L'arnaque du capitalisme vert : « Le
capitalisme vert, ça n'existe pas ! » (2)
Le revirement écologique appelé à « bonifier
» le capitalisme est-il possible ? Les journalistes Pascal Canfin* et Hervé
Kempf* restent sceptiques. Entretien.
Hervé Kempf, journaliste au Monde et auteur de
Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Seuil, 2009.
Pascal Canfin,
journaliste au magazine Alternatives économiques et auteur de l’ouvrage Le
contrat écologique pour l’Euope, Les petits matins, à paraître début mai
2009.
Qu’est ce que le concept de « capitalisme
vert » évoque pour vous ? Que représente-t-il dans la réalité, notamment en
termes de poids économique ? Hervé Kempf. Le « capitalisme vert »,
c’est la continuation du capitalisme et donc la continuation d’un système qui
dans son principe est destructeur de l’environnement et qui, dans sa dernière
phase, s’est traduit par une expansion extraordinaire des inégalités. Donc, le
capitalisme vert, ce n’est même pas un oxymore, ça n’existe pas. C’est seulement
une construction et un habillage idéologique pour faire croire que l’on peut
évoluer par rapport à l’environnement sans changer les déterminants fondamentaux
de nos régulations sociales, de notre système économique et de la répartition
des pouvoirs dans cette société.
Pascal Canfin. La question est
complexe car le capitalisme n’est pas quelque chose qui se distingue de la
société. La société nourrit le capitalisme comme le capitalisme nourrit la
société. Et une des alternatives au capitalisme qui est l’économie sociale et
solidaire n’a de sens que si les personnes qui y participent ont des valeurs et
des modes de fonctionnement qui ne sont pas ceux du capitalisme. Avec, par
exemple, un partage du pouvoir qui ne dépend pas de la détention du capital.
Donc ce sont les valeurs que porte la société qui vont permettre le dépassement
du capitalisme. L’autre question, c’est celle du productivisme. On a bien vu que
l’on pouvait être dans un système non capitaliste, comme l’Union soviétique,
mais totalement productiviste, concept qui me semble encore plus difficile à
déconstruire que celui du capitalisme. Donc j’ai envie de dire que ça va au-delà
du capitalisme. L’aspiration à vouloir contrôler la nature, c’est la modernité,
c’est Descartes... dont le capitalisme est la conséquence et non la
cause.
H.K. La question essentielle,
aujourd’hui, c’est la transformation des systèmes de valeurs. Une chose est
sûre, il y aura toujours des entreprises. En revanche, la question du pouvoir
dans les entreprises, de l’appropriation des moyens de production, ou plus
simplement le contrôle des travailleurs, des consommateurs sur l’entreprise mais
aussi des citoyens et des contribuables redevient tout à fait d’actualité. Par
exemple, on aura toujours besoin d’entreprises qui gèrent des déchets mais il y
a une différence entre Véolia environnement, qui a un capital mis en bourse et
est possédé par un petit nombre de gens, et une entreprise de déchets qui
assumerait ces mêmes fonctions avec une partie d’actionnariat privé, un
d’actionnariat public et avec une vraie participation des travailleurs au
conseil d’administration.
P.C. Par rapport aux systèmes de
valeurs, je crois qu’il faut comprendre « valeur » au double sens du terme,
c’est-à-dire à la fois ce qui fait sens et ce qui rentre dans les comptes.
Aujourd’hui, il faut changer les deux. Par exemple, faire payer le CO2 aux
entreprises qui en émettent via une taxe carbone est un élément important pour
changer nos modes de production et de consommation dans la mesure où, jusqu’à
présent, on surconsomme parce que l’on n’intègre pas au juste prix les
ressources écologiques utilisées. Il faut par ailleurs faire la distinction
entre capitalisme et économie de marché. Une Scop, par exemple (comme Regards ou
Alternatives économiques), n’est pas dans une logique capitaliste, ni
capitalistique, mais pourtant elle est sur un marché. Aujourd’hui, nous ne
sommes pas dans une économie pleinement capitaliste. La production de nombreux
biens et services ne relève pas d’une logique capitaliste mais une logique de
service public, de biens publics… Même si, évidemment, il y a une offensive
idéologique du libéralisme en Europe, via la Commission européenne notamment,
pour essayer de déconstruire cette économie plurielle et en faire une économie
100 % capitaliste de marché. Notre économie est encore plurielle et il faut
s’appuyer sur les formes non capitalistes qui existent déjà dans l’économie pour
mieux la transformer.
Encore faut-il que l’économie sociale et
solidaire et l’économie publique soient soutenables d’un point de vue
écologique…H.K. Je suis tout à fait d’accord sur la distinction entre
capitalisme et économie de marché, mais je crois qu’il est nécessaire de revenir
sur la philosophie générale qui inspire le capitalisme. L’économiste Karl
Polanyi avait bien démontré qu’une économie purement capitaliste – c’est-à-dire
fondée sur un individualisme exacerbé et la marchandisation généralisée des
relations humaines – conduit à l’effondrement. Ainsi, même si la part de
l’économie publique est restée importante dans nos pays, et que l’économie
sociale et solidaire représente une part non marginale, depuis trente ans,
l’offensive néolibérale, que j’appelle capitaliste, applique à une très grande
part de l’économie sociale et solidaire une logique d’appropriation, de
compétition et d’individualisme.
P.C. Je suis d’accord, c’est un
combat politique. Mais la question se pose moins à mes yeux en termes de système
de propriété et de mode de fonctionnement qu’en termes de modèle économique. Sur
l’industrie des déchets – ce qui permettra de revenir sur le capitalisme vert –,
si le modèle économique de Véolia ou d’une société d’économie mixte ou
d’économie sociale et solidaire, c’est « Plus il y a de déchets, plus je gagne
de l’argent », comme c’est le cas aujourd’hui, quelle que soit la forme
d’organisation de l’entreprise, ça ne changera rien. On le voit bien avec EDF.
La question, c’est comment cette société-là gagne de l’argent sur la performance
environnementale. Véolia, par exemple, est en train de tester des contrats en
Angleterre, avec des collectivités locales, où ses ressources sont assises non
pas sur le volume de déchets traités mais sur le pourcentage de diminution des
déchets et sur le pourcentage de tri. Cela me semble plus intéressant, car du
coup le modèle économique s’inverse : Véolia gagne de l’argent si l’entreprise
réussit à augmenter le tri et si elle arrive à remonter la filière en
travaillant avec les entreprises et avec les ménages pour diminuer le volume de
déchets produits.
Etes-vous favorable à une décroissance
générale de l’économie ? H.K. Je pense que nous devons aller vers une
baisse de la consommation matérielle et de la consommation d’énergie. Mais je ne
parle pas de décroissance parce que la décroissance se réfère au PIB, qui est un
mauvais indicateur, précisément, parce qu’il ne mesure pas l’impact économique
humain sur l’environnement. En revanche, si on se réfère au capital naturel,
nous sommes déjà en décroissance. Ce n’est pas une économie verte qu’il faut
créer. Mais plutôt que l’ensemble de nos sociétés soit organisé en prenant en
compte le caractère absolument structurel de la crise écologique, tout en
revenant par ailleurs à un état de justice sociale.
P.C. Surtout, quand on parle de
décroissance, il faut savoir décroissance de quoi. Le PIB est une convention
avec ses qualités et ses défauts mais on l’a complètement mythifié, c’est devenu
un synonyme de progrès social, de progrès humain alors que ça n’a jamais été le
cas. Ce qu’il faut évidemment faire décroître aujourd’hui, c’est l’empreinte
écologique. Cela passe très probablement par la décroissance des biens
matériels. Car même si on réalise des gains d’efficacité énergétique, cela ne
suffira pas si le niveau global de consommation dans les pays riches reste le
même. Cette décroissance matérielle doit bien sûr être accompagnée d’une
politique de redistribution.
On peut d’ailleurs se demander si les
économies d’énergie ne se feront pas sur le dos des plus pauvres...H.K.
L’inégalité sociale très forte dans laquelle nous sommes s’articule avec le
système de valeurs défini par l’oligarchie et qui pousse à la surconsommation.
Imposer un revenu maximal admissible (RMA) et faire diminuer de façon drastique
les revenus de l’oligarchie, cela a pour but de transformer les valeurs
culturelles qui sont transmises, qui sont exhibées par l’oligarchie et qui
servent de référence à l’ensemble de la société.
P.C. Le changement social doit
venir par le haut et par le bas. Pour des raisons écologiques, s’il y a un
changement de société qui nous amène à renoncer à un certain nombre de choses,
la question est de savoir de quels avantages complémentaires on bénéficiera dans
une société écologique. Ces bénéfices-là ne seront pas forcément financiers mais
se manifesteront plutôt en termes de liberté, de temps libéré, de relations, de
liens sociaux. La vraie critique du capitalisme est écologique parce qu’elle
intègre la question de la redistribution et va au-delà : elle repose la question
de la richesse. Elle est beaucoup plus radicale que la critique de ceux qui se
prétendent révolutionnaires en demandant une augmentation de 300 euros pour
qu’on puisse aller consommer dans des supermarchés et par là-même accroître les
profits de la grande distribution !
Que va-t-il se passer pour ceux qui sont ou
vont être touchés par la crise ? P.C. La conversion écologique a un
potentiel très important de création nette d’emplois. D’une part, parce que
l’immense majorité des emplois que l’on crée dans l’éducation, la santé, la
culture, etc. sont des emplois non délocalisables. D’autre part, parce que,
quand vous prenez en compte la question environnementale, cela a tendance à
augmenter l’intensité en travail de l’activité. L’agriculture bio est ainsi
beaucoup plus intensive en travail que l’agriculture productiviste. Si on
portait en France à 50 % de l’agriculture la part du bio, on pourrait créer 200
000 à 300 000 emplois. Idem dans les transports. A volume de déplacements égal,
si on remplace du déplacement individuel par du transport collectif, on crée un
peu plus de 100 000 emplois. L’isolation des bâtiments peut induire entre 120
000 et 200 000 emplois. Soit au total entre 500 000 et un million d’emplois en
France qui sont des emplois utiles dans le cadre de cette conversion écologique.
Mais pour cela, il faut former les salariés à ces métiers. Cette formation doit
avoir lieu dans un cadre sécurisé en termes de droits comme de revenu. C’est
pourquoi la conversion écologique de l’économie va de pair avec la sécurisation
des parcours professionnels.
Que ce soit au niveau national, avec le
Grenelle, européen, avec le paquet énergie-climat ou au niveau international,
les négociations publiques se développent. Quel est le niveau le plus pertinent
pour agir ? P.C. La plus grande partie de ces politiques de conversion
sont faisables au niveau national. Ce n’est pas pour rien que l’Autriche est à
11 % d’agriculture bio tout en étant dans le cadre de la PAC. En France, on est
à 2 %, tout simplement parce que des choix différents ont été faits. Etre dans
une économie mondialisée n’empêche pas cette conversion. Encore une fois, ne
nous faisons pas piégér dans l’idée qu’il y aurait un rouleau compresseur qui
s’imposerait à nous. On a la liberté de faire des choix. Le deuxième élément,
pour revenir aux normes internationales, c’est la question de l’accès qualifié
au marché. C’est quoi ? C’est de dire : un produit chinois n’est pas mauvais
parce qu’il est chinois, mais parce qu’il ne respecte pas les conventions de
l’Organisation internationale du travail, les enjeux climatiques du protocole de
Kyoto ou du futur Appel de Copenhague fin 2009, etc.
Mais à ce niveau-là, la négociation ne peut
pas être nationale… P.C. Seul le niveau européen est pertinent, parce
que l’Europe est le premier marché du monde. Aucune multinationale ne peut se
passer du marché européen. Il y a un combat politique international à mener et
c’est évidemment le rôle de l’Union de le mener. Cela doit être un enjeu majeur
des élections européennes. Le problème aujourd’hui, c’est que l’Europe est à
droite : la majeure partie des gouvernements sont à droite, la commission est à
droite et le Parlement est à droite, donc on a des politiques de
droite.
H.K. Il faut rappeler que tout cela
s’inscrit dans une situation de crise écologique extrêmement importante et qui,
au niveau du débat international, se traduit par la discussion sur le changement
climatique. Ce qui paraît le plus important dans cette discussion sur le climat,
c’est qu’il porte en fait sur la réduction des inégalités entre les pays du Nord
et les pays du Sud par le biais des discussions sur l’organisation de transferts
financiers du Nord vers le Sud. Le discours dominant continue à nous faire
entendre que l’on va pouvoir continuer de vivre avec le niveau d’assez grand
confort que l’on connaît à l’heure actuelle. Non, il va falloir que nos
conceptions du confort changent parce que la question écologique appelle à un
rééquilibrage planétaire. Il n’y a pas de raison qu’un Malien, qu’un Indien,
qu’un Chinois vivent très différemment de nous, même s’il y a le poids de
l’histoire et qu’il y aura des différences encore longtemps. Mais ces
différences sont appelées à se réduire considérablement et ce discours, je ne
l’entends pas encore assez, alors qu’il constitue la toile de fond de toute
notre discussion.
Propos recueillis par Emmanuelle Cosse et Sabrina
Kassa
Paru dans /*/Regards n°61, avril 2009
Copyright Regards 2008
source: http://www.regards.fr/article/?id=3993&q=category:1001
capitalisme vert, ça n'existe pas ! » (2)
Le revirement écologique appelé à « bonifier
» le capitalisme est-il possible ? Les journalistes Pascal Canfin* et Hervé
Kempf* restent sceptiques. Entretien.
Hervé Kempf, journaliste au Monde et auteur de
Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Seuil, 2009.
Pascal Canfin,
journaliste au magazine Alternatives économiques et auteur de l’ouvrage Le
contrat écologique pour l’Euope, Les petits matins, à paraître début mai
2009.
Qu’est ce que le concept de « capitalisme
vert » évoque pour vous ? Que représente-t-il dans la réalité, notamment en
termes de poids économique ? Hervé Kempf. Le « capitalisme vert »,
c’est la continuation du capitalisme et donc la continuation d’un système qui
dans son principe est destructeur de l’environnement et qui, dans sa dernière
phase, s’est traduit par une expansion extraordinaire des inégalités. Donc, le
capitalisme vert, ce n’est même pas un oxymore, ça n’existe pas. C’est seulement
une construction et un habillage idéologique pour faire croire que l’on peut
évoluer par rapport à l’environnement sans changer les déterminants fondamentaux
de nos régulations sociales, de notre système économique et de la répartition
des pouvoirs dans cette société.
Pascal Canfin. La question est
complexe car le capitalisme n’est pas quelque chose qui se distingue de la
société. La société nourrit le capitalisme comme le capitalisme nourrit la
société. Et une des alternatives au capitalisme qui est l’économie sociale et
solidaire n’a de sens que si les personnes qui y participent ont des valeurs et
des modes de fonctionnement qui ne sont pas ceux du capitalisme. Avec, par
exemple, un partage du pouvoir qui ne dépend pas de la détention du capital.
Donc ce sont les valeurs que porte la société qui vont permettre le dépassement
du capitalisme. L’autre question, c’est celle du productivisme. On a bien vu que
l’on pouvait être dans un système non capitaliste, comme l’Union soviétique,
mais totalement productiviste, concept qui me semble encore plus difficile à
déconstruire que celui du capitalisme. Donc j’ai envie de dire que ça va au-delà
du capitalisme. L’aspiration à vouloir contrôler la nature, c’est la modernité,
c’est Descartes... dont le capitalisme est la conséquence et non la
cause.
H.K. La question essentielle,
aujourd’hui, c’est la transformation des systèmes de valeurs. Une chose est
sûre, il y aura toujours des entreprises. En revanche, la question du pouvoir
dans les entreprises, de l’appropriation des moyens de production, ou plus
simplement le contrôle des travailleurs, des consommateurs sur l’entreprise mais
aussi des citoyens et des contribuables redevient tout à fait d’actualité. Par
exemple, on aura toujours besoin d’entreprises qui gèrent des déchets mais il y
a une différence entre Véolia environnement, qui a un capital mis en bourse et
est possédé par un petit nombre de gens, et une entreprise de déchets qui
assumerait ces mêmes fonctions avec une partie d’actionnariat privé, un
d’actionnariat public et avec une vraie participation des travailleurs au
conseil d’administration.
P.C. Par rapport aux systèmes de
valeurs, je crois qu’il faut comprendre « valeur » au double sens du terme,
c’est-à-dire à la fois ce qui fait sens et ce qui rentre dans les comptes.
Aujourd’hui, il faut changer les deux. Par exemple, faire payer le CO2 aux
entreprises qui en émettent via une taxe carbone est un élément important pour
changer nos modes de production et de consommation dans la mesure où, jusqu’à
présent, on surconsomme parce que l’on n’intègre pas au juste prix les
ressources écologiques utilisées. Il faut par ailleurs faire la distinction
entre capitalisme et économie de marché. Une Scop, par exemple (comme Regards ou
Alternatives économiques), n’est pas dans une logique capitaliste, ni
capitalistique, mais pourtant elle est sur un marché. Aujourd’hui, nous ne
sommes pas dans une économie pleinement capitaliste. La production de nombreux
biens et services ne relève pas d’une logique capitaliste mais une logique de
service public, de biens publics… Même si, évidemment, il y a une offensive
idéologique du libéralisme en Europe, via la Commission européenne notamment,
pour essayer de déconstruire cette économie plurielle et en faire une économie
100 % capitaliste de marché. Notre économie est encore plurielle et il faut
s’appuyer sur les formes non capitalistes qui existent déjà dans l’économie pour
mieux la transformer.
Encore faut-il que l’économie sociale et
solidaire et l’économie publique soient soutenables d’un point de vue
écologique…H.K. Je suis tout à fait d’accord sur la distinction entre
capitalisme et économie de marché, mais je crois qu’il est nécessaire de revenir
sur la philosophie générale qui inspire le capitalisme. L’économiste Karl
Polanyi avait bien démontré qu’une économie purement capitaliste – c’est-à-dire
fondée sur un individualisme exacerbé et la marchandisation généralisée des
relations humaines – conduit à l’effondrement. Ainsi, même si la part de
l’économie publique est restée importante dans nos pays, et que l’économie
sociale et solidaire représente une part non marginale, depuis trente ans,
l’offensive néolibérale, que j’appelle capitaliste, applique à une très grande
part de l’économie sociale et solidaire une logique d’appropriation, de
compétition et d’individualisme.
P.C. Je suis d’accord, c’est un
combat politique. Mais la question se pose moins à mes yeux en termes de système
de propriété et de mode de fonctionnement qu’en termes de modèle économique. Sur
l’industrie des déchets – ce qui permettra de revenir sur le capitalisme vert –,
si le modèle économique de Véolia ou d’une société d’économie mixte ou
d’économie sociale et solidaire, c’est « Plus il y a de déchets, plus je gagne
de l’argent », comme c’est le cas aujourd’hui, quelle que soit la forme
d’organisation de l’entreprise, ça ne changera rien. On le voit bien avec EDF.
La question, c’est comment cette société-là gagne de l’argent sur la performance
environnementale. Véolia, par exemple, est en train de tester des contrats en
Angleterre, avec des collectivités locales, où ses ressources sont assises non
pas sur le volume de déchets traités mais sur le pourcentage de diminution des
déchets et sur le pourcentage de tri. Cela me semble plus intéressant, car du
coup le modèle économique s’inverse : Véolia gagne de l’argent si l’entreprise
réussit à augmenter le tri et si elle arrive à remonter la filière en
travaillant avec les entreprises et avec les ménages pour diminuer le volume de
déchets produits.
Etes-vous favorable à une décroissance
générale de l’économie ? H.K. Je pense que nous devons aller vers une
baisse de la consommation matérielle et de la consommation d’énergie. Mais je ne
parle pas de décroissance parce que la décroissance se réfère au PIB, qui est un
mauvais indicateur, précisément, parce qu’il ne mesure pas l’impact économique
humain sur l’environnement. En revanche, si on se réfère au capital naturel,
nous sommes déjà en décroissance. Ce n’est pas une économie verte qu’il faut
créer. Mais plutôt que l’ensemble de nos sociétés soit organisé en prenant en
compte le caractère absolument structurel de la crise écologique, tout en
revenant par ailleurs à un état de justice sociale.
P.C. Surtout, quand on parle de
décroissance, il faut savoir décroissance de quoi. Le PIB est une convention
avec ses qualités et ses défauts mais on l’a complètement mythifié, c’est devenu
un synonyme de progrès social, de progrès humain alors que ça n’a jamais été le
cas. Ce qu’il faut évidemment faire décroître aujourd’hui, c’est l’empreinte
écologique. Cela passe très probablement par la décroissance des biens
matériels. Car même si on réalise des gains d’efficacité énergétique, cela ne
suffira pas si le niveau global de consommation dans les pays riches reste le
même. Cette décroissance matérielle doit bien sûr être accompagnée d’une
politique de redistribution.
On peut d’ailleurs se demander si les
économies d’énergie ne se feront pas sur le dos des plus pauvres...H.K.
L’inégalité sociale très forte dans laquelle nous sommes s’articule avec le
système de valeurs défini par l’oligarchie et qui pousse à la surconsommation.
Imposer un revenu maximal admissible (RMA) et faire diminuer de façon drastique
les revenus de l’oligarchie, cela a pour but de transformer les valeurs
culturelles qui sont transmises, qui sont exhibées par l’oligarchie et qui
servent de référence à l’ensemble de la société.
P.C. Le changement social doit
venir par le haut et par le bas. Pour des raisons écologiques, s’il y a un
changement de société qui nous amène à renoncer à un certain nombre de choses,
la question est de savoir de quels avantages complémentaires on bénéficiera dans
une société écologique. Ces bénéfices-là ne seront pas forcément financiers mais
se manifesteront plutôt en termes de liberté, de temps libéré, de relations, de
liens sociaux. La vraie critique du capitalisme est écologique parce qu’elle
intègre la question de la redistribution et va au-delà : elle repose la question
de la richesse. Elle est beaucoup plus radicale que la critique de ceux qui se
prétendent révolutionnaires en demandant une augmentation de 300 euros pour
qu’on puisse aller consommer dans des supermarchés et par là-même accroître les
profits de la grande distribution !
Que va-t-il se passer pour ceux qui sont ou
vont être touchés par la crise ? P.C. La conversion écologique a un
potentiel très important de création nette d’emplois. D’une part, parce que
l’immense majorité des emplois que l’on crée dans l’éducation, la santé, la
culture, etc. sont des emplois non délocalisables. D’autre part, parce que,
quand vous prenez en compte la question environnementale, cela a tendance à
augmenter l’intensité en travail de l’activité. L’agriculture bio est ainsi
beaucoup plus intensive en travail que l’agriculture productiviste. Si on
portait en France à 50 % de l’agriculture la part du bio, on pourrait créer 200
000 à 300 000 emplois. Idem dans les transports. A volume de déplacements égal,
si on remplace du déplacement individuel par du transport collectif, on crée un
peu plus de 100 000 emplois. L’isolation des bâtiments peut induire entre 120
000 et 200 000 emplois. Soit au total entre 500 000 et un million d’emplois en
France qui sont des emplois utiles dans le cadre de cette conversion écologique.
Mais pour cela, il faut former les salariés à ces métiers. Cette formation doit
avoir lieu dans un cadre sécurisé en termes de droits comme de revenu. C’est
pourquoi la conversion écologique de l’économie va de pair avec la sécurisation
des parcours professionnels.
Que ce soit au niveau national, avec le
Grenelle, européen, avec le paquet énergie-climat ou au niveau international,
les négociations publiques se développent. Quel est le niveau le plus pertinent
pour agir ? P.C. La plus grande partie de ces politiques de conversion
sont faisables au niveau national. Ce n’est pas pour rien que l’Autriche est à
11 % d’agriculture bio tout en étant dans le cadre de la PAC. En France, on est
à 2 %, tout simplement parce que des choix différents ont été faits. Etre dans
une économie mondialisée n’empêche pas cette conversion. Encore une fois, ne
nous faisons pas piégér dans l’idée qu’il y aurait un rouleau compresseur qui
s’imposerait à nous. On a la liberté de faire des choix. Le deuxième élément,
pour revenir aux normes internationales, c’est la question de l’accès qualifié
au marché. C’est quoi ? C’est de dire : un produit chinois n’est pas mauvais
parce qu’il est chinois, mais parce qu’il ne respecte pas les conventions de
l’Organisation internationale du travail, les enjeux climatiques du protocole de
Kyoto ou du futur Appel de Copenhague fin 2009, etc.
Mais à ce niveau-là, la négociation ne peut
pas être nationale… P.C. Seul le niveau européen est pertinent, parce
que l’Europe est le premier marché du monde. Aucune multinationale ne peut se
passer du marché européen. Il y a un combat politique international à mener et
c’est évidemment le rôle de l’Union de le mener. Cela doit être un enjeu majeur
des élections européennes. Le problème aujourd’hui, c’est que l’Europe est à
droite : la majeure partie des gouvernements sont à droite, la commission est à
droite et le Parlement est à droite, donc on a des politiques de
droite.
H.K. Il faut rappeler que tout cela
s’inscrit dans une situation de crise écologique extrêmement importante et qui,
au niveau du débat international, se traduit par la discussion sur le changement
climatique. Ce qui paraît le plus important dans cette discussion sur le climat,
c’est qu’il porte en fait sur la réduction des inégalités entre les pays du Nord
et les pays du Sud par le biais des discussions sur l’organisation de transferts
financiers du Nord vers le Sud. Le discours dominant continue à nous faire
entendre que l’on va pouvoir continuer de vivre avec le niveau d’assez grand
confort que l’on connaît à l’heure actuelle. Non, il va falloir que nos
conceptions du confort changent parce que la question écologique appelle à un
rééquilibrage planétaire. Il n’y a pas de raison qu’un Malien, qu’un Indien,
qu’un Chinois vivent très différemment de nous, même s’il y a le poids de
l’histoire et qu’il y aura des différences encore longtemps. Mais ces
différences sont appelées à se réduire considérablement et ce discours, je ne
l’entends pas encore assez, alors qu’il constitue la toile de fond de toute
notre discussion.
Propos recueillis par Emmanuelle Cosse et Sabrina
Kassa
Paru dans /*/Regards n°61, avril 2009
Copyright Regards 2008
source: http://www.regards.fr/article/?id=3993&q=category:1001