Jean-Louis Caprioli, conseiller spécial chez GEOS, ex-responsable de la lutte contre le terrorisme international à la DST de 1998 à 2004 :Récemment, sur le site internet salafiste Al-Ekhlass, un individu, qui se dit militant de "l'Unité", un terme fondamental chez les djihadistes salafistes, a lancé un appel aux terroristes en Algérie pour frapper les intérêts français, mais aussi son président et le maire de Paris. Il s'agit d'un individu et non pas d'une organisation et il y a sur Internet des centaines de messages similaires. La menace terroriste est permanente. Ce qui est inquiétant, ce n'est pas tellement ce message, mais plutôt le contexte général dans lequel il est envoyé.
LCI.fr : C'est-à-dire ?
J-L. Caprioli : De nombreuses déclarations ont été faites ces derniers mois par le n°2 d'Al-Qaida, disant clairement à l'organisation qui est en Algérie maintenant et qui s'appelle "Al Qaida des pays du maghreb" de chasser du maghreb les Français, les Américains, les Espagnols, etc... Au niveau de l'organisation nous avons donc une menace claire des leaders. D'ailleurs, en septembre dernier il y a eu des Français menacés en Algérie, et même une tentative d'attentat ratée à la voiture piégée.
Ensuite, dans sa première apparition médiatique au bout de trois ans et demi, Ben Laden a cité parmi les ennemis d'Al Qaida le président Bush, le premier ministre Gordon Brown, l'ancien Premier ministre Tony Blair et le président Sarkozy. Mais l'Allemagne est également visée puisqu'en septembre 2007 trois kamikazes ont été arrêtés avec 800 kg de produits chimiques pour faire des explosifs. A la même période, un autre réseau de sept personnes était démantelé au Danemark. Il y a eu au mois de juin des tentatives d'attentats à la voiture piégée en Angleterre. Donc il y a tout autour de notre pays un ensemble de réseaux qui ont été démantelés alors qu'ils préparaient des attentats.
Parallèlement, l'an passé, deux petites structures ont été démantelées en France par la DST. En décembre 2007, en effet, un réseau de soutien logistique qui devait fournir des moyens de communication en Algérie a été neutralisé. En mai 2007, un individu qui avait réussi à entrer en contact avec Al-Qaïda en Algérie via Internet et proposait de faire des attentats a été interpellé. Il y a donc une ambiance générale qui désigne la France. Il est dès lors important de prendre des mesures de précaution. L'une de ces mesures a été prise la semaine dernière avec l'ouverture d'une enquête judiciaire pour être très réactif lorsque les services auront des informations précises, concrètes, opérationnelles, pour neutraliser par anticipation des gens.
LCI.fr : Peut-on craindre une nouvelle vague d'attentats comme celle de 1995-96 ?
J-L. Caprioli : L'histoire ne se répète pas. Les vagues d'attentats que l'on a connues étaient des vagues d'attentats où les auteurs ne mourraient pas. Ce que l'on peut redouter maintenant ce sont les attentats kamikazes. N'oublions pas que le 7 juillet 2005, quatre individus se sont fait exploser à Londres.
A force de nous menacer, il est nécessaire un jour de passer à l'action pour eux. Cela ne veut pas dire qu'ils en auront un jour les moyens. Depuis l'attentat de Port-Royal le 3 décembre 1996, il n'y a plus eu d'attentat en France non pas parce qu'on ne veut pas nous frapper mais parce que nous avons empêché les terroristes de nous frapper. Les services français, en collaboration avec l'international, disposent d'informations pour empêcher ce type d'attentat. Depuis des années, ils neutralisent des réseaux de soutien ou d"envoi de terroristes en Irak. Il y a une réalité de la menace, il y a surtout une maîtrise de la communication par les terroristes.
LCI.fr : Internet joue un rôle important pour les terroristes ?
J-L. Caprioli : Les terroristes ont parfaitement compris que si l'attentat est un instrument de leur stratégie, la communication est aussi importante. Communication qu'ils maîtrisent grâce à Internet, aux vidéos et à certaines chaînes satellitaires. Ils ont la capacité de toucher tout le monde très facilement avec leurs messages.
LCI.fr : Pensez-vous qu'il puisse un jour être mis un terme à ces menaces islamistes ou bien faut-il apprendre à vivre avec ?
J-L.Caprioli : La grande difficulté est que derrière ce terrorisme il y a plusieurs causes : économiques, sociales, financières, religieuses... Et que ces terroristes là ne sont pas des nihilistes. Ils fondent leur action sur une stratégie, sur une doctrine. Ils veulent chasser les tyrans de tous les pays arabes et chasser l'ensemble des occidentaux des terres d'islam. Leur objectif est forcément à long terme. Ils ont donc le temps. Il y a aussi des causes régionales, individuelles, qui s'ajoutent, comme la cause palestinienne qui est instrumentalisée en permanence par Al Qaida qui veut la disparition d'Israël. Il y a aussi l'Irak, le Pakistan, l'Iran, la situation en Algérie... Nous sommes partis sur une période d'au moins 10-20-30 ans. Il faut être vigilants, mais il faut aussi faire confiance à nos services secrets.
Et vous, vous en pensez quoi ? Peut-on mettre un terme aux menaces terroristes islamiques ? Pourquoi ? Comment ?