"Un recul sur le traitement et la hiérarchisation des informations"
Qui a fait le casting des écrivains ? Et comment les sujets ont-ils été répartis ?
- Le choix des écrivains a été fait par la rédaction de Libération, et par les auteurs du documentaire diffusé ce soir sur France 5, Fabrice Gardel, Pascal Leibovici et moi-même.
Notre initiative se veut en effet comme un croisement de l'écran et de l'écrit, avec un numéro spécial de Libération réalisé par des écrivains, et un film qui relate cette expérience, et dont nous venons de finir le montage. C'est d'ailleurs intéressant : on ne sait plus ce qui est le making-of, du journal ou du film. Ensuite, le choix des sujets s'est fait en fonction de l'actualité bien sûr, des envies et des compétences de chacun : c'est avec cette alchimie que l'on fait un bon reportage. Les journalistes de la rédaction ont assisté les écrivains, notamment du point de vue technique.
Au XIXème siècle, les journalistes étaient souvent écrivains. Quelle est la plus-value qu'apportent les écrivains par rapport aux journalistes dans les articles de Libération aujourd'hui ? A l'inverse, à quelles difficultés se heurtent-ils ?
- L'écrivain a un regard particulier, celui du temps long. Il apporte une distance, lorsqu'on lui demande d'être dans le temps court, ce qui permet de prendre un recul sur le traitement et la hiérarchisation des informations. Les auteurs amènent un autre regard sur l'info, une autre sensibilité.
Mais la difficulté a été pour eux de se plier à ce temps court du point de vue technique. Il y avait une certaine appréhension de cette journée fatidique, avec un terme qui s'impose à tous : celui du bouclage. Pour quelqu'un qui a l'habitude d'améliorer sans cesse le style après avoir laissé reposer son texte, c'était une abominable douleur de rendre son papier en une, deux, trois, quatre heures. Au moment de se lancer dans l'écriture, le déchirement était parfois palpable. On ne retrouve cette tension du rendu que chez les jeunes journalistes.
Vous avez déjà réalisé des numéros spéciaux avec des historiens, des écrivains, des philosophes. A quand un numéro fait par des ouvriers ? Quel est le but de ce genre d'initiatives ?
- Ecrivains, philosophes, historiens ont un rapport privilégié avec l'écriture, ce qui est nécessaire pour cette expérience, et se nourrissent d'informations. Cela enrichit le regard, et permet d'aller plus loin, si on a en parallèle une idée claire de sa ligne éditoriale. Le Nouvel Observateur a d'ailleurs été très novateur en son temps, en confiant des analyses politiques à des intellectuels comme François Furet ou Michel Foucault, dès les années 60. Pour les lecteurs, c'est l'occasion de retrouver des belles plumes. Pour la rédaction, c'est l'occasion de réfléchir à notre métier de journaliste. Aujourd'hui, nous avons trop d'informations, ce qui peut se transformer en "malinformation".
Certes, le journalisme est un métier, avec des règles, une rigueur, comme tous les métiers. Mais dans cette expérience, on affiche clairement que ce n'est pas le Libé classique fait tous les jours par la rédaction : c'est un numéro particulier, avec une dimension expérimentale. C'est différent, ni meilleur ni moins bien. Nous songeons très sérieusement à renouveler ce rendez-vous avec les écrivains l'année prochaine, et le 21 mars, pour le quarantième anniversaire de mai 68, nous confierons les clés du journal à des étudiants de Nanterre.
Interview de Max Armanet par Anne-Sophie Hojlo
(le jeudi 13 mars 2008)
(le jeudi 13 mars 2008)