Futura-Sciences
var addthis_pub="futurasci";
var addthis_language = "fr";
var addthis_header_color = "#ffffff";
var addthis_header_background = "#000000";
var addthis_options = 'facebook, email, twitter, favorites, digg, delicious, myspace, google, live, technorati, linkedin, more';
var addthis_localize = {
email_caption: "Email",
more: "autres...",
email: "Email"};
Bernard Francou,
glaciologue et spécialiste de la variabilité climatique sous les
tropiques, nous éclaire sur l'évolution du climat, cette fois vue des
glaciers andins, qui fondent à vue d'œil. « On ne pensait pas que cela irait si vite ! », confie-t-il.Pourquoi s’intéresser aux glaciers andins ? Comment
évoluent les glaciers et risquent-ils de disparaître ? La vie des
populations andines en sera-t-elle ils modifiée ?
Pour répondre à ces questions, Futura-Sciences a interrogé Bernard Francou, directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD),
et contributeur aux travaux du Giec. Il est l'un de ces glaciologues
montagnards qui, dans la Cordillère des Andes, ne commencent à
travailler que lorsqu'ils ont atteint l'altitude du Mont Blanc.
Futura-Sciences : Vos recherches portent
sur les glaciers andins. Que peuvent-ils nous dire des climats anciens
qui ne soit pas déjà inscrit dans les calottes ou les inlandsis polaires ?Bernard Francou : Comme les calottes polaires, les masses de glace
froides peu mobiles des Andes tropicales situées à 6.000 m et plus,
contiennent des archives qui peuvent renseigner sur l’histoire des
climats depuis les derniers millénaires, jusqu’à une vingtaine de
millénaires environ dans les meilleures conditions comme au Sajama ou à
l’Illimani en Bolivie. A l’inverse des calottes polaires, le signal
extrait est complexe car il ne peut pas être utilisé directement comme
un indicateur des paléo-températures, mais il trace plutôt l’histoire de la trajectoire des masses d’air depuis les océans – essentiellement depuis l’Atlantique – venu déposer de la neige sur ces sommets.
Par ailleurs, les couches empilées rendent compte
de façon imparfaite des quantités de précipitations reçues par ces
sommets, car la neige après son dépôt enregistre toutes sortes de
transformations. Les plus manifestes sont une perte de volume par sublimation (passage de l’état solide à l’état vapeur) ainsi que l’étirement des strates annuelles par la dynamique de la glace dès lors que la pente lui permet de fluer [NDLR : couler] lentement vers le bas.
Je dirai, sans entrer dans les détails, que ce qui
a le plus marqué les chercheurs de notre équipe qui travaillent sur ces
carottes profondes, notamment Patrick Ginot, c’est le réchauffement
récent de ces masses de glace. Une chaîne de thermomètres abandonnée
dans les trous de forage montre, après stabilisation, une augmentation
très sensible des températures en direction de la surface.
Ce réchauffement de la glace est la marque du réchauffement atmosphérique du 20
ème siècle,
et plus particulièrement des derniers 30 ans. Son intensité, qui
dépasse partout 1°C, est telle que des sites encore récemment
froids, comme la calotte de Quelccaya au Pérou (5.500 m), ne le sont plus ou sont en train de devenir
tempérés (glace à température de fusion), ce qui empêchera leur pleine exploitation comme archives des climats du passé.
Comme ce seuil de perte d’information semble se
situer actuellement tout près de 6.000 m, cela nous pousse à organiser
des opérations sauvetages pour ne pas qu’elle soit perdue à tout
jamais. Vous voyez donc que le front de réchauffement ne touche pas
seulement les glaciers à basse altitude (5.000 m) qui reculent, mais
aussi les plus hauts sommets andins qui avaient pu, au cours des
millénaires passés, conserver au froid la mémoire du climat.
FS : Comment ont évolué ces glaciers durant les derniers siècles ?Bernard Francou : Grâce à notre
équipe et à un groupe du CNRS de Meudon conduit par Vincent Jomelli,
nous avons pu retracer l’évolution des glaciers depuis le 14
ème siècle (en pleine période inca !), en datant les moraines,
le plus souvent par une technique qui utilise le taux de croissance des
lichens sur les blocs, épaulée après 1750 par des documents
iconographiques et des témoignages. Comme dans les Alpes, les glaciers
ont connu une période de croissance assez précoce vers 1300 après JC,
mais au contraire des massifs alpins où ils atteignent un volume
maximum entre 1550 et 1650, puis une autre fois entre 1810 et 1830-60,
les glaciers andins voient leur masse culminer un peu plus tard, entre
environ 1650 et 1750 après JC.
Autre singularité, ils entament un lent déclin, non
interrompu d’avancées significatives, après 1750, un retrait qui les
fait ensuite sortir du Petit Age Glaciaire vers 1880-1890. La conjonction
du froid et de l’humidité explique la croissance des glaciers andins au
cours du Petit Age Glaciaire, tandis que l’assèchement progressif du
climat au 19
ème siècle – et non une hausse des températures,
au moins jusqu’à 1880 – est sans doute à l’origine de ce déclin
précoce. Par la suite, au cours du 20
ème siècle, ce qui
frappe, après les hauts et les bas des années 1920-1970, c’est la très
forte déglaciation qui voit le jour à partir de 1975. Ce basculement de
1976-1980 est le signe que le climat des Andes a profondément changé au
cours de ces 35 dernières années.
FS : Comment ces glaciers sont-ils suivis ?Bernard Francou : L’IRD,
institut spécialisé dans la recherche pour le développement, a su
mettre en place dès 1991 un véritable observatoire permanent des
glaciers des Andes tropicales. Vous imaginez combien il n’est pas
facile d’instrumenter des glaciers situés entre 4.800 m (altitude du
Mont Blanc !) et 6.000 m, ce qui suppose des visites répétées (au moins
une par mois), et surtout toute une logistique qui ne peut que
s’appuyer sur des équipes locales. Ces équipes n’existaient pas (sauf
au Pérou, sur des tâches plus limitées), aussi il a fallu faire un gros
effort de formation qui est loin d’être terminé.
Nous avons, après plus de 15 ans, la satisfaction
de travailler avec des collègues boliviens, péruviens, équatoriens, qui
ont été nos étudiants et dont certains sont titulaires de doctorats
d’universités françaises. Nous comptons d’ailleurs mettre en place un
laboratoire mixte international unissant ces équipes avec nous pour
transformer cet essai et doter les pays andins d’une véritable capacité
d’expertise et de recherche dans le domaine des glaciers, du climat et
de l’eau.
N’oublions pas en effet qu’en plus d’être de très fins indicateurs du climat à temps
réel, les glaciers sont des réservoirs d’eau, lesquels, hélas, tendent
actuellement à se vider. Et le futur est peu encourageant, car tous les
modèles simulant le climat du futur montrent que les hautes Andes
s’échaufferont plus vite que les basses terres… La base de ce
laboratoire sera une unité mixte de recherche et d’enseignement à
l’Université Joseph Fourier de Grenoble, le Laboratoire d'étude des Transferts en Hydrologie et Environnement (LTHE).
FS : Risquent-ils de disparaître ?Bernard Francou : Non seulement ce
risque existe, mais beaucoup disparaissent ou ont déjà disparu sous nos
yeux. Je cite souvent le cas du glacier de Chacaltaya (5.400 m),
au-dessus de La Paz, que j’ai équipé en 1991. J’y montais souvent à
skis, car c’était un lieu de prédilection pour la pratique du ski en
Bolivie, à une heure de La Paz. Eh bien, il a totalement disparu en
mois de 20 ans : on s’en doutait depuis 1998, mais on ne pensait pas
que cela irait si vite !
Cliquer
pour agrandir. Evolution du glacier de Chacaltaya entre 1994 et 2009.
IRD-B. Francou (1994-2005), IRD P. Ginot (2006-2009)Bien d’autres glaciers sont dans ce cas ou
pourraient suivre, ceux dont l’altitude de leur sommet est en dessous
de 5.400-5.500 m. En effet, seuls les glaciers qui présentent d’amples
surfaces au-dessus des limites actuelles 5.100-5.300 m (dites
lignes d’équilibre glaciaires à l’échelle de cette région andine) ont encore un avenir devant eux à l’échelle des prochaines décennies.
Evidemment, le coupable est le réchauffement
atmosphérique, même si des études physiques fines réalisées par nos
collègues Jean-Emmanuel Sicart et Patric Wagnon, montrent que ce n’est
pas directement l’atmosphère
réchauffée qui fait fondre la glace à son contact, car à plus de 5.000
m, il n’y a plus assez d’énergie thermique pour provoquer une fusion
intensive. C’est plutôt la raréfaction des couches de neige froides
persistantes à basse altitude (à moins de 5.500 m) qui change le bilan
radiatif du glacier et permet à sa surface, de moins en moins
réfléchissante, d’absorber la plus grande part de cette énergie
radiative pour la fusion.
N’oublions pas que nous sommes sous les tropiques, entre l’équateur et 16°S, que le soleil
est vertical une bonne partie de l’année et que cette énergie
rayonnante abondante doit être renvoyée à la haute atmosphère pour ne
pas être absorbée par la surface du glacier et alimenter la fusion.
Si ces couches de neiges ne préservent plus le
glacier, c’est simplement parce que la neige ne parvient pas à se
maintenir au sol, soit que celui-ci s’échauffe trop, soit que les
précipitations tombent de plus en plus sous forme de pluie ou de grésil
fondant. J’ai vu pleuvoir certaines années en Equateur à 5.500 m !
Précisons toutefois que les conditions de fonte
intense ne sont pas réunies toutes les années. Parfois l’état de
l’atmosphère impose des conditions froides et humides. C’est le cas des
périodes où le Pacifique équatorial est froid (on parle alors de
conditions La Niña). Mais, depuis 1976, ont dominé plutôt les
situations inverses, El Niño, lesquelles mettent en place des
conditions anormalement chaudes sur les hautes Andes, accompagnées
localement d’une diminution notable des précipitations, comme en
Bolivie ou en Colombie.
Les glaciers dans ce cas, de la Bolivie à la
Colombie, enregistrent de fortes pertes. Ces conditions chaudes ont
dominées depuis 1976 (d’où la forte rupture d’équilibre de nos glaciers
à partir de cette date), même si depuis le milieu de l’année 1998, le
Pacifique est plus neutre. Je travaille actuellement sur les effets
respectifs des El Niño et du réchauffement global pour expliquer la
rapidité du recul des glaciers andins depuis une trentaine d’années,
mais la séparation de ces deux signaux n’est pas simple, car, comme on
le sait, le Pacifique équatorial, par la dynamique de son immense
réservoir d’eau chaude tendant à se déplacer périodiquement d’Asie vers
les côtes américaines, contrôle une partie importante de la variabilité
du climat à l’échelle de la planète toute entière.
FS : Selon vous, le réchauffement affecte
les glaciers notamment à travers la modification des régimes de
précipitations. Cela signifie-t-il que l’hydrologie de ces régions sera
modifiée ? Un accroissement des sècheresses est-il possible ?Bernard Francou : L’hydrologie des
Andes et des pourtours dépend de ce qui va advenir des glaciers, et
plus encore, à plus vaste échelle, de ce que deviendront les
précipitations dans ces régions tropicales. Il y a tout lieu de penser
qu’on va vers des tendances négatives pour les populations et que
certains symptômes sont déjà là, sans être toutefois toujours clairement identifiés.
Un glacier qui disparaît, c’est un réservoir qui se vide. Si la masse de glace est importante, l’importante fusion alimente les rivières et, pendant un temps, les débits
tendent à augmenter. On en est là dans les grands massifs glaciaires,
comme la Cordillère Blanche au Pérou. Cependant, à force de taper dans
des réserves non renouvelables, celles-ci finissent par s’épuiser et
les débits diminuent, particulièrement en saison sèche, quand ils ne
sont pas soutenus par les précipitations.
Nos hydrologues travaillent actuellement sur des
modèles utilisant des scénarios issus des simulations climatiques à
l’échelle régionale. S’il est trop tôt, compte tenu des séries de
données hydrologiques courtes dont nous disposons, pour faire
apparaître déjà une tendance claire, les modèles indiquent qu’à
précipitations constantes, les débits des rivières provenant des
massifs très englacés devraient maintenir quelques décennies des débits
abondants.
La date du
switch vers des débits
déclinants dépend de divers facteurs, taille des glaciers, rythme de
leur fusion, etc... Mais aussi, de ce que vont devenir les
précipitations dans les Andes Centrales. Là, les incertitudes des
modèles sont très grandes par rapport à ceux qui simulent les
températures. Ils prévoient que les précipitations pourraient devenir
plus abondante sous l’Equateur (10°N-10°S environ), mais plus faibles
en direction des tropiques (20°), en raison de l’intensification de
l’activité convective dans le sens nord-sud (circulation atmosphérique
des cellules de Hadley plus dynamiques). Mais il y a d’autres facteurs
à prendre en compte, comme l’activité de l’ENSO (
El Niño Southern Oscillation),
qui est mal simulée pour le futur et qui, on le sait, modifie
profondément l’activité convective équatoriale dans le sens ouest-est
(cellules de Walker).
Pour revenir aux masses glaciaires, une étude
récente publiée avec mon collègue Christian Vincent, du Laboratoire de
Glaciologie et Géophysique de l'Environnement de Grenoble (LGGE), sur l’état actuel des glaciers de montagne dans le monde [Francou B. & Vincent C., 2007.
Les Glaciers à l’épreuve du climat,
IRD, Editions et Belin, Paris], montre que les glaciers tropicaux ne
font pas exception et subissent le même retrait important que les
autres, dans tous les massifs du monde, enregistrent.
Depuis les années 1980-1990, les glaciers de
montagne de la planète perdent le plus souvent entre 5 et 10 mètres
d’équivalent-eau par décennie, c’est-à-dire l’équivalent de cette
tranche répartie sur toute leur surface. A ce rythme, beaucoup, les
plus petits et les plus bas, sont appelés à disparaître dans les toutes
prochaines décennies. Cette évolution est associée au réchauffement
global de l’atmosphère qui en est, depuis la fin des années 1970, à un
rythme proche d’un quart de degré par décennie, mais une augmentation
dont on sait qu’elle est plus élevée en hautes montagnes à cause de
l’humidification de l’atmosphère en altitude et de la réduction des
manteaux neigeux.
Selon le rapport 2007 du Giec, ce réchauffement est
essentiellement d’origine anthropique. Cela veut dire un peu, quelque
part, que la conservation de nos glaciers, engage notre responsabilité.
S’il n’est pas déjà trop tard…