La 1° fois que je rencontrai Henri, ou plus exactement son écriture, je compris difficilement ce qui m'arrivait.Bien sûr, le sol tremblait légèrement sous mes pieds et je sentai assez indistinctement, que ma peau craquait, comme soulevée par un être, mi-disant, mi-fûmant.Je m'accrochai aux murs, en me répétant: ce n'est que physique, ça va passer, c'est une passion de contact et en amour, ce sont des phénomènes bien connus.Je repris pied en m'essuyant, et lentement pris conscience d'une transformation plus irréversible: mes yeux avaient mangé le visage, et les rivières qui m'alimentaient depuis toujours s'étaient transmuéees: tiré par la main, je suivis ce voyage intérieur, jamais encore esquissé.
Mes amis, auxquels j'avais demandé de faire silence sur ce soulèvement d'entrailles, amplifièrent mon zig-zag, en m'affirmant qu'Henri avait déjeuné, voici quelques jours, à la table où j'étais assis: cette fois-ci, je n'eus plus de doute, la rencontre de surface avait échoué, mais les signes étaient incubés: Henri serait dorénavant mon orage
Je remontais sa gorge, son magma, avec quelques pancartes fichées de-ci,de-là: en fance difficile, du côté de Namurs, à chercher des mains, un cordon encore attaché.Il n'était pas venu au monde, ses parents n'en voulaient, il fut comme gommé. Henri regarda le monde, et lui promit qu'il s'imposerait à lui.
Son enfance, blanche eut également sa période transparente, trouée déjà par le séïsme profond.Une non pas crise, mais volonté de passer sous la chair, le contact à cette société à laquelle il n'avait pas encore dit un mot, mit sa présence sous nuit: l'anorexie tant désirée comme la volonté la plus aboutie de n'être que fantôme, le transforma à jamais comme demiurge.Et le volcan prit figure.La langue francophone, déjà chahutée par tant d'explorateurs belges comme Verhaeren, ou le cousin Arthur qui se tranchait en blasphémant à coups de mots, changea de lit, reprit de l'eau et du fouet.
Dès ses premiers écrits, les critiques se découpèrent en 2 parties, franchement et physiquement: une encre inédite les cloua au clavier, comme une apparition. Les écoles du surréalisme, très fécond en Belgique notamment, voletèrent à distance et jamais ne l'approchèrent, à moins d'un crime, d'une rupture.Henri amusé, prit connaissance de leurs tables, et éperonna sa texture: il avait à faire , était transfusé d'une mision.
Un voyage encore plus fantastique fut commandé et payé, rubis sur la peau, par Henri: la descente en dedans.Aidé par quelques produits, peu conseillés à qui n'a pas obéi aux rites, c'est-à-dire à quelqu'un qui n'a pas commencé par fermer toutes les portes extérieures, Henri descendit au bord du goufre et s'arrêta sur la derniére arête.Il commença à distinguer son profond, et désormais, se gaina au sortilège de la langue, jamais encore accouchée pareillement.
La cave aux saucissons
J'adore malaxer.
Je t'empoigne un maréchal et te le triture si bien qu'il y perd la moitié de ses sens, qu'il y perd son nez où il se croyait du flair et jusqu'à sa main qu'il ne pourra plus porter à son képi, même si un corps d'armée entier venait à le saluer.
Oui, par triturations successives, je le réduis, saucisson désormais incapable d'intervention.
Et je ne me contente pas de maréchaux.J'ai dans ma cave quantité de saucissons qui furent autrefois des personnages considérables, et apparemment hors de ma portée.
Mais mon instinct infaillible de jubilation triompha des difficultés.
S'ils font encore dans la suite quelque éclat, vraiment ce n'est pas ma faute.Ils n'eussent pu être malaxés davantage.On m'assure que certains s'agitent toujours.Les journaux l'impriment.Est-ce réel ? Comment le serait-ce ? Ils sont enroulés.Le reste est une queue de phénomène comme on en rencontre dans la nature, sorte de mystère de l'ordre des reflets et des exhalaisons et dont il ne faudrait pas exagérer l'importance.Non, il ne faut pas.
Dans ma cave, ils gisent, en profond silence.
extrait de La vie dans les plis
Bétonné
Il suffit parfois d'un rien.Mon sang tourne en poison et je deviens dur comme du béton.
Mes amis hochent la tête.Ce n'est pas la paralysie surtout qu'il faut craindre, c'est l'asphyxie qui en résulte; ils se décident alors.Ils vont chercher leurs marteaux, mais une fois revenus, ils hésitent encore et tournent le manche entre leurs doigts.L'un dit: " Je vais chercher un mandrin, ce sera préférable ", et ainsi ils essaient de gagner du temps.Cependant, je commence à m'amollir.On voit ( car ils m'ont déshabillé pour éprouver le sentiment d'avoir fait quelque chose ), on voit comme des galets venus sous la peau.Ils s'amoindrissent et bientôt se dissolvent.Alors vivement mes amis de cacher leurs marteaux dans tous les coins.Je vois leur embarras; mais moi-même, dans un trop grand pour parler.En effet, je ne peux supporter qu'on me voie nu.Il ya alors quelques minutes d'un silence opaque que je ne saurais raconter.
extrait de La nuit remue.
Avertissement: à la lecture de ce poème ci-dessous, des secousses vont peut-être fêler légèrement votre écran; ne débranchez pas l'appareil, c'est un phénomène encore non pleinement identifié.
Contre !
Je vous construirai une ville avec des loques, moi !
Je vous construirai sans plan, et sans ciment
Un édifice que vous ne détruirez pas,
Et qu'une espèce d'évidence écumante
Soutiendra et gonflera, qui viendra vous braire au nez,
Et au nez gelé de tous vos Parthénon, vos arts arabes et de vos Mings
Avec de la fumée, avec de la dilution de brouillard
Et du son de peau de tambour,
Je vous assoierai des forteresses superbes et écrasantes,
Des forteresses faites exclusivement de remous et de secousses,
Contre lesquels votre ordre multimillénaire et votre géométrie
Tomberont en fadaises et galimatias et poussière de sable sans raison.
Glas! Glas!Glas sur vous tous, néant sur les vivants!
Oui, je crois en Dieu! Certes, il n'en sait rien!
Foi, semelle inusable pour qui n'avance pas.
Oh! monde étranglé, ventre froid!
Même pas symbole, mais néant, je contre, je contre,
Je contre et te gave de cheiens crevés.
En tonnes, vous m'entendez bien, en tonnes, je vous arracherai ce que vous m'avez refusé en grammes.
Le venin du serpent est son fidèle compagnon,
Fidèle et il l'estime à sa juste valeur.
Frères, mes frères damnés, suivez-moi avec confiance.
Les dants du loup ne lâchent pas le loup.
C'est la chair du mouton qui lâche.
Dans le noir, nous verrons clair, mes frères.
Dans le labyrinthe, nous trouverons la voie droite.
Carcasse, où est ta place ici, gêneuse, pisseuse, pot cassé ?
Poulie gémissante, comme tu vas sentir les cordages tendus des quatre mondes!
Comme je vais t'écarteler!
extrait de La nuit remue