Le rapport de l'ONU sur la France 27 août 2010
Alain Bertho | 28 août 2010 at 9:56 | Catégories : Interventions | URL :
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Comité pour l’élimination de la discrimination raciale
Soixante-dix-septième session
2-27 août 2010
Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article
9 de la Convention
Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination
raciale : France
1. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a examiné les
dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques de la France
(CERD/C/FRA/17-19), présentés en un seul document, à ses 2026e et 2027e
séances (CERD/C/SR.2026 et CERD/C/SR.2027), tenues les 11 et 12 août 2010. À
ses 2044e et 2045e séances (CERD/C/SR.2044 et CERD/C/SR 2045), tenues les 24
et 25 août 2010, le Comité a adopté les observations finales ci-après.
A. Introduction
2. Le Comité se félicite de la haute qualité du rapport détaillé et complet
soumis par l’État partie dans les délais fixés, qui a été élaboré
conformément aux directives concernant l’établissement des rapports. Le
Comité a en outre apprécié le dialogue franc et sincère qui a pu être mené
avec la délégation et les efforts poursuivis par celle-ci pour apporter des
informations détaillées à la liste des thèmes à traiter (CERD/C/FRA/Q/17-19)
ainsi que des réponses à la plupart des questions posées par les membres du
Comité durant le dialogue.
3. Le Comité salue la participation engagée des représentants de la société
civile lors de la session ainsi que l’engagement de celle-ci dans la lutte
contre la discrimination raciale.
B. Aspects positifs
4. Le Comité salue le rôle de la Commission nationale consultative des
droits de l’homme tant au plan national qu’international. Il souligne l’importance
des avis que cette commission émet sur des projets législatifs et invite le
Gouvernement à continuer de la consulter à cet effet.
5. Le Comité salue la mise en place d’outils législatifs nécessaires à la
lutte contre la discrimination raciale, tels que la loi du 5 mars 2007 sur
le droit au logement opposable et celle du 25 mars 2008 sur l’égalité des
chances, ainsi que la création de mécanismes étatiques pour prévenir et
combattre la discrimination raciale au niveau départemental avec les
commissions pour la promotion de l’égalité des chances et de la citoyenneté
(COPEC), et la création de pôles anti-discriminations dans les Parquets.
6. Le Comité salue la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui
permet depuis le 1er mars 2010 à tout justiciable de saisir le Conseil
Constitutionnel de la constitutionnalité d’une loi à l’occasion d’un procès.
Le Comité se félicite également de l’existence du recours en
constitutionalité qui peut être engagé a priori par un groupe suffisant de
parlementaires sur un projet de loi.
7. Le Comité salue les efforts entrepris par l’Etat partie pour faire de la
lutte contre la discrimination et la promotion de l’égalité des chances au
sein de l’enseignement une priorité nationale. Il salue à ce propos la mise
en place notamment de lycées d’excellence au sein de quartiers défavorisés,
de l’accompagnement personnalisé de certains élèves en difficulté, d’internats
d’excellence et de l’ouverture des classes préparatoires aux grandes écoles
à des élèves venant de milieux défavorisés sur la base de notes méritoires.
8. Le Comité se félicite de l’intervention du chef de la délégation qui,
dans le cadre du devoir de mémoire, a rappelé que la Conférence d’examen de
Durban avait été l’occasion pour la France d’exprimer le souhait que soit
rappelée la mémoire des victimes de l’esclavage, de la traite des esclaves,
de l’apartheid et du colonialisme.
C. Recommandation spécifique liée à la mise en œuvre d’un plan national de
lutte contre le racisme
9. Le Comité prend note de l’information selon laquelle l’Etat partie
prépare un plan national de lutte contre le racisme. Le Comité espère que ce
plan national recevra le soutien de toutes les autorités et de toutes les
parties prenantes en France. Le Comité souhaite que l’élaboration de ce plan
national permette à l’Etat partie de rendre sa politique plus cohérente et
plus conforme à la Convention ainsi qu’à la Déclaration et au Programme d’Action
de Durban. A cet effet il recommande à l’Etat partie de prendre en
considération les priorités suivantes :
a) Affiner les statistiques démographiques, en particulier celles relatives
aux personnes issues de l’immigration ou issues de groupes ethniques au sens
de la Convention et les indicateurs socio-économiques sur les
discriminations dans l’Etat partie;
b) Identifier les victimes de discrimination raciale ;
c) Identifier les types de discriminations raciales et leurs causes ;
d) Identifier les mesures destinées à favoriser l’ascension dans la société
française à tous les niveaux de personnes issues de l’immigration ou issues
de groupes ethniques au sens de la Convention, leur intégration, y compris
par la mise en œuvre des mesures spéciales visées aux articles 1er,
paragraphe 4 et 2, paragraphe 2 de la Convention et confirmées dans la
Recommandation Générale No.32 (2009) du Comité ;
e) Harmoniser et consolider les mécanismes existants afin de mieux traiter
les problématiques liées à la discrimination raciale ;
f) Etudier et accorder une attention particulière aux populations d’outre-mer
et tout spécialement à ses peuples autochtones ;
g) Pour l’efficacité du plan, nommer un haut représentant du Gouvernement
qui aurait la responsabilité de sa mise en œuvre et aussi celle de
conseiller le Gouvernement sur toute sa politique de prévention et de lutte
contre la discrimination raciale.
D. Sujets de préoccupation et recommandations
10. Le Comité s'inquiète de la tenue de discours politiques de nature
discriminatoire en France. Le Comité est en outre préoccupé de noter une
augmentation récente des actes et manifestations à caractère raciste et
xénophobe sur le territoire de l’État partie ainsi que sur le développement
de discours racistes sur internet.
Le Comité recommande à l’État partie, lorsqu’il aborde des questions liées
aux composantes ethniques, raciales, culturelles ou étrangères de la
population, d’affirmer dans ses discours et ses actions toute sa volonté
politique en faveur de la compréhension, la tolérance et l’amitié entre
nations, groupes raciaux ou ethniques. Le Comité recommande en outre à l’État
partie d’intensifier ses efforts afin de combattre et d’enrayer la montée du
racisme et de la xénophobie en utilisant tous les moyens, notamment en
condamnant fermement tous discours racistes ou xénophobes émanant des
responsables politiques et en prenant les mesures appropriées pour combattre
la prolifération d’actes et manifestations racistes sur internet (articles
2, 4 et 7).
11. Le Comité est préoccupé par des informations selon lesquelles des
mesures pourraient être prises dans les domaines de la citoyenneté avec des
conséquences discriminatoires fondées sur l’origine nationale.
Le Comité recommande à l’Etat partie de s’assurer conformément à l’article
1, paragraphe 3 de la Convention, que toute mesure prise dans ce domaine n’ait
pas pour effet de discriminer contre une nationalité quelconque.
12 Le Comité prend note des dispositions de l'article premier de la
Constitution de l'État partie selon lequel la France est une République
indivisible qui assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans
distinction d'origine, de race ou de religion, ce qui constitue la raison
invoquée par l'État partie pour ne pas procéder à un recensement de la
population fondé sur des indicateurs ethniques ou raciaux.
Le Comité réitère sa position selon laquelle la collecte de données
statistiques a pour objectif de permettre aux États parties d'identifier et
d'avoir une meilleure connaissance des groupes ethniques présents sur leur
territoire, des types de discriminations dont ils sont ou peuvent être
victimes, d'apporter les réponses et les solutions adaptées aux formes de
discriminations identifiées et enfin de mesurer les progrès effectués. Le
Comité recommande donc à l’État partie, conformément à ses Recommandations
générales No. 24 (1999), concernant l'article premier de la Convention, et
No. 30 (2005), concernant la discrimination à l'égard des non
ressortissants, de procéder au recensement de la population de l'État partie
sur la base d’une auto-identification ethnique ou raciale des individus, qui
soit purement volontaire et anonyme.
13. Le Comité constate avec regret que, malgré les politiques récentes
engagées en matière de lutte contre la discrimination raciale dans les
domaines du logement et de l’emploi, les personnes issues de l’immigration
ou issues de groupes ethniques au sens de la Convention continuent d’être
victimes de stéréotypes et de discriminations de toutes sortes, qui font
obstacle à leur intégration et à leur progression à tous les niveaux de la
société française.
Le Comité recommande à l'État partie de poursuivre ses efforts pour
permettre une progression sociale des personnes issues de l’immigration ou
issues de groupes ethniques au sens de la Convention dans tous les domaines,
y compris à travers un plus grand nombre de nominations de personnes
qualifiées issues de ces groupes à des postes d’autorité dans la sphère
économique et au sein de l'État (articles 5 et 7).
14. Le Comité s'inquiète de la montée des manifestations et des violences à
caractère raciste envers les Roms sur le territoire de l'État partie. Il
prend note de la déclaration faite par l’Etat partie lors du dialogue avec
le Comité, selon laquelle aurait été mis en place un cadre régissant le
retour volontaire des Roms dans leurs pays d’origine. Le Comité note que
depuis la présentation de son rapport par l’Etat partie, des informations
font état de ce que des Roms ont été renvoyés de manière collective dans
leurs pays d’origine, sans que n’ait été obtenu le consentement libre,
entier et éclairé de tous les individus concernés.
Le Comité rappelle à l'État partie ses déclarations et lui recommande de
veiller à ce que toutes les politiques publiques concernant les Roms soient
bien conformes à la présente Convention, d’éviter en particulier les
rapatriements collectifs et d’œuvrer à travers des solutions pérennes au
règlement des questions relatives aux Roms sur la base du respect plein et
entier de leurs droits de l’homme (articles 2 et 5).
15. Le Comité est aussi préoccupé par la situation difficile des membres de
la communauté Rom quant à l’exercice de leurs droits économiques, sociaux et
culturels.
Le Comité invite instamment l’Etat partie à garantir l’accès des Roms à l’éducation,
à la santé, au logement et autres infrastructures temporaires dans le
respect du principe d’égalité et de prendre en considération à cet égard la
Recommandation Générale No. 27 (2000) du Comité sur la discrimination à l’égard
des Roms.
16. Le Comité reste très préoccupé par les difficultés rencontrées par les
« gens du voyage », notamment dans leur liberté de circulation, l’exercice
du droit de vote, l’accès à l’éducation et à un logement décent. A ce sujet,
le Comité note avec préoccupation que malgré les recommandations formulées
dans ses précédentes observations finales, l’État partie n’a toujours pas
mis à la disposition des "gens du voyage" le nombre nécessaire d’aires d’accueil
conformément à la loi du 5 juillet 2000 dite « loi Besson ». Le Comité se
préoccupe aussi de l'obligation légale pour les "gens du voyage" de se munir
d'un titre de circulation à renouveler périodiquement.
Le Comité invite instamment l’Etat partie à assurer aux « gens du voyage »
l'égalité de traitement en matière de droit de vote et d'accès à
l'éducation. Le Comité recommande la mise en œuvre accélérée de la « loi
Besson » afin que la question d’aires illégales de stationnement ne se pose
plus. Le Comité recommande également l'abolition des titres de circulation
des « gens du voyage » afin de garantir une égalité de traitement entre tous
les citoyens de l'État partie (articles 2 et 5).
17. Compte tenu du fait que l’Etat partie a accepté le principe de diversité
linguistique et culturelle, le Comité se préoccupe de la mise en œuvre
partielle de ce principe sur le territoire français.
Le Comité recommande à l’Etat partie d’intensifier ses efforts afin de
garantir à tous, sans distinction de race, de couleur ou d’origine ethnique,
le droit de prendre part, dans des conditions d’égalité, aux activités
culturelles (article 5 (e) (vi)).
18. Tout en appréciant les explications détaillées fournies par l’État
partie sur les efforts entrepris dans les territoires d’outre-mer pour
permettre une meilleure représentativité ainsi qu’une plus grande autonomie
des peuples autochtones, le Comité se préoccupe du fait que le système
actuel ne permet pas la reconnaissance de droits collectifs aux peuples
autochtones, notamment s’agissant du droit ancestral à la terre. Le Comité
est également préoccupé des difficultés grandissantes de certains habitants
des territoires d'outre-mer d'accéder sans discrimination à l’éducation, l’emploi,
le logement et la santé.
Le Comité recommande à l’État partie de permettre une reconnaissance de
droits collectifs aux peuples autochtones, surtout en matière de droit de
propriété. Il recommande en outre à l'État partie de prendre les mesures
législatives nécessaires en vue de la ratification de la Convention 169 de l’Organisation
internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux. Le
Comité recommande également à l'État partie d'intensifier ses efforts afin
de permettre l'égalité d'accès à l'éducation, au travail, au logement et à
la santé dans les territoires d'outre-mer (article 5).
19. Le Comité prend note du projet de loi sur le Défenseur des droits, mais
il se préoccupe de la multiplicité des fonctions assumées par cette nouvelle
institution et craint que le mandat de lutte contre les discriminations y
compris la discrimination raciale, actuellement dévolu à la H.A.L.D.E ne
soit plus que l’un des éléments du mandat du Défenseur des droits.
Conformément à sa recommandation sur le plan national de lutte contre la
discrimination raciale, le Comité, tout en souhaitant une plus grande
coordination entre les mécanismes étatiques pour traiter les problématiques
liées à la discrimination raciale, recommande de maintenir une institution
indépendante distincte ayant pour mandat la lutte contre les discriminations
y compris la discrimination raciale. A cet égard, le Comité souligne l’importance
du rôle de la H.A.L.D.E dans la lutte contre les discriminations, notamment
la discrimination raciale (article 2).
20. Le Comité note avec satisfaction les progrès réalisés par l’État partie
pour donner effet aux précédentes observations finales du Comité s’agissant
de la question des pensions des anciens combattants (CERD/C/FRA/CO/16, par.
24). Il note également la décision du Conseil Constitutionnel du 28 mai 2010
déclarant comme contraire au principe d’égalité de traitement certaines
dispositions des lois de finances de 1981, 2002 et 2006 en la matière.
Le Comité encourage l’État partie, à permettre la pleine application de
cette décision, en veillant à ce que tous les anciens combattants, quel que
soit leur lieu de résidence actuelle ou leur nationalité, soient traités de
manière égale et prie instamment l’Etat partie de s’assurer de ce que toutes
les lois de finance adoptées à l’avenir ne soient plus de nature
discriminatoire à l’égard des anciens combattants (article 5).
21. Ayant à l’esprit le caractère indivisible de tous les droits de l’homme,
le Comité encourage l’État partie à considérer les instruments
internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore
partie, en particulier ceux dont les dispositions ont un effet direct sur la
question de la discrimination raciale, tels que la Convention internationale
sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des
membres de leur famille (1990).
22. A la lumière de sa recommandation générale No. 33 (2009) sur le suivi de
la Conférence d’examen de Durban, le Comité recommande à l’État partie de
donner effet à la Déclaration et au Programme d’action de Durban adoptés en
septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme, la
discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée,
en tenant compte du document final de la Conférence d’examen de Durban, qui
s’est tenue à Genève en avril 2009, lorsqu’il applique la Convention dans
son ordre juridique interne. Le Comité le prie de faire figurer dans son
prochain rapport périodique des informations spécifiques sur les plans d’action
et autres mesures adoptés pour appliquer la Déclaration et le Programme d’action
de Durban au niveau national.
23. Le Comité recommande à l’État partie de mettre ses rapports à la
disposition du public dès leur soumission et de diffuser ses observations
finales sur ces rapports dans la langue officielle et les autres langues
communément utilisées, selon le cas.
24. Conformément au paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention et à l’article
65 de son règlement intérieur modifié, le Comité prie l’État partie de
fournir, dans un délai d’un an à compter de l’adoption des présentes
observations finales, des informations sur la suite qu’il aura donnée aux
recommandations qui figurent aux paragraphes 9, 14 et 16 ci-dessus.
25. Le Comité souhaite également attirer l’attention de l’État partie sur l’importance
particulière des recommandations contenues dans les paragraphes 12, 13 et 18
et le prie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des
informations détaillées sur les mesures concrètes et appropriées qu’il aura
prises pour mettre en œuvre et de manière effective ces recommandations.
26. Le Comité recommande que les vingtième et vingt-et-unième rapports
périodiques de l’État partie soient soumis en un seul document, d’ici le 27
août 2012 et soient élaborés en tenant compte des directives pour l’établissement
du document se rapportant spécifiquement à la Convention sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale adoptées par le Comité à sa
soixante et onzième session (CERD/C/2007/1), et que ce document porte sur
tous les points soulevés dans les présentes observations finales. Le Comité
l’engage également à respecter la limite de 40 pages imposée pour les
rapports présentés au titre d’un traité particulier et la limite de 60 à 80
pages imposée pour le document de base (voir les directives harmonisées
données au paragraphe 19 du document HRI/GEN.2/Rev.6).