Après de longues négociations et en dépit des craintes soulevées par le camp laïc, le Parlement turc a adopté, jeudi, un amendement à la constitution autorisant le port du voile à l'université. Le vote a été confirmé ce samedi. Cette annonce déclenche déjà un tollé, et risque d'éloigner la possibilité d'une future adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
"Personne ne peut être privé de son droit à l'éducation supérieure". Tel est, selon le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, la raison d'être de l'amendement constitutionnel auquel le Parlement vient de donner son feu vert.
Le texte, adopté jeudi par une large majorité - 404 voix pour et 92 contre, alors que 367 auraient suffi - autorise les étudiantes à porter le voile à l'université. A peu près dans les mêmes proportions, la mesure a été confirmée ce samedi.
Bien qu'il s'agisse du foulard traditionnel noué sous le menton, et non du voile dissimulant le cou, cette légalisation est dénoncée par le camp laïc qui y voit un symbole de l'islam politique. Et un pas en arrière dans le processus d'adhésion d'Ankara à l'Union Européenne.
L'armée, la magistrature et l'administration universitaire craignent en effet que cet amendement ouvre la voie à la remise en cause de la laïcité et qu'à terme, la Turquie, peuplée à 99% de musulmans, devienne un Etat religieux, en contradiction avec les précepts du père de sa nation, Mustapha Kemal Atatürk.
Les recteurs redoutent également "que les universités ne soient plongées dans le chaos". "Les universités sont le lieu du savoir, pas de la foi", avaient-ils fait valoir dans un communiqué approuvé à l'unanimité lors d'une réunion d'urgence convoquée à Ankara, la semaine dernière.
De même, l'armée, qui se considère comme le garant ultime du régime turc, a plusieurs fois mis en garde contre une "islamisation rampante" du pays.
Le président, Abdullah Gül, est lui-même vivement critiqué par les élites laïques du pays, du fait que sa femme apparaisse en public voilée.
Dimanche dernier, Recep Tayyip Erdogan a accusé les adversaires du port du voile sur les campus de créer des problèmes là où il ne devrait pas y en avoir.
"J'ai quelques mots à dire à ceux qui prétendent que la laïcité disparaitra, que la Turquie va devenir un Etat religieux, que les valeurs de la République seront bafouées et que celles qui ne portent pas le foulard seront sous pression", avait-t-il déclaré au lendemain d'une grande manifestation à ce sujet. "N'êtes vous pas ceux qui divisent la société en accusant les autres, qui ne pensent pas et ne s'habillent pas comme vous, d'être les ennemis de la laïcité ou du régime?".
Selon lui, cette autorisation limitée aux universités serait légitime, car il n'est pas normal que "les jeunes filles qui veulent étudier et sont pratiquantes soient bloquées aux portes des universités", mais il "partage les craintes du camp laïc qui pense que cela ira plus loin". Et d'ajouter: "ce débat a encore renforcé l'opposition entre les deux camps, et ça c'est grave."
Quant à la question des répercussions que cette légalisation pourrait avoir sur une éventuelle adhésion de la Turquie à l'UE, Nedim Gursel avoue avoir "perdu tous les espoirs nés fin 2005", quand le débat avait brièvement été relancé.
Désormais, considérant "le refus de Nicolas Sarkozy, qui a entrainé Angela Merkel [la chancelière allemande], il y a peu d'espoirs - avec ou sans turban - que la Turquie intègre l'UE."
"L'autorisation du port du voile dans les universités ne sera qu'un argument de plus contre cette intégration", estime-t-il.
D'autant que côté truc, "l'envie n'est plus la même non plus", souligne-t-il, car "le refus français a renforcé le camp nationaliste".
Beaucoup sont ceux, selon le spécialiste, qui se disent "tant pis, si l'UE ne veut pas de nous, nous ne voulons pas d'elle non plus".
Un deuxième tour de vote est prévu samedi pour finaliser l'ensemble de la révision constitutionnelle.
Après, seule la Cour constitutionnelle pourrait encore annuler l'amendement, ce qui n'est pas improbable, selon Nedim Gursel, pour qui cette hypothèse serait peut-être la meilleure.
Car le camp laïc serait satisfait, et les autres ne pourraient pas protester contre l'AKP, qui "a tout fait pour que cette mesure passe, comme il l'avait promis à son électorat".
Source : leJDD.fr - Samedi 09 Février 2008"Personne ne peut être privé de son droit à l'éducation supérieure". Tel est, selon le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, la raison d'être de l'amendement constitutionnel auquel le Parlement vient de donner son feu vert.
Le texte, adopté jeudi par une large majorité - 404 voix pour et 92 contre, alors que 367 auraient suffi - autorise les étudiantes à porter le voile à l'université. A peu près dans les mêmes proportions, la mesure a été confirmée ce samedi.
Bien qu'il s'agisse du foulard traditionnel noué sous le menton, et non du voile dissimulant le cou, cette légalisation est dénoncée par le camp laïc qui y voit un symbole de l'islam politique. Et un pas en arrière dans le processus d'adhésion d'Ankara à l'Union Européenne.
L'armée, la magistrature et l'administration universitaire craignent en effet que cet amendement ouvre la voie à la remise en cause de la laïcité et qu'à terme, la Turquie, peuplée à 99% de musulmans, devienne un Etat religieux, en contradiction avec les précepts du père de sa nation, Mustapha Kemal Atatürk.
Les recteurs redoutent également "que les universités ne soient plongées dans le chaos". "Les universités sont le lieu du savoir, pas de la foi", avaient-ils fait valoir dans un communiqué approuvé à l'unanimité lors d'une réunion d'urgence convoquée à Ankara, la semaine dernière.
De même, l'armée, qui se considère comme le garant ultime du régime turc, a plusieurs fois mis en garde contre une "islamisation rampante" du pays.
Erdogan renverse le jeu
A l'inverse, le Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir et issu de la mouvance islamiste, argue que ce texte doit mettre un terme à la discrimination que subissent les jeunes filles qui souhaitent étudier sans pour autant renoncer à leur foi.Le président, Abdullah Gül, est lui-même vivement critiqué par les élites laïques du pays, du fait que sa femme apparaisse en public voilée.
Dimanche dernier, Recep Tayyip Erdogan a accusé les adversaires du port du voile sur les campus de créer des problèmes là où il ne devrait pas y en avoir.
"J'ai quelques mots à dire à ceux qui prétendent que la laïcité disparaitra, que la Turquie va devenir un Etat religieux, que les valeurs de la République seront bafouées et que celles qui ne portent pas le foulard seront sous pression", avait-t-il déclaré au lendemain d'une grande manifestation à ce sujet. "N'êtes vous pas ceux qui divisent la société en accusant les autres, qui ne pensent pas et ne s'habillent pas comme vous, d'être les ennemis de la laïcité ou du régime?".
"Peu d'espoirs" pour l'adhésion turque
Selon Nedim Gursel, écrivain et directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la Turquie, contacté par leJDD.fr, le vrai problème n'est pas l'autorisation du port du voile dans les universités en soi, mais le fait que "le turban est devenu un signe politique" et s'est "répandu dans l'espace public". "A partir de ce moment-là, il y a eu remise en cause de la laïcité", explique-t-il.Selon lui, cette autorisation limitée aux universités serait légitime, car il n'est pas normal que "les jeunes filles qui veulent étudier et sont pratiquantes soient bloquées aux portes des universités", mais il "partage les craintes du camp laïc qui pense que cela ira plus loin". Et d'ajouter: "ce débat a encore renforcé l'opposition entre les deux camps, et ça c'est grave."
Quant à la question des répercussions que cette légalisation pourrait avoir sur une éventuelle adhésion de la Turquie à l'UE, Nedim Gursel avoue avoir "perdu tous les espoirs nés fin 2005", quand le débat avait brièvement été relancé.
Désormais, considérant "le refus de Nicolas Sarkozy, qui a entrainé Angela Merkel [la chancelière allemande], il y a peu d'espoirs - avec ou sans turban - que la Turquie intègre l'UE."
"L'autorisation du port du voile dans les universités ne sera qu'un argument de plus contre cette intégration", estime-t-il.
D'autant que côté truc, "l'envie n'est plus la même non plus", souligne-t-il, car "le refus français a renforcé le camp nationaliste".
Beaucoup sont ceux, selon le spécialiste, qui se disent "tant pis, si l'UE ne veut pas de nous, nous ne voulons pas d'elle non plus".
Un deuxième tour de vote est prévu samedi pour finaliser l'ensemble de la révision constitutionnelle.
Après, seule la Cour constitutionnelle pourrait encore annuler l'amendement, ce qui n'est pas improbable, selon Nedim Gursel, pour qui cette hypothèse serait peut-être la meilleure.
Car le camp laïc serait satisfait, et les autres ne pourraient pas protester contre l'AKP, qui "a tout fait pour que cette mesure passe, comme il l'avait promis à son électorat".
Par Marie DESNOS