La révolte, c'est top
par Emilie Laystary
De nos jours, le marketing prescrit aux marques de communiquer moins sur leurs produits que sur leurs « valeurs ». C'est ce que les spécialistes ont appelé « le pouvoir d'évocation » : offrir au consommateur une plus-value émotionnelle. Au-delà des produits consommés, achetons du sens, un univers, des codes, un imaginaire... les pâtes à gâteaux Herta vendent de la convivialité mère-fille, les déodorants Axe de l'irrésistible virilité, les crèmes Nivéa de la tendresse pour toute la famille, les shampooings Herbal Essence du plaisir féminin, etc. La qualité du produit a moins d'importance que les univers dans lesquels ces produits entendent s'inscrire.
Aujourd'hui, c'est l'esthétique de la révolte qui est utilisée à des fins marchandes. Pour Go Forth, la dernière campagne de publicité des jeans Levi's, une voix sombre et mélancolique récite un poème du peu conformiste Charles Bukowski (The Laughing Heart) sur fond d'images stylisées mettant en avant des scènes de rébellion et de liberté : « Ta vie est ta vie. Ne te laisse pas abattre par une soumission moite ». Images traitées pour évoquer le passé, discours qui se veut insoumis, voire libertaire, la publicité montre des jeunes adultes qui prennent le large, se saisissent de leur destin, courent, et battent le pavé dans ce qui semble une manifestation populaire. Le tout en jeans Levi's.
Une version détournée du spot publicitaire a été mise en ligne peu de temps après. Le message est clair : la récupération commerciale des mouvements sociaux doit cesser.
L'an dernier, la marque s'était vue contrainte de repousser sa diffusion en Grande-Bretagne, les pouvoirs publics craignant l'influence d'une telle esthétisation de la révolte sur sa jeunesse, alors en partie mobilisée par les émeutes de Londres...
Si le positionnement de Levi's s'explique très certainement par une volonté marketing de se distinguer de Diesel, une marque concurrente qui avait joué la carte de l'hédonisme rigolard avec sa campagne « Be Stupid », il serait réducteur de simplement parler de stratégies différentes. Nombreuses en effet sont les marques qui prétendent aujourd'hui se ré-enchanter en piochant dans le lexique de la subversion. La révolution est devenue une mode comme les autres.
Il y a quelques années déjà, les hypermarchés Leclerc avaient repris les codes visuels des affiches de l'Atelier Populaire - un collectif de graphistes de l'Ecole nationale des Beaux-Arts, qui marqua Mai 68 de son invention -, au profit d'une campagne de lutte contre « la vie chère ». À l'époque, la manoeuvre avait suscité un débat autour du droit moral à se réapproprier les biens communs de la culture (...)
http://blog.mondediplo.net/2013-02-15-La-revolte-c-est-top
par Emilie Laystary
De nos jours, le marketing prescrit aux marques de communiquer moins sur leurs produits que sur leurs « valeurs ». C'est ce que les spécialistes ont appelé « le pouvoir d'évocation » : offrir au consommateur une plus-value émotionnelle. Au-delà des produits consommés, achetons du sens, un univers, des codes, un imaginaire... les pâtes à gâteaux Herta vendent de la convivialité mère-fille, les déodorants Axe de l'irrésistible virilité, les crèmes Nivéa de la tendresse pour toute la famille, les shampooings Herbal Essence du plaisir féminin, etc. La qualité du produit a moins d'importance que les univers dans lesquels ces produits entendent s'inscrire.
Aujourd'hui, c'est l'esthétique de la révolte qui est utilisée à des fins marchandes. Pour Go Forth, la dernière campagne de publicité des jeans Levi's, une voix sombre et mélancolique récite un poème du peu conformiste Charles Bukowski (The Laughing Heart) sur fond d'images stylisées mettant en avant des scènes de rébellion et de liberté : « Ta vie est ta vie. Ne te laisse pas abattre par une soumission moite ». Images traitées pour évoquer le passé, discours qui se veut insoumis, voire libertaire, la publicité montre des jeunes adultes qui prennent le large, se saisissent de leur destin, courent, et battent le pavé dans ce qui semble une manifestation populaire. Le tout en jeans Levi's.
Une version détournée du spot publicitaire a été mise en ligne peu de temps après. Le message est clair : la récupération commerciale des mouvements sociaux doit cesser.
L'an dernier, la marque s'était vue contrainte de repousser sa diffusion en Grande-Bretagne, les pouvoirs publics craignant l'influence d'une telle esthétisation de la révolte sur sa jeunesse, alors en partie mobilisée par les émeutes de Londres...
Si le positionnement de Levi's s'explique très certainement par une volonté marketing de se distinguer de Diesel, une marque concurrente qui avait joué la carte de l'hédonisme rigolard avec sa campagne « Be Stupid », il serait réducteur de simplement parler de stratégies différentes. Nombreuses en effet sont les marques qui prétendent aujourd'hui se ré-enchanter en piochant dans le lexique de la subversion. La révolution est devenue une mode comme les autres.
Il y a quelques années déjà, les hypermarchés Leclerc avaient repris les codes visuels des affiches de l'Atelier Populaire - un collectif de graphistes de l'Ecole nationale des Beaux-Arts, qui marqua Mai 68 de son invention -, au profit d'une campagne de lutte contre « la vie chère ». À l'époque, la manoeuvre avait suscité un débat autour du droit moral à se réapproprier les biens communs de la culture (...)
http://blog.mondediplo.net/2013-02-15-La-revolte-c-est-top