OTAN: La domination par le controle des flux migratoires
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"La domination mondiale par le contrôle des flux" texte de
Christoph Marischka ainsi que les liens pour d'autres textes sur
l'OTAN documentation de l'IMI
http://www.imi-online.de/2009.php3?id=1938
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[ENG]
La domination mondiale par le contrôle des flux
Le rôle de l’OTAN dans la militarisation des migrations
Ce texte éclaire divers aspects qui, dans la stratégie de l’OTAN,
restreignent la liberté de circulation des personnes et contribuent à
une militarisation des régimes des États frontières tout autour du
globe. L’auteur entend se démarquer de quelques notions utilisées
dans ce contexte et méprisantes pour l’Homme, telles que « flux
migratoires », « Youth Bulge » (poussée démographique de la jeunesse) et « Surplus Population » (population surnuméraire). Ces notions ne sont pas de nature à décrire comme il convient les décisions individuelles, les situations de détresse ou leurs conséquences – sauf à vouloir dominer le monde et, pour ce faire, analyser les tendances démographiques à l’échelle continentale comme le fait l’OTAN.
L’opération Active Endeavour
Juste après les attentats du 11 septembre 2001 et pour la première
fois dans son histoire, l’OTAN mettait en œuvre la clause de défense mutuelle et du même coup se lançait effectivement dans une guerre contre un ennemi invisible et abstrait, le terrorisme international. L’un des aspects de cette guerre globale consiste pour l’OTAN à déployer sa flotte méditerranéenne qui, depuis lors, patrouille en Méditerranée dans le cadre de l’opération Active Endeavour pour surveiller la navigation commerciale. Jusqu’en novembre 2007, 88 590 navires ont été contactés, 488 accompagnés et 125 contrôlés dans le cadre de cette mission. Une
vidéo de propagande de l’OTAN intitulée « Defence Against Terrorism » illustre le déroulement de ces inspections : plusieurs navires de guerre font mouvement vers l’objet ciblé – un pétrolier en l’occurrence –,survolé par des hélicoptères embarquant des mitrailleuses et leurs serveurs. Le navire est contacté par radio et interrogé sur sa provenance, son chargement et sa destination. Ces indications sont rapprochées des données de l’« intelligence network » de l’OTAN. Des inspections sont effectuées en cas d’incohérences, mais aussi sur un principe aléatoire. L’équipage doit se rassembler sur le pont, des soldats de l’OTAN vêtus de gilets pare-balles embarquent sur des pneumatiques et montent à bord du navire en pointant leurs armes. Ils jettent un coup d’œil sur les journaux de bord et le chargement, arpentent les couloirs et les salles du pétrolier. De tels contrôles en mer ne sont admissibles qu’en état de guerre, effectivement proclamé en Méditerranée lorsque l’OTAN a fait jouer le mécanisme de solidarité militaire, aujourd'hui encore en vigueur. Officiellement, l’opération Active Endeavour a pour but d’empêcher l’irruption de terroristes en
Europe, mais surtout d’armes et de substances de combat transitant par la Méditerranée. En outre, ces contrôles comportent des recherches « non spécifiques ». Les soldats cherchent à se faire une image du navire et sont attentifs à tout ce qui est suspect. « Jusqu’ici, toutes les inspections se sont avérées négatives », est-il dit dans le film, « en d’autres termes, nous n’avons jamais découvert d’armes ou de matériel suspect ». Sans qu’il faille toutefois sous-estimer l’effet préventif de l’opération. Ce déploiement militaire en Méditerranée vise à intimider les équipages des navires et à les contraindre à une obéissance obséquieuse. Ce qui implique notamment d’inspecter le chargement avec minutie, de se montrer intraitable envers les passagers clandestins et, dans le doute, de ne pas secourir des réfugiés sur une embarcation en
perdition. En effet, le sauvetage de naufragés en Méditerranée a déjà entraîné plusieurs plaintes contre les équipages des navires. Du moins l’ambassadrice des États-Unis à Malte tente-t-elle d’accréditer l’efficacité de la militarisation de la Méditerranée – l’une des plus importantes frontières extérieures de l’UE et un espace séparant les deux rives d’un des plus importants différentiels de richesse au monde – comme faisant partie d’une stratégie de retranchement de l’UE à l’encontre de migrants indésirables. L’opération Active Endeavour aurait un « effet secondaire utile » : « Dans la partie occidentale de la Méditerranée, là où a débuté la mission, les migrations clandestines ont été réduites de 50 %. »[1] Il est toutefois douteux d’y voir la principale raison d’être de l’opération, qu’il faut davantage rechercher dans un objectif à long terme : maîtriser militairement les flux de marchandises, d’informations et de personnes qui, aux yeux des stratèges
de l’OTAN, constituent essentiellement le monde globalisé qu’il
s’agit ainsi de dominer. Le terrorisme est actuellement le principal
prétexte avancé pour justifier cet objectif – en Méditerranée et ailleurs.
Une Afrique hérissée de frontières
De même, c’est largement par hasard que l’OTAN, qui avait
initialement choisi la Mauritanie pour effectuer ses premières manœuvres officielles en Afrique en 2006 (Steadfast Jaguar), s’est rabattue sur les îles Cap-Vert, d’où le nombre de réfugiés embarqués vers les Canaries avait peu avant monté en flèche en raison précisément du verrouillage progressif de la Méditerranée. L’intérêt de l’OTAN pour la côte ouest-africaine est en premier lieu motivé par les ressources naturelles qui s’y trouvent et par les terminaux des oléoducs du Nigéria et de la République Centrafricaine.[2] La côte du Nigéria en particulier est vue comme un « point chaud » de la piraterie, et des escadres navales
internationales ont donc pour mission de mieux la contrôler pour
garantir un approvisionnement sûr et bon marché du Premier Monde en pétrole du Tiers-Monde. Mais là encore, on risque d’interpréter trop étroitement les intérêts de l’OTAN en ne pensant qu’au pétrole. Un an plus tard, en juillet 2007, une partie de la flotte méditerranéenne de l’OTAN a contourné toute l’Afrique pour « démontrer la capacité de l’OTAN à garantir la sécurité et le droit international en haute mer.
»[3] La flotte a longé la côte ouest-africaine, affirmé visiblement
sa présence dans le delta du Niger puis filé vers l’Afrique du Sud pour un exercice conjoint avec la marine de ce pays. Enfin, les navires de guerre ont visité les Seychelles, et avant de regagner la
Méditerranée par le canal de Suez, ils ont effectué des manœuvres au large de la Somalie – où d’ailleurs des bâtiments de l’OTAN croisent en permanence, depuis 2001 là aussi, dans le cadre de l’opération Enduring Freedom.
Par ailleurs, dans le cadre de l’initiative « Africa Partnership
Station » lancée par la marine des Etats-Unis, des navires de guerre américains font régulièrement escale dans des ports d’Afrique occidentale pour effectuer des exercices conjoints ou dispenser des formations aux garde-côte et aux marines respectives. Cette initiative vise à « améliorer l’aptitude des nations participantes à étendre à la mer le règne du droit et à mieux combattre la pêche illégale, la traite d’êtres humains, le trafic de drogue, le vol de pétrole et la piraterie ».[4]
Bien que ces missions soient strictement américaines a priori, les
forces des États-Unis empruntent presque toujours les bases de l’OTAN en Europe pour opérer en Afrique, nombre de bâtiments engagés y ont leur port d’attache et font temporairement partie d’escadres de l’OTAN.
L’UE aussi est militairement active en Afrique occidentale et souhaite élargir son engagement, jusqu’ici limité à la Guinée-Bissau. Elle motive son action par le trafic de drogue qui partirait de cette région et par le peu de fiabilité des forces de sécurité. En réformant les polices et les armées des pays concernés, en installant sa propre technologie de surveillance, elle aspire à mieux surveiller les ports et les aéroports.[5] En effet, les carrefours internationaux qui ne sont pas sujets à son propre contrôle sont perçus comme une menace en soi pour la sécurité européenne.
Hormis l’endiguement des migrations, la lutte contre la drogue est un autre but poursuivi par le projet espagnol Sea Horse Network. Il
consiste pour l’essentiel à transmettre aux organes de sécurité
intéressés des photographies de la côte ouest-africaine prises en
temps réel par des satellites européens, mais il comprend aussi des
programmes de formation des forces de sécurité engagées dans la gestion des frontières.[6] Les États-Unis projettent dans presque tous les États africains des programmes similaires placés sous le signe du contre-terrorisme. La sécurisation des frontières en Afrique est considérée comme l’instrument majeur de la guerre contre le terrorisme.
Serait-ce simplement parce qu’en soi les États dits « en échec »
passent pour être un repaire et une base de repli de terroristes, la plaque tournante d’armes (de destruction massive), et parce que le contrôle de ses propres frontières, du point de vue de l’Occident, est l’un des attributs essentiels de l’étatité. Mais aussi parce des analyses semblent avoir montré que des États très instables offraient certes des possibilités de financement et de recrutement à des groupes terroristes dont les réseaux doivent toutefois s’appuyer sur un minimum d’infrastructure (et donc sur des États un peu plus stables) pour opérer à l’échelle internationale. C’est pourquoi une grande importance est également reconnue aux frontières intérieures africaines.[7] Quoi qu’il en soit, les franchissements incontrôlés des frontières, ce qui est la normale entre nombre de pays africains, sont perçus comme une menace.
Il s’agit donc d’y faire obstacle grâce à des programmes tels que la Pan Sahel Initiative (PSI, rebaptisée par la suite Trans-Sahara Counter Terrorism Initiative – TSCTI) dans le cadre de laquelle le Tchad, le Niger, le Mali et la Maurétanie ont reçu des formations et des équipements pour la protection des frontières.[8] Par là-même, les États-Unis vont au-devant de l’Union européenne qui, dans les mêmes pays et en particulier en Afrique du Nord, s’efforce de boucler les frontières interafricaines pour les migrants potentiels vers l’UE.
Les initiatives américaines, tout d’abord dirigées de Stuttgart par le
Commandement européen de l’armée américaine (EUCOM), le sont
désormais par l’AfriCom (Centre de commandement militaire des Etats-Unis pour l'Afrique), basé auprès de l’EUCOM et tout aussi étroitement imbriqué dans l’OTAN.
Une Eurasie hérissée de frontières
En tout état de cause, l’OTAN a fait sienne, dans le cadre de son
programme « Partnership for Peace » (PfP), l’argumentation esquissée ci-dessus : « Les frontières sont une des premières lignes de défense contre le terrorisme. »[9] Conçu en 1994 pour des candidats potentiels à l’adhésion dans les Balkans et la Baltique, cet instrument sert pourtant aujourd'hui à l’OTAN de levier d’influence jusque dans les profondeurs de l’espace asiatique. Dans le cadre du PfP, l’OTAN pousse ses partenaires – même les États qui ne pourront jamais en devenir membres – à remodeler leur secteur de sécurité et donc la protection de leurs frontières conformément à ses propres vues, ainsi qu’à coopérer avec des
organisations internationales comme l’International Organization for
Migration (IOM) ou Interpol. Le module du PfP chargé de lutter contre le terrorisme (PAP-T) prévoit l’échange d’informations entre services secrets sur la criminalité et les transferts de fonds transnationaux, ainsi que la formation et l’équipement des autorités nationales de protection des frontières. L’École de l’OTAN d’Oberammergau ainsi que les centres de formation du PfP en Grèce et en Turquie proposent des cours sur la « sécurisation des frontières » qui, de manière explicite, portent aussi sur les moyens de faire obstacle aux migrations « clandestines ».[10] De même, le Centre européen George C. Marshall de l’OTAN à Garmisch organisait par exemple, en avril 2007, une conférence de cinq jours sur l’échange de best practices dans la protection des frontières, avec la participation de représentants de 26 membres de l’OTAN et États partenaires.[11] De plus, l’OTAN organise l’échange
d’informations sur les itinéraires migratoires, entre partenaires
réciproquement et avec des organisations internationales. Elle prend ainsi une part directe dans l’aménagement du régime politique de pays frontières tels que la Moldavie, mais aussi le Tadjikistan,
l’Ousbékistan et l’Azerbaïdjan. En Asie centrale, la « sécurisation
des frontières » est l’un des points forts de son action.[12] Interrogé sur les futures missions de l’OTAN, Peter W. Singer de la Brookings Institution répondit en mentionnant notamment l’expérience acquise par l’Alliance en exportant la sécurisation des frontières dans les Balkans et en Asie centrale. L’OTAN ne doit pas se restreindre aux fonctions militaires classiques, mais au contraire assurer aussi davantage de « nouvelles fonctions de sécurité ».[13]
En matière de gestion des frontières, l’OTAN a effectivement accumulé dans les Balkans une expérience considérable, quoique pas toujours glorieuse. Tous les États des Balkans (à l’exception du Kosovo) sont ou ont été partenaires du programme PfP, ils ont conformé leur secteur de sécurité, protection des frontières comprise, aux attentes de l’OTAN, ou sont en train de le faire. Au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine, l’OTAN a elle-même assuré dans l’intervalle la protection des frontières dans le cadre de missions militaires d’occupation, puis a participé directement à la mise sur pied d’unités de protection des frontières constituées de
personnels locaux. De concert avec l’UE et l’OSCE, elle a par
ailleurs engagé le processus d’Ohrid en 2003 pour mieux sécuriser les frontières, améliorer la coopération entre les garde-frontière des États des Balkans occidentaux et adapter leurs régimes de migration aux exigences de l’UE.
De même, l’OTAN est impliquée dans un durcissement et une
militarisation de la surveillance des frontières dans la région de la mer Noire qui, selon les dires d’Ilkka Laitinen, le directeur de Frontex, est un des points chauds des migrations clandestines et un futur champ d’action de cette Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l'UE[14]. De même, l’OTAN attache à cette région une énorme importance stratégique, non seulement parce que sa propre zone d’influence confine ici à celle de la Russie et que les exutoires de plusieurs oléoducs se situent en mer Noire, mais aussi parce que l’OTAN considère la mer Noire comme une
zone par laquelle transitent sans contrôle des personnes, des armes et des stupéfiants – en particulier à partir de l’Afghanistan. Raison pour laquelle elle entendait étendre à cette région son engagement Active Endeavour décrit ci-dessus, mais elle a échoué sur l’opposition de la Russie et de la Turquie. Au lieu de cela, ces deux pays ont entamé leur propre opération, Black Sea Harmony, sur le modèle de Active Endeavour.[15] Auparavant, ils avaient aussi participé, du moins passagèrement, à l’opération méditerranéenne de l’OTAN pour en étudier les pratiques.