Les revues de poésie appartiennent assez peu aux brassées quotidiennes qui nous découpent, rationnalisent, remuent pour un quotient de pacotille.Elles sont plutôt le dépouillé d'individus hors la mire, découpés aux craquements des lance-âmes.
Ephémères souvent, elles brûlent longtemps après leur figement sur papier, leur rédition; jet de quelques assoiffés de lumière, projectile fugace à la face de la littérature bien pansée, comme l'Atelier Contemporain du fou de beauté, François-Marie Deyrolle: 700 pages hallucinantes, irréelles soudant à nos yeux qui n'en peuvent, les éclats de Joë Bousquet, de James Sacré, Jean-Luc Parant,..
Si nous ne pouvions rien toucher avec les yeux, nous ne pourrions rien nommer de ce que nous voyons. Rien ne porterait de nom, il n'y aurait pas de mots, nous mangerions le monde comme des animaux.
Les yeux touchent pour reconnaître ce qu'ils voient intouchable, ils touchent ce qui n'est pas touchable, ils touchent ce qui est trop loin pour être touché avec les mains. Ils touchent sans laisser d'empreintes, comme si leur toucher sur le monde faisait apparaître ce qu'ils voient et que les images dessinaient toujours les contours de nos yeux.
Nous voyons mais nous ne voyons que les empreintes transparentes de nos yeux sur le monde, les empreintes intouchées de nos yeux intouchables.
Les animaux, qui n'ont pas de main ( comme si avoir des mains c'était déjà pouvoir avoir des yeux qui touchent l'intouchable, comme les mains touchent le touchable ), ne touchent pas, c'est le monde qui les touche et qui s'empreinte de leur passage en lui. Les animaux mangent le monde comme l'homme le voit. Ils écrasent le nom de tout ce qu'ils mangent dans leur bouche. Ils mâchent le monde qu'ils voient. Et suivant ce qu'ils mangent, suivant comment ils mâchent les mots, leur cri les différencie les uns des autres, d'une espèce à l'autre.
Leur cri est ce qui reste de ce qu'ils mangent du monde qu'ils voient.
Les noms que les animaux ont donnés au monde qui les entoure, au monde dont ils se nourrissent, se traduisent par des cris. Les animaux crient pour dire ce que leurs yeux touchent et que leur bouche mange.
Les animaux touchent avec leur yeux ce qu'ils peuvent toucher avec leur corps, ils touchent là où ils peuvent aller avec lui. Ils touchent avec les yeux ce qui leur est touchable avec les pattes. Mais l'homme touche avec ses yeux ce qu'il ne peut pas toucher avec son corps , il touche là où il ne peut pas aller avec lui. Il touche avec ses yeux ce qui ne lui est pas touchable avec ses mains, comme si ses mains avaient fait naître des distances immenses autour de lui, et qu'elles avaient lancé ses yeux si loin dans l'espace que son corps avec ses pieds seulement n'avait pas pu suivre leur projection infinie.
Entre les mains de l'homme et les pattes des animaux il y a le lointain et le proche, le jour et la nui, le touchable et l'intouchable.
Les yeux de l'homme voient seulement ce que les mains projettent, ils voient seulement ce que les mains ne touchent plus.
Tout ce que les yeux voient et que les mains touchent à la fois, les animaux aussi le voient. Mais est-ce que les yeux de l'homme voient vraiment ce que les mains touchent ? Ne faudrait-il pas que l'homme ait des pattes pour le voir ?
Les animaux ne voient pas ce que l'homme voit parce que l'homme a des mains, et avec ses mains il projette le monde infiniment autour de lui jusqu'à perte de vue. Il voir ce qui est très loin mais aussi ce qui est très près et qu'il ne peut pas toucher. Il voit l'insaisissable qu'il peut inventer avec ses mains pour le trouver avec ses yeux.
Les yeux voient parce qu'il y a autour d'eux un espace désertique. D'immenses distances les entourent pour qu'ils restent intouchables et voyants. Le vide sans fin même est devenu visible pour que les yeux puissent se projeter infiniment loin en lui. Pour s'ouvrir, les yeux ont rendu visible l'infini. Tous s'est éloigné pour les laisser passer, tout s'est séparé, tout s'est ajouré pour être traversé. Tout a même disparu sur la terre pour apparaître dans le ciel. Les yeux ont fait la place tout autour d'eux pour voir et rester intouchés.
Les yeux se sont ouverts et ont tout ouvert. Tous s'est fendu comme les yeux, tout a vu comme eux, tout est devenu voyant. Le monde s'est mis à parler, comme si les yeux s'étaient ouverts comme des bouches et qu'ils avaient prononcé des mots pour voir et dire ce qu'ils voient.
Les yeux voient par ce qu'ils donnent des noms aux choses qu'ils touchent. Les étoiles ont des noms parce que les yeux les ont touchées.
Les yeux appellent le monde, ils le crient pour le faire apparaître. Les yeux donnent des noms à tout ce qu'ils voient comme s'ils donnaient un visage et des yeux à tout ce qu'ils faisaient apparaître devant eux. Comme si les yeux identifiaient tout ce qu'ils voient pour le reconnaître et être prêts à voir ce qu'ils n'ont jamais vu.
Les yeux sont des bouches qui ont raconté tant d'histoires qu'elles se sont mises en images devant eux, et que le monde est apparu comme si les yeux disaient toujours ce qui est vrai. Comme si seul le visible existait. Nous regardons des yeux et nous entendons toujours comme une multitude de paroles dites dans n'importe quel ordre, comme éblouie par la lumière. Comme si nous entendions à travers le regard des yeux tout ce qui se disait dans le monde au même instant, entre le jour et la nuit.
Par la lumière qu'ils interceptent et dont la terre fait le tour chaque jour, les yeux portent en eux un tout, un concentré du monde dont le regard qui s'en diffuse éclaire d'un nouveau jour la pensée.
En donnant les noms à ce qu'ils voient, les hommes touchent avec leur yeux ce qu'ils ne peuvent pas toucher avec leurs mains. En donnant des noms, les hommes se rapprochent de ce qui est trop loin. Comme si ce qui est trop loin n'avait pas de nom, parce ce qui est trop loin n'a pas d'yeux et de visage et que les distances laissent tout dans l'inconnu.
Si nous ne portions pas de nom nous n'aurions jamais été touchés par des mains ou vus par des yeux. Nous portons un nom parce que nous avons été touchés dans la nuit et que nous sommes devenus visibles dans le jour où nous avons été vus pour devenir intouchables. Nous avons été éclairés par le soleil pour nous éteindre sur la terre.
L'espace que voient les yeux est si grand que, pour tenir en lui, les hommes donnent des noms à tout ce qu'il contient pour le rendre plus petit et pouvoir s'en approcher, le toucher et s'y soutenir. Comme dans la nuit le corps de l'homme se tient au monde qui l'entoure pour se tenir debout et avancer devant lui.
Dans le ciel les hommes ont tiré des lignes d'une étoile à une autre pour tracer une forme ou les contours d'un animal pour que cette forme ou ces contours remplissent le vide sans fin et masquent l'infini.
Quant dans la nuit nous voyons, c'est parce que nous touchons, amis nous voyons seulement ce qui est touchable avec nos mains, nous voyons seulement ce qui est à notre portée. Dès qu'il fait jour les mains nous montrent ce qu'elles ne peuvent plus toucher, les mains nous montrent l'intouchable qui sans elles ne serait pas visible, comme l'intouchable ne l'est pas chez les animaux qui n'ont pas de mains.
Les yeux sont ce qui prolonge les mains trop courtes pour atteindre ce que le soleil éclaire. Dans els mains il y a la nuit et dans cette nuit qui éclaire le touchable il y a la lumière qui éclaire l'intouchable. Nos mains ont fait naître dans nos yeux ce que nous ne pouvons pas toucher. Avec elles nos yeux saisissent l'insaisissable.
Quand nous voyons ce que nous pouvons atteindre nous sommes dans la nuit, et quand nous voyons ce que nous ne pouvons pas atteindre nous sommes dans le jour.
Quand nous touchons nous voyons parce que dans la nuit il n'y a pas de jour. Nous touchons pour voir comme le feu touche l'obscurité pour devenir de la lumière. Nos mains sont des yeux qui nous rendent voyants de tout ce qu'elles ne peuvent pas toucher. Nos yeux sont au bout de nos doigts de nos mains de nos bras tendus devant nous.
Les animaux n'ont pas d'yeux pour voir ce qu'ils ne peuvent pas atteindre parce qu'ils n'ont pas de mains pour se projeter hors d'eux. Leur corps ne peut pas quitter l'élément où ils nagent, volent ou rampent. Leur corps existe seulement par l'endroit du monde où ils vivent, par l'élément qui les recouvre et les fait exister.
Si les animaux pouvaient voir ce qu'ils ne peuvent pas saisir, ils quitteraient leur élément, et les poissons sortiraient de l'eau, les serpents se soulèveraient du sol, les oiseaux ramperaient dans la terre.Les animaux n'auraient plus qu'une et unique forme de corps qui les recouvrirait tous pour parcourir le monde.
Les animaux voient jusqu 'où leur corps peut aller , ils ne voient pas là où leur corps ne va pas. Les animaux sont tout entiers là où ils sont, ils sont tout entiers dans l'eau, tout entiers sur la terre, tout entiers dans l'air. Les animaux n'ont pas de main pour être à droite ou à gauche, pour être ailleurs. Les animaux ne bougent pas de l'endroit où ils sont comme s'ils y étaient enfermés tout entiers. Les animaux ne sont pas nés, ils sont comme l'homme dans le ventre de la femme. Ils sont dans l'eau, dans l'air ou sur la terre comme dans un ventre démesuré où ils se multiplieraient pour pouvoir exister.
L'homme a été tout entier dans le ventre comme un poisson est tout entier dans l'eau. Les animaux les plus animaux sont ceux qui vivent le plus entièrement dans leur élément.
C'est parce que nous sommes à la fois dans l'eau, dans la terre et dans l'air que nous ne pouvons pas être immergés , enfouis ou enfuis dans un seul de ces éléments.
Etre un homme c'est avoir pu surgir tout entier des éléments sans rien laisser dans l'eau, dans l'air et dans la terre.
Si l'homme ne peut pas être tout entier dans l'eau, dans l'air ou sur la terre, c'est parce qu'il s'est libéré de ce qui l'entoure et qu'il ne peut plus être tout entier là où il est. L'homme est debout et debout il est partout tout autour de lui. Il s'est redressé dans la lumière pour sortir de lui-même. Le corps de l'homme a quitté la terre et s'est projeté dans l'espace pour penser. S'il ne pensait pas il serait resté tout entier recouvert par les éléments et sa tête ne pourrait pas rester hors de l'eau, hors la terre ou de l'air sans que son corps y soit, sa tête entrerait où son corps est entré, sa tête suivrait son corps, son corps dirigerait sa tête comme chez les animaux. L'homme pense parce que son corps peut entrer par où sa tête est entrée , son corps suit sa tête, sa tête dirige son corps et ses yeux vont là où son corps ne peut pas aller, son corps va là où ses yeux vont.
Notre tête ne peut pas entrer où notre corps entre mais notre corps entre où notre tête est entrée. Si l'homme entre son corps dans l'eau il en sort toujours par sa tête au-dehors.
Les animaux ne pensent pas parce que leur tête peut entrer par là où leur corps est entré. Leur corps est leur tête comme chez l'homme sa tête est son corps. Nous reconnaissons les animaux à leur corps comme nous reconnaissons l'homme à sa tête.
Si les poissons ne peuvent pas sortir leur tête hors de l'eau c'est parce que leur tête suit leur corps et que leur tête n'a pas d'autres endroits à suivre pour pouvoir aller ailleurs; leur tête ne pense pas, elle est sans ouverture vers l'extérieur, leur tête est dans leur corps comme le corps de l'homme est dans sa tête.
Depuis que nous pensons ce n'est plus notre tête qui suit notre corps mais c'est notre corps qui suit notre tête.
Nous pouvons aller tout entiers partout où elle va, partout où elle pense. Nous partons avec notre corps dans tout ce qu'elle voit. Nous partons dans le soleil.
Si les animaux ne sont qu'un corps aveugle, l'homme n'est qu'une tête voyante. les animaux n'ont pas de tête comme l'homme n'a pas de corps.
Si les hommes ont leur tête pour se différencier les uns des autres, les animaux ont leur corps.
Les hommes sont aussi différents de tête que les animaux le sont de corps. Quelque chose d'insaisissable différencie autant les hommes que ce qui différencie les hommes est palpable.
Si avec leur tête les hommes voient ce que leur corps ne peut pas toucher, avec leur corps les animaux touchent ce que leur tête ne peut pas voir. Si l'homme est en avant avec sa tête, les animaux sont en avant avec leur corps. L'homme avance avec sa tête pour faire avancer son corps, les animaux avancent avec leur corps et entraînent leur tête.
Les yeux de l'homme sont aussi différents que l'est le sexe des animaux.Les animaux s'accouplent comme les hommes se regardent. Les hommes se regardent quand les animaux s'accouplent, quand les animaux sont de la même taille, de la même forme et du même corps.
Les hommes se regardent et se voient tout entiers par leurs yeux, comme les animaux s'accouplent et se touchent entièrement par leur sexe. Les hommes portent tout leur corps dans leurs yeux, les animaux tout leur corps dans leur sexe. Les hommes se voient et se regardent , les hommes se touchent et s'accouplent.
Jean-Luc Parant A pleins yeux
Ephémères souvent, elles brûlent longtemps après leur figement sur papier, leur rédition; jet de quelques assoiffés de lumière, projectile fugace à la face de la littérature bien pansée, comme l'Atelier Contemporain du fou de beauté, François-Marie Deyrolle: 700 pages hallucinantes, irréelles soudant à nos yeux qui n'en peuvent, les éclats de Joë Bousquet, de James Sacré, Jean-Luc Parant,..
Si nous ne pouvions rien toucher avec les yeux, nous ne pourrions rien nommer de ce que nous voyons. Rien ne porterait de nom, il n'y aurait pas de mots, nous mangerions le monde comme des animaux.
Les yeux touchent pour reconnaître ce qu'ils voient intouchable, ils touchent ce qui n'est pas touchable, ils touchent ce qui est trop loin pour être touché avec les mains. Ils touchent sans laisser d'empreintes, comme si leur toucher sur le monde faisait apparaître ce qu'ils voient et que les images dessinaient toujours les contours de nos yeux.
Nous voyons mais nous ne voyons que les empreintes transparentes de nos yeux sur le monde, les empreintes intouchées de nos yeux intouchables.
Les animaux, qui n'ont pas de main ( comme si avoir des mains c'était déjà pouvoir avoir des yeux qui touchent l'intouchable, comme les mains touchent le touchable ), ne touchent pas, c'est le monde qui les touche et qui s'empreinte de leur passage en lui. Les animaux mangent le monde comme l'homme le voit. Ils écrasent le nom de tout ce qu'ils mangent dans leur bouche. Ils mâchent le monde qu'ils voient. Et suivant ce qu'ils mangent, suivant comment ils mâchent les mots, leur cri les différencie les uns des autres, d'une espèce à l'autre.
Leur cri est ce qui reste de ce qu'ils mangent du monde qu'ils voient.
Les noms que les animaux ont donnés au monde qui les entoure, au monde dont ils se nourrissent, se traduisent par des cris. Les animaux crient pour dire ce que leurs yeux touchent et que leur bouche mange.
Les animaux touchent avec leur yeux ce qu'ils peuvent toucher avec leur corps, ils touchent là où ils peuvent aller avec lui. Ils touchent avec les yeux ce qui leur est touchable avec les pattes. Mais l'homme touche avec ses yeux ce qu'il ne peut pas toucher avec son corps , il touche là où il ne peut pas aller avec lui. Il touche avec ses yeux ce qui ne lui est pas touchable avec ses mains, comme si ses mains avaient fait naître des distances immenses autour de lui, et qu'elles avaient lancé ses yeux si loin dans l'espace que son corps avec ses pieds seulement n'avait pas pu suivre leur projection infinie.
Entre les mains de l'homme et les pattes des animaux il y a le lointain et le proche, le jour et la nui, le touchable et l'intouchable.
Les yeux de l'homme voient seulement ce que les mains projettent, ils voient seulement ce que les mains ne touchent plus.
Tout ce que les yeux voient et que les mains touchent à la fois, les animaux aussi le voient. Mais est-ce que les yeux de l'homme voient vraiment ce que les mains touchent ? Ne faudrait-il pas que l'homme ait des pattes pour le voir ?
Les animaux ne voient pas ce que l'homme voit parce que l'homme a des mains, et avec ses mains il projette le monde infiniment autour de lui jusqu'à perte de vue. Il voir ce qui est très loin mais aussi ce qui est très près et qu'il ne peut pas toucher. Il voit l'insaisissable qu'il peut inventer avec ses mains pour le trouver avec ses yeux.
Les yeux voient parce qu'il y a autour d'eux un espace désertique. D'immenses distances les entourent pour qu'ils restent intouchables et voyants. Le vide sans fin même est devenu visible pour que les yeux puissent se projeter infiniment loin en lui. Pour s'ouvrir, les yeux ont rendu visible l'infini. Tous s'est éloigné pour les laisser passer, tout s'est séparé, tout s'est ajouré pour être traversé. Tout a même disparu sur la terre pour apparaître dans le ciel. Les yeux ont fait la place tout autour d'eux pour voir et rester intouchés.
Les yeux se sont ouverts et ont tout ouvert. Tous s'est fendu comme les yeux, tout a vu comme eux, tout est devenu voyant. Le monde s'est mis à parler, comme si les yeux s'étaient ouverts comme des bouches et qu'ils avaient prononcé des mots pour voir et dire ce qu'ils voient.
Les yeux voient par ce qu'ils donnent des noms aux choses qu'ils touchent. Les étoiles ont des noms parce que les yeux les ont touchées.
Les yeux appellent le monde, ils le crient pour le faire apparaître. Les yeux donnent des noms à tout ce qu'ils voient comme s'ils donnaient un visage et des yeux à tout ce qu'ils faisaient apparaître devant eux. Comme si les yeux identifiaient tout ce qu'ils voient pour le reconnaître et être prêts à voir ce qu'ils n'ont jamais vu.
Les yeux sont des bouches qui ont raconté tant d'histoires qu'elles se sont mises en images devant eux, et que le monde est apparu comme si les yeux disaient toujours ce qui est vrai. Comme si seul le visible existait. Nous regardons des yeux et nous entendons toujours comme une multitude de paroles dites dans n'importe quel ordre, comme éblouie par la lumière. Comme si nous entendions à travers le regard des yeux tout ce qui se disait dans le monde au même instant, entre le jour et la nuit.
Par la lumière qu'ils interceptent et dont la terre fait le tour chaque jour, les yeux portent en eux un tout, un concentré du monde dont le regard qui s'en diffuse éclaire d'un nouveau jour la pensée.
En donnant les noms à ce qu'ils voient, les hommes touchent avec leur yeux ce qu'ils ne peuvent pas toucher avec leurs mains. En donnant des noms, les hommes se rapprochent de ce qui est trop loin. Comme si ce qui est trop loin n'avait pas de nom, parce ce qui est trop loin n'a pas d'yeux et de visage et que les distances laissent tout dans l'inconnu.
Si nous ne portions pas de nom nous n'aurions jamais été touchés par des mains ou vus par des yeux. Nous portons un nom parce que nous avons été touchés dans la nuit et que nous sommes devenus visibles dans le jour où nous avons été vus pour devenir intouchables. Nous avons été éclairés par le soleil pour nous éteindre sur la terre.
L'espace que voient les yeux est si grand que, pour tenir en lui, les hommes donnent des noms à tout ce qu'il contient pour le rendre plus petit et pouvoir s'en approcher, le toucher et s'y soutenir. Comme dans la nuit le corps de l'homme se tient au monde qui l'entoure pour se tenir debout et avancer devant lui.
Dans le ciel les hommes ont tiré des lignes d'une étoile à une autre pour tracer une forme ou les contours d'un animal pour que cette forme ou ces contours remplissent le vide sans fin et masquent l'infini.
Quant dans la nuit nous voyons, c'est parce que nous touchons, amis nous voyons seulement ce qui est touchable avec nos mains, nous voyons seulement ce qui est à notre portée. Dès qu'il fait jour les mains nous montrent ce qu'elles ne peuvent plus toucher, les mains nous montrent l'intouchable qui sans elles ne serait pas visible, comme l'intouchable ne l'est pas chez les animaux qui n'ont pas de mains.
Les yeux sont ce qui prolonge les mains trop courtes pour atteindre ce que le soleil éclaire. Dans els mains il y a la nuit et dans cette nuit qui éclaire le touchable il y a la lumière qui éclaire l'intouchable. Nos mains ont fait naître dans nos yeux ce que nous ne pouvons pas toucher. Avec elles nos yeux saisissent l'insaisissable.
Quand nous voyons ce que nous pouvons atteindre nous sommes dans la nuit, et quand nous voyons ce que nous ne pouvons pas atteindre nous sommes dans le jour.
Quand nous touchons nous voyons parce que dans la nuit il n'y a pas de jour. Nous touchons pour voir comme le feu touche l'obscurité pour devenir de la lumière. Nos mains sont des yeux qui nous rendent voyants de tout ce qu'elles ne peuvent pas toucher. Nos yeux sont au bout de nos doigts de nos mains de nos bras tendus devant nous.
Les animaux n'ont pas d'yeux pour voir ce qu'ils ne peuvent pas atteindre parce qu'ils n'ont pas de mains pour se projeter hors d'eux. Leur corps ne peut pas quitter l'élément où ils nagent, volent ou rampent. Leur corps existe seulement par l'endroit du monde où ils vivent, par l'élément qui les recouvre et les fait exister.
Si les animaux pouvaient voir ce qu'ils ne peuvent pas saisir, ils quitteraient leur élément, et les poissons sortiraient de l'eau, les serpents se soulèveraient du sol, les oiseaux ramperaient dans la terre.Les animaux n'auraient plus qu'une et unique forme de corps qui les recouvrirait tous pour parcourir le monde.
Les animaux voient jusqu 'où leur corps peut aller , ils ne voient pas là où leur corps ne va pas. Les animaux sont tout entiers là où ils sont, ils sont tout entiers dans l'eau, tout entiers sur la terre, tout entiers dans l'air. Les animaux n'ont pas de main pour être à droite ou à gauche, pour être ailleurs. Les animaux ne bougent pas de l'endroit où ils sont comme s'ils y étaient enfermés tout entiers. Les animaux ne sont pas nés, ils sont comme l'homme dans le ventre de la femme. Ils sont dans l'eau, dans l'air ou sur la terre comme dans un ventre démesuré où ils se multiplieraient pour pouvoir exister.
L'homme a été tout entier dans le ventre comme un poisson est tout entier dans l'eau. Les animaux les plus animaux sont ceux qui vivent le plus entièrement dans leur élément.
C'est parce que nous sommes à la fois dans l'eau, dans la terre et dans l'air que nous ne pouvons pas être immergés , enfouis ou enfuis dans un seul de ces éléments.
Etre un homme c'est avoir pu surgir tout entier des éléments sans rien laisser dans l'eau, dans l'air et dans la terre.
Si l'homme ne peut pas être tout entier dans l'eau, dans l'air ou sur la terre, c'est parce qu'il s'est libéré de ce qui l'entoure et qu'il ne peut plus être tout entier là où il est. L'homme est debout et debout il est partout tout autour de lui. Il s'est redressé dans la lumière pour sortir de lui-même. Le corps de l'homme a quitté la terre et s'est projeté dans l'espace pour penser. S'il ne pensait pas il serait resté tout entier recouvert par les éléments et sa tête ne pourrait pas rester hors de l'eau, hors la terre ou de l'air sans que son corps y soit, sa tête entrerait où son corps est entré, sa tête suivrait son corps, son corps dirigerait sa tête comme chez les animaux. L'homme pense parce que son corps peut entrer par où sa tête est entrée , son corps suit sa tête, sa tête dirige son corps et ses yeux vont là où son corps ne peut pas aller, son corps va là où ses yeux vont.
Notre tête ne peut pas entrer où notre corps entre mais notre corps entre où notre tête est entrée. Si l'homme entre son corps dans l'eau il en sort toujours par sa tête au-dehors.
Les animaux ne pensent pas parce que leur tête peut entrer par là où leur corps est entré. Leur corps est leur tête comme chez l'homme sa tête est son corps. Nous reconnaissons les animaux à leur corps comme nous reconnaissons l'homme à sa tête.
Si les poissons ne peuvent pas sortir leur tête hors de l'eau c'est parce que leur tête suit leur corps et que leur tête n'a pas d'autres endroits à suivre pour pouvoir aller ailleurs; leur tête ne pense pas, elle est sans ouverture vers l'extérieur, leur tête est dans leur corps comme le corps de l'homme est dans sa tête.
Depuis que nous pensons ce n'est plus notre tête qui suit notre corps mais c'est notre corps qui suit notre tête.
Nous pouvons aller tout entiers partout où elle va, partout où elle pense. Nous partons avec notre corps dans tout ce qu'elle voit. Nous partons dans le soleil.
Si les animaux ne sont qu'un corps aveugle, l'homme n'est qu'une tête voyante. les animaux n'ont pas de tête comme l'homme n'a pas de corps.
Si les hommes ont leur tête pour se différencier les uns des autres, les animaux ont leur corps.
Les hommes sont aussi différents de tête que les animaux le sont de corps. Quelque chose d'insaisissable différencie autant les hommes que ce qui différencie les hommes est palpable.
Si avec leur tête les hommes voient ce que leur corps ne peut pas toucher, avec leur corps les animaux touchent ce que leur tête ne peut pas voir. Si l'homme est en avant avec sa tête, les animaux sont en avant avec leur corps. L'homme avance avec sa tête pour faire avancer son corps, les animaux avancent avec leur corps et entraînent leur tête.
Les yeux de l'homme sont aussi différents que l'est le sexe des animaux.Les animaux s'accouplent comme les hommes se regardent. Les hommes se regardent quand les animaux s'accouplent, quand les animaux sont de la même taille, de la même forme et du même corps.
Les hommes se regardent et se voient tout entiers par leurs yeux, comme les animaux s'accouplent et se touchent entièrement par leur sexe. Les hommes portent tout leur corps dans leurs yeux, les animaux tout leur corps dans leur sexe. Les hommes se voient et se regardent , les hommes se touchent et s'accouplent.
Jean-Luc Parant A pleins yeux