«Le statut de réfugié climatique n'a pas d'existence juridique»
http://www.liberation.fr/monde/2013/10/18/le-statut-de-refugie-climatique-n-a-pas-d-existence-juridique_940620
Thomas LOUBIÈRE 18 octobre 2013 à 19:25 (Mis à jour : 19 octobre 2013 à 16:31)
Un habitant transportant des provisions jusqu'au village d'Ambo, sur l'île Sud-Tarawa, dans l'archipel des Kiribati, le 25 mai 2013. (Photo David Gray. Reuters)
INTERVIEW
Après la demande d'asile d'un habitant de l'archipel des Kiribati menacé par la montée des eaux, Christel Cournil, spécialiste du droit environnemental, analyse ce concept né dans les années 80.
Un habitant des Kiribati, un archipel du Pacifique menacé par la montée des eaux, a demandé jeudi à la Nouvelle-Zélande le statut de réfugié pour cause de réchauffement climatique, une première mondiale selon son avocat. Des zones entières de l’archipel, une trentaine d’atolls coralliens dont la plupart dépassent à peine le niveau de l’eau, sont régulièrement envahies par l’océan. L’érosion grignote les rivages et les récoltes s’appauvrissent en raison de l’infiltration d’eau salée dans les réserves d’eau douce. Selon la Commission des droits de l’Homme de l’ONU, les Kiribati et leurs 100 000 habitants pourraient devenir «sans terre» à cause du réchauffement climatique, comme les Maldives, Tuvalu ou Tokelau. La demande d’Ioane Teitiota n’a pas été jugée recevable par les autorités néo-zélandaises. Il a décidé de faire appel.
Christel Cournil, maître de conférences en droit public à l’université Paris 13 et spécialiste du droit environnemental, analyse pour Libération le concept de «réfugié climatique», inventé dans les années 80.
Qu’est-ce qu'un réfugié climatique?
Le concept environmental refugee est apparu officiellement en 1985 dans un rapport pour le Programme des Nations unies pour l’environnement, le PNUE. L'auteur, Essam El-Hinnawi, définissait comme réfugiés environnementaux «ceux qui sont forcés de quitter leur lieu de vie temporairement ou de façon permanente à cause d’une rupture environnementale (d’origine naturelle ou humaine) qui a mis en péril leur existence ou sérieusement affecté leurs conditions de vie». Les migrations climatiques recouvrent un grand nombre de situations différentes et complexes. Les populations fuient des événements climatiques extrêmes et soudains (ouragans, tempêtes, inondations, etc.) ou des dégradations progressives et lentes des écosystèmes (sécheresse, montée des eaux, etc.). De nombreux termes sont utilisés pour les qualifier : réfugiés environnementaux, réfugiés écologiques, réfugiés climatiques, migrants environnementaux, éco-réfugiés, personnes déplacées en raison d’une catastrophe naturelle… La question de leur protection apparaît de plus en plus fréquemment dans les rapports de l'ONU, les travaux des experts, des chercheurs ou des ONG.
Le statut de réfugié climatique a-t-il une valeur juridique?
Pour l'article 1er A de la Convention de Genève, un réfugié est une personne qui, «craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays». L’expression «réfugié climatique» n’a donc pas d'existence juridique. La communauté internationale devra repenser les instruments juridiques et institutionnels afin de mettre en place une solidarité internationale adaptée à cette nouvelle forme de migration. Antonio Guterres, Haut Commissaire de l’ONU pour les réfugiés, s’y est déclaré favorable en décembre 2009.
Existe-t-il des liens réels entre les déplacements de population et les changements climatiques?
Pour la première fois, en 2007, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) a établi des liens entre les changements climatiques et les déplacements de populations. Mais il est toujours difficile de dire que ce n’est «que» pour cette raison que les personnes quittent leur pays. Toutefois, plusieurs territoires en danger sont déjà identifiés : avancée du désert de Gobi en Chine, inondations au Bangladesh et dans le delta du Nil, submersion d’archipels comme les îles Tuvalu et Kiribati, fonte du permafrost (sol minéral gelé) des terres des Inuits d’Amérique du Nord, du Canada et du Groënland, sécheresses dans la bande sahélienne en Afrique de l’Ouest, etc.
De grands mouvements de population sont-ils à craindre?
Les différentes migrations se font surtout à l’intérieur des pays, ce sont des déplacements périurbains, locaux ou régionaux. Il faut s'attendre à ce que de prochains mouvements se fassent entre pays voisins, voire sur un même continent. Ces déplacements auront lieu majoritairement dans les pays du Sud et les réfugiés climatiques ne déferleront donc pas vers les pays riches du Nord comme cela a pu être annoncé ces dernières années. Les migrations climatiques sont souvent présentées, à tort, uniquement comme une atteinte à la sécurité internationale alors qu’elles peuvent constituer une des stratégies d’adaptation aux changements climatiques et, si elles sont correctement anticipées, certaines pourront être évitées avec de solides mécanismes de prévention.
Quel avenir pour les habitants des îles du Pacifique Sud?
Avec la montée des océans, la disparition annoncée de certains Etats-nations insulaires va créer une situation inédite en droit international : une nouvelle forme d’apatridie, d’individus sans-patrie. En effet, la disparition «physique» de l'Etat n’est pas prévue dans les textes juridiques actuels ou dans leur interprétation. Des solutions politiques et juridiques devront être pensées car ces populations seront des «apatrides de fait» : ayant perdu leur Etat et du même coup leur nationalité, ils n’en auront pas légalement acquis d’autres.
Au-delà d’un point de vue juridique, comment garantir un accueil à ces peuples sans territoire, comment maintenir leurs institutions, leur culture, leur langue? Fin 2012, le président des Kiribati, Anote Tong, a dit réfléchir au déplacement de population vers des terres proches, si les prévisions d’une hausse d’un mètre du niveau de l’eau d’ici la fin du siècle s’avéraient justes. Le gouvernement a acheté aux Fidji 2 000 hectares qui serviront de terre agricole pour les Kiribati si les infiltrations d’eau salée rendent toute culture impossible sur l’archipel. L'élévation de digues et la plantation de mangroves sont également envisagées. La construction d’îles artificielles est une autre option, mais très coûteuse…
Le statut de réfugié climatique sera-t-il créé?
En juillet 2007, la sénatrice écologiste australienne Kerry Nettle a proposé sans succès d’amender la loi sur l’immigration en demandant que soit créée une nouvelle catégorie de visa (Climate Refugee Visa) qui permettrait d’accueillir 300 personnes par an venues de Tuvalu et d’autres îles du Pacifique. De même, en 2008, le président des Kiribati a rencontré en vain la ministre australienne des Changements climatiques et de l’eau pour lui demander d’ouvrir les frontières aux éventuels réfugiés environnementaux. L’ajout d’un protocole à la Convention de Genève ou l’extension de son article 1er A rencontre d’importantes résistances, notamment au sein des pays du Nord peu désireux d’accueillir de nouveaux réfugiés. Or les changements juridiques ne peuvent s’opérer que s’ils bénéficient de forts appuis politiques. Le plus probable dans un futur proche est la création d’accords régionaux ou bilatéraux non loin des pays concernés.
Thomas LOUBIÈRE
http://www.liberation.fr/monde/2013/10/18/le-statut-de-refugie-climatique-n-a-pas-d-existence-juridique_940620
Thomas LOUBIÈRE 18 octobre 2013 à 19:25 (Mis à jour : 19 octobre 2013 à 16:31)
Un habitant transportant des provisions jusqu'au village d'Ambo, sur l'île Sud-Tarawa, dans l'archipel des Kiribati, le 25 mai 2013. (Photo David Gray. Reuters)
INTERVIEW
Après la demande d'asile d'un habitant de l'archipel des Kiribati menacé par la montée des eaux, Christel Cournil, spécialiste du droit environnemental, analyse ce concept né dans les années 80.
Un habitant des Kiribati, un archipel du Pacifique menacé par la montée des eaux, a demandé jeudi à la Nouvelle-Zélande le statut de réfugié pour cause de réchauffement climatique, une première mondiale selon son avocat. Des zones entières de l’archipel, une trentaine d’atolls coralliens dont la plupart dépassent à peine le niveau de l’eau, sont régulièrement envahies par l’océan. L’érosion grignote les rivages et les récoltes s’appauvrissent en raison de l’infiltration d’eau salée dans les réserves d’eau douce. Selon la Commission des droits de l’Homme de l’ONU, les Kiribati et leurs 100 000 habitants pourraient devenir «sans terre» à cause du réchauffement climatique, comme les Maldives, Tuvalu ou Tokelau. La demande d’Ioane Teitiota n’a pas été jugée recevable par les autorités néo-zélandaises. Il a décidé de faire appel.
Christel Cournil, maître de conférences en droit public à l’université Paris 13 et spécialiste du droit environnemental, analyse pour Libération le concept de «réfugié climatique», inventé dans les années 80.
Qu’est-ce qu'un réfugié climatique?
Le concept environmental refugee est apparu officiellement en 1985 dans un rapport pour le Programme des Nations unies pour l’environnement, le PNUE. L'auteur, Essam El-Hinnawi, définissait comme réfugiés environnementaux «ceux qui sont forcés de quitter leur lieu de vie temporairement ou de façon permanente à cause d’une rupture environnementale (d’origine naturelle ou humaine) qui a mis en péril leur existence ou sérieusement affecté leurs conditions de vie». Les migrations climatiques recouvrent un grand nombre de situations différentes et complexes. Les populations fuient des événements climatiques extrêmes et soudains (ouragans, tempêtes, inondations, etc.) ou des dégradations progressives et lentes des écosystèmes (sécheresse, montée des eaux, etc.). De nombreux termes sont utilisés pour les qualifier : réfugiés environnementaux, réfugiés écologiques, réfugiés climatiques, migrants environnementaux, éco-réfugiés, personnes déplacées en raison d’une catastrophe naturelle… La question de leur protection apparaît de plus en plus fréquemment dans les rapports de l'ONU, les travaux des experts, des chercheurs ou des ONG.
Le statut de réfugié climatique a-t-il une valeur juridique?
Pour l'article 1er A de la Convention de Genève, un réfugié est une personne qui, «craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays». L’expression «réfugié climatique» n’a donc pas d'existence juridique. La communauté internationale devra repenser les instruments juridiques et institutionnels afin de mettre en place une solidarité internationale adaptée à cette nouvelle forme de migration. Antonio Guterres, Haut Commissaire de l’ONU pour les réfugiés, s’y est déclaré favorable en décembre 2009.
Existe-t-il des liens réels entre les déplacements de population et les changements climatiques?
Pour la première fois, en 2007, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) a établi des liens entre les changements climatiques et les déplacements de populations. Mais il est toujours difficile de dire que ce n’est «que» pour cette raison que les personnes quittent leur pays. Toutefois, plusieurs territoires en danger sont déjà identifiés : avancée du désert de Gobi en Chine, inondations au Bangladesh et dans le delta du Nil, submersion d’archipels comme les îles Tuvalu et Kiribati, fonte du permafrost (sol minéral gelé) des terres des Inuits d’Amérique du Nord, du Canada et du Groënland, sécheresses dans la bande sahélienne en Afrique de l’Ouest, etc.
De grands mouvements de population sont-ils à craindre?
Les différentes migrations se font surtout à l’intérieur des pays, ce sont des déplacements périurbains, locaux ou régionaux. Il faut s'attendre à ce que de prochains mouvements se fassent entre pays voisins, voire sur un même continent. Ces déplacements auront lieu majoritairement dans les pays du Sud et les réfugiés climatiques ne déferleront donc pas vers les pays riches du Nord comme cela a pu être annoncé ces dernières années. Les migrations climatiques sont souvent présentées, à tort, uniquement comme une atteinte à la sécurité internationale alors qu’elles peuvent constituer une des stratégies d’adaptation aux changements climatiques et, si elles sont correctement anticipées, certaines pourront être évitées avec de solides mécanismes de prévention.
Quel avenir pour les habitants des îles du Pacifique Sud?
Avec la montée des océans, la disparition annoncée de certains Etats-nations insulaires va créer une situation inédite en droit international : une nouvelle forme d’apatridie, d’individus sans-patrie. En effet, la disparition «physique» de l'Etat n’est pas prévue dans les textes juridiques actuels ou dans leur interprétation. Des solutions politiques et juridiques devront être pensées car ces populations seront des «apatrides de fait» : ayant perdu leur Etat et du même coup leur nationalité, ils n’en auront pas légalement acquis d’autres.
Au-delà d’un point de vue juridique, comment garantir un accueil à ces peuples sans territoire, comment maintenir leurs institutions, leur culture, leur langue? Fin 2012, le président des Kiribati, Anote Tong, a dit réfléchir au déplacement de population vers des terres proches, si les prévisions d’une hausse d’un mètre du niveau de l’eau d’ici la fin du siècle s’avéraient justes. Le gouvernement a acheté aux Fidji 2 000 hectares qui serviront de terre agricole pour les Kiribati si les infiltrations d’eau salée rendent toute culture impossible sur l’archipel. L'élévation de digues et la plantation de mangroves sont également envisagées. La construction d’îles artificielles est une autre option, mais très coûteuse…
Le statut de réfugié climatique sera-t-il créé?
En juillet 2007, la sénatrice écologiste australienne Kerry Nettle a proposé sans succès d’amender la loi sur l’immigration en demandant que soit créée une nouvelle catégorie de visa (Climate Refugee Visa) qui permettrait d’accueillir 300 personnes par an venues de Tuvalu et d’autres îles du Pacifique. De même, en 2008, le président des Kiribati a rencontré en vain la ministre australienne des Changements climatiques et de l’eau pour lui demander d’ouvrir les frontières aux éventuels réfugiés environnementaux. L’ajout d’un protocole à la Convention de Genève ou l’extension de son article 1er A rencontre d’importantes résistances, notamment au sein des pays du Nord peu désireux d’accueillir de nouveaux réfugiés. Or les changements juridiques ne peuvent s’opérer que s’ils bénéficient de forts appuis politiques. Le plus probable dans un futur proche est la création d’accords régionaux ou bilatéraux non loin des pays concernés.
Thomas LOUBIÈRE