Équateur : Une nouvelle constitution pour bien vivre
21 octobre 2008
André Maltais
http://lautjournal.info/default.aspx?page=3&NewsId=1118
Le 28 septembre dernier, le projet de nouvelle constitution proposé par le président Rafael Correa
était approuvé par 64% des voies, confirmant une fois de plus l’adhésion de la population équatorienne
au « socialisme du 21e siècle », modèle également en voie de réalisation au Venezuela et en Bolivie.
Jetons un œil sur cette constitution aussi innovatrice qu’audacieuse dont la toile de fond est la notion
du « bien vivre » (« sumak kawsay », en langue quechua) qui, empruntée à la vision indigène du monde,
est définie comme « l’ensemble organisé, durable et dynamique des systèmes économiques, politiques,
socioculturels et environnementaux » (article 275).
Désactiver le néolibéralisme
Les 444 articles de la nouvelle constitution, nous dit Magdalena Leon, du portail Internet Amlatina,
proposent de « désactiver le néolibéralisme » et d’aller vers un système économique basé sur une
répartition plus égalitaire des moyens de production et des bénéfices du développement.
Étroitement lié à une nouvelle conception du développement, le droit au « bien vivre » consacre,
entre autres, les droits pour tous à l’eau, l’alimentation, la santé, l’éducation, la sécurité sociale,
l’énergie électrique, les télécommunications de même qu’aux infrastructures routières et sanitaires.
La nouvelle charte caractérise le système économique comme « social et solidaire », reconnaissant
que l’être humain en est à la fois le sujet et le but. Ce système doit tendre vers une « relation
dynamique et équilibrée entre la société, l’état et le marché, le tout en harmonie avec la nature » (article 283).
Le droit à la propriété sous toutes ses formes (publique, privée, communautaire, coopérative,
associative, etc.) est reconnu mais la vieille notion de « liberté d’entreprise » sans limite est
remplacée par « le droit à développer individuellement ou collectivement des activités économiques
conformes aux principes de solidarité et de responsabilité sociale et environnementale » (article 66).
Le terme « entreprise » n’est même plus utilisé dans le texte constitutionnel qui lui préfère
les expressions « unités économiques » et « unités productives ».
Le travail, un droit social et économique
Les énoncés sur le travail sont d’une grande importance. Celui-ci est défini en tant que
« droit social et économique » et « base de l’économie » (article 33).
L’article 325 de la constitution reconnaît toutes les modalités du travail, « autant celui effectué
pour le compte d’autrui que le travail autonome, d’autosuffisance ou de soins humains ».
Avec cet article, explique Magdalena Leon, tous les travailleurs et travailleuses sont reconnus
« en tant qu’acteurs sociaux productifs » incluant les mères de famille travaillant à la maison et
les gens qui s’occupent de parents malades ou handicapés. Il n’y a plus de travail stigmatisé
comme « informel » ou « domestique ».
La constitution prévoit une juste rémunération du travail quel qu’il soit, se traduisant par un
salaire digne, c’est-à-dire couvrant au moins les besoins du travailleur et de sa famille (article 328).
Elle garantit un salaire minimum obligatoire, révisé annuellement.
En plus des avancées sur le travail, les femmes se voient assurées de l’égalité de droit « en matière
d’accès à la propriété et de prise de décision dans l’administration de la société conjugale ».
Une première : des droits à la nature
L’article 57, quant à lui, reconnaît les formes d’économie des peuples et nationalités indigènes
et exige « le respect et la promotion de leurs pratiques relativement à la biodiversité et à leur environnement naturel ».
Ces communautés et peuples ont le droit à la « propriété des terres sur lesquelles ils vivent »
et à « participer aux décisions relatives à l’usage, l’usufruit, l’administration et la conservation
des ressources naturelles renouvelables qui s’y trouvent ». Des mécanismes de consultation
s’ajoutent dans le cas de l’exploitation des ressources non renouvelables situées sur leurs terres.
Pour la première fois dans l’histoire, peut-être, la constitution d’un pays garantit les droits de
la nature. Loin de réduire celle-ci à un ensemble de ressources exploitables, l’article 71 déclare :
« La nature, ou Pachamama, là ou la vie se réalise et se reproduit, a droit au respect de son existence,
de même qu’au maintien et à la régénération de ses cycles vitaux, structures, fonctions et processus évolutifs ».
Les ressources naturelles non renouvelables (hydrocarbures, biodiversité, eau douce) sont définies
comme « secteur stratégique » du pays et contrôlées par l’État.
Une planification participative
Mais l’État ne gouverne pas tout seul. Si l’article 3 affirme qu’il doit « planifier le développement
national », cette planification doit être « participative ». Cela suppose, dit madame Leon, que
l’État récupère ses fonctions d’avant la constitution néolibérale de 1998, mais avec des mécanismes
de participation de la société aux décisions gouvernementales.
« Il s’agit, nous dit Magdalena Leon, de sortir de l’autoritarisme du marché pour aller vers des
décisions assumées en fonction des objectifs stratégiques du pays, de priorités qui font consensus
et de processus liés aux réalités et aux besoins des sociétés à partir des niveaux locaux vers le niveau national ».
Pour y parvenir, la constitution prévoit l’instauration de « conseils citoyens » dotés de « pouvoirs
de planification » à tous les niveaux de gouvernement allant des « juntes paroissiales » aux
« gouvernements régionaux autonomes », articulés avec le niveau national.
Priorité à l’économie nationale
Un chapitre est également consacré à la priorisation de l’économie nationale. Par exemple,
les achats publics doivent favoriser la production nationale, plus spécialement les « petites unités
économiques » et les « réseaux associatifs ».
Les décisions relatives à ce qu’il faut produire doivent tenir compte de la « haute valeur ajoutée »
des productions, de leur capacité à « générer des emplois dignes et stables » et de leur « caractère
acceptable pour l’environnement » (article 285).
La production doit être diversifiées afin, notamment, de garantir la souveraineté alimentaire du pays
définie comme objectif stratégique. Des « politiques re-distributrices » sont prévues pour « permettre
l’accès des petits paysans à la terre, à l’eau et à d’autres ressources productives » (article 281).
Le « latifundio », la concentration de la propriété terrienne de même que l’accaparement ou la
privatisation de l’eau et de ses sources sont interdits.
La politique fiscale se voit attribuer la fonction de redistribuer les richesses et revenus nationaux
aux moyens de transferts, taxes et subsides. L’article 334 prévoit des politiques pour « éviter la
concentration des facteurs et ressources productives » et « éliminer les privilèges et inégalités ».
Un territoire de paix, sans présence militaire étrangère
En matière de politique étrangère, l’article 416 fait de l’Équateur « un territoire de paix », opposé
aux armes de destruction massive et libre de toute présence militaire étrangère, ce qui, dès l’an prochain,
sonne le glas de la base militaire états-unienne de Manta.
Un article traite de l’intégration latino-américaine et marque un engagement de l’Équateur vers
l’union économique, productive, financière et monétaire ainsi que vers la coopération énergétique avec les pays de la région.
L’article propose aussi la création d’une citoyenneté latino-américaine et caribéenne, la libre
circulation des personnes sur tout le continent de même que l’adhésion de l’Équateur à une
politique commune de défense pour une alliance stratégique continentale.
21 octobre 2008
André Maltais
http://lautjournal.info/default.aspx?page=3&NewsId=1118
Le 28 septembre dernier, le projet de nouvelle constitution proposé par le président Rafael Correa
était approuvé par 64% des voies, confirmant une fois de plus l’adhésion de la population équatorienne
au « socialisme du 21e siècle », modèle également en voie de réalisation au Venezuela et en Bolivie.
Jetons un œil sur cette constitution aussi innovatrice qu’audacieuse dont la toile de fond est la notion
du « bien vivre » (« sumak kawsay », en langue quechua) qui, empruntée à la vision indigène du monde,
est définie comme « l’ensemble organisé, durable et dynamique des systèmes économiques, politiques,
socioculturels et environnementaux » (article 275).
Désactiver le néolibéralisme
Les 444 articles de la nouvelle constitution, nous dit Magdalena Leon, du portail Internet Amlatina,
proposent de « désactiver le néolibéralisme » et d’aller vers un système économique basé sur une
répartition plus égalitaire des moyens de production et des bénéfices du développement.
Étroitement lié à une nouvelle conception du développement, le droit au « bien vivre » consacre,
entre autres, les droits pour tous à l’eau, l’alimentation, la santé, l’éducation, la sécurité sociale,
l’énergie électrique, les télécommunications de même qu’aux infrastructures routières et sanitaires.
La nouvelle charte caractérise le système économique comme « social et solidaire », reconnaissant
que l’être humain en est à la fois le sujet et le but. Ce système doit tendre vers une « relation
dynamique et équilibrée entre la société, l’état et le marché, le tout en harmonie avec la nature » (article 283).
Le droit à la propriété sous toutes ses formes (publique, privée, communautaire, coopérative,
associative, etc.) est reconnu mais la vieille notion de « liberté d’entreprise » sans limite est
remplacée par « le droit à développer individuellement ou collectivement des activités économiques
conformes aux principes de solidarité et de responsabilité sociale et environnementale » (article 66).
Le terme « entreprise » n’est même plus utilisé dans le texte constitutionnel qui lui préfère
les expressions « unités économiques » et « unités productives ».
Le travail, un droit social et économique
Les énoncés sur le travail sont d’une grande importance. Celui-ci est défini en tant que
« droit social et économique » et « base de l’économie » (article 33).
L’article 325 de la constitution reconnaît toutes les modalités du travail, « autant celui effectué
pour le compte d’autrui que le travail autonome, d’autosuffisance ou de soins humains ».
Avec cet article, explique Magdalena Leon, tous les travailleurs et travailleuses sont reconnus
« en tant qu’acteurs sociaux productifs » incluant les mères de famille travaillant à la maison et
les gens qui s’occupent de parents malades ou handicapés. Il n’y a plus de travail stigmatisé
comme « informel » ou « domestique ».
La constitution prévoit une juste rémunération du travail quel qu’il soit, se traduisant par un
salaire digne, c’est-à-dire couvrant au moins les besoins du travailleur et de sa famille (article 328).
Elle garantit un salaire minimum obligatoire, révisé annuellement.
En plus des avancées sur le travail, les femmes se voient assurées de l’égalité de droit « en matière
d’accès à la propriété et de prise de décision dans l’administration de la société conjugale ».
Une première : des droits à la nature
L’article 57, quant à lui, reconnaît les formes d’économie des peuples et nationalités indigènes
et exige « le respect et la promotion de leurs pratiques relativement à la biodiversité et à leur environnement naturel ».
Ces communautés et peuples ont le droit à la « propriété des terres sur lesquelles ils vivent »
et à « participer aux décisions relatives à l’usage, l’usufruit, l’administration et la conservation
des ressources naturelles renouvelables qui s’y trouvent ». Des mécanismes de consultation
s’ajoutent dans le cas de l’exploitation des ressources non renouvelables situées sur leurs terres.
Pour la première fois dans l’histoire, peut-être, la constitution d’un pays garantit les droits de
la nature. Loin de réduire celle-ci à un ensemble de ressources exploitables, l’article 71 déclare :
« La nature, ou Pachamama, là ou la vie se réalise et se reproduit, a droit au respect de son existence,
de même qu’au maintien et à la régénération de ses cycles vitaux, structures, fonctions et processus évolutifs ».
Les ressources naturelles non renouvelables (hydrocarbures, biodiversité, eau douce) sont définies
comme « secteur stratégique » du pays et contrôlées par l’État.
Une planification participative
Mais l’État ne gouverne pas tout seul. Si l’article 3 affirme qu’il doit « planifier le développement
national », cette planification doit être « participative ». Cela suppose, dit madame Leon, que
l’État récupère ses fonctions d’avant la constitution néolibérale de 1998, mais avec des mécanismes
de participation de la société aux décisions gouvernementales.
« Il s’agit, nous dit Magdalena Leon, de sortir de l’autoritarisme du marché pour aller vers des
décisions assumées en fonction des objectifs stratégiques du pays, de priorités qui font consensus
et de processus liés aux réalités et aux besoins des sociétés à partir des niveaux locaux vers le niveau national ».
Pour y parvenir, la constitution prévoit l’instauration de « conseils citoyens » dotés de « pouvoirs
de planification » à tous les niveaux de gouvernement allant des « juntes paroissiales » aux
« gouvernements régionaux autonomes », articulés avec le niveau national.
Priorité à l’économie nationale
Un chapitre est également consacré à la priorisation de l’économie nationale. Par exemple,
les achats publics doivent favoriser la production nationale, plus spécialement les « petites unités
économiques » et les « réseaux associatifs ».
Les décisions relatives à ce qu’il faut produire doivent tenir compte de la « haute valeur ajoutée »
des productions, de leur capacité à « générer des emplois dignes et stables » et de leur « caractère
acceptable pour l’environnement » (article 285).
La production doit être diversifiées afin, notamment, de garantir la souveraineté alimentaire du pays
définie comme objectif stratégique. Des « politiques re-distributrices » sont prévues pour « permettre
l’accès des petits paysans à la terre, à l’eau et à d’autres ressources productives » (article 281).
Le « latifundio », la concentration de la propriété terrienne de même que l’accaparement ou la
privatisation de l’eau et de ses sources sont interdits.
La politique fiscale se voit attribuer la fonction de redistribuer les richesses et revenus nationaux
aux moyens de transferts, taxes et subsides. L’article 334 prévoit des politiques pour « éviter la
concentration des facteurs et ressources productives » et « éliminer les privilèges et inégalités ».
Un territoire de paix, sans présence militaire étrangère
En matière de politique étrangère, l’article 416 fait de l’Équateur « un territoire de paix », opposé
aux armes de destruction massive et libre de toute présence militaire étrangère, ce qui, dès l’an prochain,
sonne le glas de la base militaire états-unienne de Manta.
Un article traite de l’intégration latino-américaine et marque un engagement de l’Équateur vers
l’union économique, productive, financière et monétaire ainsi que vers la coopération énergétique avec les pays de la région.
L’article propose aussi la création d’une citoyenneté latino-américaine et caribéenne, la libre
circulation des personnes sur tout le continent de même que l’adhésion de l’Équateur à une
politique commune de défense pour une alliance stratégique continentale.