Le pacte de responsabilité des collectivités augmentera les inégalités
Faire son marché, déposer sa fille à la crèche, rouler sur une départementale, passer le dimanche après-midi à la maison de retraite et partager des souvenirs avec sa grand-mère, emmener son aîné au lycée, habiter un logement social… Derrière tous ces gestes quotidiens, il y a une collectivité. Une Ville qui finance, un Département qui protège, une Région qui aménage. Des collectivités qui, pour fonctionner correctement, devraient avoir des moyens. Car les conditions d’existence de ces collectivités, ce sont très directement les nôtres. Leurs investissements « investissent » nos vies.
Mais les « collectivités territoriales » (le terme, déjà, semble si technocratique…) sont de plus en plus mal en point. Leur situation est devenue préoccupante au regard de leur capacité à maintenir demain des financements essentiels. Sans doute est-ce pour partie le résultat mécanique de la crise, qui baisse les recettes, augmente les besoins sociaux et corollairement les dépenses publiques. Mais cela tient surtout à une politique délibérément décidée et conduite sans discontinuité depuis des décennies. Et en la matière comme en tant d’autres, François Hollande inscrit ses pas dans ceux de Nicolas Sarkozy. Il fait même plus et mieux. Deux ans de mandature seulement et déjà l’ancien président du Conseil général de Corrèze a réalisé ce que la droite a essayé de faire dix ans durant.
L’Etat aide les banques à recouvrer leurs emprunts toxiques…
Partons d’abord dans cette commune très importante de la banlieue Ouest de l’Ile-de-France – l’exemple est tout à fait réel. Annick travaille à la mairie. Cette année encore, comme lors des cinq dernières années, Annick a dû acheter à l’hypermarché les fournitures dont elle a besoin pour travailler tous les jours. Son employeur, cette mairie, ne peut pas lui en fournir suffisamment. S’asseoir sur une chaise correcte, elle n’y compte plus vraiment non plus. Il y a des emprunts toxiques à rembourser.
Voilà plus de six ans, l’ancien Maire a souscrit ce qu’il pensait être une bonne affaire : un emprunt dont le taux de remboursement sur trois ans est de 1%. Sauf que, sur les 28 années suivantes, le taux d’intérêt s’établit à 3% tant que la différence entre l’euro et le franc suisse est supérieure à 1,44. Résultat : avec un tel calcul, l’augmentation du taux d’intérêt s’envole sans crier gare, sans prévision possible, jusqu’à 40%. Car le franc suisse est devenu une valeur refuge sur laquelle se ruent les investisseurs, ce qui fait automatiquement augmenter sa valeur.
Les banques n’accepteront pas de renégocier cet emprunt. D’ailleurs, cette collectivité n’est pas la seule à se heurter à une fin de non recevoir. Englués dans des prêts impossibles à rembourser, un certain nombre de Villes et de Départements ont engagé le bras de fer judiciaire. Et elles ont trouvé une faille. Le coût total du crédit ne figurait pas ou de manière erronée dans les contrats conclus. Si bien que le tribunal de grande instance de Nanterre a annulé les taux d’intérêt usuraires de trois prêts contractés par le conseil général de Seine-Saint-Denis. Cette décision du 8 février 2013 a une portée de jurisprudence puisque la moitié des contrats conclus entre Dexia et les collectivités comprend cette même erreur.
Dans un tel combat, les collectivités pouvaient espérer un soutien du président pour qui « l’ennemi, c’est la finance ». L’exact inverse s’est produit. Dans le cadre de la loi de finances pour 2014 et la loi de finances rectificative pour 2013, le gouvernement a légalisé de manière rétroactive les 18,8 milliards d’euros d’emprunts toxiques octroyés par Dexia aux collectivités locales !
Parce que l’Etat a décidé de reprendre à son compte la banque franco-belge, la situation est ubuesque. D’un côté, le gouvernement octroie un fonds de soutien exceptionnel de 100 millions d’euros sur une durée maximale de 15 ans pour aider les collectivités les plus en difficulté. De l’autre, il prend fait et cause pour le système bancaire. Quitte pour cela à colmater la brèche juridique trouvée par certaines collectivités.
Contre toute attente, en décembre dernier, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition. Mais le sursis apporté aux collectivités sera de courte durée puisque Bercy a immédiatement annoncé la rédaction rapide d’« un dispositif plus solide juridiquement » pour mettre définitivement fin aux 200 à 250 contentieux déposés.
Réussir ce que la droite a entrepris
Mais le ministère de l’Economie ne sera pas le seul à décider du sort des collectivités en 2014. Dans quelques semaines, au printemps, les parlementaires auront à se prononcer sur le nouvel acte de décentralisation de François Hollande. Certes, le pire n’est pas toujours sûr. Mais on n’imagine mal comment ce projet de loi pourrait être retoqué. Comme tous les autres avant lui, même les plus contestables, il sera voté. Et il le sera au nom de la « simplification » et de la baisse des dépenses publiques. Tout est dit.
Il ne s’agit pas, en effet, de donner plus de pouvoir aux citoyens, de renforcer leurs capacités d’agir sur le pouvoir local. Il ne s’agit pas davantage de trouver les moyens de garantir à chacun, quel que soit l’endroit où il réside, l’accès en quelques minutes aux services publics de proximité essentiels, en grande partie financés par ces collectivités locales. Il ne s’agit pas non plus de veiller à ce que les allocations sociales de première urgence, tel que le Revenu de Solidarité Active (RSA), gérées et versées par ces mêmes collectivités, puissent être financées correctement, alors que le déficit structurel dans ce domaine dure depuis des décennies, au point d’atteindre une situation de non retour.
Non, l’objectif recherché est de faire des économies ! Et les collectivités locales font figure d’opportunité facile, un gisement à portée de main. Pourtant, les sommes en jeu doivent être relativisées. Les collectivités représentent 18% des dépenses publiques. La dette locale contribue de près de 10% à la dette publique. Elle sert surtout à financer la construction ou la rénovation de projets d’équipement. Une dette utile en somme, à l’heure où la machine économique tourne au ralenti.
Mais qu’importe le volume minime des économies virtuellement réalisable au regard de la transformation profonde de l’action publique locale qu’elle va susciter. La politique assumée par l’équipe Hollande entérine et prolonge celle conduite par la droite au pouvoir. Elle la rend possible. Elle l’approfondit.
En 2010, Nicolas Sarkozy allège la fiscalité locale payée par les entreprises. La taxe professionnelle payée par les entreprises est supprimée. Elle est remplacée par la cotisation sur la valeur ajoutée. Cela représente pour les collectivités moins de ressources et moins d’autonomie financière. Certes, depuis un an, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a octroyé aux Départements et aux Régions la possibilité de percevoir de nouvelles recettes pour compenser le manque à gagner. Mais François Hollande n’est pas revenu sur le principe même de cette mesure. La fiscalité locale repose toujours à 80% sur les ménages. Les entreprises peuvent ainsi bénéficier de toutes les infrastructures mises à leur disposition sans participer pour autant à la hauteur des investissements qu’elles représentent. Là encore, on s’est débarrassé d’une certaine conception (sociale !) selon laquelle l’entreprise se devait de participer au bien commun.
En 2010 encore, Nicolas Sarkozy conclut sa seconde conférence sur les déficits en annonçant le gel des moyens de fonctionnement des collectivités. Il faut savoir que cette Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) se chiffre en moyenne à plus de 40 milliards d’euros par an. De quoi s’agit-il ? L’Etat a transféré aux collectivités la responsabilité de gérer pour son compte des compétences, des politiques, des allocations. Ces dernières avancent l’argent et se font ensuite rembourser par l’Etat : c’est cela la Dotation Globale de Fonctionnement. Sauf que, depuis plusieurs décennies, les gouvernements ne remboursent plus à l’euro près dépensé. Ainsi, en 2010, Nicolas Sarkozy leur annonce que l’ardoise ne sera définitivement pas effacée. Pire, parce l’inflation et la crise augmentent mécaniquement les dépenses des collectivités, cela revient en réalité à leur donner moins d’argent pour financer l’Allocation Personnalisée Autonomie (APA) pour les personnes âgées, le Revenu de Solidarité Active (RSA), la Prestation de Compensation du Handicap (PCH)…
En 2013, François Hollande confirme ce gel. Il va même plus loin. En 2014 et en 2015, la Dotation Globale de Fonctionnement diminuera d’un peu plus d’un milliard d’euros. L’effort est réparti entre les communes (588 millions d’euros de moins), les départements (476 millions d’euros) et les régions (184 millions d’euros). C’est le pacte de confiance et de responsabilité proposé aux collectivités. Il représente ainsi un véritable point de rupture dans la manière dont se sont bâtis historiquement les rapports entre l’Etat et les collectivités locales. En l’espace de six ans, on est ainsi passé d’un système où les concours financiers de l’Etat augmentaient à hauteur de l’inflation et d’une partie de la croissance, puis au niveau seulement de l’inflation, puis la stabilité à 0%, pour finir maintenant par une baisse. On imagine mal comment ce scénario pourrait s’inverser dans les années à venir.
Troisième et dernier exemple de la politique de rigueur initiée par la droite et poursuivie par François Hollande, en 2010 toujours, Nicolas Sarkozy dit souhaiter que les dotations de l’Etat soient modulées. Elles doivent l’être selon des critères de bonne gestion pour « encourager les collectivités locales à réduire leurs dépenses dans les mêmes proportions que l’Etat ». Nicolas Sarkozy l’a rêvé ; François Hollande l’a fait. L’idée avancée lors de la conférence de presse du 14 janvier 2014 est de proposer un « bonus-malus » aux Régions, aux Départements et aux nouvelles métropoles, aux communes et aux intercommunalités prêtes à fusionner. Il s’agit de contraindre les collectivités à respecter de nouvelles normes de dépenses de fonctionnement. À partir de la loi de finances 2015, les 40 milliards d’euros de la Dotation Globale de Fonctionnement seront désormais versés en fonction des efforts faits en matière de regroupement.
Ainsi, sous l’impulsion de cette politique de la carotte et du bâton, c’est une nouvelle organisation des territoires qui ne va plus manquer d’émerger. Pas sûr que les citoyens s’y retrouvent. D’autant que les deux seules fois où ils ont été consultés sur la fusion de deux départements, en Alsace et en Corse, ils ont dit non.
Un trompe-l’œil nommé « mixité sociale »
Or la réduction des inégalités n’est visiblement pas une priorité du gouvernement socialiste. Alors que la crise a encore aggravé les écarts de revenu et de patrimoine et que le chômage touche près de 11% de la population, la seule réponse de Jean-Marc Ayrault face à cette situation sociale désastreuse est une réforme de la politique de la ville (à moyens constants bien sûr) censée mieux cibler les territoires les plus en difficulté.
Malheureusement, la loi de programmation pour la ville et la cohésion sociale, adoptée le 21 février dernier, reste dans la droite ligne de la politique de la ville depuis les années 1980, faisant de la lutte contre « les exclusions » et « la ségrégation » le point ultime des politiques de développement social, en lieu et place de l’objectif de répartition des richesses et de plein emploi.
Si le critère retenu pour redessiner la géographie des quartiers prioritaires est bien le niveau de revenu, on peut douter que les actions financées dans ce cadre permettront de sortir durablement de la pauvreté les habitants de ces quartiers. Ce n’est d’ailleurs pas l’objectif annoncé, car il s’agit surtout, dans le prolongement des orientations fixées par la droite et notamment grâce au volet rénovation urbaine de la politique de la ville, de viser la « mixité sociale », c’est-à-dire une répartition des pauvres plus équitable entre les territoires, permettant de mieux les « invisibiliser » et de maintenir une relative paix sociale. S’il paraît indispensable d’impulser des actions spécifiques soutenues par l’Etat dans les collectivités les plus touchées par les conséquences de la crise financière et des politiques d’austérité, ces efforts ne pourront au mieux que servir d’alibi en l’absence d’une rupture avec les politiques néolibérales.
http://www.fondation-copernic.org/spip.php?article1070
Faire son marché, déposer sa fille à la crèche, rouler sur une départementale, passer le dimanche après-midi à la maison de retraite et partager des souvenirs avec sa grand-mère, emmener son aîné au lycée, habiter un logement social… Derrière tous ces gestes quotidiens, il y a une collectivité. Une Ville qui finance, un Département qui protège, une Région qui aménage. Des collectivités qui, pour fonctionner correctement, devraient avoir des moyens. Car les conditions d’existence de ces collectivités, ce sont très directement les nôtres. Leurs investissements « investissent » nos vies.
Mais les « collectivités territoriales » (le terme, déjà, semble si technocratique…) sont de plus en plus mal en point. Leur situation est devenue préoccupante au regard de leur capacité à maintenir demain des financements essentiels. Sans doute est-ce pour partie le résultat mécanique de la crise, qui baisse les recettes, augmente les besoins sociaux et corollairement les dépenses publiques. Mais cela tient surtout à une politique délibérément décidée et conduite sans discontinuité depuis des décennies. Et en la matière comme en tant d’autres, François Hollande inscrit ses pas dans ceux de Nicolas Sarkozy. Il fait même plus et mieux. Deux ans de mandature seulement et déjà l’ancien président du Conseil général de Corrèze a réalisé ce que la droite a essayé de faire dix ans durant.
L’Etat aide les banques à recouvrer leurs emprunts toxiques…
Partons d’abord dans cette commune très importante de la banlieue Ouest de l’Ile-de-France – l’exemple est tout à fait réel. Annick travaille à la mairie. Cette année encore, comme lors des cinq dernières années, Annick a dû acheter à l’hypermarché les fournitures dont elle a besoin pour travailler tous les jours. Son employeur, cette mairie, ne peut pas lui en fournir suffisamment. S’asseoir sur une chaise correcte, elle n’y compte plus vraiment non plus. Il y a des emprunts toxiques à rembourser.
Voilà plus de six ans, l’ancien Maire a souscrit ce qu’il pensait être une bonne affaire : un emprunt dont le taux de remboursement sur trois ans est de 1%. Sauf que, sur les 28 années suivantes, le taux d’intérêt s’établit à 3% tant que la différence entre l’euro et le franc suisse est supérieure à 1,44. Résultat : avec un tel calcul, l’augmentation du taux d’intérêt s’envole sans crier gare, sans prévision possible, jusqu’à 40%. Car le franc suisse est devenu une valeur refuge sur laquelle se ruent les investisseurs, ce qui fait automatiquement augmenter sa valeur.
Les banques n’accepteront pas de renégocier cet emprunt. D’ailleurs, cette collectivité n’est pas la seule à se heurter à une fin de non recevoir. Englués dans des prêts impossibles à rembourser, un certain nombre de Villes et de Départements ont engagé le bras de fer judiciaire. Et elles ont trouvé une faille. Le coût total du crédit ne figurait pas ou de manière erronée dans les contrats conclus. Si bien que le tribunal de grande instance de Nanterre a annulé les taux d’intérêt usuraires de trois prêts contractés par le conseil général de Seine-Saint-Denis. Cette décision du 8 février 2013 a une portée de jurisprudence puisque la moitié des contrats conclus entre Dexia et les collectivités comprend cette même erreur.
Dans un tel combat, les collectivités pouvaient espérer un soutien du président pour qui « l’ennemi, c’est la finance ». L’exact inverse s’est produit. Dans le cadre de la loi de finances pour 2014 et la loi de finances rectificative pour 2013, le gouvernement a légalisé de manière rétroactive les 18,8 milliards d’euros d’emprunts toxiques octroyés par Dexia aux collectivités locales !
Parce que l’Etat a décidé de reprendre à son compte la banque franco-belge, la situation est ubuesque. D’un côté, le gouvernement octroie un fonds de soutien exceptionnel de 100 millions d’euros sur une durée maximale de 15 ans pour aider les collectivités les plus en difficulté. De l’autre, il prend fait et cause pour le système bancaire. Quitte pour cela à colmater la brèche juridique trouvée par certaines collectivités.
Contre toute attente, en décembre dernier, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition. Mais le sursis apporté aux collectivités sera de courte durée puisque Bercy a immédiatement annoncé la rédaction rapide d’« un dispositif plus solide juridiquement » pour mettre définitivement fin aux 200 à 250 contentieux déposés.
Réussir ce que la droite a entrepris
Mais le ministère de l’Economie ne sera pas le seul à décider du sort des collectivités en 2014. Dans quelques semaines, au printemps, les parlementaires auront à se prononcer sur le nouvel acte de décentralisation de François Hollande. Certes, le pire n’est pas toujours sûr. Mais on n’imagine mal comment ce projet de loi pourrait être retoqué. Comme tous les autres avant lui, même les plus contestables, il sera voté. Et il le sera au nom de la « simplification » et de la baisse des dépenses publiques. Tout est dit.
Il ne s’agit pas, en effet, de donner plus de pouvoir aux citoyens, de renforcer leurs capacités d’agir sur le pouvoir local. Il ne s’agit pas davantage de trouver les moyens de garantir à chacun, quel que soit l’endroit où il réside, l’accès en quelques minutes aux services publics de proximité essentiels, en grande partie financés par ces collectivités locales. Il ne s’agit pas non plus de veiller à ce que les allocations sociales de première urgence, tel que le Revenu de Solidarité Active (RSA), gérées et versées par ces mêmes collectivités, puissent être financées correctement, alors que le déficit structurel dans ce domaine dure depuis des décennies, au point d’atteindre une situation de non retour.
Non, l’objectif recherché est de faire des économies ! Et les collectivités locales font figure d’opportunité facile, un gisement à portée de main. Pourtant, les sommes en jeu doivent être relativisées. Les collectivités représentent 18% des dépenses publiques. La dette locale contribue de près de 10% à la dette publique. Elle sert surtout à financer la construction ou la rénovation de projets d’équipement. Une dette utile en somme, à l’heure où la machine économique tourne au ralenti.
Mais qu’importe le volume minime des économies virtuellement réalisable au regard de la transformation profonde de l’action publique locale qu’elle va susciter. La politique assumée par l’équipe Hollande entérine et prolonge celle conduite par la droite au pouvoir. Elle la rend possible. Elle l’approfondit.
En 2010, Nicolas Sarkozy allège la fiscalité locale payée par les entreprises. La taxe professionnelle payée par les entreprises est supprimée. Elle est remplacée par la cotisation sur la valeur ajoutée. Cela représente pour les collectivités moins de ressources et moins d’autonomie financière. Certes, depuis un an, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a octroyé aux Départements et aux Régions la possibilité de percevoir de nouvelles recettes pour compenser le manque à gagner. Mais François Hollande n’est pas revenu sur le principe même de cette mesure. La fiscalité locale repose toujours à 80% sur les ménages. Les entreprises peuvent ainsi bénéficier de toutes les infrastructures mises à leur disposition sans participer pour autant à la hauteur des investissements qu’elles représentent. Là encore, on s’est débarrassé d’une certaine conception (sociale !) selon laquelle l’entreprise se devait de participer au bien commun.
En 2010 encore, Nicolas Sarkozy conclut sa seconde conférence sur les déficits en annonçant le gel des moyens de fonctionnement des collectivités. Il faut savoir que cette Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) se chiffre en moyenne à plus de 40 milliards d’euros par an. De quoi s’agit-il ? L’Etat a transféré aux collectivités la responsabilité de gérer pour son compte des compétences, des politiques, des allocations. Ces dernières avancent l’argent et se font ensuite rembourser par l’Etat : c’est cela la Dotation Globale de Fonctionnement. Sauf que, depuis plusieurs décennies, les gouvernements ne remboursent plus à l’euro près dépensé. Ainsi, en 2010, Nicolas Sarkozy leur annonce que l’ardoise ne sera définitivement pas effacée. Pire, parce l’inflation et la crise augmentent mécaniquement les dépenses des collectivités, cela revient en réalité à leur donner moins d’argent pour financer l’Allocation Personnalisée Autonomie (APA) pour les personnes âgées, le Revenu de Solidarité Active (RSA), la Prestation de Compensation du Handicap (PCH)…
En 2013, François Hollande confirme ce gel. Il va même plus loin. En 2014 et en 2015, la Dotation Globale de Fonctionnement diminuera d’un peu plus d’un milliard d’euros. L’effort est réparti entre les communes (588 millions d’euros de moins), les départements (476 millions d’euros) et les régions (184 millions d’euros). C’est le pacte de confiance et de responsabilité proposé aux collectivités. Il représente ainsi un véritable point de rupture dans la manière dont se sont bâtis historiquement les rapports entre l’Etat et les collectivités locales. En l’espace de six ans, on est ainsi passé d’un système où les concours financiers de l’Etat augmentaient à hauteur de l’inflation et d’une partie de la croissance, puis au niveau seulement de l’inflation, puis la stabilité à 0%, pour finir maintenant par une baisse. On imagine mal comment ce scénario pourrait s’inverser dans les années à venir.
Troisième et dernier exemple de la politique de rigueur initiée par la droite et poursuivie par François Hollande, en 2010 toujours, Nicolas Sarkozy dit souhaiter que les dotations de l’Etat soient modulées. Elles doivent l’être selon des critères de bonne gestion pour « encourager les collectivités locales à réduire leurs dépenses dans les mêmes proportions que l’Etat ». Nicolas Sarkozy l’a rêvé ; François Hollande l’a fait. L’idée avancée lors de la conférence de presse du 14 janvier 2014 est de proposer un « bonus-malus » aux Régions, aux Départements et aux nouvelles métropoles, aux communes et aux intercommunalités prêtes à fusionner. Il s’agit de contraindre les collectivités à respecter de nouvelles normes de dépenses de fonctionnement. À partir de la loi de finances 2015, les 40 milliards d’euros de la Dotation Globale de Fonctionnement seront désormais versés en fonction des efforts faits en matière de regroupement.
Ainsi, sous l’impulsion de cette politique de la carotte et du bâton, c’est une nouvelle organisation des territoires qui ne va plus manquer d’émerger. Pas sûr que les citoyens s’y retrouvent. D’autant que les deux seules fois où ils ont été consultés sur la fusion de deux départements, en Alsace et en Corse, ils ont dit non.
Un trompe-l’œil nommé « mixité sociale »
Or la réduction des inégalités n’est visiblement pas une priorité du gouvernement socialiste. Alors que la crise a encore aggravé les écarts de revenu et de patrimoine et que le chômage touche près de 11% de la population, la seule réponse de Jean-Marc Ayrault face à cette situation sociale désastreuse est une réforme de la politique de la ville (à moyens constants bien sûr) censée mieux cibler les territoires les plus en difficulté.
Malheureusement, la loi de programmation pour la ville et la cohésion sociale, adoptée le 21 février dernier, reste dans la droite ligne de la politique de la ville depuis les années 1980, faisant de la lutte contre « les exclusions » et « la ségrégation » le point ultime des politiques de développement social, en lieu et place de l’objectif de répartition des richesses et de plein emploi.
Si le critère retenu pour redessiner la géographie des quartiers prioritaires est bien le niveau de revenu, on peut douter que les actions financées dans ce cadre permettront de sortir durablement de la pauvreté les habitants de ces quartiers. Ce n’est d’ailleurs pas l’objectif annoncé, car il s’agit surtout, dans le prolongement des orientations fixées par la droite et notamment grâce au volet rénovation urbaine de la politique de la ville, de viser la « mixité sociale », c’est-à-dire une répartition des pauvres plus équitable entre les territoires, permettant de mieux les « invisibiliser » et de maintenir une relative paix sociale. S’il paraît indispensable d’impulser des actions spécifiques soutenues par l’Etat dans les collectivités les plus touchées par les conséquences de la crise financière et des politiques d’austérité, ces efforts ne pourront au mieux que servir d’alibi en l’absence d’une rupture avec les politiques néolibérales.
http://www.fondation-copernic.org/spip.php?article1070