LES PLANTATIONS INDUSTRIELLES D’ARBRES EN AMERIQUE LATINE : COMMENT, POUR QUOI FAIRE, POUR QUI
Aux yeux des grandes entreprises et des conglomérats commerciaux, les territoires d’Amérique latine ont deux caractéristiques : leur grande surface et l’existence de marchandises très prisées, comme le bois, le palmier à huile, les cultures commerciales, la viande, la laine, les matières premières des agrocarburants, les ressources génétiques, le sol, l’eau. Ils attirent comme un aimant le gros capital.
Les grandes étendues d’écosystèmes riches en diversité biologique – selve, forêt, pampa, sierra, hauts plateaux, savane – ont été la base territoriale sur laquelle ont proliféré les diverses modalités culturelles et productives des communautés de la région. Les grands commerçants voient comme des marchandises les éléments qui ont constitué la tradition agricole millénaire de beaucoup de peuples, dont les vestiges témoignent du niveau de connaissances qu’ils avaient atteint.
Aujourd’hui comme il y a plus de 500 ans, le colonialisme est toujours vivant, avec d’autres formes et sous d’autres noms. Les bateaux qui partaient autrefois des ports latino-américains chargés d’or, d’argent, de cacao ou de caoutchouc sont aujourd’hui d’énormes cargos qui emportent notre eau et notre sol dans les rondins, les copeaux, la pâte à papier, l’huile de palme. Ils emportent aussi, de manière sophistiquée, notre atmosphère pour la vendre sur le marché du carbone. Ils emportent, en définitive, au prix du marché, l’avenir des prochaines générations.
L’actuelle mondialisation des marchés repose sur une structure de subordination – des pays du Sud par rapport à ceux du Nord, des groupes qui vendent leur force de travail par rapport aux propriétaires du capital, des minorités ethniques par rapport aux groupes hégémoniques, du sexe féminin par rapport au sexe masculin. Cette subordination a permis la formation d’un capital excédentaire chez les groupes dominants, au prix de nombreuses inégalités intrinsèques et de la pénurie des groupes subordonnés.
C’est dans le cadre de l’expansion de ce capital accumulé que la mondialisation devient une plateforme idéale pour que des groupements d’entreprises de plus en plus concentrés s’approprient la nature et la transforment en marchandise. La production se fait à une échelle de plus en plus grande et de façon de plus en plus uniforme, à l’intention de marchés de plus en plus grands et convenablement uniformisés. La consommation devient la base et le moteur de l’économie et, bien souvent, les politiques sociales permettent d’introduire les améliorations nécessaires pour maintenir le système en place et même pour accroître le nombre des consommateurs.
La plantation industrielle d’arbres exotiques, qui fait partie de cette expansion, démarre dans le continent dans les années 1950, par l’occupation et l’appropriation de la terre et de l’eau et aux dépens des écosystèmes et des populations locales. Il ne s’agit pas d’un projet isolé : il s’insère dans le modèle de la « révolution verte » préconisée par la FAO, qui consolide l’industrialisation de l’agriculture. Viennent ensuite la Banque mondiale, le FMI, la BID, les processus des Nations unies en matière de forêts (GIF, FIF, FNUF), des agences bilatérales telles que GTZ et JICA, des sociétés conseil comme Jaakko Poyry. Grâce à des mécanismes de prêt, de subvention, d’extension, de formation, de propagande, ils réussissent à faire valoir leurs arguments dans le monde scientifique et universitaire et à influer sur les politiques étatiques de plusieurs pays qui, en appliquant des modèles assez semblables entre eux, favorisent l’introduction en Amérique latine de plantations forestières à des fins d’exportation.
D’après la FAO, entre 2000 et 2005 la superficie des plantations forestières a augmenté de 2,8 millions d’hectares par an [1], et les données concernant 2009 indiquent que dans la région Amérique latine et Caraïbes il y a 12,5 millions d’hectares de plantations d’arbres, le palmier à huile non compris. Pour 2020 on prévoit une augmentation qui porterait la surface des plantations forestières à 17,3 millions d’hectares.
Ainsi, la région est considérée comme « leader en plantations forestières de forte productivité », en particulier l’Argentine, le Brésil, le Chili et l’Uruguay qui possèdent 78 % des plantations de ce genre. Les plantations fortement productives sont surtout celles d’espèces sélectionnées pour la rapidité de leur croissance, les principales étant l’eucalyptus (65 % des plantations du Brésil, 80 % de celles de l’Uruguay) et le pin (49 % des surfaces plantées en Argentine, 78 % de celles du Chili). En dehors de la place dominante de ces pays, il y a dans presque toute la région de grandes étendues de plantations forestières.
Du bois pour fabriquer de la pâte à papier
Jusqu’à présent, la plupart des plantations de variétés d’eucalyptus et de pins à croissance rapide sont destinées à la production de pâte à papier, une activité industrielle très polluante et qui consomme beaucoup d’eau et d’énergie (elle figure à la 5e place parmi les consommateurs industriels d’énergie du monde). Bien entendu, la fabrication industrielle de papier a été très avantageuse pour l’humanité : c’est elle qui permit, dans les années 1800, de baisser les coûts et de divulguer la lecture et l’écriture. Cependant, la production actuelle dépasse de beaucoup les besoins associés à l’accès à l’éducation, bien que cet emploi soit utilisé comme un fort argument pour justifier le besoin de produire toujours plus de papier. En fait, l’emballage consomme beaucoup plus de papier que l’éducation, l’information et les communications ; à cela s’ajoutent bien d’autres produits caractéristiques de cette ère de consommation de produits jetables.
Cela met en lumière la fausseté de la prémisse suivant laquelle le niveau de l’éducation est proportionnel à la consommation de papier. Il suffit de comparer le taux de consommation de papier et carton avec le taux de scolarité. Ainsi, à Cuba, qui consomme beaucoup moins de papier que les États-Unis, la Finlande ou le Chili, les taux d’inscription à l’éducation tertiaire sont supérieurs à ceux du Chili et des États-Unis. [2]
Consommation de papier et de carton par personne et par an (2005) Europe : 132,39 kg (Finlande 324,97 kg) États-Unis : 297, 05 kg Amérique du Sud, Amérique centrale et Caraïbes : 84,85 ig (Chili 64,57 kg, Cuba 8,63 kg).
Éducation : taux brut d’immatriculation au niveau secondaire (2006) Finlande : 93 % États-Unis : 82 % Chili : 48 % Cuba : 88 %
Les inégalités dans la consommation coïncident avec les inégalités intrinsèques au modèle actuel où dominent les intérêts des grandes entreprises, mais elles montrent aussi que la consommation démesurée n’est pas nécessaire au développement humain.
D’autre part, les plantations d’arbres, point de départ de la chaîne papetière, ont été introduites et continuent d’arriver dans les territoires latino-américains sous prétexte qu’elles « contribuent au développement ». Néanmoins, dans le cas emblématique du Chili où les plantations forestières ont toujours été fortement soutenues par l’État au détriment de la forêt indigène, un article de l’organisation CODEFF [3] signale que les recensements de population prouvent que « les communes qui ont les plus grandes surfaces de plantations sont celles qui ont déplacé la plus forte proportion de paysans vers les zones urbaines et provoqué les taux de pauvreté les plus importants ».
La coupe incontrôlée d’espèces indigènes pour planter des espèces exotiques comme l’eucalyptus a abouti à la destruction d’espèces animales et végétales endémiques et provoqué des altérations du système hydrologique, comme l’a dit Bernardo Zentilli, président de CODEFF. Il a ajouté que la modification de l’équilibre hydrique a provoqué de fortes crues en hiver et l’assèchement des marais en été, de sorte que la surface cultivable a diminué.
Le même article cite l’AIFBN (Association d’ingénieurs forestiers pour la forêt indigène), d’après laquelle « entre 1978 et 1987, près de 50 000 hectares de forêt indigène ont disparu dans deux des principales régions boisées du pays (VII et VIII), ainsi que presque un tiers des forêts littorales de la région VIII, qui ont été remplacées par des plantations de pins. L’actualisation du cadastre des ressources végétales indigènes de la région Los Ríos indique que plus de 20 000 hectares de forêt indigène ont été remplacés par des plantations d’arbres exotiques au cours de la dernière décennie ».
Le fruit de la discorde : le palmier à huile
Le palmier à huile, d’origine africaine, est utilisé depuis longtemps pour l’obtention d’huile. Depuis quelque temps, l’huile est employée à des fins industrielles et, plus récemment, en raison de la crise climatique sa production a brusquement augmenté, du fait qu’il y aurait là une possibilité censément « écologique » de continuer à alimenter le mode de production et de consommation inviable qui est à la racine du problème mais qui reste intact.
En Amérique latine, la culture du palmier à huile se fait en régime de monoculture sur de grandes étendues, au prix du déplacement forcé des populations autochtones ; dans certains cas, les paysans y contribuent avec leur travail et, souvent, avec leur terre. D’autre part, les nouvelles plantations se font habituellement dans des zones de forêt tropicale humide, qui sont rasées, drainées, fertilisées, plantées et pulvérisées sans cesse avec de puissants herbicides qui, joints aux engrais chimiques, arrivent au sol et polluent les sources d’eau. Comme ce mode de production interdit toute autre culture, il porte atteinte à la souveraineté alimentaire des communautés locales. En outre, pour maximiser la teneur en huile de chaque fruit ou plante, on assèche la terre au moyen de canaux qui drainent les lacs, les ruisseaux et toute zone humide proche des plantations, ce qui affecte la flore et la faune. [4]
La culture du palmier à huile se développe rapidement dans d’autres zones tropicales favorables de la région. Au Mexique, les plantations envahissent à feu et à sang la forêt Lacandona ; au Pérou, les habitants de l’Amazonie proclament que « la forêt n’est pas à vendre, il faut la défendre » et affrontent le groupe Romero ; au Guatemala, les palmiers se multiplient au milieu des expulsions et des achats forcés de terres des communautés appauvries qui se voient obligées d’émigrer ; au Honduras, les paysans et les membres du MUCA (Mouvement paysan unifié de l’Aguán) ont été brutalement réprimés par l’armée et la police qui défendaient le propriétaire terrien Miguel Facussé Barjun, surnommé « le palmiculteur de la mort » ; au Nicaragua, les plantations de palmiers sont la nouvelle affaire de la United Brands, autrefois United Fruit, une société associée à une longue histoire de manipulations politiques et sociales ; au Costa Rica, la culture du palmier s’affirme de plus en plus.
Le cas de la Colombie est représentatif : les plantations de palmiers à huile couvrent plus de 360 000 hectares, et l’ex-président Uribe a annoncé qu’elles atteindraient 6 millions d’hectares. La production, financée surtout par la Banque mondiale, a été fondée sur le dépouillement des communautés locales de leurs terres collectives. Meurtres, destruction de logements et de matériels, déplacements massifs, blocages économiques, harcèlements continuels, menaces, violences permanentes de la part de l’armée nationale et des paramilitaires au service des entreprises : tel a été le prix de ce progrès, comme le dénonce la Comisión Intereclesial de Justicia y Paz. Dans le cas de Bajo Atrato, l’expansion du palmier a dépouillé de plus de 25 000 hectares 15 hameaux du Curvaradó et de plus de 20 000 hectares quatre hameaux du Cacarica, alors que des gouvernements antérieurs leur en avaient donné la propriété collective. [5]
Les travailleurs des plantations de palmiers travaillent dans des conditions d’esclavage. La surveillance par des hommes armés pendant la journée de travail, et le paiement en tickets d’alimentation à échanger dans les magasins de l’entreprise, sans que le travailleur puisse recevoir son salaire en argent et en disposer librement, sont le visage caché de l’énergie supposée « propre » qu’offrirait l’agrocarburant obtenu du palmier à huile.
Indupalma est une des entreprises de plantation leaders en Colombie. Pour se développer, elle a suivi l’exemple de la Malaisie et créé des alliances avec les paysans pour produire les palmiers dans de petites propriétés mais sans couper les liens avec le gros capital. En 1995, Indupalma a proposé au syndicat Sintraindupalma la formation d’alliances. Quand le syndicat a refusé, les paramilitaires ont assassiné 4 dirigeants et fait disparaître un autre. [6]
Des cosmétiques pour les plantations
Confronté aux fortes critiques qu’a soulevées dans le monde entier l’expansion des plantations de palmiers à huile en raison des graves répercussions environnementales et socio-économiques et de la violation des droits de l’homme qu’elle comporte, le secteur a réagi en essayant de « verdir » son image. Ainsi est apparue la Table ronde pour la production durable d’huile de palme (RSPO d’après l’anglais), à l’intention surtout des consommateurs européens et nord-américains.
Dans le même sens, la Colombie a proposé le programme du « palmier paysan », qui vise à intégrer la culture du palmier à huile au système de production agro-alimentaire. L’organisation colombienne Grupo Semillas met en question la durabilité à long terme de ce programme, parce que « il faut non seulement évaluer si cette culture est viable et rentable pour l’agriculteur mais savoir aussi qui contrôlera finalement tout le processus ». [7]
Dans le Chocó biogéographique, les organisations afrocolombiennes et indigènes, à l’occasion d’une réunion convoquée par l’organisation conservationniste WWF pour promouvoir le « palmier durable », ont refusé de participer aussi bien à la production industrielle du palmier qu’à l’initiative du « palmier durable », à cause des graves impacts de cette culture, qui supposent des atteintes à leurs droits, en particulier leur droit ancestral au territoire, la perte d’autonomie, la disparition de leurs méthodes traditionnelles de production, la détérioration de leur culture et des manifestations de la diversité. [8]
De leur côté, les plantations d’eucalyptus ont elles aussi un maquillage qui les favorise. Le FSC est le principal système de certification qui a donné son label aux plantations forestières à grande échelle : environ huit millions d’hectares dans huit pays. En l’état de Bahia, au Brésil, l’entreprise forestière Veracel (à laquelle participent Stora Enso et Aracruz Celulose) a plus de 100 000 ha de plantations d’eucalyptus. Veracel a dépouillé de leurs terres la plupart des indigènes des peuples pataxó et tupinambá, elle emploie de grands volumes du pesticide Sulfluramida, interdit par le FSC, et elle a dû payer des amendes pour avoir tué une quantité considérable d’arbres indigènes avec des herbicides et pour avoir déboisé et planté trop près des parcs nationaux. Malgré tout cela, elle a obtenu le label FSC.
Toutes ces initiatives visent à doter l’affaire d’une bonne image. Cependant, l’erreur fondamentale est de vouloir faire passer pour durable ce qui par définition ne l’est pas : un produit obtenu de plantations industrielles d’arbres surtout exotiques, qui ont de graves répercussions sur l’eau, le sol, la faune et la flore sauvages, les forêts, les moyens d’existence et la santé humaine, et qui provoquent des déplacements de personnes et des violations des droits de l’homme.
La criminalisation de la protestation sociale
Dans beaucoup de pays latino-américains, les mouvements ou processus populaires qui luttent contre la perte de leurs territoires, de l’eau, de la forêt et de leurs moyens d’existence à cause des plantations, qu’il s’agisse d’eucalyptus, de pins, de palmiers, d’hévéas, etc., sont confrontés à ce qu’on appelle la « criminalisation » de la résistance. Il s’agit d’une tactique qui consiste à qualifier de délits les actes de résistance et à porter au domaine judiciaire et pénal un conflit intrinsèquement social. Ainsi les entreprises, en l’occurrence les entreprises forestières ou de plantation de palmiers, peuvent se servir de la capacité punitive de l’État pour neutraliser l’opposition.
Des leaders sociaux reconnus et respectés, des personnes qui défendent légitimement leur identité, leur mode de vie et leurs méthodes de production, se voient persécutés, incarcérés, jugés et même assassinés. On combine la répression avec l’utilisation formelle de la légalité pour pénaliser les acteurs sociaux qui s’opposent à des politiques et des méthodes de production qui, pour gagner de l’argent, conspirent en définitive contre la survie de la planète.
Au Chili, les prisons hébergent des dizaines de prisonniers politiques mapuches qui défendent leur territoire contre l’invasion des plantations d’eucalyptus et de pins. La plupart finissent par être jugés en application de la législation antiterroriste qui subsiste depuis l’époque du tyran Pinochet. Malgré cela, la résistance continue dans la prison sous la forme de grèves de la faim, tandis que la répression s’étend à la famille des détenus. En Colombie, dans la région du Chocó, les Afrocolombiens et les organisations des droits de l’homme, comme en ce moment Justicia y Paz, subissent les menaces et la violence des militaires et des paramilitaires pour leur opposition à l’agro-industrie du palmier à huile et à l’extension de l’élevage. Au Honduras, la lutte sociale des paysans de Bajo Aguán pour la défense de leurs droits sur les terres qui leur ont été volées pour la production extensive de palmiers à huile a eu pour résultat tragique de nombreux morts et blessés, un pas de plus dans l’escalade de la répression que vit le pays depuis le coup d’État de juin 2009.
Les effets suivant le sexe
L’expansion de la monoculture d’arbres, comme tous les mégaprojets antisociaux, a des effets différents suivant le sexe. Comme le montre une déclaration des femmes sur les impacts de l’expansion des plantations d’arbres exotiques sur la prairie, prononcée en 2009 à l’occasion du Congrès forestier mondial organisé en Argentine, les plantations d’eucalyptus ont provoqué « des situations de peur, de violence et de harcèlement sexuel. Beaucoup de femmes disent qu’elles ont peur de marcher seules à proximité des plantations, à cause de la présence de personnes étrangères à la communauté. Ainsi, elles n’ont plus le droit de se déplacer librement, ce qui entraîne la modification de leurs habitudes et coutumes. En outre, beaucoup d’entre elles ont subi des harcèlements de la part des travailleurs. Cela s’est traduit par une diminution de l’indépendance et de l’autonomie des travailleuses et des femmes en général ».
La déclaration fait référence à d’autres effets qui risquent de contribuer à déstructurer le tissu social et familial et à susciter la prostitution, la prolifération de maladies de transmission sexuelle, la consommation de drogues, la modification des habitudes alimentaires, « comme cela arrive en général après l’arrivée de ce genre d’entreprises. Malheureusement, les institutions publiques ne comptabilisent ni n’analysent ces impacts ».
Dans la conclusion, les femmes disent : « nous résisterons et nous continuerons de lutter aussi longtemps qu’il faudra, non seulement contre l’expansion des plantations d’arbres exotiques et les mégaprojets des entreprises papetières, mais contre la marchandisation de la vie et l’affaiblissement de l’autonomie des femmes. Nous, les femmes, nous avons la capacité de faire que ‘des choses nouvelles arrivent’, et nous sommes en train de le faire ». [9]
Au Brésil, le 8 mars de chaque année, Journée internationale de la femme, les femmes paysannes, indigènes ou noires du Mouvement Sans Terre et de La Vía Campesina sont devenues l’étendard de la lutte contre l’invasion des eucalyptus des entreprises de pâte telles que Stora Enso, Votorantin/Fibria, Suzano, Veracel. Les femmes dénoncent que ces armées de soldats clonés sous forme d’eucalyptus s’emparent des terres des peuples indigènes, des communautés locales, des familles paysannes, les dépouillant de leur identité, de leurs connaissances, de leur capacité de produire et de consommer des aliments sains et appropriés à leur culture. Elles luttent contre l’agro-industrie et pour la souveraineté alimentaire.
Elles dénoncent aussi qu’à cette oppression s’ajoutent les différences suivant le sexe, la situation d’inégalité de la femme qui l’oblige à porter presque entièrement la responsabilité des enfants, qui fait rétribuer différemment les hommes et les femmes pour le même travail, qui souvent fait d’elles la cible de harcèlements sexuels et qui, malheureusement, les condamne parfois à être victimes de violence physique de la part des hommes, même au sein de leur famille.
L’affaire du changement climatique
Personne n’est à l’abri de l’appétit mercantiliste. La crise climatique est devenue une nouvelle affaire où les fausses solutions proposées par des organismes internationaux tels que la Banque mondiale et même le Protocole de Kyoto favorisent l’expansion de la monoculture d’arbres. Au moyen des puits de carbone, qui font partie du Mécanisme de développement propre, ou du système REDD+ (réduction des émissions dues au déboisement et à la dégradation), qui pourrait inclure les plantations industrielles d’arbres comme une manière « d’augmenter les réserves de carbone forestier » susceptible de recevoir du financement, les entreprises trouvent de nouveaux « marchés » et la plantation d’arbres se déguise en forêt pour investir de grosses sommes dans le marché du carbone.
En Colombie, la Convention-cadre de concertation pour une production plus propre (1995) permet aux entreprises de plantation de palmiers de participer à l’affaire des puits de carbone surgie dans le cadre du Protocole de Kyoto. Les incitations financières et les avantages fiscaux accordés par le gouvernement pour le développement de technologies qui permettent de capter le gaz méthane de l’environnement permettraient aux entreprises d’obtenir des bénéfices additionnels dans un nouveau créneau : le marché du carbone.
L’Equateur aussi préconise la plantation d’un million d’hectares d’arbres pour vendre des certificats de réduction des émissions (CER) sur le marché mondial du carbone, par le biais du Plan national de boisement et reboisement du programme Proforestal.
L’affaire de la plantation d’arbres est avantageuse aussi pour des entreprises extérieures à la filière : Nestlé Waters France veut compenser, par des projets de reboisement, l’équivalent des émissions annuelles de carbone qui découlent de la production de l’eau minérale Vittel en France et en Belgique. Pour ce faire, elle financera la plantation de 350 000 arbres dans l’Amazonie bolivienne et un autre projet de plantations dans la forêt péruvienne, et elle entend planter le même nombre d’arbres chaque année. [11]
Au Brésil, l’entreprise sidérurgique et forestière Plantar S.A. Reflorestamentos a des plantations industrielles d’eucalyptus dans l’État de Minas Gerais. En dépit du fait que ces arbres sont utilisés pour la fabrication de fer en lingots, qu’elle s’est appropriée des terres, au détriment de l’eau, du sol et du riche biome du Cerrado, et qu’il s’agit d’une industrie très polluante, l’entreprise a essayé plusieurs fois d’obtenir des crédits du MDL pour financer ses plantations d’eucalyptus. Elle allègue que cette énergie serait moins polluante que celle produite à partir du charbon. Or, il s’agit d’une ruse commerciale pour gagner sur tous les tableaux, puisque l’entreprise n’a jamais utilisé du charbon.
Vers un modèle différent
La plantation industrielle d’arbres en régime de monoculture est incompatible avec la manifestation naturelle de la vie, qui est diverse. Elle est artificielle, destructive, polluante.
Les peuples des pays d’Amérique latine ont su tisser des réseaux sociaux pour dénoncer les impacts de la monoculture d’arbres. C’est le cas du Réseau latino-américain contre la monoculture d’arbres 8RECOMA), un réseau décentralisé d’organisations latino-américaines qui coordonne des actions, cherche du soutien pour les luttes locales et les alternatives sociales et environnementales appropriées aux différentes réalités, et fait des échanges horizontaux entre les pays.
Bien d’autres initiatives vont dans le même sens, comme l’expérience des familles quilombolas d’Espírito Santo, au Brésil, qui trouvent, au milieu des eucalyptus, des moyens de survivre et de lutter pour reconquérir leurs ressources naturelles et leur patrimoine génétique. Les communautés améliorent les méthodes traditionnelles et adaptent des techniques de gestion, ouvrent des voies de commercialisation dans les marchés locaux et régionaux, et encouragent les échanges permanents de semences et de méthodes agricoles entre les communautés.
La recherche d’une voie différente pour la production, la commercialisation et la consommation qui nous éloigne du processus actuel d’extermination est devenue un impératif, et les communautés qui résistent sont celles qui peuvent susciter le changement nécessaire, en créant la souveraineté locale, en construisant la souveraineté alimentaire. Il faudra continuer de travailler pour changer de cap.
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[1] Evaluación de los Recursos Forestales Mundiales 2005, 15 Resultados Claves, .
[2] World Resources Institute, indicateurs sur l’éducation ; indicateurs sur la consommation de papier : .
[3] “Plantaciones de eucalyptus ponen en peligro al bosque nativo”, Comité Nacional Pro Defensa de la Flora y Fauna (CODEFF), distribué par Ecoportal, , et Servindi, .
[4] “Palma africana : un proyecto mundial socialmente y ecológicamente destructor”, François Houtart, 2006, http://colombia.indymedia.org/news/....
[5] “Agronegocios de palma y banano en el Bajo Atrato. Impactos ambientales y socioeconómicos”, Comisión Intereclesial de Justicia y Paz, www.pasc.ca/IMG/doc/Palma_y_....
[6] “En Medio del Engaño : El Magdalena Medio y el Banco Mundial”, Gearóid Ó Loingsigh, 2010, http://www.redcolombia.org/index.php ? option=com_content&task=view&id=1070&Itemid=36.
[7] “El agronegocio de la Palma Aceitera en Colombia. ¿Desarrollo para las poblaciones locales o una crónica para el desastre ?”, Grupo Semillas, 2008, Revista Semillas Nº 34/35, http://www.semillas.org.co/sitio.sh....
[8] Document des organisations qui participent à la Table ronde sur l’huile de palme durable. Atelier de discussion sur les principes et les critères, Cali, Colombie, 18 et 19 septembre 2007 ; Revista Semillas Nº 34/35, http://www.semillas.org.co/sitio.sh...
[9] “Declaración de las mujeres sobre los impactos de la expansión de los monocultivos de árboles exóticos sobre la pradera” à l’occasion du Congrès forestier mondial, Buenos Aires, Argentine, octobre 2009.
[10] “El agronegocio de la Palma Aceitera en Colombia. ¿Desarrollo para las poblaciones locales o una crónica para el desastre ?”, Grupo Semillas, 2008, Revista Semillas Nº 34/35, http://www.semillas.org.co/sitio.sh....
[11] “Peru hails Western carbon offsetting programmes”, BBC, 28 mars 2010, http://news.bbc.co.uk/2/hi/business....
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