait, depuis 1992, que les nanotubes
de carbone ressemblent aux fibres d’amiante. Mais il a fallu attendre l’an passé
pour que des recherches suggèrent que ces nanotubes pouvaient causer des
maladies similaires à celles qu’entraînent l’exposition à l’amiante et
constituer, selon le Haut consei de la santé publique, qui parle d’un “signe
d’alerte majeur“, un “danger cancérigène potentiel“.
Les recherches portant sur les risques sanitaires et environnementaux
prendront du temps. En attendant, les différents acteurs impliqués rivalisent de
lobbying. Les ONG, comme Greenpeace ou les Amis de la terre, en appellent à un
moratoire, ou, en tout cas, à l’application du principe de précaution, ce que
les industriels voient bien évidemment d’un mauvais oeil (voir, à ce titre, l'
impressionante synthèse du projet de recherche européen FramingNano sur la
“gouvernnance en matière de nanoscience et de nanotechnologies“, et le résumé
des différentes prises de position sur Euractiv).
Car si, comme le réclament les eurodéputés et les ONG, il faut attendre que
l’on dispose de données précises sur l’inocuité des nanoparticules pour pouvoir
les commercialiser, c’est l’ensemble du marché qui fera l’objet d’un moratoire,
de fait.
Les industriels ont peur du syndrome OGM
La bataille devient donc aussi celle de la communication, ce que révèle les
réactions à la publication par TA Swiss, le Centre d’évaluation des choix
technologiques de l’Académie suisse des sciences, d’une étude intitulée “Plus
beaux, plus frais, plus sains“, au sujet des nanoemballages et
nanoadditifs.
L’étude soulignait que “l’utilisation de la nanotechnologie dans les
emballages alimentaires est déjà courante“, et qu’elle permet d’améliorer la
conservation des aliments, et la diminution des déchets. Elle déplorait cela dit
que les dispositions juridiques ne soient pas suffisamment adaptées, et que “la
nécessité d’agir repose sur les fabricants, producteurs et commerçants“. Elle
appelait ces derniers à plus de transparence, afin de “prévenir la méfiance dans
la population“, mais aussi à l’application du principe de précaution.
Dans la newletters qui a suivi, TA Swiss rapportait que la parution de son
étude “a éveillé quelques inquiétudes dans les milieux de l’industrie
alimentaire (qui) craint que les médias ne viennent attiser l’inquiétude du
public” :
“Les nanotechnologies risquent de susciter quelque malentendu politique,
devant être prévenu par une évaluation préalable avant que la polémique s’empare
du sujet. On se souvient des organismes génétiquement modifiés en agriculture
(…)
Le même scénario doit être évité pour les nanotechnologies. L’opinion
publique est de plus en plus sensible aux nouvelles techniques, qui cachent
peut-être des dangers inconnus. Le principe de précaution est alors agité dans
le débat politique qui passe rapidement des commissions parlementaires aux
médias, puis à la population. Plus le débat dure, plus il devient
passionnel.”
Suzanne Brenner, de TA Swiss, souligne que “le groupe a eu beaucoup de mal
à recevoir des informations, parce que les producteurs ont peur que l’on parle
des aspects négatifs des nanos. Ils ont peur du syndrome OGM. Ils ont raison,
mais d’un autre côté les gens veulent savoir. A force d’être prudents, ils ne
communiquent pas, et quand on ne communique pas aujourd’hui, c’est qu’on a
quelque chose à cacher…“
Et comme le souligne Novethic, les entreprises rechignent généralement à
répondre lorsqu’on leur demande si leurs produits contiennent, ou non, des
nanoparticules, au motif que cela relèverait du secret industriel.
Alain Kaufmann, responsable de la plateforme d’échange et de réflexion
transdisciplinaire Nanopublic, qui veut réunir les acteurs concernés par les
nanotechnologies en Suisse, se voulait plus optimiste, dans l’émission de la
Radio Suisse Romande : “ce qui explique l’intensité des débats autour des nanos,
c’est la manière dont la question des OGM a été gérée par les pouvoirs publics
et l’industrie, considérée comme insatisfaisante; le dialogue autour des nanos,
bien plus transparent, on le doit à la controverse autour des OGM“.
En attendant, il est urgent d’en débattre publiquement. Benjamin Caillard,
du Laboratoire d intégration des materiaux et systèmes, rappelait ainsi à Sud
Ouest qu’”avant les problèmes, on nous dit : on ne peut pas savoir si c’est
dangereux, il ne faut pas affoler les gens. Après, on nous dit : c’est trop tard
pour arrêter. À quel moment est-on un citoyen responsable ?“.
La question reste aussi de savoir si ce qui s’est passé (ou plutôt, ce qui
ne s’est pas passé) en matière d’OGM, amènera plus de transparence, et de débats
ou si, a contrario, les industriels seront tentés par une sorte de “principe de
précaution” en matière de communication, afin d’éviter que citoyens et
responsables politiques se mêlent de leurs affaires.
Les illustrations de ce billet sont issues du concours de symboles lancé
par l ETC Group afin de trouver celui qui pourrait permettre d’annoncer la
présence de nanomatériaux.
Par Jean Marc Manach, le 09/04/09
source : http://www.internetactu.net/2009/04/09/nanotechnologies-et-gestion-du-risque/
On a du mal à imaginer que Monsanto signe un jour une lettre ouverte avec
la Confédération Paysanne déplorant le peu de financement accordé, par les
autorités, à l’évaluation scientifique des risques liés aux d’OGM. C’est
pourtant ce qui s’est passé, aux Etats-Unis en matière de
nanotechnologies.
Dans un courrier envoyé en février 2006 à tous les parlementaires
américains, quinze sociétés et ONG (dont Dupont, BASF, le Foresight Nanotech
Institute et l’Union of Concerned Scientists) déploraient qu’aucune ligne
budgétaire spécifique n’ait été allouée à la recherche en matière de risques
sanitaires, environnementaux et de sécurité liés aux nanotechnologies.
En 2006, la National Nanotechnology Initiative (NNI), forte d’une enveloppe
d’un milliard de dollars, ne disposait que de 38,5 millions (moins de 4%) pour
financer de tels programmes de recherches. En 2009, le budget est passé à 76
millions de dollars, portant à 256 millions la somme investie, en quatre
ans.
Le Project on Emerging Nanotechnologies (PEN - Projet sur les
nanotechnologies émergentes, créé par deux fondations américaines afin de
renforcer l’implication du public et de limiter des risques en la matière)
estime pour sa part qu’en 2006 (la dernière année où l’on dispose de données),
seuls 13 millions de dollars, sur les 1,5 milliards de dollars de la NNI,
étaient investis dans ce type de recherches, soit un investissement de l’ordre
de 1%, alors que, pour le PEN, “la majeure partie des experts estiment qu’il
faudrait y consacrer un minimum de 10%“.
La base de données du PEN répertoriant les recherches effectuées sur les
risques potentiels posés par les nanoparticules et les nanotechnologies recense
à ce jour plus de 560 projets de recherche, dans 17 pays. Un chiffre à manier
avec précaution, car on n’est encore qu’au début du travail de caractérisation
des risques, et nombreuses sont les études qui se bornent ainsi à déplorer
l’absence d’études, et de méthodologies, ou à en esquisser les prémices.
Il n'existe aucune méthode permettant d évaluer l'inocuité des
nanomatériaux
Le problème se double du fait que le matériel coûte cher, et que peu
nombreux sont les laboratoires équipés d’outils leur permettant d’effectuer de
telles recherches, généralement cantonnées aux seuls laboratoires
universitaires.
Intervenant récemment sur la Radio Suisse Romande, Jean-François Roche,
responsable de la législation communautaire sur les nouveaux aliments à la
Commission européenne, expliquait ainsi qu’ "actuellement, il faut bien
reconnaître que ça reste très difficile de caractériser la présence de
nanomatériaux dans les aliments, c’est vraiment à l’état de recherche, et ça
demande des moyens assez considérables qui ne sont pas à la portée des
laboratoires d’analyse qui font le contrôle de routine des denrées
alimentaires“.
Le Parlement européen adoptait pour sa part, en mars dernier, une
résolution invitant la Commission à renforcer son contrôle des aliments produits
grâce aux nanotechnologies :
“Tout ingrédient contenu sous la forme d’un nanomatériau doit être
clairement indiqué dans la liste des ingrédients. Le nom de cet ingrédient est
suivi de la mention “nano” entre parenthèses. Les aliments auxquels ont été
appliqués des procédés de production qui nécessitent des méthodes spécifiques
d’évaluation des risques (par exemple les aliments produits au moyen de
nanotechnologies) ne peuvent pas être inscrits sur la liste communautaire aussi
longtemps que l’utilisation de ces méthodes spécifiques n’a pas été approuvée et
qu’une évaluation adéquate de l’innocuité sur la base de ces méthodes n’a pas
prouvé que l’utilisation de chacun des aliments en question est sûre.”
Or, “il n’existe actuellement aucune méthode permettant d’évaluer
l’innocuité des nanomatériaux“, notent les eurodéputés, qui proposent de
développer “de toute urgence des méthodes d’expérimentation spécifiques aux
nanomatériaux et ne recourant pas aux essais sur les animaux“.
Dans une opinion scientifique portant sur les risques potentiels posés par
les nanosciences et les nanotechnologies, rendue publique en février dernier,
l’autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) estime elle aussi que l’on
manque cruellement de méthodologies, et que l’évaluation des effets engendrés
pas les nanoparticules est dès lors sujet à “un très haut degré
d’incertitude“.
Le Conseil et le Parlement européen viennent cela dit d’adopter un
compromis en vue d’un réglement destiné à renforcer les contrôles en matière
d’utilisation de nanomatériaux dans les produits cosmétiques. Ceux-ci devront
clairement être etiquetés, mais aussi soumis à une évaluation de sécurité avant
d’être autorisés sur le marché lorsqu’utilisés dans certains buts précis (comme
colorants, conservateurs ou filtres UV).
Le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc), qui regroupe plus de
quarante organisations européennes, se félicite de ce premier pas, et notamment
du fait que, pour la première fois, il existe une définition juridique des
nanomatériaux. Dans le même temps, le Beuc déplore cela dit que
“malheureusement, elle ne couvre que les nanomatériaux bio-persistants et
insolubles – ce qui revient à dire que tous les produits cosmétiques contenant
tout autre type de nanomatériaux, dont on ne sait pas s’ils sont sûrs ou non
pour les consommateurs, seront mis sur le marché sans aucune évaluation de
sécurité“.
Le Beuc souligne ainsi que “des centaines d’autres utilisations possibles
des nanomatériaux ne seront soumise à aucune évaluation : les fabricants devront
simplement informer la Commission des nanomatériaux utilisés“, et note enfin que
cette règlementation n’entrera en vigueur qu’en 2012, “offrant ainsi aux
fabricants trois ans de plus pour mettre sur le marché de nouveaux produits
cosmétiques contenant des nanomatériaux potentiellement dangereux et non
contrôlés. Cela signifie également que les produits utilisés aujourd’hui par les
consommateurs ne devront pas être soumis à une évaluation…“.
Plus de 800 (nano)produits de grande consommation ont été mis sur le
marché
Car nanotechnologies et nanoparticules ont bel et bien commencé à se
répandre sur le marché, et ne sont plus cantonnées aux seuls laboratoires de
recherche. En 2006, la base de données du PEN des produits commercialisés et
dont la composition contenait des nanoparticules recensait 212 (nano)produits de
consommation (vêtements, articles de sport, produits cosmétiques, crèmes
solaires, produits électroniques et informatiques, d’entretien ou de jardin,
compléments alimentaires). En 2009, le PEN en répertorie plus de 800,
commercialisés par plus de 400 compagnies, dans 21 pays.
Pendant ce temps, que fait le gouvernement ? En application du Grenelle de
l’environnement, il vient de lancer, début mars, un débat nationnal relatifs aux
nanotechnologies visant, entre autres, à évaluer la toxicité sur l’homme et
l’environnement, à élaborer des référentiels et outils pour la détection des
nanoparticules, mais aussi à protéger les salariés impliqués dans les industries
et laboratoires ès-nanotechnologies.
Comme le souligne Dealers de sciences, qui organisait en mars dernier un
débat “Nanotechnologies : quels enjeux pour la santé ?“, et avait pour cela
compilé une très intéressante revue de presse, “comme aucune loi ne peut être
établie sur des suppositions, les instances se chargeant de la question se
contentent donc de simples recommandations“. Or, “ce n’est rien de moins que la
santé de l’Homme qui est ici en jeu, incluant au passage les dizaines de
milliers de scientifiques et autres ouvriers qui travaillent au contact de ces
particules potentiellement mortelles depuis déjà plusieurs années“.
Le Comité de la Prévention et de la Précaution (CPP) notait ainsi, dans un
rapport demandé en 2007 par le ministère de l’écologie, que “les incertitudes
sur le comportement à terme des nanoparticules dans l’environnement, leur
écotoxicité et leur impact sur l’homme sont très grandes, qu’il s’agisse de
l’exposition en milieu de travail, de la dissémination dans l’environnement ou
des usages thérapeutiques“.
L’émission Sur les docks de France Culture se penchait récemment à la
Nano-éthique : faut il avoir peur des nano-technologies? On y apprenait qu’en
France comme ailleurs, les pouvoirs publics sont dépassés : les normes de type
ISO ne verront pas le jour avant 2015, et on ne sait pas dénombrer la variété
des nanomatériaux existants.
Ils ne sont pas inventoriés, ni repérables d’un point de vue sanitaire,
alors qu’on en connaît ni leurs effets toxiques sur la santé humaine, ni leur
cycle de vie dans l’environnement. On sait par contre que les nanoparticules
peuvent passer toutes les barrières du corps, désorienter les cellules, voire
causer des lésions de l’ADN.
L’information n’est pas nouvelle : on sait, depuis 1992, que les nanotubes
de carbone ressemblent aux fibres d’amiante. Mais il a fallu attendre l’an passé
pour que des recherches suggèrent que ces nanotubes pouvaient causer des
maladies similaires à celles qu’entraînent l’exposition à l’amiante et
constituer, selon le Haut consei de la santé publique, qui parle d’un “signe
d’alerte majeur“, un “danger cancérigène potentiel“.
Les recherches portant sur les risques sanitaires et environnementaux
prendront du temps. En attendant, les différents acteurs impliqués rivalisent de
lobbying. Les ONG, comme Greenpeace ou les Amis de la terre, en appellent à un
moratoire, ou, en tout cas, à l’application du principe de précaution, ce que
les industriels voient bien évidemment d’un mauvais oeil (voir, à ce titre, l'
impressionante synthèse du projet de recherche européen FramingNano sur la
“gouvernnance en matière de nanoscience et de nanotechnologies“, et le résumé
des différentes prises de position sur Euractiv).
Car si, comme le réclament les eurodéputés et les ONG, il faut attendre que
l’on dispose de données précises sur l’inocuité des nanoparticules pour pouvoir
les commercialiser, c’est l’ensemble du marché qui fera l’objet d’un moratoire,
de fait.
Les industriels ont peur du syndrome OGM
La bataille devient donc aussi celle de la communication, ce que révèle les
réactions à la publication par TA Swiss, le Centre d’évaluation des choix
technologiques de l’Académie suisse des sciences, d’une étude intitulée “Plus
beaux, plus frais, plus sains“, au sujet des nanoemballages et
nanoadditifs.
L’étude soulignait que “l’utilisation de la nanotechnologie dans les
emballages alimentaires est déjà courante“, et qu’elle permet d’améliorer la
conservation des aliments, et la diminution des déchets. Elle déplorait cela dit
que les dispositions juridiques ne soient pas suffisamment adaptées, et que “la
nécessité d’agir repose sur les fabricants, producteurs et commerçants“. Elle
appelait ces derniers à plus de transparence, afin de “prévenir la méfiance dans
la population“, mais aussi à l’application du principe de précaution.
Dans la newletters qui a suivi, TA Swiss rapportait que la parution de son
étude “a éveillé quelques inquiétudes dans les milieux de l’industrie
alimentaire (qui) craint que les médias ne viennent attiser l’inquiétude du
public” :
“Les nanotechnologies risquent de susciter quelque malentendu politique,
devant être prévenu par une évaluation préalable avant que la polémique s’empare
du sujet. On se souvient des organismes génétiquement modifiés en agriculture
(…)
Le même scénario doit être évité pour les nanotechnologies. L’opinion
publique est de plus en plus sensible aux nouvelles techniques, qui cachent
peut-être des dangers inconnus. Le principe de précaution est alors agité dans
le débat politique qui passe rapidement des commissions parlementaires aux
médias, puis à la population. Plus le débat dure, plus il devient
passionnel.”
Suzanne Brenner, de TA Swiss, souligne que “le groupe a eu beaucoup de mal
à recevoir des informations, parce que les producteurs ont peur que l’on parle
des aspects négatifs des nanos. Ils ont peur du syndrome OGM. Ils ont raison,
mais d’un autre côté les gens veulent savoir. A force d’être prudents, ils ne
communiquent pas, et quand on ne communique pas aujourd’hui, c’est qu’on a
quelque chose à cacher…“
Et comme le souligne Novethic, les entreprises rechignent généralement à
répondre lorsqu’on leur demande si leurs produits contiennent, ou non, des
nanoparticules, au motif que cela relèverait du secret industriel.
Alain Kaufmann, responsable de la plateforme d’échange et de réflexion
transdisciplinaire Nanopublic, qui veut réunir les acteurs concernés par les
nanotechnologies en Suisse, se voulait plus optimiste, dans l’émission de la
Radio Suisse Romande : “ce qui explique l’intensité des débats autour des nanos,
c’est la manière dont la question des OGM a été gérée par les pouvoirs publics
et l’industrie, considérée comme insatisfaisante; le dialogue autour des nanos,
bien plus transparent, on le doit à la controverse autour des OGM“.
En attendant, il est urgent d’en débattre publiquement. Benjamin Caillard,
du Laboratoire d intégration des materiaux et systèmes, rappelait ainsi à Sud
Ouest qu’”avant les problèmes, on nous dit : on ne peut pas savoir si c’est
dangereux, il ne faut pas affoler les gens. Après, on nous dit : c’est trop tard
pour arrêter. À quel moment est-on un citoyen responsable ?“.
La question reste aussi de savoir si ce qui s’est passé (ou plutôt, ce qui
ne s’est pas passé) en matière d’OGM, amènera plus de transparence, et de débats
ou si, a contrario, les industriels seront tentés par une sorte de “principe de
précaution” en matière de communication, afin d’éviter que citoyens et
responsables politiques se mêlent de leurs affaires.
Les illustrations de ce billet sont issues du concours de symboles lancé
par l ETC Group afin de trouver celui qui pourrait permettre d’annoncer la
présence de nanomatériaux.
Par Jean Marc Manach, le 09/04/09
source : http://www.internetactu.net/2009/04/09/nanotechnologies-et-gestion-du-risque/