de Jo Briant des Alternatifs-Isère :Jo Briant : La Villeneuve (Grenoble)
> en état de siège…mes réactions/mon analyse
Dimanche 18 juillet- 23H15- Villeneuve : 3ème nuit d’état de siège après la
mort de Karim, jeune du quartier de l’Arlequin de la Villeneuve, tué par
balle suite à un tir en pleine tête d’un policier, alors qu’il revenait d’une
opération de braquage au Casino d’Uriage. Bruit assourdissant d’hélicoptères
qui survolent et illuminent le quartier, omniprésence policière avec
plusieurs unités de forces mobiles du Raid et du GIPN (ils seraient au moins
300 !). Venant du centre ville j’ai eu droit comme tous les habitants
rentrant chez eux en voiture à un barrage et à une fouille systématique de
mon véhicule. Place du marché je croise une famille dont les enfants crient
apeurés…
Deux jours durant j’ai sillonné le quartier pour constater les dégâts –
voitures calcinées, abris bus caillassés..- mais surtout pour rencontrer et
écouter les habitants. Réactions certes contrastées qui vont d’une
condamnation sans nuances d’une « minorité de jeunes » qui « foutent la
merde » et « empoisonnent la vie » du quartier, en brûlant notamment les
voitures de leurs voisins de coursive qui en ont tant besoin, à une
condamnation tout aussi catégorique de la police qui « a tué sciemment, par
racisme, le jeune Karim », en passant par ceux/celles qui mettent tout sur
le dos d’une éducation parentale défaillante… Mais tous sont envahis par un
sentiment d’écrasement, d’impuissance et de désespoir face à des événements
qui vont enfoncer encore davantage le quartier dans la stigmatisation et la
souffrance sociale…
Au-delà des faits, ce que je veux dire, ce que je veux crier, avec d’autres
habitants, au-delà de ma colère :
1- L’approche et le traitement exclusivement sécuritaires de ce type de «
fait divers sont aberrants, surtout avec tout ce déploiement et cet arsenal
« anti-terroriste » et guerrier. Depuis plus dix ans la police dite de
proximité n’existe plus à la Villeneuve, les policiers n’ont plus aucun
contact avec la population, sa seule apparition, sa seule visibilité étant
réduite à ces irruptions aussi brutales, massives, spectaculaires qu’aberrantes
qui ne peuvent provoquer que haine et volonté d’en découdre. Un type d’approche
et de « traitement anti-criminalité » qui ne peuvent que dégrader toujours
plus l’image et la perception de ce quartier.
2- Les causes ? Il est tentant, et si facile, de désigner une « minorité de
jeunes » qui seraient à la base de l’économie parallèle, du trafic de drogue
et des incendies réguliers de voiture. Explication réductrice et paresseuse
qui évite de se poser les vraies questions : comment expliquer que le
quartier de la Villeneuve, dont la création remonte aux années 72 sur la
base d’une utopie collective qui a effectivement été essayée et réalisée
partiellement jusqu’aux années 90, se soit à ce point« ghettoïsé »,
appauvri, dégradé à ce point ? Pourquoi cette concentration progressive d’une
population de plus en plus précarisée, en grande majorité d’origine
immigrée, en état de grande souffrance économique et sociale, notamment les
jeunes dont au moins 50% sont sans emploi et sans aucune perspective ? Avec
la fuite parallèle d’une proportion significative de la classe moyenne
intellectuelle, dont je fais partie, dont beaucoup d’éléments n’ont pu
supporter cette dégradation ?
Les causes sont certes nombreuses, mais pour l’essentiel il faut citer le
projet architectural de départ qui, malgré nombre d’équipements
socio-culturels d’accompagnement, créait bel et bien les conditions d’un
ghetto, la politique urbaine de la Ville de Grenoble qui a privilégié la
création en région grenobloise de secteurs d’emploi à « valeur fortement
ajoutée » faisant appel à des ingénieurs, cadres supérieurs…ce qui a eu pour
conséquence une augmentation notable du prix du m2 et des loyers au centre
ville et de raréfier les logements sociaux accessibles aux classes
populaires. Avec l’absence d’une politique volontariste de maîtrise du
montant des loyers. Il faut ajouter une cause structurelle plus déterminante
: la panne de l’ascenseur social, la montée massive du chômage, la
précarisation croissante des jeunes, l’accentuation de la ségrégation
urbaine, autant d’effets directs du capitalisme néo-libéral, avec des effets
particulièrement dévastateurs dans des quartiers populaires comme celui de
la Villeneuve.
3- La solution, même si elle peut être intéressante, ne saurait se réduire,
comme le réclame Michel Destot, maire de Grenoble, à un « Grenelle de la
Sécurité ». Oui, certes, à un rétablissement de la police de proximité, oui
à une rupture avec ces opérations spectaculaires et terrorisantes qui ne
font gu’aggraver le mal… Mais l’essentiel n’est pas là. C’est bien à toute
une politique économique, sociale, urbaine secrétée par un système
capitaliste et un libéralisme destructeurs et profondément inégalitaires, qu’il
faut s’attaquer. Ainsi qu’à des logiques sociales et urbaines
discriminatoires et, disons-le, racistes. Si un tel fait divers, aussi
tragique soit-il ; s’était produit dans un quartier du centre ville, ou à
Meylan, ou encore à Seyssinet, aurait-on envoyé tous ces « Robocop », ces
centaines de policiers sur-armés, avec hélicoptères, aurait-on procédé à un
encerclement systématique de ces quartiers, à des barrages, à des fouilles
systématiques des véhicules et des personnes ? On ne pourra pas empêcher les
habitants de la Villeneuve de penser que des dispositifs aussi guerriers et
terriblement traumatisants, humiliants sont précisément arrêtés pace qu’il s’agit
d’un quartier à forte composition immigrée. Je le dis avec colère et
conviction : ce type de « traitement » est l’illustration bien réelle d’un
rejet, d’une stigmatisation, d’une discrimination qui ne disent pas leur
nom. La population de la Villeneuve, notamment les jeunes, comme celle des
quartiers populaires, comme celle de Villiers le Bel ou de Saint Denis en
région parisienne, sont bel et bien victimes d’une triple discrimination,
sociale, économique et raciste. Tant qu’on ne s’attaquera pas à ces racines
d’une exclusion terrifiante et dévastatrice, on ne fera au mieux que
différer des explosions de plus en plus inévitables.
4- J’ajoute, pour ne pas terminer sur une note exclusivement négative, que
nous sommes un certain nombre de militants qui vivons sur ce quartier, qui
apprécions fortement cette richesse sociale et multiculturelle, même si elle
est nettement moindre qu’il y a vingt ans, déterminés à y rester, à
maintenir à tout prix le contact avec une population en état de très grande
souffrance psychologique et sociale, à créer les conditions d’un mieux vivre
ensemble, sans oublier les causes socio-économiques et politiques. Un défi
qui peut paraître insensé voire suicidaire mais auquel il est hors de
question de renoncer.
> en état de siège…mes réactions/mon analyse
Dimanche 18 juillet- 23H15- Villeneuve : 3ème nuit d’état de siège après la
mort de Karim, jeune du quartier de l’Arlequin de la Villeneuve, tué par
balle suite à un tir en pleine tête d’un policier, alors qu’il revenait d’une
opération de braquage au Casino d’Uriage. Bruit assourdissant d’hélicoptères
qui survolent et illuminent le quartier, omniprésence policière avec
plusieurs unités de forces mobiles du Raid et du GIPN (ils seraient au moins
300 !). Venant du centre ville j’ai eu droit comme tous les habitants
rentrant chez eux en voiture à un barrage et à une fouille systématique de
mon véhicule. Place du marché je croise une famille dont les enfants crient
apeurés…
Deux jours durant j’ai sillonné le quartier pour constater les dégâts –
voitures calcinées, abris bus caillassés..- mais surtout pour rencontrer et
écouter les habitants. Réactions certes contrastées qui vont d’une
condamnation sans nuances d’une « minorité de jeunes » qui « foutent la
merde » et « empoisonnent la vie » du quartier, en brûlant notamment les
voitures de leurs voisins de coursive qui en ont tant besoin, à une
condamnation tout aussi catégorique de la police qui « a tué sciemment, par
racisme, le jeune Karim », en passant par ceux/celles qui mettent tout sur
le dos d’une éducation parentale défaillante… Mais tous sont envahis par un
sentiment d’écrasement, d’impuissance et de désespoir face à des événements
qui vont enfoncer encore davantage le quartier dans la stigmatisation et la
souffrance sociale…
Au-delà des faits, ce que je veux dire, ce que je veux crier, avec d’autres
habitants, au-delà de ma colère :
1- L’approche et le traitement exclusivement sécuritaires de ce type de «
fait divers sont aberrants, surtout avec tout ce déploiement et cet arsenal
« anti-terroriste » et guerrier. Depuis plus dix ans la police dite de
proximité n’existe plus à la Villeneuve, les policiers n’ont plus aucun
contact avec la population, sa seule apparition, sa seule visibilité étant
réduite à ces irruptions aussi brutales, massives, spectaculaires qu’aberrantes
qui ne peuvent provoquer que haine et volonté d’en découdre. Un type d’approche
et de « traitement anti-criminalité » qui ne peuvent que dégrader toujours
plus l’image et la perception de ce quartier.
2- Les causes ? Il est tentant, et si facile, de désigner une « minorité de
jeunes » qui seraient à la base de l’économie parallèle, du trafic de drogue
et des incendies réguliers de voiture. Explication réductrice et paresseuse
qui évite de se poser les vraies questions : comment expliquer que le
quartier de la Villeneuve, dont la création remonte aux années 72 sur la
base d’une utopie collective qui a effectivement été essayée et réalisée
partiellement jusqu’aux années 90, se soit à ce point« ghettoïsé »,
appauvri, dégradé à ce point ? Pourquoi cette concentration progressive d’une
population de plus en plus précarisée, en grande majorité d’origine
immigrée, en état de grande souffrance économique et sociale, notamment les
jeunes dont au moins 50% sont sans emploi et sans aucune perspective ? Avec
la fuite parallèle d’une proportion significative de la classe moyenne
intellectuelle, dont je fais partie, dont beaucoup d’éléments n’ont pu
supporter cette dégradation ?
Les causes sont certes nombreuses, mais pour l’essentiel il faut citer le
projet architectural de départ qui, malgré nombre d’équipements
socio-culturels d’accompagnement, créait bel et bien les conditions d’un
ghetto, la politique urbaine de la Ville de Grenoble qui a privilégié la
création en région grenobloise de secteurs d’emploi à « valeur fortement
ajoutée » faisant appel à des ingénieurs, cadres supérieurs…ce qui a eu pour
conséquence une augmentation notable du prix du m2 et des loyers au centre
ville et de raréfier les logements sociaux accessibles aux classes
populaires. Avec l’absence d’une politique volontariste de maîtrise du
montant des loyers. Il faut ajouter une cause structurelle plus déterminante
: la panne de l’ascenseur social, la montée massive du chômage, la
précarisation croissante des jeunes, l’accentuation de la ségrégation
urbaine, autant d’effets directs du capitalisme néo-libéral, avec des effets
particulièrement dévastateurs dans des quartiers populaires comme celui de
la Villeneuve.
3- La solution, même si elle peut être intéressante, ne saurait se réduire,
comme le réclame Michel Destot, maire de Grenoble, à un « Grenelle de la
Sécurité ». Oui, certes, à un rétablissement de la police de proximité, oui
à une rupture avec ces opérations spectaculaires et terrorisantes qui ne
font gu’aggraver le mal… Mais l’essentiel n’est pas là. C’est bien à toute
une politique économique, sociale, urbaine secrétée par un système
capitaliste et un libéralisme destructeurs et profondément inégalitaires, qu’il
faut s’attaquer. Ainsi qu’à des logiques sociales et urbaines
discriminatoires et, disons-le, racistes. Si un tel fait divers, aussi
tragique soit-il ; s’était produit dans un quartier du centre ville, ou à
Meylan, ou encore à Seyssinet, aurait-on envoyé tous ces « Robocop », ces
centaines de policiers sur-armés, avec hélicoptères, aurait-on procédé à un
encerclement systématique de ces quartiers, à des barrages, à des fouilles
systématiques des véhicules et des personnes ? On ne pourra pas empêcher les
habitants de la Villeneuve de penser que des dispositifs aussi guerriers et
terriblement traumatisants, humiliants sont précisément arrêtés pace qu’il s’agit
d’un quartier à forte composition immigrée. Je le dis avec colère et
conviction : ce type de « traitement » est l’illustration bien réelle d’un
rejet, d’une stigmatisation, d’une discrimination qui ne disent pas leur
nom. La population de la Villeneuve, notamment les jeunes, comme celle des
quartiers populaires, comme celle de Villiers le Bel ou de Saint Denis en
région parisienne, sont bel et bien victimes d’une triple discrimination,
sociale, économique et raciste. Tant qu’on ne s’attaquera pas à ces racines
d’une exclusion terrifiante et dévastatrice, on ne fera au mieux que
différer des explosions de plus en plus inévitables.
4- J’ajoute, pour ne pas terminer sur une note exclusivement négative, que
nous sommes un certain nombre de militants qui vivons sur ce quartier, qui
apprécions fortement cette richesse sociale et multiculturelle, même si elle
est nettement moindre qu’il y a vingt ans, déterminés à y rester, à
maintenir à tout prix le contact avec une population en état de très grande
souffrance psychologique et sociale, à créer les conditions d’un mieux vivre
ensemble, sans oublier les causes socio-économiques et politiques. Un défi
qui peut paraître insensé voire suicidaire mais auquel il est hors de
question de renoncer.