Plaidoirie de Maître P. :Il n’est rien de plus jubilatoire que de voir une baudruche se dégonfler. C’est l’impression, peut-être trompeuse, qui nous reste de sa prestation, mais il n’en reste pas moins l’impression qu’il n’est pas parti en vrille de son plein chef. Il devait avoir reçu des consignes strictes quant au style de plaidoyer à accomplir, c’est à dire aussi offensif que possible. Tout miser sur le dénigrement, la médisance, le procès d’intention. Calomniez, il en restera toujours quelque chose, car un mensonge répété devient vérité. Qu’importe l’efficacité, l’important, dans l’art de la guerre, c’est de nuire, en infligeant par des mots des blessures à ses ennemis. Des blessures psychologiques, certes, mais des blessures quand même. Les scientologues croient vraiment pouvoir briser le moral de leurs opposants de cette manière. Une longue pratique du conditionnement des esprits de leurs adeptes leur assure que par expérience, cela marche à long terme. C’est de là qu’ils tirent leur arrogance, mais c’est peut-être aussi leur talon d’Achille.
Dans le désordre, il faut mentionner certaines péripéties de son intervention :
Il abordera la question de sa demande à statuer sur le huis clos en cours d’audience. Trop tard, bien sûr, et la présidente d’enfoncer le clou en affirmant que cette demande ne lui a jamais été transmise. Etait-ce une bourde ? Etait-ce du bluff ? Allez savoir.
A plusieurs reprises, l’avocat prendra un coup de sang rien que par le regard que Nono posait sur lui. "
C’est de l’intimidation !" s’offusquera-t-il, guettant manifestement le soutien de la cour, qui sur ce point resta dubitative, ne voyant Nono que de dos. Nous, nous voyions bien que Nono avait l’air amusé, un peu goguenard mais sans plus. Plus loin, "
Il me nargue !" s’écrira-t-il, comme à bout de nerfs. Et Nono d’ouvrir les mains d’étonnement.
Maître P. ne pouvait supporter devant lui une mine joviale. Pour se sentir à l’aise il avait besoin d’une cible passive, et aurait largement préféré voir devant lui un clown triste. A-t-il vraiment perdu ses moyens à cause de cela ? Voire. En tout cas c’est révélateur. Peut-être n’était-il pas vraiment convaincu lui-même par ce qu’il disait.
A deux reprises, l’éloquence de ce ténor du barreau de pacotille se retrouva entachée de l’expression "
enduit en erreur" (sic). On peut juste induire ici que l’erreur est humaine…
Il critiquera la pertinence d’une pièce récemment versée au dossier par la défense (une vidéo avec la voix de Monsieur T.), en disant qu’elle était datée du 27 novembre, donc après le 28 ( ?). Démenti immédiat et cinglant de la présidente : "
le 27, c’est bien avant le 28, Maître !" Et lui, rouge de confusion : "
ah, oui, avant !", stoppé en plein élan par ce contre-pied évident.
Une des choses les plus étonnantes sera son insistance à s’appuyer sur des éléments extérieurs au dossier tel qu’il avait été transmis aux juges et aux parties, inscrivant ainsi le cadre du débat contradictoire dans des limites bien définies.
Et de citer ces pièces surnuméraires (au-delà du n°11) sans aucun scrupule, pour y trouver matière à diaboliser Nono.
La présidente le reprendra rien moins qu’à trois reprises pour le rappeler à l’ordre, et lui expliquer avec une impatience croissante que la collation des pièces devait être close une fois le dossier d’accusation soumis à examen par les juges.
En ces lacunes de l’accusation consistait déjà le premier défaut du dossier. En s’enferrant dans l’ignorance de ces manques, Maître P. commit la deuxième erreur de sa stratégie argumentaire.
Décontenancé, on le voit encore feuilleter ses papiers, recherchant infructueusement la pièce qu’on lui refusait pourtant de produire à l’audience.
Il finira par se contenter d’évoquer indirectement leur contenu dans le cadre général de sa plaidoirie.
Nous ne résistons pas à relater le point d’orgue de son discours pour appuyer sa thèse selon laquelle Nono serait un sbire d’une organisation séditieuse :
Tirant cette citation d’un forum de discussion sur Internet dans lequel un sympathisant de Nono avait malicieusement écrit "
vas-y Nono, tu es le chef de la police anarchiste"
A l’entendre reprendre à son compte, et au premier degré cette citation, nous n’avons pu réprimer un éclat de rire, qui s’est répercuté du fond de l’assistance à toute la salle. Comment d’une boutade, on fait une conspiration !
Car enfin qui, à part un crétin, peut résister à l’obscure clarté de cet oxymore si savoureux ?
Cette utilisation, sans doute faussement naïve, n’est la que pour susciter une défiance chez les juges, censés se braquer à la simple mention du mot "
Anarchie".
Ce procédé n’avait-il pas déjà été utilisé avec succès dans l’autre affaire ?
En mettant en avant l’engagement militant de Nono (qu’il assume sans difficulté par ailleurs), l’intention n’est-elle pas de transformer son combat personnel en mission exécutée pour le compte d’un groupuscule extrémiste ? Auquel cas le juge, réduit à un rôle d’arbitre dans une guerre des gangs, ne serait-il pas enclin à trancher contre celui qui lui apparaîtrait le plus dangereux ?
Sur le fond de l’affaire maintenant, Maître P. défend la thèse selon laquelle Nono a restreint la liberté de culte de son client, en s’interposant à lui devant l’entrée des locaux de la secte :
L’argumentation de Maître P., au sujet de la prétendue entrave que Nono aurait exercé envers Monsieur R., s’articule comme suit :
dixit Maître P., Nono serait "
passé à une autre étape de son attitude de provocation en visant personnellement un individu, et pour ce faire, il se serait interposé afin de l’empêcher d’entrer dans les locaux", "
injurié" cet homme, "
conseillé de décamper de l’endroit", sous peine d’exécuter la menace qu’il "
reviendrait avec des copains" pour exercer des violences…
mais cet avocat dit aussi (là, ça devient intéressant) que Nono ne s’est même pas attaqué à un membre dirigeant de la secte, mais au contraire, à un modeste pion qui ne fait que s’acquitter de tâches simples, puisqu’il est juste "
affecté au planning des réunions".
Et de s’exclamer, de partir dans une grande envolée lyrique sur l’entrave à la liberté d’association et de culte, et de plaindre son client, confiné dans un rôle de victime pacifique et stoïque, accablée d’une blessure psychologique traumatisante et cependant intériorisée, conséquence d’une attitude d’apparente lâcheté en présence de son épouse. Ainsi de suite, "
il n’osait plus sortir seul depuis", et blablabla, "
il paraissait déprimé", et blablabla… etc.
C’est à peine plausible mais admettons.
Quelle mouche aurait piqué Nono, si tel avait été le cas ?
Lui, qui depuis 2004, manifestait pacifiquement à proximité, se contentant jusqu’alors de distribuer des tracts, d’improviser de croustillantes parodies des pratiques de la secte, et d’afficher des slogans ironiques, le tout présenté sous l’habillage d’un humour salutaire ?
Pourquoi, alors que ces moyens d’action tout simples avaient déjà, en grande partie, porté leurs fruits dans le quartier ?
A ce propos, les voisins de cette officine de la secte la voient désormais d’un œil méfiant, et sont peu disposés à se laisser convaincre par les méthodes insidieuses de recrutement de celle-ci.
D’ailleurs, d’après Nono, Les commerçants du quartier ne sont pas "
embêtés" ou "
agacés" par sa présence, mais ont peur de témoigner, il existe une sorte "
d’omerta", bien que certains artisans n’aient pas hésité à lui témoigner leur soutien.
Comment peut-on imaginer qu’il se serait subitement mué du jour au lendemain, au dépit de tout sens logique, en ce personnage féroce qu’on nous décrit, en cette invraisemblable brute, cynique et de surcroît imbécile, pour ambitionner d’intimider un individu aussi insignifiant (tel qu’il est montré et tel qu’il apparaît), et en se "
trompant" ainsi aussi grossièrement de "
cible" ?
Le bon sens nous commande d’essayer d’imaginer une autre version, basée sur une logique de la situation bien plus palpable, que la prétendue réalité des faits, survenus soi-disant de façon si commodément opportune, quand on considère la thèse avancée par Maître P.
Il est en effet légitime de s’interroger. Qu’y aurait-il eu de plus plausible ?
Il faut prendre en compte un élément qui ne peut être démenti, puisqu’il est attesté par une main courante datée du 27 novembre 2006, soit la veille du 28, date des supposés agissements incompréhensibles dont on accuse Nono. Or le 27, Nono déclare avoir subi de la part d’un membre de la secte une intimidation si violente et menaçante dans les propos qu’il a pris le soin, percevant un possible danger pour sa personne, d’en avertir le commissariat en y déposant cette main courante. Là vous allez rire, le 2ème témoin de la soirée du 28, n’est autre que Monsieur T. Ce personnage imposant n’est pas du menu fretin, c’est un cadre de la secte. Et c’était bien ce dernier, qui, aux dires (attestés par la main courante) de Nono, s’était chargé de la basse besogne consistant à lui faire des menaces d’une extrême violence.
En toute logique, c’est bien ainsi la genèse de l’affaire : une situation de guerre à outrance semblait avoir émergé, du point de vue des instances dirigeantes de l’officine de la secte. Ils leur a semblé indispensable d’improviser en catastrophe un scénario de plainte contre Nono, pour le cas où ce dernier aurait décidé de les attaquer en justice. En résumé, la plainte du 28 est une contre-mesure destinée à désamorcer la possibilité d’une poursuite à leur encontre. Faite à la va-vite, elle s’appuie sur un dossier pour ainsi dire vide, et fait fort peu état d’éléments circonstanciés.
Or il ne suffit pas d’invoquer vaguement une atteinte à la liberté de culte et d’association pour qu’une plainte soit recevable, il faut aussi qu’elle soit motivée par une description précise en temps et en lieu des faits incriminés, et qu’elle s’appuie sur un ensemble d’éléments probants, qui se rapportent exclusivement aux mêmes faits, éléments attestés et datés comme il se doit.
Pour le 28 Novembre, outre qu’il savait qu’il est malaisé de prouver la réalité d’un délit d’entrave, monsieur T. n’a pas pris la peine de collationner de solides pièces à verser pour étayer ce dossier. Par empressement tout d’abord, afin d’être le premier à déposer une plainte. puis, mécontent de son brouillon, il le négligera, et sera d’ailleurs par la suite, probablement trop occupé à peaufiner le scénario de la soirée du 5 décembre 2006, l’autre plainte intentée à l’encontre de Nono pour insulte et calomnie sur la voie publique.
Il est ainsi facile de constater le caractère plausible, et pour autant logique, de cette interprétation de l’affaire, où il apparaît que la secte, excédée de la présence de Nono, a finalement pris la mesure du "danger" pour leurs activités, de la présence d’un olibrius les tournant en ridicule.
Cette attitude nous paraît, soit dit en passant, peu conforme à l’éthique revendiquée par cette secte, qui prône le contrôle de soi comme vertu première.
Cela dénote au contraire l’intolérance dont elle fait preuve envers toute critique. Même en son sein, toute opinion discordante est considérée comme hérétique, ce qui d’ailleurs est prévenu en amont par une discipline stricte de cloisonnement et de silence entre les membres de "
niveau" différent.
Plaidoirie de l’avocate de NonoIl faut dire que l’atmosphère de la cour était lourdement chargée d’ennui et de fatigue, au vu de l’heure tardive, car Maître P. s’était tellement englué dans ses propres arguties (on peut même dire qu’il s’est pris les pieds dans le tapis formé par un vide juridique, en voulant charger Nono avec l’autre affaire) qu’il avait ainsi dû se répandre à l’excès. A tel point que Madame le Procureur n’a rien souhaité ajouter, en estimant que la cause de la partie civile avait été largement soutenue par leur avocat.
L’avocate de Nono, consciente de l’épuisement de la salle, décida à l’inverse de son confrère pléthorique, de miser sur la clarté et la concision de sa défense.
Elle s’attacha à rapidement démonter les témoignages en mettant en lumière leurs lacunes, qui étaient d’ailleurs flagrantes.
1) Une différence d’heure dans la relation de l’incident, d’un témoin à l’autre.
2) Deux témoins semblent mutuellement ignorer la présence de l’autre sur la scène de l’incident présumé.
Très vite, elle fit un sort aux bribes douteuses qui figuraient dans le dossier du demandeur, mettant en évidence le vide sidéral qui le caractérisait. Et de conclure, au soulagement de la Cour, pressée d’en finir avec cette affaire.
Conclusion :Nous étions plutôt soulagés quoique tous fourbus à la sortie de la salle d’audience. On peut raisonnablement être confiant sur l’issue de cette affaire. Si elle ne déboute pas la secte, je ne croirais décidément plus en la justice de ce pays !
Cependant, les scientologues ne sont pas prêts à céder d’un pouce, et sont capables d’aller en appel, rien que pour différer l’échéance d’une défaite. On en fait le pari ?
Car il faut vraiment avoir de l’endurance pour les affronter.
En tous cas, Nono, courage !
Alb et Chris, au nom de tous ceux qui te soutiennent,
Que la farce soit avec toi !