Que transportait l'Erika ?
Total, l'affréteur du navire, est formel : "Il n'y avait qu'un seul produit : du fioul lourd n°2". Ce "produit pétrolier commercial, issu du processus de raffinage" est "le 3e produit pétrolier le plus utilisé après les essences et le gazole", précise encore le groupe pétrolier. Et de s'appuyer sur "de nombreuses analyses effectuées dans le cadre d'expertises judiciaires" et scientifiques.
Une étude, publiée en janvier dernier dans la revue Environnemental Toxicology and Pharmacology, remet en cause ces affirmations. Selon Agnès Amat-Bronnert et Annie Pfohl-Leszkowicz (Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse, Ensat), le pétrolier contenait différents produits, pas seulement du fioul pour carburant mais aussi des résidus de fioul (fioul de type Bunker C), contenant notamment du soufre.
Le fioul de l'Erika est-il dangereux pour la santé ?
L'Institut national de veille sanitaire (INVS) rappelle que "le caractère cancérigène de certains des composants du fioul (et en particulier celui de l'Erika) est avéré depuis longtemps". Mais, précise l'institut, le risque de développer un cancer dépend notamment de la durée et de l'intensité de l'exposition au fioul, des "voies d'exposition" (cutanée, alimentaire, respiratoire), de l'âge et du sexe de la personne exposée, etc.
L'équipe de l'Ensat a pour sa part mis en lumière l'effet génotoxique (c'est-à-dire l'effet sur le patrimoine génétique) des résidus de fioul et notamment du thiophène. Des tests ont été menés sur des moules, des poissons et des cellules humaines. Annie Pfohl-Leszkowicz déclare à LCI.fr que le thiophène a pour effet de s'attaquer à l'ADN et qu'il s'agit de la "première étape dans le développement d'un cancer". La professeur de toxicologie et de sécurité alimentaire de l'Ensat regrette que dans leur évaluation des risques, les organismes de recherche s'en soient tenus à l'analyse du fioul n°2 sans élargir leurs recherches aux autres produits, et notamment aux thiophènes.
Le thiophène a "des effets cancérigènes possibles mais pas certains", répond le docteur Georges Salines, de l'INVS, interrogé par LCI.fr. "Nous ne l'avons pas pris en compte dans l'évaluation des risques car on ne sait pas quelle probabilité de développer un cancer entraîne l'exposition au thiophène chez l'homme", ajoute-t-il.
Quels sont les risques encourus par les personnes
en contact avec le fioul de l'Erika ?
en contact avec le fioul de l'Erika ?
Sur la base d'analyses menées par des organismes français et étranger (1), l'INVS a conclu à "une probabilité très faible de survenue d'effets observables [chez les personnes ayant nettoyé les plages ou les oiseaux, NDLR], même en utilisant des hypothèses d'exposition pessimistes". Chez les 4000 personnes les plus exposées au fioul de l'Erika, à savoir celles ayant nettoyé les oiseaux, et notamment celles l'ayant fait à mains nues, le risque de développer un cancer a été multiplié par 1,001, indique à LCI.fr le Dr Salines. "Dans les 30 prochaines années, sur ces 4000 personnes, on estime qu'apparaîtront 0,2 cancers cutanés dus au contact avec le pétrole et, par ailleurs, 98 cancers cutanés dus à une toute autre raison", affirme-t-il.
Annie Pfohl-Leszkowicz évoque une "suspicion" et des "craintes" que des cas de cancer se développent chez les personnes ayant été exposées au fioul de l'Erika. "Combien ? Quand ? C'est difficile à dire, de même qu'il sera difficile de lier [légalement] ces cancers au fioul de l'Erika, mais il y en aura", affirme-t-elle. Déplorant que les protections des nettoyeurs n'aient pas été adaptées à la dangerosité de la cargaison, elle évoque des "mensonges" et "un travail mal fait" lors des différentes évaluations.
Sans contester "la qualité des travaux" menés par l'Ensat, le Dr Salines dénonce "des propos très alarmistes qui nous paraissent aller au-delà de ce qu'on peut tirer de ces travaux". "Cela nous paraît très irresponsable d'inquiéter les gens" de la sorte, pointe-t-il.
Le procès de la catastrophe de l'Erika, qui a débuté le 12 février, pourrait donner un nouveau tour à cette polémique. "Pour l'instant [mi-février, NDLR], je n'ai été ni convoquée, ni contactée pour témoigner mais cela ne m'étonnerait pas que cela se produise au cours des quatre mois du procès", déclare la Pr Pfohl-Leszkowicz.
(1) L'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) et l'Institut néerlandais de la santé publique et de l'environnement (RIVM) ont évalué les risques à long terme sur la santé des personnes ayant participé aux opérations de nettoyage.
Voir aussi Erika : un jugement lourd d'enjeux