Je vais donc présenter succinctement, un des groupes surgis au début des années 1970, et qui a bouleversé , ainsi que d'autres comme Ange, Gong,.. l'univers de la création rock européenne, et même mondial.Ce groupe s'est appuyé et s'appuie toujours, parce que constamment en ébullition, sur un personnage tout à fait hors-norme, Christian Vander. Ce personnage, est littéralement possédé par la création, et a, comme nous allons l'indiquer, été traversé par le cosmos, au point qu'il lui en est resté des mégalithes de mots, expulsés de son inconscient volcanique, par des rythmes révolutionnaires.
Le voyage commence:
En 2 mots, lorsque j'ai perçu toute la force novatrice de ce groupe, je me suis approprié l'essentiel de leur discographie.Je prenais le soin, en invitant mes copains, de les prévenir en les calant confortablement sur des poufs,..de même, je demandais aux copines, si certaines n'étaient pas enceintes,.. j'exagére à peine.
J'ai donc assisté à ma 1° rencontre avec le phénomène: un communiqué anodin fait part dans la presse d'un concert jazz trio, avec Christaian Vander, Escoudé,..Je bloque la soirée, en parle à ma compagne qui ne peut ce soir-là,..Bref, je me rends au lieu du concert, 1 heure à l'avance et là, et là,.. j'arrive dans une salle attenante à celle où est prévu le sacrifice, et nez à nez avec Vander, en bleu de travail ( combinaison ) qui effectue des "échauffements de batterie",.. Le tonnerre était déjà en ébullition. Les gans de la sécurité se précipitent gentiment sur moi, en me demandant de patienter, et je leur réponds ( je vous assure que c'est vrai): " je m'en moque, je l'ai vu! ".
Bref le concert démarre peu après: Christiaen dispose d'un mur de caisses, percussions,.. c'est extraordinaire! Non seulement, toute l'énergie, la créativité dans un trio " classique "!, mais la musicalité, le tempo au repos..La magie avait pris forme humaine.Pour clore cette 1° rencontre avec la lave, il faut préciser que le coût de la soirée est distribué à chaque spectateur: Christian a demandé le coût de transport 2° classe train AR, domicile - lieu de concert + sandwich + indemnités basées sur le SMIC ou environ! du jamais vu!
Un peu après, Magma cette fois-ci est programmé à Montluçon ( pas la porte à côté ) pour la sortie de leur nouvelle création " Offering"; ni une ni deux, ma compagne et moi réservons train, hôtel et places de concert.Encore un choc en arrivant; nous mangeons dans un petit restaurant, et la patronne nous indique que viennent de sortir un groupe très sympa, curieux avec leurs regards ( celui de Christian probablement ), qui doivent jouer de la musique.. La rencontre aura lieu dans la salle un peu plus tard.
La moitié de la salle est occupée par des jeunes venus de toute l'europe, portant des pulls à l'effigie du groupe ( que mon ami Rabasse a inséré un peu plus haut ), et le concert démarre.
Le souvenir brûlé qu'il m'en reste et que je me suis tatoué, c'est la présence scénique de Christian.Il joue de la batterie, bien sûr, mais prend le micro, et donne une démonstration vocale hallucinante: il s'agit d'une montée torrentielle de mots, ( langage Kobaïen ) dans un rythme fantastique, qui troue l'espace et le temps comme jamais aucune cataracte ne l'avait faite avant lui . A ce déluge incandescent, Christian ouvre des pauses, et il descend de sa quête " animale " à une vitesse supersonique et dépose tranquillement, avec une délicatesse de soie, le micro sur la scène pour caresser les caisses de batterie.
Entrons dans le rêve:
je vais commencer par décrire la conception initiale du groupe, afin de restituer l'esprit, la foudre qui a enfanté de tels prodiges.
Christian a 13 ans lorsqu'il décide de prendre sa vie à pleines mains.Il se retrouve seul à Paris, et décide de le rester. Ses parents ( Maurice Vander est pianiste de jazz, notamment de Nougaro ) viennent de partir pour une longue tournée aux USA.Quant aux tuteurs légaux, Christian parvient à s'en débarrasser pour vivre sans lien, au plein soleil de sa solitude.A 13 ans, il fait preuve d'une détermination exceptionnelle, trait majeur de son caractère.Là où d'autres auraient pu succomber à un stress bien compréhensible, lui s'épanouit dans ses quelques mètres carrés.Il vient de découvrir un jazzman américain inouï: John Coltrane.En écoutant ses disques, un monde à mille lieux du réel naît dans ses sens, un monde où la compréhension se gausse des vocabulaires comme pour répondre à l'ironie de Cioran : " A quoi bon fréquenter Platon, quand un saxophone peut aussi bien nous faire en trevoir un autre monde ?"
Robinson exilé dans les cités de béton, Christian ne sort que pour aller se procurer de quoi manger, c'est - à-dire de quoi continuer à écouter.Un autre langage que la musique, à laquelle il répond de tout son être, de vient inutile.De 13 à 20 ans, il ne dira plus un mot, tant le crétinisme ambiant lui paraîtra la marque même d'un dérèglement généralisé ( à ne pas confondre avec le mot précieux de folie ). Avec le temps, cette attitude ne se modifiera pas fodamentalement; Vander continuera à attribuer peu de crédit aux paroles.
Armé d'une paire de balais de batterie ( il pratique depuis l'âge de 11 ans), il accompagne sur sa table la musique de Coltrane, rêvant du jour où il pourra se présenter devant lui, pour lui proposer ses services.Sa chambre se meuble peu à peu.2 plteaux de cuivre qui pendent du plafond tiennent lieu de cymbales, et des lessiveuses renversées, de caisses.En fermant les yeux, l'illusion devient réalité, comme lorsque à 5ans, il accompagnait le " sacre du printemps", en se frappant la tête avec un tambourin, " parce que c'était plus fou".
Quelques jazzman venaient saluer la maison Vander, comme Chet Baker, qui vient rendre visite à Christian, un soir, et qui reste avec lui plusieurs nuits pour travailler les mesures quatre-quatre en faisant des dialogues rythmiques sur papier buvard.Christian a alors 13 ans, et pas de batterie.Chet se décide pour une solution géniale.Il fixe rendez-vous à son partenaire de buvards, à la boïte de jazz " le chat qui pêche ", où il doit jouer le soir même. Il demande à Christian de passer avant l'ouverture du club.Christian arrive à l'heure dite, inconscient de ce qui se trame.Le trompettiste l'attend sur le trottoir et charge en un clin d'oeil une magnifique batterie dans le coffre d'un taxi, faisant preuve d'un sens du sacrifice exemplaire, puisque l'instrument avait été loué dans l'après-midi pour son propre batteur.Le concert ne put avoir lieu, et tout le monde chercha la batterie durant la nuit.Christian venait d'avoir son premier matériel.
A la même époque, il revoit Elvin Jones ( qu'il avait connu à l'âge de 9 ans ), venu jouer à Paris dans la formation de Jay Jay Johnson.
Pour ceux qui ont eu la chance de le voir jouer ( Elvin est décédé en 2004 ), avec Mac Coy Tyner au piano, par exemple, c'est un récital fantastique: Elvin construit derrière le soliste ( saxophone par exemple ou piano,.. ) des séquences rythmiques d'une diversité très riche, et qui propulsent littéralement les différents moments d'un morceau. Il s'agit d'une création de tout instant, où Elvin varie les fréquences dans une subtilité tout à fait unique. Ses balais sont conçus, dans une large mesure, spécialement pour lui , et certains d'entre eux, reprennent les rythmes africains, en les poussant à des entrailles jamais encore explorées.C'est un génie à l'état pur, qui, de plus, est d'une gentillesse et d'une simplicité clouantes, statufiantes.
Premiers pas:
A 17 ans, Christian commence à jouer dans des groupes de rytm and blues.Le 1° s'appelle " Les Wurdalaks " et sa vocation première est de semer la terreur sur son passage.Les participants se veulent fous à lier et proclament que celui qui n'est pas à enfermer est un " con". ( ou à réformer.Christian échappera au service militaire, ou c'est le contraire, 2ans plus tard, pour folie irréductible. ).
Le groupe se produit dans des salles des fêtes, le week-end, vêtu de chemises vert émeraude fermées par une chauve-souris en métal qui tient lieu de noeud papillon.
Lors d'un concert, une bande de 7 loubards vient mettre un peu d'ambiance et ricaner - ô sacrilège - du groupe des Wurdalaks. La semaine suivante, ce dernier revient avec des carabines posées négligemment sur les amplis.Christian, n'ayant pu s'en procurer, s'est armé de son côté d'une scie et d'une baïonnette.Les loubards provocateurs retournent aussi au bal, et ressortent précipitamment en voyant ainsi l'artillerie exposée.Mais, 1 heure plus tard, ils reviennent, nettement plus nombreux, bardés de cuir et pleins d'intentions meurtrières.Comme dans les westerns du meilleur cru, ils vont s'accouder au bar, une botte posée sur la barre, et s'emplissent de moultes cannettes de bière.A la fin du concert, Christian passe près d'eux, et les bouscule nonchalamment.Il remonte sur scène et déclare: " On sent qu'il va y avoir des pains".Un courageux, ayant une vocation de boulanger, saute sur l'estrade et ouvre son cran d'arrêt sur l'orateur.Christian éclate de rire et lance: " Range ton épluche-patates, tu vas te blesser".Et, profitant de l'ébahissement de l'autre gladiateur, il saisit sa propre baïonnette et la pointe à son tour sur le ventre de son adversaire en annonçant solennellement : " Moi, je ne plaisante pas, je vais te tuer ".Pris de panique, la victime potentielle s'enfuit dans la salle pendant que notre vengeur le suit d'un pas saccadé de zombie.Il le coince derrière une table, pendant que les autres Wurdalaks ( traduction: les Vengeurs ) tiennent en joue toute la salle.Profitant d'une seconde de relâchement, le persécuté arrive à s'enfuir.
" Les Wurdalak" se séparent et c'est dans les " Chinese " que Vander fait ses secondes armes.Il est rapidement engagé dans le groupe, où joue également Bernard Paganotti, bassiste que l'on retrouvera dans Magma une dizaine d'années plus tard.Les "Chinese " chantent déjà adns un eautre langue, non structurée.L'un des morceaux, " Atumba ", présente, dès ces années, une analogie assez forte avec la future rythmique de " Mekanik ".
Lorsque Coltrane meurt le 17 juillet 1967, Christian a 18 ans.Complétement atterré par cette nouvelle, il senfuit de Paris. Il s'exile en Italie, où il joue dans un orchestre libanais: Le Patrick Samson Set.Epuisé par un manque presque total de nourriture ( il se refuse à manger quoique ce soit ), il regarde ses forces le quitter.De retour en France, il vit chez sa mère et se nourrit exclusivement, pendant 6 mois, de limonade et de riz au lait.
Le jazz le laisse complètement insatisfait.Pour lui, Coltrane a tué cette musique, en refermant le crecle, nen épuisant toutes les possibilités de ce discours musical.Pour mieux comprendre de quel vertige il s'agit, il est conseillé d'écouter, notamment, " out of this world ".
Il continue à travailler dans des groupes de rhytm'n'blues et découvre un soir, parmi d'autres, un saxophoniste fou qui reprend des chorus de 3 ou 4 heures: René Garber ( aussitôt baptisé Stundëhr: le fou ) , le musicien le plus important et le plus caché de l'histoire de Magma.
Son départ de Magma, après le 1° album, ne sera pas réel.Garber qui se considère comme un musicien, mais non comme un technicien suffisant pour jouer dans un groupe, assurera la partition de " Makanik " et des chorus sur scène quand l'envie lui prendra.
Les temps approchent.Et ce que Christian pressentait, est prêt à surgir à la moindre sollicitation: début 1 969, Laurent Thibault, bassiste et chef d'orchestre, contacte Christian pour une tournée de casinos, avec, entre autres, Francis Mose à l'orgue et Zabu au chant.Tout va s'accélérer.Le 1° Magma est créé.En réalité, le nom original, " Uniweria Zekt Magma Composedra Arguezdra " témoigne, mieux, dès le départ, du souci d'un langage autre,non usé, et prêt à exprimer, dans sa pureté nouvelle des concepts depuis longtemps abîmés dans le langage habituel.
Les premières répétitions ont lieu, aux studios Pathé-Marconi, à Boulogne-Billancourt, avec Eddy Robin au piano.De 10 heures du matin à 2 heures dans la nuit, et parfois après 2 heures pour des boeufs dans des clubs, Christian et ses hommes déversent le trop-plein.Ce dernier doit effectuer 17 kms à pied tous les jours , pour venir jouer!
Premier contact établi, Claude Engel franchit la porte de l'antre et sort plus.Magma joue et rejoue " Kobaïa " en hurlant à en faire frémir les gentils Triangle et Variations qui répètent dans les studios voisins.
A la même époque, Klaus Blasquiz est chanteur du groupe de rock Blues Convention.Etudiant aux Arts Appliqués, il passe une grande partie de sontemps à créer des bandes dessinées de science-fiction.Par Claude Engel, il entre en contact avec Magma, qui décide, après l'avoir entendu chanter, de l'engager." J'eus l'impression de rentrer dans la cage d'un zoo avec un batteur fou en liberté."
Le 1° concert a lieu au Rock'nRoll Circus, juste après Martin Circus;Karl Knutt, pianiste classique d'un certain renom, se trouve justement dans la salle.A la fin du concert, il bondit sur sa table et se met à hurler: " C'est le meilleur groupe du monde! ".
Le groupe est remanié: Eddy Rabin est remplacé par François Cahen, dit Faton, et Paco Charleri est engagé à la trompette ;enfin, Richard Raux prend les saxophones et la flûte, et Jacky Vidal joue comme second bassiste.
Nouvel exil donc, et à quelques dizaines de kilomètres de Paris, d'octobre 1969 à janvier 1970.Là Magma s'enferme littéralement et se coupe du monde.Dès le début, Christian fixe des horaires draconiens , dont personne ne songera à s'écarter.Le ver à 7 heures, 5 kms de footing dans le parc, technique individuelle jusqu'à 11 heures; à 13 heures, répétition jusqu'à 19 heures; technique de 19 à 21 heures 30, et coucher à 23 heures.La musique s'élabore, sourdement, grondant sous la terre des superficies, se regroupant, se reformant en masse, prête à surgir dans un ciel incandescent.
Le 6 mai 1970, le disque est terminé: " Nous révélons que nous possédons l'arme ".
Dans l'aventure du groupe, seront crousés notamment Janik Top ou encore Didier Lockwood.