CHARPAL a écrit:
Il est vrai que dans une société telle que la nôtre, si nous n’étions plus là (les forces de l’ordre, j’entends) ; ça serait forcément une dictature qui se mettrait très rapidement en place. Car à l’heure actuelle, les crimes et actes de délinquances iraient en s’accroissant et les gens, sont prêts à tout sacrifier pour avoir la paix et la sécurité. Ce n’est pas une affabulation de notre part. Aux USA, sans les attentats du 11.09.01, jamais l'administration Bush aurait pu faire des lois si liberticides. En Angleterre, sans les attentats de Londres, jamais les anglais auraient accepté que la police londonienne soit autorisée de tuer à vue sans préavis… C’est d’ailleurs souvent durant ces moments difficiles (période d’attentats, fait de crime ou de délinquance jugés très graves), que les dirigeants profitent de mettre des lois liberticides qui n’auraient pas pu se faire à un autre moment. C’est d’ailleurs le plus souvent lorsque les français se sentent (que cette perception soit fondée ou non) en insécurité qu’ils votent le plus à droite, du FN à Sarkozy.
J’ajouterais à ton constat très intéressant et très juste, d'après moi, Charpal, que les membres de la Police Nationale sont eux-mêmes issus de milieu souvent défavorisé, de quartiers difficiles, de situations précaires, de situations familiales compliquées… Il faut ajouter à cela notre jeune âge pour une bonne part d’entre nous, notre manque de formation réelle et véritablement adaptée au terrain, notre manque de moyens humains et matériels… Sans compter, pour beaucoup d’entre nous, les intimidations voire les agressions que nous pouvons subir nous-mêmes ou nos familles à notre domicile d’autant que nous vivons souvent non loin de là où nous travaillons… Et bien sûr, et surtout, les horreurs que nous voyons quotidiennement sur le terrain (enfants, adolescentes ou femmes violées, personnes violentées voire torturées, meurtres…)… et avec lesquelles nous devons vivre.
Je me souviens d’une de mes premières interventions où une femme d’origine africaine maintenue par trois hommes se faisait violer par un doberman… Nous ne sommes pas préparés à voir et à entendre ce genre d’horreur, quoique vous puissiez en penser. Et quand nous voyons ces types, si nous n’avions pas une vraie maitrise de nous-mêmes, si nous n’avions pas un véritable sang froid, notre première réaction serait de les descendre sur place ou de les rentrer dedans…
J’ai toujours su me maitriser… garder mon sang froid. Et mes collègues aussi. Mais ce n’est pas spécialement grâce à notre formation ou à notre professionnalisme. C’est surtout, grâce à notre éducation (familiale) et nos principes personnels. Et je m’étonne parfois qu’il n’y ait pas plus de bavure, tant nous sommes parfois laissés à nous-mêmes face à de telles barbaries humaines.
Et après ça, nous devons interroger la jeune femme, entendre ce qu’elle a subi, lui poser des questions pour le moins indécentes, mais nécessaires pour comprendre l’étendue de ce qu’elle a subit comme violence, comme humiliation… sachant que le fait même de l’interroger participe à l’ajout d’une autre humiliation et est certainement vécue par elle comme un autre viol.
Nous devons ensuite considérer les salauds comme potentiellement innocents des faits qu’on leur reproche. Ce qui sous-entend que l’on doit soupçonner la victime d’être une prétendue victime et donc de mentir. Puisqu’il existe en France (et c’est tout à fait normal), la présomption d’innocence. Dans les faits cela suppose tout de même qu’on considère celle ou celui qui accuse comme potentiellement menteur ; nous participons donc encore à une autre souffrance envers ces personnes et cela, bien malgré nous.
Donc nous interrogeons les salauds que nous savons coupables, nous écoutons leurs versions, nous les entendons minimiser leurs actes, les justifier, les excuser…
Le lendemain, nous devons revenir au boulot et passer à quelque chose d’autre, ne plus penser à cette femme, oublier les scènes que nous avons vues et le récit de son calvaire mais qui hantent parfois nos nuits… Et là, nous prenons la plainte d’une gosse violée par son beau-père… ou d’une femme battue par son conjoint… ou d’une personne âgée qui souffre de ne plus pouvoir entrer tranquillement chez elle. Ou les insulte des parents qui ne comprennent pas qu’on puisse avoir arrêté son enfant que l’on soupçonne de viol ou d'avoir brûlé la voiture d'un voisin...
Et nous devons gérer tout ça, toutes ces horreurs, dont certaines que nous n’imaginions même pas qu’elles puissent exister avant d’entrer dans la Police. Sans oublier que demander l’aide d’un psy, c’est un signe de faiblesse qui peut nous empêcher de progresser dans notre carrière ou d’être bien vue par notre hiérarchie ou nos collègues.
Parfois nous nous mettons à interroger un gamin, dont nous pourrions dire que c’est qu’un môme effrayé, qui serait bien dans les bras protecteurs de sa mère. Et en fait ce gamin nous l’interrogeons parce qu’il a participé au viol en réunion avec d’autres jeunes de son âge sur une fillette. Et ensuite nous devons entendre cette gamine qui n’a pas encore douze ans raconter ce qu’elle a subit depuis plusieurs jours… à cause de ce gamin et des autres, que pourtant nous avons peine à imaginer qu’ils puissent faire de telles abominations.
Et si nous n’arrivons pas à faire abstraction, nous pouvons perdre la tête, littéralement : dépression, bavure, suicide... Il faut devenir un imperméable pour être dans la police et en étant un imperméable, nous devenons de mauvais policier parce que nous n’avons plus le contact humain, qui permet, notamment aux femmes, de trouver la confiance nécessaire en nous pour déposer une plainte et raconter leur "histoire".
Je suis absolument en accord avec ton constat en ce qui concerne la délinquance et la situation sociale et économique. C’est d’ailleurs, en cela, que je pense que la lutte contre la délinquance, commence par de la prévention. Et cette prévention commence aussi par un changement de société, plus juste, plus équitable, respectant tout au moins nos principes républicains et nos valeurs constitutionnelles.
J’ai surtout exercée ma profession sous des gouvernements de droite. J’ai donc surtout connu Sarkozy ministre de l’intérieur, et bien sûr Sarkozy président… C'est-à-dire le tout répressif !
Mes collègues plus âgés constatent que les choses ont empiré sur le terrain : que ce soit pour la sécurité de la population comme pour la nôtre.
Et cela n’est pas qu’une perception, chiffre à l’appui, le tout répressif de Sarkozy n’a rien apporté comme amélioration et la situation c’est dégradée et continue de se dégrader.
Officiellement, les médias et le gouvernement et l’Etat, Sarkozy en tête, veulent nous faire croire que la délinquance ne cesse de reculer dans notre pays.
Sur le terrain, nous savons que c’est un mensonge éhonté.
La baisse de la délinquance depuis 2002 de 8 à 9 % dans notre pays est due au fait que les logements, les voitures et les magasins sont mieux protégés par des systèmes de sécurité privée. Cette diminution se constate dans la plupart des pays occidentaux. Hors les faits de délinquances que sont les vols et les dégradations représentent en France, les deux tiers de la délinquance générale.
Cette baisse n’a donc rien à voire avec la politique sécuritaire ou du tout répressif de Sarkozy.
Par contre, les agressions ont grimpées de plus de 12% depuis que Sarko a été ministre de l’intérieure et la tendance se poursuit à ce jour.
En octobre 2005, tout le monde s’en souviendra sans doute, en Seine-Saint-Denis, il prétendait débarrasser le département de la "racaille".
Un an après cette déclaration de vermine, en novembre 2006, nous constations sur le terrain que les crimes et délits contre les personnes avaient augmenté de 12,1 % dans le 93 (un total de 27 101 victimes), contre une progression de 5,5% dans toute l’Île-de-France (ce qui représente tout de même 137.664 victimes). En outre, il y a eu une très forte progression des vols (9,2%) toujours dans le 93 qui est aussi connu pour être au 4ème rang des départements les plus criminogènes (meurtre, viol…) de France ; et les meurtres y sont plus fréquents qu’ailleurs.
Et alors que le ministre de l’intérieur pouvait s’aventurer au pied des immeubles du 93 en 2005, depuis et à ce jour, le président de la république ne peut plus le faire… On se demande bien pourquoi !
Il est vrai que la baisse est réelle concernant les atteintes aux biens. Mais cela ne doit pas occulter la recrudescence des atteintes aux personnes : 6% en 2006 sur le territoire national.
Mais le plus grave, selon moi, c’est qu’aucune étude n’est menée, pour expliquer pourquoi les agressions gratuites ont progressé de 32,6 % entre 1998 et 2002 et de 27,5 % depuis 2002 à ce jour. Et si rien n’est fait pour comprendre c'est que rien n'est fait pour lutter contre ce phénomène, alors que la protection des personnes est le cœur de la mission de l’Etat. Avant même la santé, l’éducation, puisque la sécurité intérieure fait partie des quatre pouvoirs régaliens de l’Etat avec la sécurité extérieure, la justice et la monnaie.
Je n’aime pas Sarkozy mais le seul point positif que je lui reconnais, c’est qu’il a fait ouvrir le recrutement aux Français issus de l’immigration et aux
minorités visibles. A la BAC par exemple, je connais un antillais d’une quarantaine d’année qui était le tout premier antillais gradé de la BAC dans les années 90. C’est dire ! Si même nos frères des Antilles ne sont pas représentés dans la police nationale, comment elle pouvait être fermés à nos concitoyens issus de l’immigration… Alors effectivement, je reconnais ce seul mérite à Sarkozy. Et j’en veux et en voudrais toujours à la Gauche de ne pas l’avoir fait…
En tant que citoyen, j’ai toujours été un homme de gauche et j’ai toujours voté à Gauche (PS), même si en tant que policier j’ai toujours pensé que la Gauche ne nous aimait pas et n’avait rien fait pour nous aider dans notre mission, ni pour permettre à tous nos concitoyens, et surtout ceux des DOM et ceux issus de l’immigration à ce sentir comme nos égaux à part entière, notamment en accédant aux plus hautes fonctions de la fonction publique. Y compris au sein de la Police Nationale.
Je n’ai jamais voté en fonction de mon métier, toujours en fonction de ce que je pensais le plus juste pour la société dans laquelle je voulais et veux vivre. Et dans laquelle je voudrais que ma famille s’épanouisse. Ce vote ne peut donc être que de Gauche.
J’ai aussi toujours pensé que la Droite respectait plus la Police. Donc, je pense effectivement, que beaucoup ont cru que Sarkozy nous donnerait les moyens de notre mission (en homme et en matériel), tout en luttant également avec la prévention : la lutte contre la ghettoïsation de certaines banlieues ou de certains quartiers ; la lutte contre le racisme… Personnellement, je n’ai jamais cru au discours de fracture sociale de Chirac et donc encore moins à celui de la lutte contre tous les racismes et contre toutes les exclusions de Sarkozy. Malheureusement, de bonne foi, beaucoup d’entre nous y ont cru pensant qu’enfin, la politique allait allier prévention et répression ; politique de main tendue et de fermeté. Aujourd’hui, j’ai plus l’impression, et mes collègues aussi, que nous sommes une espèce de milice… aux mains des dirigeants politiques actuels. Nous sommes nombreux à nous sentir bien plus en danger dans notre profession que nous l’étions auparavant. Quant au suicide parmi nos rangs, rien n’est fait pour l’endiguer ou pour comprendre ce phénomène.
Jean Moulin est pour moi un modèle qui me permet de garder ma conscience de citoyen, mais aussi de fonctionnaire, en éveil. En toute honnêteté, je crois que nous sommes dans une période où nous devons résister, face à l’intolérance des uns et à l’indifférence des autres, dans une société où l’humain devient une marchandise… comme les autres.