Le statut d'auto-entrepreneur ou l'argentinisation du
salariat.
Pas de lien source...
L'idée de ce texte n'est pas de faire un travail juridique fouillé et comparatif entre le statut d'auto-entrepreneur français et le monotributo argentin (vous allez comprendre).
Je laisse ce boulot aux juristes ayant une fibre sociale et latinoaméricaniste prononcée -ça doit bien pouvoir se trouver.
En écoutant l'émission Là-bas si j'y suis du jeudi 12 mars, consacrée au nouveau statut d'auto-entrepreneur, censé remettre la France au travail et ayant suscité l'intérêt de 67 000 personnes depuis sa mise en application au 1er janvier dernier, j'ai sursauté en
me rendant compte de la similarité entre le statut d'auto-entrepreneur et celui des monotributistas argentins (vous allez comprendre) et ce, du point de vue le plus pervers.
Créé dans les années 90 sous la présidence de Carlos Saul Menem
(que d'aucun nomment la « deuxième décade infâme » en référence à une première décade, datant des années 1930 durant laquelle la classe politique se vautrait dans les magouilles les plus crasses) le monotributo fait partie d’une des mesures de réforme des impôts prises à cette période.
Jusque là, le système avait toujours fonctionné sans réelle stratégie impositive telle qu’on peut la constater par exemple en France (excepté l’impôt sur la valeur ajoutée ou IVA en castillan). L’impôt fonctionnait donc de manière à remplir ponctuellement les
caisses de l’Etat afin de payer la dette ou financer tel ou tel projet. Dans ce cadre, les petits commerçants avaient à payer une importante somme d’impôts dont l’IVA mais aussi l’impôt sur les bénéfices, les cotisations retraite ou des taxes pour financer plusieurs œuvres sociales. Afin de faciliter la tâche et de ne faire payer plus qu’une seule taxe, le gouvernement Menem de l’époque a mis en place le monotributo. Ce dernier impôt est donc censé remplacer tous les autres, y compris les cotisations retraites…
Le premier problème c’est que, la somme à payer n’étant pas très élevée (et le monotributo somme toute assez récent), des doutes se posent quand à l’efficacité réelle et l'importance des fonds ainsi dégagés pour payer lesdites retraites. Le même problème se pose pour les œuvres sociales. Sur ce dernier point notons que dans le cadre salarial, l’employé devait verser 3% de son salaire aux oeuvres et le patron, en reverser 6%. Aujourd’hui, seul le monotributista se doit de reverser un pourcentage de
l'ordre de 3% (pourcentage l’assimilant d'ailleurs symboliquement à un salarié) soit, pour une moyenne de 600 pesos, 20 qui iraient aux œuvres sociales.
Mais le gros soucis du monotributo qui nous intéresse tout
particulièrement ici, c’est qu’il fait passer n’importe quelle personne
s’inscrivant en tant que telle et sans plus de vérification, dans la catégorie des entrepreneurs individuels. Or, aux entrepreneurs individuels, personne ne se charge de leur payer les frais d’accident, de maladie, de chômage de cotisations retraite ou de congés… et c'est ce qui semblerait se profiler avec le statut
d'auto-entrepreneur. Il s'agissait d'une telle aubaine, qu'au début des années 2000, l'Etat argentin lui-même a pu « embaucher » un nombre important de personnes sous ce statut (50% des « fonctionnaires » en auraient été victimes) qui n'étaient donc pas reconnues comme fonctionnaires mais comme accomplissant
une tâche déterminée pour un employeur se nommant: l’Etat.
Pour ma part, mon « terrain » d'aspirant anthropologue a tourné autour de coursiers motorisés nommés « motoqueros ». Représentant entre 50 et 58 000 travailleurs seulement
pour la ville de Buenos Aires, ce secteur fait partie de ce que l'on nomme pudiquement : l'économie informelle. Autrement dit, les coursiers travaillent au noir pour des patrons d'agence elle-mêmes illégales, mais bénéficiant de largesses de la part des institutions. Pourquoi ces largesses me direz-vous?
Parce que beaucoup de ces patrons sont d'anciens flics ayant gardé leurs réseaux et que, l'immense majorité des entreprises installées dans le Microcentro (la City locale) de Buenos Aires ont recours aux services des différentes agences de motoqueros, sans aucun scrupule.
Il est ainsi à la portée de tout le monde ayant un peu de mise départ d'ouvrir une agence, simplement en louant un local,
en installant une ligne téléphonique, en dégottant deux ou trois clients (dans un premier temps) et quelques coursiers déclassés et crevant la dalle prêt à bosser comme des dingues pour quelques pesos (souvent plus de douze heures pour un boulot qui ne permet même pas d'atteindre le salaire minimum).
La situation est d'autant plus favorable pour les patrons d'agence que, les entreprises dont nous avons parlé précédemment ne sont pas des modèles d'éthiques et de savoir vivre et ont mené la vie dure aux rares expériences coopérativistes qu'ont pu monter les coursiers, au cours de leurs luttes -le secteur étant hyper-combatif... Entre dominants, on s'entend, n'est-ce pas?
Les coursiers sont donc à la fois victimes de leurs patrons et de leur clients... elle est pas belle la vie?
Je retombe ainsi sur mes pattes concernant le statut d'auto-entrepreneur -ou plus exactement, le monotributo.
Car, les patrons d'agence, pas cons, ont vite compris l'intérêt d'utiliser, à l'instar de l'Etat, une telle disposition et ont vite fait d’obliger tous les coursiers à s’inscrire sous le statut de monotributista. Ce qui, en cas d'accident grave (un pas par jour à Buenos Aires) leur permet d’arguer de cette qualité de monotributista à l’encontre du coursier indélicat qui chercherait à
faire payer à son employeur des frais médicaux. De la même manière, les patrons d'agence ont beau jeu de ne pas répondre aux sollicitations des coursiers dont l'immense majorité pâti de conditions de sécurité ou de salubrité purement déplorables, puisque juridiquement et fiscalement, ces derniers sont considérés
comme des travailleurs indépendants.
Vous comprenez où je veux en venir?
Autrement dit le statut d'auto-entrepreneur (comme le démontre
brillamment, le reportage de Pascale Pascariello, de Làs-bas... du 12 mars) va permettre à n'importe quel patron français de faire du chantage à ses salariés sur le thème: c'est l'auto-entreprise ou la porte... et l'auto-entreprise c'est pas de congé maternité, pas de vacances, pas de chômage, pas de retraites, etc.,
etc. bienvenu dans le meilleur des mondes.
Guillaume de Gracia,
doctorant en anthropologie
Ecouter Là-bas :
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1637
Voir aussi :
http://www.auto-entrepreneur.fr/
salariat.
Pas de lien source...
L'idée de ce texte n'est pas de faire un travail juridique fouillé et comparatif entre le statut d'auto-entrepreneur français et le monotributo argentin (vous allez comprendre).
Je laisse ce boulot aux juristes ayant une fibre sociale et latinoaméricaniste prononcée -ça doit bien pouvoir se trouver.
En écoutant l'émission Là-bas si j'y suis du jeudi 12 mars, consacrée au nouveau statut d'auto-entrepreneur, censé remettre la France au travail et ayant suscité l'intérêt de 67 000 personnes depuis sa mise en application au 1er janvier dernier, j'ai sursauté en
me rendant compte de la similarité entre le statut d'auto-entrepreneur et celui des monotributistas argentins (vous allez comprendre) et ce, du point de vue le plus pervers.
Créé dans les années 90 sous la présidence de Carlos Saul Menem
(que d'aucun nomment la « deuxième décade infâme » en référence à une première décade, datant des années 1930 durant laquelle la classe politique se vautrait dans les magouilles les plus crasses) le monotributo fait partie d’une des mesures de réforme des impôts prises à cette période.
Jusque là, le système avait toujours fonctionné sans réelle stratégie impositive telle qu’on peut la constater par exemple en France (excepté l’impôt sur la valeur ajoutée ou IVA en castillan). L’impôt fonctionnait donc de manière à remplir ponctuellement les
caisses de l’Etat afin de payer la dette ou financer tel ou tel projet. Dans ce cadre, les petits commerçants avaient à payer une importante somme d’impôts dont l’IVA mais aussi l’impôt sur les bénéfices, les cotisations retraite ou des taxes pour financer plusieurs œuvres sociales. Afin de faciliter la tâche et de ne faire payer plus qu’une seule taxe, le gouvernement Menem de l’époque a mis en place le monotributo. Ce dernier impôt est donc censé remplacer tous les autres, y compris les cotisations retraites…
Le premier problème c’est que, la somme à payer n’étant pas très élevée (et le monotributo somme toute assez récent), des doutes se posent quand à l’efficacité réelle et l'importance des fonds ainsi dégagés pour payer lesdites retraites. Le même problème se pose pour les œuvres sociales. Sur ce dernier point notons que dans le cadre salarial, l’employé devait verser 3% de son salaire aux oeuvres et le patron, en reverser 6%. Aujourd’hui, seul le monotributista se doit de reverser un pourcentage de
l'ordre de 3% (pourcentage l’assimilant d'ailleurs symboliquement à un salarié) soit, pour une moyenne de 600 pesos, 20 qui iraient aux œuvres sociales.
Mais le gros soucis du monotributo qui nous intéresse tout
particulièrement ici, c’est qu’il fait passer n’importe quelle personne
s’inscrivant en tant que telle et sans plus de vérification, dans la catégorie des entrepreneurs individuels. Or, aux entrepreneurs individuels, personne ne se charge de leur payer les frais d’accident, de maladie, de chômage de cotisations retraite ou de congés… et c'est ce qui semblerait se profiler avec le statut
d'auto-entrepreneur. Il s'agissait d'une telle aubaine, qu'au début des années 2000, l'Etat argentin lui-même a pu « embaucher » un nombre important de personnes sous ce statut (50% des « fonctionnaires » en auraient été victimes) qui n'étaient donc pas reconnues comme fonctionnaires mais comme accomplissant
une tâche déterminée pour un employeur se nommant: l’Etat.
Pour ma part, mon « terrain » d'aspirant anthropologue a tourné autour de coursiers motorisés nommés « motoqueros ». Représentant entre 50 et 58 000 travailleurs seulement
pour la ville de Buenos Aires, ce secteur fait partie de ce que l'on nomme pudiquement : l'économie informelle. Autrement dit, les coursiers travaillent au noir pour des patrons d'agence elle-mêmes illégales, mais bénéficiant de largesses de la part des institutions. Pourquoi ces largesses me direz-vous?
Parce que beaucoup de ces patrons sont d'anciens flics ayant gardé leurs réseaux et que, l'immense majorité des entreprises installées dans le Microcentro (la City locale) de Buenos Aires ont recours aux services des différentes agences de motoqueros, sans aucun scrupule.
Il est ainsi à la portée de tout le monde ayant un peu de mise départ d'ouvrir une agence, simplement en louant un local,
en installant une ligne téléphonique, en dégottant deux ou trois clients (dans un premier temps) et quelques coursiers déclassés et crevant la dalle prêt à bosser comme des dingues pour quelques pesos (souvent plus de douze heures pour un boulot qui ne permet même pas d'atteindre le salaire minimum).
La situation est d'autant plus favorable pour les patrons d'agence que, les entreprises dont nous avons parlé précédemment ne sont pas des modèles d'éthiques et de savoir vivre et ont mené la vie dure aux rares expériences coopérativistes qu'ont pu monter les coursiers, au cours de leurs luttes -le secteur étant hyper-combatif... Entre dominants, on s'entend, n'est-ce pas?
Les coursiers sont donc à la fois victimes de leurs patrons et de leur clients... elle est pas belle la vie?
Je retombe ainsi sur mes pattes concernant le statut d'auto-entrepreneur -ou plus exactement, le monotributo.
Car, les patrons d'agence, pas cons, ont vite compris l'intérêt d'utiliser, à l'instar de l'Etat, une telle disposition et ont vite fait d’obliger tous les coursiers à s’inscrire sous le statut de monotributista. Ce qui, en cas d'accident grave (un pas par jour à Buenos Aires) leur permet d’arguer de cette qualité de monotributista à l’encontre du coursier indélicat qui chercherait à
faire payer à son employeur des frais médicaux. De la même manière, les patrons d'agence ont beau jeu de ne pas répondre aux sollicitations des coursiers dont l'immense majorité pâti de conditions de sécurité ou de salubrité purement déplorables, puisque juridiquement et fiscalement, ces derniers sont considérés
comme des travailleurs indépendants.
Vous comprenez où je veux en venir?
Autrement dit le statut d'auto-entrepreneur (comme le démontre
brillamment, le reportage de Pascale Pascariello, de Làs-bas... du 12 mars) va permettre à n'importe quel patron français de faire du chantage à ses salariés sur le thème: c'est l'auto-entreprise ou la porte... et l'auto-entreprise c'est pas de congé maternité, pas de vacances, pas de chômage, pas de retraites, etc.,
etc. bienvenu dans le meilleur des mondes.
Guillaume de Gracia,
doctorant en anthropologie
Ecouter Là-bas :
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1637
Voir aussi :
http://www.auto-entrepreneur.fr/