Interview du président Raphael Correia, par Beto Almeida, Emir Sader e Valter Xéu, pour Brasil de Fato.
Raphael Correa - qui gouverne l'Équateur depuis 2007 et qui a l'intention de concourir pour sa réélection en 2017 - était au Brésil au mois de juillet pour participer à une réunion de l'UNASUR (Unión de Naciones Suramericanas), qui regroupe plusieurs pays d'Amérique du Sud, et des BRICs, comprenant la Chine, la Russie, le Brésil, l'Afrique du Sud et l'Inde.
Le président équatorien, qui plaide en faveur de lois qui restreignent le pouvoir des médias, estime aussi qu'à l'heure actuelle, une «restauration conservatrice» est en cours en Amérique Latine, qui vise à mettre fin au cycle de gouvernements progressistes qui ont émergé sur le continent ces dernières années.
Emir Sader – Monsieur le Président, après votre première première élection, vous avez dit que ce n'était plus une époque de changement, mais un changement d'époque pour l'Amérique latine et pour l'Équateur. Avec les derniers développements actuels, pouvons-nous dire que nous commençons à sortir d'un monde unipolaire, comme celle de la guerre froide, en direction de la construction d'un monde multipolaire?
Rafael Correa – Nous assistons à un changement d'époque. Nous avons commencé un nouveau cycle en Amérique latine quand, devant la débâcle néolibérale, de nombreux gouvernements progressistes sont arrivés au pouvoir. L' échec retentissant du néolibéralisme, en particulier dans notre Amérique latine, avaient plongé les droites nationales et internationales dans la plus grande confusion, d'où leur difficulté à concevoir le moindre projet. C'est pourquoi j'ai parlé d'un changement d'époque. Ce ne furent pas de simples réformes planifiées en fonction de modes existants, mais des changements profonds, historiques. Des changements dans les relations de pouvoir, dans la transformation de nos états bourgeois en états populaires avec l'arrivée d'Hugo Chavez, de Lula da Silva, du Parti des travailleurs, de Tabaré Vasquez en Uruguay, d'Evo Morales en Bolivie, de Michelle Bachelet au Chili, et la révolution citoyenne en Équateur ... Mais nous devons être très attentifs. Car on assiste au début d'un nouveau cycle conservateur, qu'ils nomment restauration conservatrice. Cette confusion dans laquelle sont tombées les anciennes droites nationales et internationales, après la débâcle du néolibéralisme et l'arrivée de tant de gouvernements progressistes, a déjà été surmontée. On voit clairement une coordination des forces réactionnaires mondiales, continentales et nationales. Je crois que les peuples de l'Amérique latine ne permettront jamais un retour complet au passé. Mais une grande partie de ce qui a été gagné, oui, peut être perdue. Ce nouvel ensemble de forces en faveur de la grande majorité, que les gouvernements progressistes ont réussi à obtenir, peut en effet être inversé. La base en est le mensonge - ce que Gramsci appelait la culture hégémonique - transmis par les médias qui font croire aux pauvres que ce qui est bon pour les élites est bon pour eux, du moment qu'ils restent dans cette condition d'exploitation historique qui a toujours été de mise dans notre Amérique . Nous devons être très attentifs à ce sujet. En ce qui concerne l'autre question, si cette rencontre de blocs signifie un changement d'époque. Peut être. C'est un début. Comme vous l'avez dit, nous vivons dans la dernière décennie d'un monde unipolaire où, de toute évidence, l'Amérique latine a subi un préjudice. Nous avons perdu de l'importance. Avant on se préoccupait un peu plus de l'Amérique latine pour empêcher le communisme de s'infiltrer, etc. Quand nous sommes passé à un monde unipolaire, ce ne fut plus une priorité. Et l'Amérique latine a perdu beaucoup avec ce monde unipolaire. La façon de changer cet ordre mondial, qui est non seulement injuste, mais immoral, toujours en fonction des plus forts, des pays hégémoniques, du grand capital financier, et du capital de la pire espèce, le capital spéculatif, le fonds vautour - le cas de l'Argentine en est un exemple flagrant. La façon de changer l'ordre du monde et de le transformer en un monde multipolaire avec un meilleur équilibre des puissances, une plus grande justice, une plus grande participation, ne peut se faire que par le biais de blocs. Seul, l'Équateur ne fera absolument rien. Le Brésil peut faire un peu, avec 200 millions de personnes, il peut améliorer l'économie, mais le pays est comme l'Équateur et d'autres pays d'Amérique latine, il ne peut pas faire grand chose s'il est isolé. Donc, nous devons consolider nos blocs, et dans ce cas, l'UNASUR. C'est bien que les BRIC se consolident. C'est une bonne chose qu'il y ait des rencontres entre ces blocs. C'est donc un grand espoir. Mais, cependant, il reste à voir si, en effet, nous assistons au début d'un nouveau cycle de transformation de l'ordre mondial vers un ordre multipolaire.
Beto Almeida - Cette réunion qui a eu lieu ici, entre les BRICS et l'UNASUR, qui a un développement très important à l'échelle internationale, peut également prétendre à une articulation politique. Le président Chavez parlait d'une Cinquième Internationale. D'autres parlent de former un camp anti-impérialiste international. Comment pourrait-on créer une initiative, d'ordre politique, à l'échelle internationale, à partir des initiatives de coordination économique, comme les banques qui sont actuellement créées par exemple, mais qui serait exclusivement dans le domaine de la politique anti-impérialiste?
Raphael Correia - Vous savez, nous devons être très réalistes. La création de ces blocs alternatifs qui cherchent à briser l'hégémonie d'un ou deux pays, ou de régions au niveau mondial, est une bonne nouvelle. Mais cela ne signifie pas que tous les pays des BRICS aient des gouvernements progressistes. Même à l'UNASUR tous ne sont pas des gouvernements progressistes. Nous devons être très prudents et savoir jusqu'où nous pouvons aller. Mais c'est déjà beaucoup de présenter des alternatives, par exemple, dans l'architecture financière régionale. Afin de ne pas toujours dépendre des mêmes. C'est ce que proposent les BRICS avec leur fonds de réserve, avec leur banque de développement, y compris le change de monnaie, avec une compensation du commerce, les échanges en monnaie locale, ce que le Brésil a déjà établi avec la Chine. Ainsi, indépendamment de l'orientation idéologique de certains gouvernements à l'intérieur des BRICS, ce sont des étapes déjà importantes vers un monde plus juste, moins concentré, avec moins de concentration de pouvoir. Ce que j'espère fermement pour l'avenir, c'est que nous puissions également approfondir le dialogue politique; mais j'insiste, ne vous méprenez pas: les gouvernements des BRICS ou de l'Unasur ne sont pas tous progressistes. Pourtant, nous parviendrons à un consensus en fonction de nos intérêts, car si une décision des États-Unis peut réellement détruire l'Argentine - ils ont la capacité d'intervenir dans tous les paiements de ce pays - n'importe quel gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche, recherchera une nouvelle architecture financière, des moyens de paiements internationaux qui ne passent pas par les États Unis. Ainsi, rien qu'en cherchant des alternatives, ce serait un pas énorme vers un monde moins injuste et vers plus de possibilités pour les nouvelles économies émergentes.
Valter XEU - Monsieur le Président, au cours de votre mandat, les indices concernant la santé et l'éducation dans votre pays se sont beaucoup améliorés. Comme l'éradication de la pauvreté. Comment expliquez-vous qu'en Équateur, avec cette économie peu développée, vous arriviez à atteindre des indices que certains pays, dont les économie sont beaucoup plus fortes, n'ont pas encore réussi à atteindre?
Raphael Correia - Le changement dans les relations de pouvoir. Le développement est essentiellement un processus politique. Pourquoi l'Amérique du Nord s'est-elle développée et pas l'Amérique latine? Alors qu'elle avait plus de ressources, plus de technologie, des civilisations consolidées comme les Mayas, les Aztèques, les Incas ... La question et la réponse sont complexes, c'est la grande énigme du développement. Mais certainement l'une des réponses est le type d'élite qui nous a dominé historiquement. Une élite exclusive qui a concentré le pouvoir, ce qui a empêché que les autres profitent des progrès techniques... Pour cette raison, le début du processus de développement est politique. Le changement des rapports de forces. Ce que nous avons atteint en Équateur s'explique parce que c'est le peuple équatorien qui dirige. Parce que d'un État bourgeois nous sommes passée à un État populaire en fonction de la grande majorité. Il y avait beaucoup de ressources dans le pays comme, par exemple, le pétrole. Sur 100 barils, 80 restaient entre les mains des industries pétrolières. En trois ans, nous avons renégocié les contrats et quatre compagnies pétrolières ont quitté le pays, qu'ils aillent au diable ... Mais maintenant, c'est exactement l'inverse: Sur 100 barils, 80 appartiennent au peuple équatorien. Nous devions payer une dette illégitime, et même anticipée. Il y avait donc des ressources qui étaient là, mais dans de mauvaises mains. Et comment avons-nous réussi? Parce qu'il y a maintenant un gouvernement et un état qui reflète le bien commun.Il fonctionne sur la base des grandes majorités, il y a eu un changement dans le rapport de force en termes de pouvoir populaire. Cependant, ce procédé a une limite, des limites externes. Lorsqu'ils verront que le succès de l'Équateur est dangereux, nous serons attaqués de tous les côtés. Que personne n'en doute. Beaucoup de choses dépendent de nous, mais il existe des contraintes externes. Ces traités de protection réciproque d'investissement, par exemple, comme dans le cas de Chevron qui aurait pu détruire l'équateur. Le Groupe d'Action Financière (GAFI), qui nous impose, à nous pays du Tiers Monde, des conditions auxquelles ne se soumettent jamais les pays développés. Ah, mais c'est pour contrôler le blanchiment d'argent, le financement du terrorisme, toute une série de conditions que ne remplissent pas les pays développés. Et ce sont dans ces pays que sont installés les paradis fiscaux. Donc, il y a une faute morale internationale terrible. Et tous les droits de propriété ... La connaissance se privatise. Quand davantage de gens ont accès à la connaissance déjà créée, qui est un bien public, plus grand est le bien-être social. Mais les biens environnementaux doivent être consommés gratuitement, ce dont on n'a même pas parlé à Kyoto. Et nous produisons les biens environnementaux. Et cela coûte cher de produire des biens environnementaux. Entretenir la forêt etc, parce que c'est une ressource naturelle. Ainsi, il y a des contraintes externes que nous ne pouvons affronter qu'avec l'intégration (régionale NDT). Et pas seulement cela. Une première étape dans notre processus a été de préserver le mieux possible les ressources existantes. Puis vient déjà la seconde étape, qui est de créer davantage de ressources, de créer plus de richesses. Et c'est là que le socialisme a toujours échoué un peu. Et nous devons parler de ces choses. Le socialisme a beaucoup parlé de justice sociale, mais a peu dit sur le rendement. Et le socialisme moderne doit parler de rendement.
Emir Sader - Face à la faiblesse des partis de droite, en particulier en Amérique latine, les monopoles des médias tiennent quelquefois le rôle de partis d'opposition. Vous avez beaucoup progressé dans la démocratisation des médias. Quel est le modèle actuel de formation de l'opinion publique démocratique?
Raphael Correia - Nos principaux adversaires sont les médias qui, comme vous l'avez dit, ont pris sans vergogne la place des partis politiques de droite. À qui les médias d'Amérique latine appartiennent-ils? Aux pauvres ou aux oligarques? C'est un outil pour maintenir le statu quo. Mais nous devons avancer très attentivement. Ça a été un énorme combat. Ils n'ont pas réussi à vaincre le gouvernement, grâce à sa crédibilité, mais plus de 90% des médias en Équateur sont entre les mains du privé. Bien sûr, il y a toute la propagande selon laquelle Correa a accumulé les moyens de communication car nous avons l'un des six journaux nationaux – au niveau local et régional, il en existe plus de deux cents. Aussi parce que nous avons deux chaînes, appartenant à des banquiers qui ont fui et dont nous avons résilié les contrats, deux chaînes sur six ou sept chaînes nationales, mais il existe des dizaines de chaînes régionales. Parce que nous avons relevé la Radio nationale, mais il y a environ un millier de stations de radio. Donc, avec cette propagande, ils trompent le peuple. «Tant de pouvoir accumulé par le gouvernement et tous les médias sont aux mains du public». Mais la réalité est que, ni même 10% des moyens de communication sont publics, et je ne parle pas seulement du gouvernement central, mais aussi des municipalités, des assemblées, les universités publiques ... Tout le reste appartient au privé. Un combat énorme dans la communication est une contradiction fondamentale. Car la communication est un droit. Et c'est quelque chose de fondamental pour la cohésion sociale, pour la coexistence. Et selon le modèle capitaliste, ce droit, ce service, est fourni par des entreprises privées qui cherchent le profit, ce qui est une contradiction en soi. Entre le profit et le droit qui, par définition, entrent en conflit. Entre assurer un droit et s'assurer un profit, par définition, c'est l'entreprise de profit qui prévaudra. Mais il est clair que ce n'est pas seulement le profit qui est recherché. C'est le pouvoir. C'est une forme de domination. Tout pouvoir doit s'assurer du contrôle social. Le pouvoir politique, le pouvoir économique, le pouvoir social, le pouvoir religieux, le pouvoir des médias. Mais quand il s'agit de mettre des limites à ce pouvoir des médias cela devient tout de suit une attaque contre la liberté d'expression. C'est totalement incohérent. Lorsque nous parlons de mettre des limites au pouvoir politique, tout le monde applaudit, y compris le pouvoir financier. Mais quand il s'agit de mettre des limites au pouvoir des médias, c'est une attaque contre la liberté d'expression. On voit ici la capacité de ces entreprises, dans la défense de leurs intérêts, à faire croire au peuple - ce dont parlait Gramsci à propos de la culture hégémonique - qu'ils défendent les droits des personnes. Donc, nous devons mentionner clairement qu'il s'agit d'un problème planétaire, mais surtout en Amérique latine, parce que la presse latino-américaine dépasse tous les records en terme de manque d'éthique, de concentration de la propriété, de manque de professionnalisme, de manipulation politique etc ...
http://lebresilentraduction.over-blog.com/2014/09/une-restauration-conservatrice-menace-le-cycle-des-gouvernements-progressistes-en-amerique-latine-brasil-de-fato.html
Raphael Correa - qui gouverne l'Équateur depuis 2007 et qui a l'intention de concourir pour sa réélection en 2017 - était au Brésil au mois de juillet pour participer à une réunion de l'UNASUR (Unión de Naciones Suramericanas), qui regroupe plusieurs pays d'Amérique du Sud, et des BRICs, comprenant la Chine, la Russie, le Brésil, l'Afrique du Sud et l'Inde.
Le président équatorien, qui plaide en faveur de lois qui restreignent le pouvoir des médias, estime aussi qu'à l'heure actuelle, une «restauration conservatrice» est en cours en Amérique Latine, qui vise à mettre fin au cycle de gouvernements progressistes qui ont émergé sur le continent ces dernières années.
Emir Sader – Monsieur le Président, après votre première première élection, vous avez dit que ce n'était plus une époque de changement, mais un changement d'époque pour l'Amérique latine et pour l'Équateur. Avec les derniers développements actuels, pouvons-nous dire que nous commençons à sortir d'un monde unipolaire, comme celle de la guerre froide, en direction de la construction d'un monde multipolaire?
Rafael Correa – Nous assistons à un changement d'époque. Nous avons commencé un nouveau cycle en Amérique latine quand, devant la débâcle néolibérale, de nombreux gouvernements progressistes sont arrivés au pouvoir. L' échec retentissant du néolibéralisme, en particulier dans notre Amérique latine, avaient plongé les droites nationales et internationales dans la plus grande confusion, d'où leur difficulté à concevoir le moindre projet. C'est pourquoi j'ai parlé d'un changement d'époque. Ce ne furent pas de simples réformes planifiées en fonction de modes existants, mais des changements profonds, historiques. Des changements dans les relations de pouvoir, dans la transformation de nos états bourgeois en états populaires avec l'arrivée d'Hugo Chavez, de Lula da Silva, du Parti des travailleurs, de Tabaré Vasquez en Uruguay, d'Evo Morales en Bolivie, de Michelle Bachelet au Chili, et la révolution citoyenne en Équateur ... Mais nous devons être très attentifs. Car on assiste au début d'un nouveau cycle conservateur, qu'ils nomment restauration conservatrice. Cette confusion dans laquelle sont tombées les anciennes droites nationales et internationales, après la débâcle du néolibéralisme et l'arrivée de tant de gouvernements progressistes, a déjà été surmontée. On voit clairement une coordination des forces réactionnaires mondiales, continentales et nationales. Je crois que les peuples de l'Amérique latine ne permettront jamais un retour complet au passé. Mais une grande partie de ce qui a été gagné, oui, peut être perdue. Ce nouvel ensemble de forces en faveur de la grande majorité, que les gouvernements progressistes ont réussi à obtenir, peut en effet être inversé. La base en est le mensonge - ce que Gramsci appelait la culture hégémonique - transmis par les médias qui font croire aux pauvres que ce qui est bon pour les élites est bon pour eux, du moment qu'ils restent dans cette condition d'exploitation historique qui a toujours été de mise dans notre Amérique . Nous devons être très attentifs à ce sujet. En ce qui concerne l'autre question, si cette rencontre de blocs signifie un changement d'époque. Peut être. C'est un début. Comme vous l'avez dit, nous vivons dans la dernière décennie d'un monde unipolaire où, de toute évidence, l'Amérique latine a subi un préjudice. Nous avons perdu de l'importance. Avant on se préoccupait un peu plus de l'Amérique latine pour empêcher le communisme de s'infiltrer, etc. Quand nous sommes passé à un monde unipolaire, ce ne fut plus une priorité. Et l'Amérique latine a perdu beaucoup avec ce monde unipolaire. La façon de changer cet ordre mondial, qui est non seulement injuste, mais immoral, toujours en fonction des plus forts, des pays hégémoniques, du grand capital financier, et du capital de la pire espèce, le capital spéculatif, le fonds vautour - le cas de l'Argentine en est un exemple flagrant. La façon de changer l'ordre du monde et de le transformer en un monde multipolaire avec un meilleur équilibre des puissances, une plus grande justice, une plus grande participation, ne peut se faire que par le biais de blocs. Seul, l'Équateur ne fera absolument rien. Le Brésil peut faire un peu, avec 200 millions de personnes, il peut améliorer l'économie, mais le pays est comme l'Équateur et d'autres pays d'Amérique latine, il ne peut pas faire grand chose s'il est isolé. Donc, nous devons consolider nos blocs, et dans ce cas, l'UNASUR. C'est bien que les BRIC se consolident. C'est une bonne chose qu'il y ait des rencontres entre ces blocs. C'est donc un grand espoir. Mais, cependant, il reste à voir si, en effet, nous assistons au début d'un nouveau cycle de transformation de l'ordre mondial vers un ordre multipolaire.
Beto Almeida - Cette réunion qui a eu lieu ici, entre les BRICS et l'UNASUR, qui a un développement très important à l'échelle internationale, peut également prétendre à une articulation politique. Le président Chavez parlait d'une Cinquième Internationale. D'autres parlent de former un camp anti-impérialiste international. Comment pourrait-on créer une initiative, d'ordre politique, à l'échelle internationale, à partir des initiatives de coordination économique, comme les banques qui sont actuellement créées par exemple, mais qui serait exclusivement dans le domaine de la politique anti-impérialiste?
Raphael Correia - Vous savez, nous devons être très réalistes. La création de ces blocs alternatifs qui cherchent à briser l'hégémonie d'un ou deux pays, ou de régions au niveau mondial, est une bonne nouvelle. Mais cela ne signifie pas que tous les pays des BRICS aient des gouvernements progressistes. Même à l'UNASUR tous ne sont pas des gouvernements progressistes. Nous devons être très prudents et savoir jusqu'où nous pouvons aller. Mais c'est déjà beaucoup de présenter des alternatives, par exemple, dans l'architecture financière régionale. Afin de ne pas toujours dépendre des mêmes. C'est ce que proposent les BRICS avec leur fonds de réserve, avec leur banque de développement, y compris le change de monnaie, avec une compensation du commerce, les échanges en monnaie locale, ce que le Brésil a déjà établi avec la Chine. Ainsi, indépendamment de l'orientation idéologique de certains gouvernements à l'intérieur des BRICS, ce sont des étapes déjà importantes vers un monde plus juste, moins concentré, avec moins de concentration de pouvoir. Ce que j'espère fermement pour l'avenir, c'est que nous puissions également approfondir le dialogue politique; mais j'insiste, ne vous méprenez pas: les gouvernements des BRICS ou de l'Unasur ne sont pas tous progressistes. Pourtant, nous parviendrons à un consensus en fonction de nos intérêts, car si une décision des États-Unis peut réellement détruire l'Argentine - ils ont la capacité d'intervenir dans tous les paiements de ce pays - n'importe quel gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche, recherchera une nouvelle architecture financière, des moyens de paiements internationaux qui ne passent pas par les États Unis. Ainsi, rien qu'en cherchant des alternatives, ce serait un pas énorme vers un monde moins injuste et vers plus de possibilités pour les nouvelles économies émergentes.
Valter XEU - Monsieur le Président, au cours de votre mandat, les indices concernant la santé et l'éducation dans votre pays se sont beaucoup améliorés. Comme l'éradication de la pauvreté. Comment expliquez-vous qu'en Équateur, avec cette économie peu développée, vous arriviez à atteindre des indices que certains pays, dont les économie sont beaucoup plus fortes, n'ont pas encore réussi à atteindre?
Raphael Correia - Le changement dans les relations de pouvoir. Le développement est essentiellement un processus politique. Pourquoi l'Amérique du Nord s'est-elle développée et pas l'Amérique latine? Alors qu'elle avait plus de ressources, plus de technologie, des civilisations consolidées comme les Mayas, les Aztèques, les Incas ... La question et la réponse sont complexes, c'est la grande énigme du développement. Mais certainement l'une des réponses est le type d'élite qui nous a dominé historiquement. Une élite exclusive qui a concentré le pouvoir, ce qui a empêché que les autres profitent des progrès techniques... Pour cette raison, le début du processus de développement est politique. Le changement des rapports de forces. Ce que nous avons atteint en Équateur s'explique parce que c'est le peuple équatorien qui dirige. Parce que d'un État bourgeois nous sommes passée à un État populaire en fonction de la grande majorité. Il y avait beaucoup de ressources dans le pays comme, par exemple, le pétrole. Sur 100 barils, 80 restaient entre les mains des industries pétrolières. En trois ans, nous avons renégocié les contrats et quatre compagnies pétrolières ont quitté le pays, qu'ils aillent au diable ... Mais maintenant, c'est exactement l'inverse: Sur 100 barils, 80 appartiennent au peuple équatorien. Nous devions payer une dette illégitime, et même anticipée. Il y avait donc des ressources qui étaient là, mais dans de mauvaises mains. Et comment avons-nous réussi? Parce qu'il y a maintenant un gouvernement et un état qui reflète le bien commun.Il fonctionne sur la base des grandes majorités, il y a eu un changement dans le rapport de force en termes de pouvoir populaire. Cependant, ce procédé a une limite, des limites externes. Lorsqu'ils verront que le succès de l'Équateur est dangereux, nous serons attaqués de tous les côtés. Que personne n'en doute. Beaucoup de choses dépendent de nous, mais il existe des contraintes externes. Ces traités de protection réciproque d'investissement, par exemple, comme dans le cas de Chevron qui aurait pu détruire l'équateur. Le Groupe d'Action Financière (GAFI), qui nous impose, à nous pays du Tiers Monde, des conditions auxquelles ne se soumettent jamais les pays développés. Ah, mais c'est pour contrôler le blanchiment d'argent, le financement du terrorisme, toute une série de conditions que ne remplissent pas les pays développés. Et ce sont dans ces pays que sont installés les paradis fiscaux. Donc, il y a une faute morale internationale terrible. Et tous les droits de propriété ... La connaissance se privatise. Quand davantage de gens ont accès à la connaissance déjà créée, qui est un bien public, plus grand est le bien-être social. Mais les biens environnementaux doivent être consommés gratuitement, ce dont on n'a même pas parlé à Kyoto. Et nous produisons les biens environnementaux. Et cela coûte cher de produire des biens environnementaux. Entretenir la forêt etc, parce que c'est une ressource naturelle. Ainsi, il y a des contraintes externes que nous ne pouvons affronter qu'avec l'intégration (régionale NDT). Et pas seulement cela. Une première étape dans notre processus a été de préserver le mieux possible les ressources existantes. Puis vient déjà la seconde étape, qui est de créer davantage de ressources, de créer plus de richesses. Et c'est là que le socialisme a toujours échoué un peu. Et nous devons parler de ces choses. Le socialisme a beaucoup parlé de justice sociale, mais a peu dit sur le rendement. Et le socialisme moderne doit parler de rendement.
Emir Sader - Face à la faiblesse des partis de droite, en particulier en Amérique latine, les monopoles des médias tiennent quelquefois le rôle de partis d'opposition. Vous avez beaucoup progressé dans la démocratisation des médias. Quel est le modèle actuel de formation de l'opinion publique démocratique?
Raphael Correia - Nos principaux adversaires sont les médias qui, comme vous l'avez dit, ont pris sans vergogne la place des partis politiques de droite. À qui les médias d'Amérique latine appartiennent-ils? Aux pauvres ou aux oligarques? C'est un outil pour maintenir le statu quo. Mais nous devons avancer très attentivement. Ça a été un énorme combat. Ils n'ont pas réussi à vaincre le gouvernement, grâce à sa crédibilité, mais plus de 90% des médias en Équateur sont entre les mains du privé. Bien sûr, il y a toute la propagande selon laquelle Correa a accumulé les moyens de communication car nous avons l'un des six journaux nationaux – au niveau local et régional, il en existe plus de deux cents. Aussi parce que nous avons deux chaînes, appartenant à des banquiers qui ont fui et dont nous avons résilié les contrats, deux chaînes sur six ou sept chaînes nationales, mais il existe des dizaines de chaînes régionales. Parce que nous avons relevé la Radio nationale, mais il y a environ un millier de stations de radio. Donc, avec cette propagande, ils trompent le peuple. «Tant de pouvoir accumulé par le gouvernement et tous les médias sont aux mains du public». Mais la réalité est que, ni même 10% des moyens de communication sont publics, et je ne parle pas seulement du gouvernement central, mais aussi des municipalités, des assemblées, les universités publiques ... Tout le reste appartient au privé. Un combat énorme dans la communication est une contradiction fondamentale. Car la communication est un droit. Et c'est quelque chose de fondamental pour la cohésion sociale, pour la coexistence. Et selon le modèle capitaliste, ce droit, ce service, est fourni par des entreprises privées qui cherchent le profit, ce qui est une contradiction en soi. Entre le profit et le droit qui, par définition, entrent en conflit. Entre assurer un droit et s'assurer un profit, par définition, c'est l'entreprise de profit qui prévaudra. Mais il est clair que ce n'est pas seulement le profit qui est recherché. C'est le pouvoir. C'est une forme de domination. Tout pouvoir doit s'assurer du contrôle social. Le pouvoir politique, le pouvoir économique, le pouvoir social, le pouvoir religieux, le pouvoir des médias. Mais quand il s'agit de mettre des limites à ce pouvoir des médias cela devient tout de suit une attaque contre la liberté d'expression. C'est totalement incohérent. Lorsque nous parlons de mettre des limites au pouvoir politique, tout le monde applaudit, y compris le pouvoir financier. Mais quand il s'agit de mettre des limites au pouvoir des médias, c'est une attaque contre la liberté d'expression. On voit ici la capacité de ces entreprises, dans la défense de leurs intérêts, à faire croire au peuple - ce dont parlait Gramsci à propos de la culture hégémonique - qu'ils défendent les droits des personnes. Donc, nous devons mentionner clairement qu'il s'agit d'un problème planétaire, mais surtout en Amérique latine, parce que la presse latino-américaine dépasse tous les records en terme de manque d'éthique, de concentration de la propriété, de manque de professionnalisme, de manipulation politique etc ...
http://lebresilentraduction.over-blog.com/2014/09/une-restauration-conservatrice-menace-le-cycle-des-gouvernements-progressistes-en-amerique-latine-brasil-de-fato.html