Vous pouvez retrouver ces informations et des documents sur :
http://depechestsiganes.blogspot.com/ outil des journalistes bénévoles des
Dépêches tsiganes
A noter :
Le 20 janvier le sénat a adopté l’article 32TerA de la LOPPSI2 définissant
des procédures d’expulsion administrative en cas d’insalubrité d’installation
sur des terrains privés. La veille la commission des lois de l’assemblée
nationale avait donné un avis défavorable à la proposition de loi visant à
mettre fin au traitement discriminatoire des gens du voyage, inscrite à l’ordre
du jour le 25 janvier, prochain. Dans un premier temps nous vous proposons
« brut de décoffrage » les comptes rendus des débats, ainsi qu’une lettre
adressée aux parlementaires par des associations.
Au delà des déclarations de principes, plusieurs des intervenants ont
annoncés de nouveaux débats sur la législation concernant les gens du voyage
après la remise, dans les prochains mois du rapport de la mission présidée
par le député Didier Quentin. Sur la Loppsi 2, c’est une adaptation du code
de l’urbanisme afin de faciliter la création de terrains familiaux qui a été
suggérée. Votre prochain Flash info reviendra sur ces évènements avec les
réactions des principaux acteurs.
Olivier Berthelin
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Dans la fabrique des lois et des politiques publiques
Proposition de loi pour mettre fin aux discriminations des gens du voyage
Compte rendu des débats à la commission des lois de l’assemblée nationale
DISCUSSION GÉNÉRALE
Au cours de sa séance du mercredi 19 janvier 2011, la Commission examine, sur le rapport de M. Dominique Raimbourg, la proposition de loi visant à mettre fin au traitement discriminatoire des gens du voyage (n° 3042).
Après l’exposé du rapporteur, une discussion générale a lieu.
M. Charles de La Verpillière. La loi du 3 janvier 1969 pose un véritable problème. Mais la Commission des lois a constitué une mission d’information sur
la législation relative aux gens du voyage, présidée par Didier Quentin – qui m’a demandé de l’excuser, étant actuellement retenu ailleurs dans nos murs en
tant que président du groupe d’amitié France-Japon –, de Dominique Raimbourg et moimême.
Notre rapport est en voie de finalisation ; la Commission devrait pouvoir en être saisie sinon en février, du moins en mars. Il me paraît donc
inopportun de débattre de cette proposition de loi maintenant et je souhaiterais soit que nos
collègues la retirent, soit que la Commission la repousse.
Sur le fond, il est clair que les titres de circulation créés par la loi de 1969 posent un problème de constitutionnalité, voire de conformité à la Convention européenne des droits de l’homme. Le problème sera certainement soulevé un jour, notamment par le biais d’une question prioritaire de
constitutionnalité. Pour autant, il ne faut pas se précipiter, au risque de « jeter le bébé avec l’eau
du bain » : certes le titre de circulation est une restriction à la liberté d’aller et venir,mais c’est aussi un document permettant d’identifier les gens du voyage et, par conséquent, leur donnant accès à des droits qui leur sont propres – je pense
notamment à la possibilité de stationner dans les aires permanentes d’accueil.
Il faut donc continuer à réfléchir ; la Commission sera amenée à se déterminer sur la base du rapport de la mission d’information.
M. Pierre-Alain Muet. Je pense au contraire qu’il y a urgence à intervenir, la situation actuelle étant aberrante : les gens du voyage, qui sont des
citoyens français et qui peuvent donc, quand ils ont un passeport, circuler partout en Europe, ne peuvent pas circuler librement dans leur propre pays. Les
sanctions pénales prévues par la loi de 1969 pour défaut de carnet de circulation sont ellesmêmes
aberrantes.
À cette atteinte à la liberté de circulation s’ajoute une discrimination en matière de droits civiques : les gens du voyage doivent avoir été rattachés trois ans
à la même commune pour pouvoir y exercer un droit de vote, alors qu’une personne sans domicile fixe peut exercer ce droit au bout de six mois.
Maintenant que le dispositif de la question prioritaire de constitutionnalité existe, il est évident que, tant au regard du droit de circuler librement qu’au regard du droit de vote, les
dispositions de la loi de 1969 sont appelées à être déclarées inconstitutionnelles.
Nous avions émis l’idée d’une proposition de loi il y a près d’un an. Nous attendions que la mission rende son rapport, comme c’était prévu, en septembre,
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mais elle ne l’a pas encore fait. Notre Assemblée s’honorerait à abroger dès maintenant une loi qui n’est pas appliquée et qui est contraire aux
principes de notre République et aux principes européens, plutôt que d’attendre une censure du
Conseil constitutionnel.
M. le président Jean-Luc Warsmann. Initialement le rapport n’avait pas été prévu pour septembre, mais pour décembre.
M. Pierre-Alain Muet. Soit, mais nous sommes en janvier.
M. Serge Blisko. La loi de 1969, discriminatoire, est marquée par l’hypocrisie : comme on voulait éviter d’y inscrire des dispositions à caractère ethnique, on a retenu, pour mettre en place les documents remplaçant le carnet anthropométrique de la loi du 16 juillet 1912, des critères d’activité et de domicile.
Il est très pénible qu’une personne voulant installer un manège ou un stand de bonbons au moment des fêtes soit obligée de produire aux autorités municipales
un titre de circulation – sur lequel ne figure plus, au demeurant, aucun tampon de la gendarmerie. N’attendons pas pour agir d’y être forcés par le Conseil constitutionnel ou la CEDH, alors que, si j’ai bien compris, la mission d’information incline elle-même vers la suppression de ces titres de
circulation – qui aurait également pour avantage de mettre fin au paradoxe actuel, en matière
d’inscription sur les listes électorales, d’exigences beaucoup plus grandes pour les gens du voyage que pour les personnes errantes accueillies en centre
d’hébergement d’urgence ou pour les personnes condamnées à la prison.
M. Jean-Michel Clément. Dans le prolongement du texte que nous venons d’examiner, visant à la simplification et à l’amélioration de la qualité du droit, nous serions bien inspirés, s’agissant de droit des personnes, de mettre fin à un dispositif vexatoire, en anticipant ainsi sur les décisions de censure qui seront immanquablement prises.
M. Patrice Verchère. Monsieur le rapporteur, connaissez-vous la position de l’Association des maires de France et celle de l’Association des maires
ruraux de France sur l’article 8 de la loi de 1969, relatif au dispositif de rattachement ?
M. Guénhaël Huet. Tous les membres de la représentation nationale sont attachés aux principes républicains mais, tant dans la jurisprudence
constitutionnelle que dans la jurisprudence administrative, l’égalité n’est pas l’uniformité. À des situations différentes peuvent correspondre des statuts différents.
Je suis par ailleurs un peu choqué par l’un des arguments de Dominique Raimbourg : ce n’est pas parce qu’une loi n’est pas appliquée qu’il faut la
supprimer ; quand une loi existe, il faut peut-être plutôt faire en sorte qu’elle soit appliquée…
Proposer la suppression pure et simple de la loi de 1969, sans dispositions de rechange, c’est créer un vide juridique. Attendons donc les conclusions de la
— 17 — mission d’information, faute de quoi cette suppression aboutirait à ce que les dispositions juridiques concernant les gens du voyage se réduisent aux obligations des collectivités locales inscrites dans la loi du 5 juillet 2000, dite « loi Besson ».
Ne versons pas dans l’angélisme : un bon système juridique suppose l’équilibre ;les gens du voyage ont des droits, ils ont aussi des devoirs. Je suis assez
favorable à une évolution de la législation, mais très opposé à cette proposition de loi.
M. le rapporteur. Il ne faudrait pas, me semble-t-il, trop tarder à rendre nos dispositions législatives conformes à la Constitution…
Actuellement elles constituent une discrimination évidente, par la restriction à la liberté de circulation comme en matière de droit de vote –
par rapport, notamment, aux personnes sans domicile fixe, qui acquièrent ce droit après six mois.
Je n’ai pas d’information particulière sur la position des maires, mais on ne créerait pas réellement de vide juridique puisqu’on remplacerait le système du
rattachement – avec le plafond de 3 % – par celui de l’élection de domicile déjà en vigueur. La commune à laquelle une demande d’élection de domicile est
adressée peut exprimer un refus.
Le seul vide juridique qui existe concerne l’accès aux aires d’accueil. La question pourrait être réglée par un système d’adhésion volontaire, en quelque
sorte sur le mode des auberges de jeunesse. Ce ne serait pas en contradiction avec le travail de la mission, qui portait, en premier lieu, sur l’application de la loi « Besson ».
Je souhaite que nous nous retrouvions la semaine prochaine sur une proposition somme toute assez consensuelle.
La Commission passe à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.
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EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE
Article unique (loi n° 69-3 du 3 janvier 1969)
Abrogation de la loi du 3 janvier 1969
Le présent article unique propose d’abroger la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux
personnes circulant en France sans domicile ni résidence, qui comporte trois titres et treize articles.
Son titre premier, intitulé : « Exercice des activités ambulantes et délivrance des titres de circulation » comporte cinq articles qui prévoient des titres de circulation pour les gens du voyage. Son titre II, intitulé : « Communes de rattachement », comporte cinq articles et prévoit, notamment, que toute personne
qui sollicite la délivrance d’un titre de circulation prévu aux articles précédents « est tenue de faire connaître la commune à laquelle elle souhaite être
rattachée » (article 7). Son titre III, intitulé : « Dispositions diverses », comporte trois articles
relatifs aux modalités de mise en oeuvre de la loi.
1. Les dispositions relatives aux titres de circulation
L’article 2 de la loi du 3 janvier 1969 prévoit que les personnes n’ayant ni domicile ni résidence fixes de plus de six mois dans un État membre de l’Union
européenne doivent être munies d’un livret spécial de circulation délivré par les autorités administratives.
Ce même livret est attribué aux personnes qui accompagnent celles précédemment mentionnées si elles sont âgées de plus de seize ans et n’ont en
France ni domicile, ni résidence fixe depuis plus de six mois. Il en est de même pour les employés de ces personnes si elles ont une activité économique.
L’article 3 de la même loi prévoit que les autres personnes âgées de plus de seize ans autres que celles mentionnées à l’article 2 et dépourvues de domicile
ou de résidence fixe depuis plus de six mois doivent, pour pouvoir circuler en France, être munies de l’un des titres de circulation prévus aux articles 4 et 5 si
elles logent de façon permanente dans un véhicule, une remorque ou tout autre abri mobile.
Ces titres de circulation sont donc de deux types :
— un livret de circulation, prévu à l’article 4 de la même loi, qui est destiné aux personnes qui justifient de ressources régulières « leur assurant des
conditions normales d’existence notamment par l’exercice d’une activité salariée ». Ce livret doit être visé à des intervalles qui ne pourront être
inférieurs à trois mois par la police ou la gendarmerie nationales.
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— un carnet de circulation, prévu à l’article 5 de la même loi, qui est destiné aux personnes qui ne justifient pas de ressources régulières. Ce carnet doit
être visé tous les trois mois par la police ou la gendarmerie nationales. Si ces personnes circulent sans avoir obtenu un tel carnet, elles seront passibles d’un emprisonnement de trois mois à un an.
Enfin, l’article 6 de la même loi permet la délivrance de ces titres de circulation aux « personnes venant de l’étranger » que si elles justifient de façon
certaine de leur identité.
2. Les dispositions relatives aux communes de rattachement L’article 7 de la même loi prévoit que la délivrance d’un titre de circulation n’est possible que si le demandeur indique la commune à laquelle
il souhaite être rattaché. Il précise que le rattachement est prononcé par le préfet ou le sous-préfet après avis motivé du maire.
L’article 8 de la même loi limite à 3 % de la population municipale le nombre de personnes, titulaires d’un titre de circulation, rattachées à une
commune.
En conséquence, le choix du rattachement à une commune n’est pas totalement libre pour le demandeur : lorsque le pourcentage de 3 % est atteint, le préfet ou le sous-préfet invite le déclarant à choisir une autre commune de rattachement. Cependant, afin de ne pas priver le demandeur au droit à une vie familiale normale, le préfet peut déroger à cette règle, notamment pour assurer l’unité des familles.
L’article 9 de la même loi ajoute que le choix de la commune de rattachement est effectué pour une durée minimale de deux ans. Un changement anticipé peut toutefois intervenir si le demandeur fait valoir des «
attaches » dans une autre commune.
L’article 10 de la même loi dresse la liste des effets, attachés au domicile, dont les personnes titulaires d’un titre de circulation bénéficient. Le
rattachement vaut élection de domicile en matière de célébration de mariage, d’inscription sur la
liste électorale, sur la demande des intéressés, mais après trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune, d’accomplissement des obligations
fiscales, sociales ou du service national.
3. Les dispositions diverses L’article 11 de la même loi renvoie à des décrets en Conseil d’État les
modalités d’application des dispositions des articles précédents.
L’article 12 prévoit que la loi du 3 janvier 1969 n’est pas applicable aux bateliers. C’est ainsi que, par exemple, les bateliers peuvent être inscrits
sur les — 21 — listes électorales de 35 communes, en application de l’article L. 15 du code électoral.
L’article 13 prévoit l’abrogation de la loi du 16 juillet 1912 sur l’exercice des professions ambulantes et la réglementation de la circulation des nomades et
l’article 14 précise les conditions d’entrée en vigueur de la loi.
4. Une loi dont l’abrogation paraît incontournable
Comme votre rapporteur l’a indiqué dans l’exposé général, cette loi est source de discriminations à l’encontre des gens du voyage :
– en imposant aux gens du voyage un titre de circulation spécifique, les dispositions de son titre premier constituent une entrave à la liberté d’aller
et de venir ;
– en prévoyant des modalités de rattachement à une commune qui figure sur la carte nationale d’identité, elle stigmatise les gens du voyage dans leurs
papiers d’identité ;
– en conditionnant l’inscription sur les listes électorales au respect d’un délai de trois ans de rattachement ininterrompu sur la même commune, elle
viole la capacité des gens du voyage à s’exprimer pleinement dans notre société démocratique.
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