Laurence Scialom est économiste, membre du CA de l’Institut Veblen, du Conseil scientifique de la FNH, membre qualifié de Finance Watch et professeure à l’Université Paris Nanterre. Les crises sanitaire, économique et climatique ont rendu caduques les règles budgétaires européennes et le caractère indépendant du mandat de la BCE. Nous revenons avec Laurence Scialom sur la gouvernance européenne et ses profondes mutations en cours.
Pourquoi faut-il réformer le Pacte de stabilité et de croissance ?
Fin septembre 2021, avec un ensemble d’économistes, d’eurodéputés, de syndicalistes et de représentants d’ONG ou de think tanks engagés sur des questions de transition écologique, j’ai signé un appel pour un « pacte de résilience et de solidarité » qui appelle à une profonde réforme du Pacte de stabilité et de croissance. Notre proposition part du constat que la gouvernance européenne actuelle est abusivement centrée sur des normes quantitatives archaïques en termes de déficits budgétaires et d’endettement public et totalement inadaptées aux réponses urgentes à apporter aux défis écologiques et sociaux. Ne pas mettre la lutte contre la dégradation de notre biosphère au cœur de la gouvernance européenne serait une erreur historique et surtout une erreur non rattrapable compte tenu des effets d’irréversibilité et des risques de bifurcation avec emballements des processus climatiques. La transition énergétique pour être réussie va nécessiter des investissements massifs pour limiter le réchauffement climatique (infrastructures et mobilités, rénovation énergétique des logements, bureaux et bâtiments publics, transformation de l’agriculture) mais également des investissements massifs d’adaptation au changement climatique pour anticiper et se protéger du risque de submersion, d’inondation, d’incendie, de pénurie d’eau, de dôme de chaleur, etc. et enfin des dépenses pour accompagner l’échouage des secteurs adossés aux énergies fossiles ce qui est un volet très souvent négligé. Il faut donc investir massivement dans l’économie de demain mais également désinvestir de l’économie carbonée tout en évitant des effondrements industriels et leurs conséquences sociales. C’est une illusion de croire que la finance privée peut relever ce défi. Des investissements publics massifs sont indispensables. Les montants en cause sont de l’ordre de 3% à 4% du PIB par an avec des écarts entre les pays selon leur situation sur une période pouvant aller jusqu’à 30 ans. Or, les règles budgétaires européennes sont incompatibles avec cette urgence à investir massivement et à accompagner la reconversion des secteurs très carbonés. D’où l’impératif à les réformer.
Comment la BCE intègre-t-elle aujourd’hui la question du réchauffement climatique dans son mandat ? La révision stratégique de juillet a-t-elle changé quelque chose ?
Un certain nombre de membres du Directoire et Christine Lagarde ont réellement conscience que les banques centrales ont un rôle à jouer dans la transition écologique et dans la réorientation des flux financiers. Ce qui est intéressant c’est qu’ils le font par le canal des risques. Ils sont contraints par leur mandat et pour préparer le terrain, ils doivent outrepasser leur cadre d’action en insistant, non pas sur la réallocation des flux financiers, mais sur le fait que la finance fossile présente des risques d’échouage importants qui pourraient interférer avec la politique monétaire. Ce qui légitime le fait d’intervenir et d’outrepasser le principe de neutralité au marché. C’est en tout cas, ce qui transparaît dans les discours officiels de la BCE et qui est appuyé par la création du NGFS, le réseau de banquiers centraux et de superviseurs qui travaillent sur les questions de verdissement de la finance.
On pouvait effectivement s’attendre à quelque chose de plus ambitieux avec la revue stratégique. Quand on est militant pour le climat, ce qui a été annoncé semble très peu, mais quand on est dans l’univers des banquiers centraux, c’est un pas important qui a été fait. Lorsque la BCE demande des informations extra-financières sur la nature des actifs existants pour ensuite faire le tri dans ses rachats en fonction de leur teneur en carbone, c’est le dogme de la neutralité au marché qui est remis en question. C’est un pas important, mais c’est un pas qui reste insuffisant. Les actifs existants sont des titres de dettes qui ont déjà été émis, les nouveaux financements ne sont pas directement impactés.
Néanmoins, il y a un point qu’il ne faut pas sous-estimer, c’est le rôle qu’a la BCE en tant qu’intervenante essentielle au marché sur la détermination des conventions de marchés. Si la BCE, par sa politique d’achat sur laquelle elle ferait publicité, envoie le signal aux marchés que les actifs adossés aux fossiles sont risqués, parce qu’elle les prend avec une décote importante comme collatéraux, elle change l’évaluation des risques dans la finance elle-même. Les banques ont un grand besoin d’accès aux liquidités de la BCE. Si elles se rendent compte que les actifs qu’elles détiennent ne leur donnent pas un accès privilégié aux liquidités de la BCE dans de bonnes conditions, ça change les conventions de marchés, donc le pricing des risques et finalement cela a un impact sur la réallocation des flux financiers.
Il faut bien comprendre que la BCE est aujourd’hui sur une ligne de crête. Elle doit gérer suffisamment rapidement le réalignement des flux sans provoquer de crise financière qui retarderait d’autant plus la transition écologique. C’est une posture excessivement compliquée dans laquelle la parole du banquier central a une grande importance. Il faut garder à l’esprit que si la BCE intervenait très massivement et disait très clairement qu’elle ne rachète plus du tout d’actifs adossés aux fossiles, elle pourrait provoquer un effondrement de marché. La question du rythme auquel elle avance est très importante mais très épineuse à gérer.
https://www.agirpourleclimat.net/entretien-avec-laurence-scialom-ne-pas-mettre-la-lutte-contre-la-degradation-de-notre-biosphere-au-coeur-de-la-gouvernance-europeenne-serait-une-erreur-historique/
Pourquoi faut-il réformer le Pacte de stabilité et de croissance ?
Fin septembre 2021, avec un ensemble d’économistes, d’eurodéputés, de syndicalistes et de représentants d’ONG ou de think tanks engagés sur des questions de transition écologique, j’ai signé un appel pour un « pacte de résilience et de solidarité » qui appelle à une profonde réforme du Pacte de stabilité et de croissance. Notre proposition part du constat que la gouvernance européenne actuelle est abusivement centrée sur des normes quantitatives archaïques en termes de déficits budgétaires et d’endettement public et totalement inadaptées aux réponses urgentes à apporter aux défis écologiques et sociaux. Ne pas mettre la lutte contre la dégradation de notre biosphère au cœur de la gouvernance européenne serait une erreur historique et surtout une erreur non rattrapable compte tenu des effets d’irréversibilité et des risques de bifurcation avec emballements des processus climatiques. La transition énergétique pour être réussie va nécessiter des investissements massifs pour limiter le réchauffement climatique (infrastructures et mobilités, rénovation énergétique des logements, bureaux et bâtiments publics, transformation de l’agriculture) mais également des investissements massifs d’adaptation au changement climatique pour anticiper et se protéger du risque de submersion, d’inondation, d’incendie, de pénurie d’eau, de dôme de chaleur, etc. et enfin des dépenses pour accompagner l’échouage des secteurs adossés aux énergies fossiles ce qui est un volet très souvent négligé. Il faut donc investir massivement dans l’économie de demain mais également désinvestir de l’économie carbonée tout en évitant des effondrements industriels et leurs conséquences sociales. C’est une illusion de croire que la finance privée peut relever ce défi. Des investissements publics massifs sont indispensables. Les montants en cause sont de l’ordre de 3% à 4% du PIB par an avec des écarts entre les pays selon leur situation sur une période pouvant aller jusqu’à 30 ans. Or, les règles budgétaires européennes sont incompatibles avec cette urgence à investir massivement et à accompagner la reconversion des secteurs très carbonés. D’où l’impératif à les réformer.
Comment la BCE intègre-t-elle aujourd’hui la question du réchauffement climatique dans son mandat ? La révision stratégique de juillet a-t-elle changé quelque chose ?
Un certain nombre de membres du Directoire et Christine Lagarde ont réellement conscience que les banques centrales ont un rôle à jouer dans la transition écologique et dans la réorientation des flux financiers. Ce qui est intéressant c’est qu’ils le font par le canal des risques. Ils sont contraints par leur mandat et pour préparer le terrain, ils doivent outrepasser leur cadre d’action en insistant, non pas sur la réallocation des flux financiers, mais sur le fait que la finance fossile présente des risques d’échouage importants qui pourraient interférer avec la politique monétaire. Ce qui légitime le fait d’intervenir et d’outrepasser le principe de neutralité au marché. C’est en tout cas, ce qui transparaît dans les discours officiels de la BCE et qui est appuyé par la création du NGFS, le réseau de banquiers centraux et de superviseurs qui travaillent sur les questions de verdissement de la finance.
On pouvait effectivement s’attendre à quelque chose de plus ambitieux avec la revue stratégique. Quand on est militant pour le climat, ce qui a été annoncé semble très peu, mais quand on est dans l’univers des banquiers centraux, c’est un pas important qui a été fait. Lorsque la BCE demande des informations extra-financières sur la nature des actifs existants pour ensuite faire le tri dans ses rachats en fonction de leur teneur en carbone, c’est le dogme de la neutralité au marché qui est remis en question. C’est un pas important, mais c’est un pas qui reste insuffisant. Les actifs existants sont des titres de dettes qui ont déjà été émis, les nouveaux financements ne sont pas directement impactés.
Néanmoins, il y a un point qu’il ne faut pas sous-estimer, c’est le rôle qu’a la BCE en tant qu’intervenante essentielle au marché sur la détermination des conventions de marchés. Si la BCE, par sa politique d’achat sur laquelle elle ferait publicité, envoie le signal aux marchés que les actifs adossés aux fossiles sont risqués, parce qu’elle les prend avec une décote importante comme collatéraux, elle change l’évaluation des risques dans la finance elle-même. Les banques ont un grand besoin d’accès aux liquidités de la BCE. Si elles se rendent compte que les actifs qu’elles détiennent ne leur donnent pas un accès privilégié aux liquidités de la BCE dans de bonnes conditions, ça change les conventions de marchés, donc le pricing des risques et finalement cela a un impact sur la réallocation des flux financiers.
Il faut bien comprendre que la BCE est aujourd’hui sur une ligne de crête. Elle doit gérer suffisamment rapidement le réalignement des flux sans provoquer de crise financière qui retarderait d’autant plus la transition écologique. C’est une posture excessivement compliquée dans laquelle la parole du banquier central a une grande importance. Il faut garder à l’esprit que si la BCE intervenait très massivement et disait très clairement qu’elle ne rachète plus du tout d’actifs adossés aux fossiles, elle pourrait provoquer un effondrement de marché. La question du rythme auquel elle avance est très importante mais très épineuse à gérer.
https://www.agirpourleclimat.net/entretien-avec-laurence-scialom-ne-pas-mettre-la-lutte-contre-la-degradation-de-notre-biosphere-au-coeur-de-la-gouvernance-europeenne-serait-une-erreur-historique/