L'anorexie mentale, terme complexe pour désigner un mal qui l'est tout autant.
Le Petit Robert évoque une "perte ou diminution de l'appétit".
Pour une personne anorexique, c'est bien plus que cela. Réelle souffrance, prison dorée et surtout destruction lente pouvant avoir comme issue, la mort.
Tombée dans ce qu'elle nomme elle-même "l'enfer anorexique" à l'âge de 14 ans (fin de l'année 2003), Justine (18 ans) accepte de parler de ce qui lui a surtout buoffé sa vie d'adolescente. Voici son témoignage.
Le Petit Robert évoque une "perte ou diminution de l'appétit".
Pour une personne anorexique, c'est bien plus que cela. Réelle souffrance, prison dorée et surtout destruction lente pouvant avoir comme issue, la mort.
Tombée dans ce qu'elle nomme elle-même "l'enfer anorexique" à l'âge de 14 ans (fin de l'année 2003), Justine (18 ans) accepte de parler de ce qui lui a surtout buoffé sa vie d'adolescente. Voici son témoignage.
"L'enfer anorexique" a commencé par un simple régime. Un de ceux que chaque jeune fille peut entreprendre. J'ai débuté par la suppression du fromage, du chocolat, des pâtisseries, des goûters en rentrant du collège. Puis, j'ai continué au fur et à mesure à restreindre le contenu de mon assiette. Quant aux causes, elles sont multiples. Tout d'abord, une accumulation de faits personnels blessants qui m'ont fait imploser : la naissance de ma petite sœur Jeanne qui, symboliquement, m'a enterrée au sous-sol puisque j'ai dû lui céder ma chambre pour en acquérir une nouvelle située au "garage". L'arrêt de la carrière de cycliste amateur de mon père qui m'a confrontée à la vérité. Elle fit redescendre papa du piédestal sur lequel je l'avais placé. Enfin, le premier décès que j'ai enduré dans ma famille et qui m'a mise face à la mort, chose que je redoute le plus au monde. Sans oublier l'influence néfaste de ce terrain médiatique prônant la loi du plus mince…
- Comment a commencé l'enfer anorexique ?
A ce moment-là, je veux re-capter l'attention de mes parents en leur montrant que je suis capable. Eux qui m'appellent ironiquement "la grosse vache" ou encore "Miss Olida", eux qui n'ont d'yeux que pour Jeanne, je vais leur montrer que j'existe encore et que je ferai tout pour leur plaire à nouveau. Je suis heureuse, mon régime commence bien. Je souffrais d'un réel mal-être adolescent et ce régime me permet de me retrouver. Il me permet d'aimer Justine.
- Qu'est-ce qui se passe dans ta tête à ce moment ?
J'ai pris conscience de ma maladie assez tardivement. J'ai entendu le mot pour la première fois lors d'une première consultation à l'hôpital, initiative forcée prise par mes parents en mai 2004. Je n'y croyais toujours pas. L'anorexie, ce n'était pas pour moi ! Il y a eu un coup de "mieux" pour tromper les médecins au deuxième rendez-vous en juin. Mais au mois de septembre, en faisant ma rentrée au lycée, j'ai alors pris conscience que ce "régime" était allé beaucoup trop loin…
- Quand as-tu vraiment pris conscience que tu souffrais d'anorexie ?
Complètement. Ma meilleure amie avec qui je partageais tout depuis ma petite enfance s'est évincée. Peut-être y ai-je mis du mien aussi. Je ne riais plus, mon seul centre d'intérêt restait les calories. Nous ne rigolions plus, nous nous évitions et au bout de quelques mois, je me suis retrouvée seule. Personne ne comprenait vraiment ce que je voulais. C'est simplement en ouvrant les portes de mon blog que je me suis rendue compte que nous étions vraiment trop nombreuses pour ne rien partager … Je pensais être un cas unique.
- Te sentais-tu seule, voire abandonnée et incomprise de tous ?
Pendant mon anorexie mentale, je ne vivais pas, je survivais. Aujourd'hui, je me rends compte que je suis passée près de l'irréparable. Je n'aimais pas manger, c'était du temps perdu. Je dormais, rangeais la maison, faisais la cuisine et dormais. En ce qui concerne la boulimie, je ne vivais que pour cela. Journées rythmées par les boulangeries et les toilettes.
- Anorexie puis boulimie. Comment vivais-tu au quotidien ?
La boulimie est une réaction naturelle de défense du corps. 40 kg pour 1,76 mètre, c'était peu. Mon corps a donc tiré la sonnette d'alarme et j'ai débuté par des pulsions alimentaires pour me sortir du danger. Il y a aussi eu le fait de me poser une SNG (Sonde-Naso Gastrique), insupportable car j'étais "gavée" artificiellement par 2 000 calories (en plus de mes repas) par cette espèce de lait qu'on me passait par le nez. Je préférais manger des barres chocolatées, mais encore fallait-il que je puisse m'arrêter.
- Peux-tu expliquer ta boulimie ?
Mes parents ont fait des erreurs (m'encourager à commencer ce régime, me descendre au sous-sol…) mais quels parents n'en font pas ? J'ai eu la chance d'avoir des parents qui tentèrent de rester unis malgré la maladie. Ils ont pris les décisions que je n'étais pas capable de prendre. (RDV chez un endocrinologue, hospitalisations, sonde-naso gastrique…). Ma sœur, la plus âgée, a été omniprésente, surtout lors de ma déscolarisation puisque je ne voyais plus qu'elle. Elle a été la sœur, la meilleure amie, la mère, la psychologue. Mais elle a aussi été complice de mes dérapages. Jeanne, la plus petite, a souffert en silence. Elle refusait souvent de m'approcher, s'exprimait parfois : "Je t'aimerai même quand tu seras morte" ou "Quand on verra plus ses os, ca voudra dire que Justine elle est guérie".
- Avec le recul, crois-tu que ta famille aurait pu faire mieux pour te comprendre ?
Être anorexique, c'est vraiment un désir d'être parfaite. J'étais excellente en cours, mais je n'avais pas de physique. Il fallait que je sois comme les autres, ou peut-être même plus jolie. Il fallait que je puisse maîtriser ce que je n'arrivais pas à contrôler, mon poids. Être anorexique, c'est exprimer une douleur à travers la nourriture. D'autres le font avec l'alcool ou la drogue. Je l'ai fait avec la "bouffe". Cette douleur est aussi généralement l'expression d'un manque affectif et/ou d'un manque de confiance en soi…
- C'est quoi l'anorexie pour toi avec le recul ?
Je pense évidemment qu'on s'en sort ! Cela ne fait aucun doute ! La guérison est accessible par toutes et tous ! Mais, je suis aussi convaincue par le fait qu'on n'en guérit jamais à 100 %. J'éprouve encore des difficultés, mais peut-être que cela est dû au fait que cette guérison est fraîche. On vit avec, cela fait partie de notre vie.
- Crois-tu possible de pouvoir s'en sortir ?
Je n'ai plus aucune appréhension, plus aucune angoisse, plus aucune restriction, plus aucun vomissement. Je ne me plais pas et je dois travailler sur ca. Simplement, je sais aujourd'hui que le surpoids que j'emmagasine est "le poids de la guérison" tant au sens propre qu'au sens figuré. Un jour, quand le terrain sera encore plus sécurisé, je consulterai un spécialiste pour ces quelques kilos en trop. Je ne suis plus en danger, je croque la vie. J'aime mes amis. Et puis, sans prétention, j'ai sans doute certains charmes : la pétillance et la rondeur !
- Comment te sens-tu désormais ? T'es-tu stabilisée ?
Je pense que les créateurs n'ont pas conscience de l'influence qu'ils portent sur leurs épaules. De nos jours, ce sont les mannequins qui doivent s'adapter aux vêtements et non plus le vêtement au mannequin. Après tout, elles font leur métier. Mais en ce qui me concerne, j'étais en pleine construction adolescente et on m'a montré les paillettes. Ce sont elles qui les avaient, pourquoi ne pas essayer de mon côté de tout acquérir ?
- Tu évoques brièvement, mais à juste titre, les mannequins type anorexique et toute cette dictature de la minceur…
Laissez la Nature faire les choses ! Elle sait très bien agir. Ne jamais vouloir la dominer parce qu'elle nous punit. C'est futile un poids. Une personne n'est pas un poids. Ne rentrez jamais dans les normes. L'originalité, c'est ce qui nous définit !
- Quels conseils peux-tu donner aux jeunes femmes qui bloquent sur leur poids, leur physique et à celles qui souffrent comme tu as souffert ?