Par Violaine Lucas et Barbara Vilain
En Pologne et dans nombre de pays européens, l’histoire de Mme Alicja Tysiac a eu un certain retentissement : en mars 2007, elle a réussi à faire condamner son pays devant la Cour Européenne des droits de l’homme ( CEDH ). En 2000, mère de 2 enfants qu’elle élevait seule, elle avait voulu interrompre sa 3° grossesse, qui menaçait de lui faire perdre la vue. L’avortement est interdit en Pologne, sauf en cas de malformation du fœtus, de viol ou de danger pour la santé de la mère, mais les médecins ont rejeté sa demande d’avortement thérapeutique. Après l’accouchement, une hémorragie rétinienne a considérablement dégradé sa vue. Elle risque, à terme, de devenir aveugle. Si mme Tysiac avait pu bénéficier de la législation en vigueur en Suède, sa décision n’aurait dépendu de personne d’autre qu’elle-même ; elle aurait eu un délai de 18 semaines pour mettre un terme à sa grossesse, et l’intervention aurait été prise en charge par l’Etat.
Afin de remédier à de telles inégalités de traitement entre les femmes qui appartiennent à la même entité politique, une équipe de militantes – juristes, avocates, syndicalistes,.. – a étudié les législations en vigueur dans les pays de l’Union européenne en matière de droits des femmes. Elle a réuni les lois les plus progressistes dans chaque domaine au sein de la « clause de l’Européenne la plus favorisée », et propose que ce »bouquet législatif » s’applique à toutes les femmes de l’Union.
Les 255 millions de citoyennes de l’Union européenne ont beau représenter 51,2 % de sa population, elles ne bénéficient pas des mêmes conditions de vie que les Européens, au seul motif qu’elles sont nées femmes. Elles sont discriminées dans tous les aspects de la vie. Leur accès aux responsabilités, tant dans l’entreprise qu’en politique, est restreint. Elles subissent dans leur corps une violence spécifique : en France, tous les 3 jours, une femme décède sous les coups de son compagnon. Elles éprouvent plus de difficultés à travailler, et gagnent, à poste égal, un salaire inférieur de 15 % en moyenne à celui des hommes.
Elles subissent la précarité de l’emploi : 3 travailleurs à bas salaire sur 4 sont des travailleuses, de même que 8 travailleurs sur 10 à temps partiel . Minoritaires au sein de la population active, elles sont majoritaires parmi les chômeurs. Moins bien employées, moins bien payées, interrompant souvent leur vie professionnelle pour élever leurs enfants – et y étant incitées par des congés parentaux qui favorisent la carrière du père -, elles se retrouvent aussi, fatalement, avec des retraites plus faibles : en Italie, en 2004, les femmes disposaient d’un montant de retraite inférieur de 40 % à celui des hommes.
Le problème du financement des retraites se posant de manière plus aigüe que pour les hommes, la défense de leurs droits constitue une excellente boussole pour les choix de société qui devront être faits au cours des prochaines années au sein de l’Union – qui est, rappelons-le, une des zones les plus riches du monde. Le système de retraite par capitalisation, qui tend de plus en plus à compléter ou à remplacer le système par répartition, et qui substitue l’épargne individuelle à la solidarité entre les générations, leur est ainsi particulièrement défavorable : leur accès au dispositif est moins fréquent, car les secteurs dans lesquels elles sont employées sont moins couverts.
En outre, dans le système par capitalisation, à salaire égal, elles doivent épargner davantage que les hommes pour un même niveau de retraite, du fait d’une espérance de vie plus longue. Enfin, c’est elles que ce système expose aux plus gros risques : elles ne peuvent diversifier leurs placements pour faire face à l’effondrement de certains d’entre eux, puisque leurs capacités d’épargne sont moindres.
L’allongement de la durée de cotisation , adopté par plusieurs pays de l’Union, est une solution illusoire : au Danemark, par exemple, il est question de repousser l’âge de la retraite de 65 à 67 ans ; pourtant, si l’on examine la courbe d’âge moyen de sortie du travail dans ce pays, on constate que, d’une part, on a du mal à maintenir les travailleurs en activité au-delà de 62 ans, et que, d’autre part, les femmes sortent plus tôt que les hommes du marché du travail.Seule une hausse des taux de cotisations, adossée à une revalorisation des salaires, ainsi qu’un élargissement de l’assiette des cotisations sociales à l’ensemble de la richesse produite – au lieu des seuls salaires – pourraient empêcher la paupérisation généralisée des retraités, et en premier lieu des retraitées. Comme le dit Hanne-Vibeke Holst, journaliste et écrivaine danoise, « nous ne devrions jamais oublier que le visage de la pauvreté et de la misère est souvent celui d’une femme « .
Dan tous les domaines, la reconnaissance et l’harmonisation par le haut des droits des citoyennes de l’Union profiteraient à tous, comme chaque avancée de la cause des femmes au cours des dernières décennies. C’est à l’issue des années 1970 – une période marquée par de nombreuses luttes, en particulier celle pour la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse ( IVG ) – que l’idée a été avancée pour la 1° fois d’établir un bouquet législatif améliorant chaque aspect de la condition des Européennes.
En 1979 avait eu lieu la 1° élection au suffrage universel de l’Assemblée européenne, éveillant de faire l’Europe des peuples et non celle de Etats et de leurs gouvernements. Quelques mois plus tard, les féministes italiennes – qui sont aujourd’hui confrontées à une offensive majeure contre le droit à l’avortement – avaient demandé à la Commission Européenne d’adopter une directive communautaire étendant à tous les Etats le droit des femmes de choisir de donner la vie.Le projet de clause fut cependant mis de côté durant les années 1980 et 1990, au profit d’autres luttes plus immédiates : pour la parité en politique, pour la criminalisation du viol,..
Pour élaborer la clause, l’association Choisir la cause des femmes a rencontré dans chacun des 27 pays de l’Union, une responsable politique et une féministe emblématique. L’idée de la clause progresse : en novembre 2006, déjà, le commissaire européen chargé de l’emploi et des affaires sociales, M. Vladimir Spidla, avait souligné que ce projet pouvait être étroitement lié à la feuille de route 2006-2010 pour l’égalité entre les femmes et les hommes adoptée par la Commission.
En janvier 2007, Mme Anne-marie Lizin, alors présidente du Sénat belge, a introduit devant cette assemblée une proposition de résolution visant à faire appliquer la clause. En juin 2007, les dirigeants de plusieurs groupes politiques du Parlement européen lui ont également apporté leur soutien. Le groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne – Gauche verte nordique ( GUE-NGL ) l’a inscrit dans son programme. Puis la préparation de la présidence française de l’Union – au cours du second semestre 2008 – lui a donné une nouvelle impulsion.
Pourtant, jusqu’à aujourd’hui, l’histoire de l’Europe et de ses concitoyennes a surtout été faite, de rendez-vous manqués, d’évitements et de promesses non tenues. Dès 1957, comme le rappelle Eliane Vogel-Polsky, professeure émérite à la faculté de droit et d’études européennes de l’Université libre de Bruxelles, le traité de Rome posait le principe d’égalité des salaires. Mais, en 1961, les chefs d’Etat et de gouvernement , réunis à Bruxelles, décidèrent de « remplacer le constat, exigé par le traité, de réalisation de l’égalité salariale dans les Etats membres par un calendrier pour l’avenir. C’est donc en 1961 quen très officiellement mais sans dire son nom, au cœur de la plus haute instance politique de la Communauté européenne, il est décidé de remplacer le concept d’égalité par celui d’égalisation ». Il faudra attendre 1976pour que la Cour de justice des Communautés européennes condamne cette violation du traité de Rome, et déclare que le principe de l’égalité salariale qui y est inscrit constitue l’un des droits fondamentaux de la Communauté, aussi important que les droits économiques.
En Pologne et dans nombre de pays européens, l’histoire de Mme Alicja Tysiac a eu un certain retentissement : en mars 2007, elle a réussi à faire condamner son pays devant la Cour Européenne des droits de l’homme ( CEDH ). En 2000, mère de 2 enfants qu’elle élevait seule, elle avait voulu interrompre sa 3° grossesse, qui menaçait de lui faire perdre la vue. L’avortement est interdit en Pologne, sauf en cas de malformation du fœtus, de viol ou de danger pour la santé de la mère, mais les médecins ont rejeté sa demande d’avortement thérapeutique. Après l’accouchement, une hémorragie rétinienne a considérablement dégradé sa vue. Elle risque, à terme, de devenir aveugle. Si mme Tysiac avait pu bénéficier de la législation en vigueur en Suède, sa décision n’aurait dépendu de personne d’autre qu’elle-même ; elle aurait eu un délai de 18 semaines pour mettre un terme à sa grossesse, et l’intervention aurait été prise en charge par l’Etat.
Afin de remédier à de telles inégalités de traitement entre les femmes qui appartiennent à la même entité politique, une équipe de militantes – juristes, avocates, syndicalistes,.. – a étudié les législations en vigueur dans les pays de l’Union européenne en matière de droits des femmes. Elle a réuni les lois les plus progressistes dans chaque domaine au sein de la « clause de l’Européenne la plus favorisée », et propose que ce »bouquet législatif » s’applique à toutes les femmes de l’Union.
Les 255 millions de citoyennes de l’Union européenne ont beau représenter 51,2 % de sa population, elles ne bénéficient pas des mêmes conditions de vie que les Européens, au seul motif qu’elles sont nées femmes. Elles sont discriminées dans tous les aspects de la vie. Leur accès aux responsabilités, tant dans l’entreprise qu’en politique, est restreint. Elles subissent dans leur corps une violence spécifique : en France, tous les 3 jours, une femme décède sous les coups de son compagnon. Elles éprouvent plus de difficultés à travailler, et gagnent, à poste égal, un salaire inférieur de 15 % en moyenne à celui des hommes.
Elles subissent la précarité de l’emploi : 3 travailleurs à bas salaire sur 4 sont des travailleuses, de même que 8 travailleurs sur 10 à temps partiel . Minoritaires au sein de la population active, elles sont majoritaires parmi les chômeurs. Moins bien employées, moins bien payées, interrompant souvent leur vie professionnelle pour élever leurs enfants – et y étant incitées par des congés parentaux qui favorisent la carrière du père -, elles se retrouvent aussi, fatalement, avec des retraites plus faibles : en Italie, en 2004, les femmes disposaient d’un montant de retraite inférieur de 40 % à celui des hommes.
Le problème du financement des retraites se posant de manière plus aigüe que pour les hommes, la défense de leurs droits constitue une excellente boussole pour les choix de société qui devront être faits au cours des prochaines années au sein de l’Union – qui est, rappelons-le, une des zones les plus riches du monde. Le système de retraite par capitalisation, qui tend de plus en plus à compléter ou à remplacer le système par répartition, et qui substitue l’épargne individuelle à la solidarité entre les générations, leur est ainsi particulièrement défavorable : leur accès au dispositif est moins fréquent, car les secteurs dans lesquels elles sont employées sont moins couverts.
En outre, dans le système par capitalisation, à salaire égal, elles doivent épargner davantage que les hommes pour un même niveau de retraite, du fait d’une espérance de vie plus longue. Enfin, c’est elles que ce système expose aux plus gros risques : elles ne peuvent diversifier leurs placements pour faire face à l’effondrement de certains d’entre eux, puisque leurs capacités d’épargne sont moindres.
L’allongement de la durée de cotisation , adopté par plusieurs pays de l’Union, est une solution illusoire : au Danemark, par exemple, il est question de repousser l’âge de la retraite de 65 à 67 ans ; pourtant, si l’on examine la courbe d’âge moyen de sortie du travail dans ce pays, on constate que, d’une part, on a du mal à maintenir les travailleurs en activité au-delà de 62 ans, et que, d’autre part, les femmes sortent plus tôt que les hommes du marché du travail.Seule une hausse des taux de cotisations, adossée à une revalorisation des salaires, ainsi qu’un élargissement de l’assiette des cotisations sociales à l’ensemble de la richesse produite – au lieu des seuls salaires – pourraient empêcher la paupérisation généralisée des retraités, et en premier lieu des retraitées. Comme le dit Hanne-Vibeke Holst, journaliste et écrivaine danoise, « nous ne devrions jamais oublier que le visage de la pauvreté et de la misère est souvent celui d’une femme « .
Dan tous les domaines, la reconnaissance et l’harmonisation par le haut des droits des citoyennes de l’Union profiteraient à tous, comme chaque avancée de la cause des femmes au cours des dernières décennies. C’est à l’issue des années 1970 – une période marquée par de nombreuses luttes, en particulier celle pour la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse ( IVG ) – que l’idée a été avancée pour la 1° fois d’établir un bouquet législatif améliorant chaque aspect de la condition des Européennes.
En 1979 avait eu lieu la 1° élection au suffrage universel de l’Assemblée européenne, éveillant de faire l’Europe des peuples et non celle de Etats et de leurs gouvernements. Quelques mois plus tard, les féministes italiennes – qui sont aujourd’hui confrontées à une offensive majeure contre le droit à l’avortement – avaient demandé à la Commission Européenne d’adopter une directive communautaire étendant à tous les Etats le droit des femmes de choisir de donner la vie.Le projet de clause fut cependant mis de côté durant les années 1980 et 1990, au profit d’autres luttes plus immédiates : pour la parité en politique, pour la criminalisation du viol,..
Pour élaborer la clause, l’association Choisir la cause des femmes a rencontré dans chacun des 27 pays de l’Union, une responsable politique et une féministe emblématique. L’idée de la clause progresse : en novembre 2006, déjà, le commissaire européen chargé de l’emploi et des affaires sociales, M. Vladimir Spidla, avait souligné que ce projet pouvait être étroitement lié à la feuille de route 2006-2010 pour l’égalité entre les femmes et les hommes adoptée par la Commission.
En janvier 2007, Mme Anne-marie Lizin, alors présidente du Sénat belge, a introduit devant cette assemblée une proposition de résolution visant à faire appliquer la clause. En juin 2007, les dirigeants de plusieurs groupes politiques du Parlement européen lui ont également apporté leur soutien. Le groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne – Gauche verte nordique ( GUE-NGL ) l’a inscrit dans son programme. Puis la préparation de la présidence française de l’Union – au cours du second semestre 2008 – lui a donné une nouvelle impulsion.
Pourtant, jusqu’à aujourd’hui, l’histoire de l’Europe et de ses concitoyennes a surtout été faite, de rendez-vous manqués, d’évitements et de promesses non tenues. Dès 1957, comme le rappelle Eliane Vogel-Polsky, professeure émérite à la faculté de droit et d’études européennes de l’Université libre de Bruxelles, le traité de Rome posait le principe d’égalité des salaires. Mais, en 1961, les chefs d’Etat et de gouvernement , réunis à Bruxelles, décidèrent de « remplacer le constat, exigé par le traité, de réalisation de l’égalité salariale dans les Etats membres par un calendrier pour l’avenir. C’est donc en 1961 quen très officiellement mais sans dire son nom, au cœur de la plus haute instance politique de la Communauté européenne, il est décidé de remplacer le concept d’égalité par celui d’égalisation ». Il faudra attendre 1976pour que la Cour de justice des Communautés européennes condamne cette violation du traité de Rome, et déclare que le principe de l’égalité salariale qui y est inscrit constitue l’un des droits fondamentaux de la Communauté, aussi important que les droits économiques.