Les valeureux de notre temps. Ceux que nos petits-enfants honoreront en gravant leurs noms sur les monuments du futur. #2 Pierre-Alain Mannoni. Il raconte lui-même ce qu’il a fait.
« J’ai 45 ans et deux enfants. Je suis fonctionnaire de l’Éducation nationale et travaille comme ingénieur dans un laboratoire de recherche et aussi comme enseignant à la Faculté des Sciences. Je n’étais pas jusqu’à présent militant politique ou associatif.
[…] J’ai passé toutes mes vacances au village dans la maison de mon grand-père, le médecin du canton qui faisait ses visites à cheval. Au village, presque cinquante ans après sa mort, les gens en parlent encore, car que ce soit en pleine nuit à l’autre bout du canton, que ce soit un bandit blessé ou un paysan qui n’ait pas de quoi payer, il soignait. Dans les récits que me racontait mon père et dans les expériences que j’ai vécu là-bas, j’ai appris et compris qu’on ne laisse pas quelqu’un en danger sur le bord de la route, d’abord parce que c’est la montagne, mais aussi parce que c’est une question de dignité.
[…] Le dimanche 16 octobre, en rentrant en voiture de la fête de la brebis à la Brigue avec ma fille de 12 ans, nous avons secourus quatre jeunes du Darfour. Ce village français est dans la vallée de la Roya qui est frontalière de Vintimille en Italie. […] Ces quatre jeunes étaient complètement perdus et se dirigeaient à pied, certains en bermuda, vers les montagnes enneigées.
Avec ma fille, on les a ramenés à Nice, ils ont mangé et dormi avec nous dans mon appartement de 40 m². […] Je les ai déposés dans une petite gare peu surveillée par la police et je leur ai payé un billet de train pour la première partie du trajet. Ils devaient retrouver leur famille à Marseille.
C’était ma première action de secours envers ces “migrants”. Pourquoi je l’ai fait ce jour-là ? Jusqu’à présent, avec mes enfants, j’avais déposé des vêtements à la Croix Rouge à Vintimille, des chaussures, un sac à dos, pour aider mais aussi pour leur montrer qu’il y a des injustices dans le monde et que chacun de nous peut faire quelque chose… Là, c’était la deuxième fois que je voyais un groupe sur le bord de la route. La première fois j’avais hésité, je n’avais pas eu le courage, mais cette fois-ci il y avait ma fille et j’ai pu lui montrer l’exemple.
Le lendemain lundi 17 octobre, après une soirée chez des amis dans cette même vallée, sur le retour vers Nice, je décide de m’arrêter dans ce camp pour migrants à Saint-Dalmas de Tende, un bâtiment désaffecté pour colonies de vacances de la SNCF qui a été ouvert en urgence quelques heures auparavant, sans autorisation, par un collectif d’associations. […]
Je sais bien que mon retour vers Nice est une opportunité d’en sortir quelques-uns de ce lieu sans eau ni électricité et où la température en pleine nuit ne doit pas dépasser 10 degrés. Je décide d’en ramener chez moi et de les déposer à la gare le lendemain.
Ce sont trois filles qu’on vient d’aller chercher à l’étage. Elles sont contentes de ma proposition, me dit-on, car elles sont attendues par une association à Marseille pour être soignées. Quand je les vois, mon cœur se déchire. Elles ont peur, elles ont froid, elles sont épuisées, elles ont des pansements aux mains, aux jambes, l’une boite en faisant des grimaces de douleur et l’autre ne peut pas porter son sac avec sa main blessée. J’apprendrai plus tard que l’une d’elles est la cousine de la jeune fille tuée sur l’autoroute vers Menton quelques semaines avant. Elles ne parlent ni français, ni anglais.
Il faut marcher une centaine de mètres pour rejoindre ma voiture et cela prend très longtemps car l’une marche très difficilement. J’en profite pour essayer de savoir de quel pays elles sont. Érythrée. Une fois dans la voiture, je constate qu’elles n’ont jamais utilisé de ceinture de sécurité. Je suis dans l’embarras de m’approcher d’elles qui ont peur pour leur mettre la ceinture. Elles n’ont pas peur de moi, mais dans leurs yeux je lis qu’elles savent que rien n’est gagné. Il ne faut pas être un génie pour comprendre qu’au long des 6 000 km qu’elles ont fait pour arriver jusqu’ici, elles ont fréquenté la mort et le cortège d’horreurs qu’on n’ose imaginer. […]
Nous n’arriverons pas à Nice. Au péage de la Turbie, les gendarmes nous arrêtent et nous conduisent à la Police de l’Air et des Frontières. Ils m’ont séparé des Érythréennes. Ce n’est pas clair ce qu’ils ont fait d’elles, mais je ne crois pas qu’elles aient été soignées. Elles auraient été renvoyées au sud de l’Italie comme ça se fait souvent. Les policiers m’ont dit qu’au moins l’une d’elle était mineure. Je n’ai pas réussi à les protéger.
Après 36 heures de garde à vue, j’ai été libéré sous contrôle judiciaire. Ma voiture a été saisie ainsi que mon téléphone et je n’ai pas le droit de quitter Nice, sauf pour emmener mes enfants à l’école […] Mon procès est renvoyé au 23 novembre 2016 à 13h30 à la même audience que Cédric Herrou membre d’associations humanitaires qui est également poursuivi pour avoir aidé des étrangers. […]
Mon geste n’est ni politique, ni militant, il est simplement humain et n’importe quel citoyen lambda aurait pu le faire et que ce soit pour l’honneur de notre patrie, pour notre dignité d’hommes libres, pour nos valeurs, nos croyances, par amour ou par compassion nous ne devons pas laisser des victimes mourir devant nos portes. L’histoire et l’actualité nous montrent suffisamment que la discrimination mène aux plus grandes horreurs et pour que l’histoire ne se répète plus, nous devons valoriser la solidarité et éduquer nos enfants par l’exemple. »
=> Source : Pierre-Alain Mannoni
Pierre-Alain Mannoni sera jugé le 23 novembre 2016 à 13h par le tribunal de grande instance de Nice pour « aide au séjour illégal ». Peine maximale encourue : cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Une pétition à faire tourner.
http://yetiblog.org/index.php?post/2072
« J’ai 45 ans et deux enfants. Je suis fonctionnaire de l’Éducation nationale et travaille comme ingénieur dans un laboratoire de recherche et aussi comme enseignant à la Faculté des Sciences. Je n’étais pas jusqu’à présent militant politique ou associatif.
[…] J’ai passé toutes mes vacances au village dans la maison de mon grand-père, le médecin du canton qui faisait ses visites à cheval. Au village, presque cinquante ans après sa mort, les gens en parlent encore, car que ce soit en pleine nuit à l’autre bout du canton, que ce soit un bandit blessé ou un paysan qui n’ait pas de quoi payer, il soignait. Dans les récits que me racontait mon père et dans les expériences que j’ai vécu là-bas, j’ai appris et compris qu’on ne laisse pas quelqu’un en danger sur le bord de la route, d’abord parce que c’est la montagne, mais aussi parce que c’est une question de dignité.
[…] Le dimanche 16 octobre, en rentrant en voiture de la fête de la brebis à la Brigue avec ma fille de 12 ans, nous avons secourus quatre jeunes du Darfour. Ce village français est dans la vallée de la Roya qui est frontalière de Vintimille en Italie. […] Ces quatre jeunes étaient complètement perdus et se dirigeaient à pied, certains en bermuda, vers les montagnes enneigées.
Avec ma fille, on les a ramenés à Nice, ils ont mangé et dormi avec nous dans mon appartement de 40 m². […] Je les ai déposés dans une petite gare peu surveillée par la police et je leur ai payé un billet de train pour la première partie du trajet. Ils devaient retrouver leur famille à Marseille.
C’était ma première action de secours envers ces “migrants”. Pourquoi je l’ai fait ce jour-là ? Jusqu’à présent, avec mes enfants, j’avais déposé des vêtements à la Croix Rouge à Vintimille, des chaussures, un sac à dos, pour aider mais aussi pour leur montrer qu’il y a des injustices dans le monde et que chacun de nous peut faire quelque chose… Là, c’était la deuxième fois que je voyais un groupe sur le bord de la route. La première fois j’avais hésité, je n’avais pas eu le courage, mais cette fois-ci il y avait ma fille et j’ai pu lui montrer l’exemple.
Le lendemain lundi 17 octobre, après une soirée chez des amis dans cette même vallée, sur le retour vers Nice, je décide de m’arrêter dans ce camp pour migrants à Saint-Dalmas de Tende, un bâtiment désaffecté pour colonies de vacances de la SNCF qui a été ouvert en urgence quelques heures auparavant, sans autorisation, par un collectif d’associations. […]
Je sais bien que mon retour vers Nice est une opportunité d’en sortir quelques-uns de ce lieu sans eau ni électricité et où la température en pleine nuit ne doit pas dépasser 10 degrés. Je décide d’en ramener chez moi et de les déposer à la gare le lendemain.
Ce sont trois filles qu’on vient d’aller chercher à l’étage. Elles sont contentes de ma proposition, me dit-on, car elles sont attendues par une association à Marseille pour être soignées. Quand je les vois, mon cœur se déchire. Elles ont peur, elles ont froid, elles sont épuisées, elles ont des pansements aux mains, aux jambes, l’une boite en faisant des grimaces de douleur et l’autre ne peut pas porter son sac avec sa main blessée. J’apprendrai plus tard que l’une d’elles est la cousine de la jeune fille tuée sur l’autoroute vers Menton quelques semaines avant. Elles ne parlent ni français, ni anglais.
Il faut marcher une centaine de mètres pour rejoindre ma voiture et cela prend très longtemps car l’une marche très difficilement. J’en profite pour essayer de savoir de quel pays elles sont. Érythrée. Une fois dans la voiture, je constate qu’elles n’ont jamais utilisé de ceinture de sécurité. Je suis dans l’embarras de m’approcher d’elles qui ont peur pour leur mettre la ceinture. Elles n’ont pas peur de moi, mais dans leurs yeux je lis qu’elles savent que rien n’est gagné. Il ne faut pas être un génie pour comprendre qu’au long des 6 000 km qu’elles ont fait pour arriver jusqu’ici, elles ont fréquenté la mort et le cortège d’horreurs qu’on n’ose imaginer. […]
Nous n’arriverons pas à Nice. Au péage de la Turbie, les gendarmes nous arrêtent et nous conduisent à la Police de l’Air et des Frontières. Ils m’ont séparé des Érythréennes. Ce n’est pas clair ce qu’ils ont fait d’elles, mais je ne crois pas qu’elles aient été soignées. Elles auraient été renvoyées au sud de l’Italie comme ça se fait souvent. Les policiers m’ont dit qu’au moins l’une d’elle était mineure. Je n’ai pas réussi à les protéger.
Après 36 heures de garde à vue, j’ai été libéré sous contrôle judiciaire. Ma voiture a été saisie ainsi que mon téléphone et je n’ai pas le droit de quitter Nice, sauf pour emmener mes enfants à l’école […] Mon procès est renvoyé au 23 novembre 2016 à 13h30 à la même audience que Cédric Herrou membre d’associations humanitaires qui est également poursuivi pour avoir aidé des étrangers. […]
Mon geste n’est ni politique, ni militant, il est simplement humain et n’importe quel citoyen lambda aurait pu le faire et que ce soit pour l’honneur de notre patrie, pour notre dignité d’hommes libres, pour nos valeurs, nos croyances, par amour ou par compassion nous ne devons pas laisser des victimes mourir devant nos portes. L’histoire et l’actualité nous montrent suffisamment que la discrimination mène aux plus grandes horreurs et pour que l’histoire ne se répète plus, nous devons valoriser la solidarité et éduquer nos enfants par l’exemple. »
=> Source : Pierre-Alain Mannoni
Pierre-Alain Mannoni sera jugé le 23 novembre 2016 à 13h par le tribunal de grande instance de Nice pour « aide au séjour illégal ». Peine maximale encourue : cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Une pétition à faire tourner.
http://yetiblog.org/index.php?post/2072