Mai-juin 2008 - Pas d'ions sur le plat !
L'irradiation des aliments pose des problèmes, sanitaires, socio-économiques
et environnementaux, explique Véronique Gallais*. Selon elle, c'est une des
raisons pour privilégier les achats directs au producteur, à la ferme, au
marché ou dans des Amap.
DES CONSOMMATEURS de plus en plus nombreux affichent leur sympathie pour les
produits bios et le commerce équitable. Une partie d'entre eux, un nombre
croissant de personnes et de familles, ont décidé de « passer à l'acte » et
d'acheter bio ou équitable, de façon plus ou moins régulière, plus ou moins
ciblée sur certains produits ou certains modes d'approvisionnement.
Toutefois, la place des alternatives dans les achats reste très minoritaire.
La part de marché du bio, par exemple, est inférieure à 2 % du secteur
alimentaire, dont environ 40 % en grandes et moyennes surfaces. Il est
pourtant urgent d'agir. Car l'industrie va vite, et l'étau se resserre. En
atteste la progression dans le monde de l'irradiation des aliments, un
instrument méconnu de la mondialisation néolibérale et des modes de
production et de distribution hyperindustrialisés.
L'irradiation des aliments, officiellement appelée « ionisation », est une
technologie nucléaire utilisée pour assainir les denrées, ralentir le
mûrissement, inhiber la germination et mieux conserver, parfois seulement en
apparence. Elle permet surtout de contourner - au moins en partie - l'usage
de produits chimiques dont la toxicité est maintenant largement avérée et
peu populaire elle est plus souple d'utilisation que la surgélation,
contraignante par le maintien de la chaîne du froid, et elle peut être
appliquée à quasiment tous les types de produits, y compris les aliments
frais, à l'inverse des traitements par la chaleur.
L'irradiation ne rend pas les produits alimentaires radioactifs, mais elle
provoque une perte d'éléments nutritifs et de vitamines, et présente des
risques de cancérogénèse et de mutagénèse. Elle est susceptible d'être
utilisée comme substitut à de bonnes méthodes sanitaires de production. Elle
peut favoriser le développement d'agents pathogènes plus résistants,
l'équilibre
microbiologique de l'aliment irradié étant fragilisé. Pourtant, le dernier
rapport de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) sur
l'irradiation des aliments, en 2007, confirme l'innocuité de cette
technologie, dans une approche hygiéniste du risque sanitaire. Au lieu
d'analyser
les causes de l'augmentation des pathogènes, les normes sont de plus en plus
calibrées sur les besoins de production et de commercialisation
industrielles de masse. L'OMS reconnaît que « la chaîne de production
alimentaire est devenue plus complexe, multipliant les possibilités de
contamination et de développement des agents pathogènes » (1), mais sans
aller jusqu'à en tirer les conséquences. Ainsi, le Codex alimentarius,
référence pour l'Organisation mondiale du commerce (OMC), autorise
l'irradiation
pour tous types de produits alimentaires, en se référant à des avis et
rapports de la commission mixte FAO-AIEA-OMS, l'AIEA ayant pour mission de
promouvoir les usages pacifiques de l'énergie nucléaire (2) ! Les
institutions et lobbies du nucléaire et de l'agroalimentaire ont, ici aussi,
plus de poids que la santé des personnes.
L'usage et la prolifération de cette technologie posent également des
problèmes socio-économiques et environnementaux. La délocalisation des
productions pénalise l'emploi et l'économie locale. Le fonctionnement
d'installations
et le transport de matières nucléaires sont des activités à risque. Les
modes de production et de distribution industriels de masse induisent
pollutions, changement climatique, atteinte aux milieux naturels et à la
biodiversité. La spécialisation des productions dans l'agriculture conduit à
l'extension de monocultures et de la culture intensive, qui compromettent
encore davantage la souveraineté alimentaire des peuples de la planète. Dans
l'Union européenne, deux directives déterminent la liste des produits pour
lesquels l'irradiation est autorisée (3) et l'obligation d'étiquetage. Mais
des dérogations existent dans les différents pays de l'Union, notamment en
France, qui autorise par ailleurs l'irradiation de nombreux produits (4).
Les contrôles effectués par les États membres sont très insuffisants. Les
dix pays disposant d'installations d'irradiation ne communiquent pas tous
correctement leurs données, voire ne divulguent aucune information sur les
volumes et les catégories de produits traités, comme l'Espagne et l'Italie.
Les contrôles au stade de la commercialisation sont incohérents, disparates,
variant d'une année à l'autre et d'un pays à l'autre, et sans règles
communes, malgré un taux de fraudes constatées en augmentation constante (4
% en moyenne en 2005).
En France, les quelques contrôles réalisés attestent une hausse continue de
produits irradiés commercialisés illégalement, jusqu'à 7 % en 2005 et 10 %
en 2006. À ceci s'ajoute que les méthodes de contrôle sont. peu fiables. En
réalité, nul ne connaît le volume des aliments irradiés effectivement
commercialisés !
En fait, l'autorisation de l'irradiation des aliments par le Codex
alimentarius fait peser sur les pays de l'Union européenne la menace d'une
plainte de pays tiers devant l'Organisme de règlement des différends, à
l'OMC,
pour refus d'importation de produits irradiés. D'où, probablement, le peu
d'empressement
des pays de l'Union, et notamment de la France, à effectuer des contrôles.
L'usage
de l'irradiation des aliments se développe à travers le monde. Une
soixantaine de pays l'autorisent, et plus de trente pays la pratiquent. On
assiste à une véritable explosion du nombre des installations d'irradiation
dans les pays à fort développement (Chine, Inde, Mexique, etc.), tandis que
les Etats-Unis signent des accords bilatéraux spécifiques pour l'échange de
produits irradiés.
Le Collectif français contre l'irradiation des aliments a interpellé en
novembre 2007 quatre commissaires européens et quatre ministres français, en
s'appuyant sur sa lecture critique du rapport de l'Afssa et sur des
questions à la DGCCRF. Pour l'heure, seul Michel Barnier, ministre de
l'Agriculture,
a répondu, sans apporter réellement de réponse. Une raison de plus pour
privilégier les fruits et légumes de saison et de proximité, les produits
locaux de l'agriculture paysanne, les achats directs au producteur, à la
ferme, sur le marché ou dans des Amap. Pour les productions de taille
modeste, distribuées localement, l'irradiation n'a pas lieu d'être et ne se
justifierait pas économiquement. Quant au cahier des charges de
l'agriculture
biologique, il interdit l'irradiation.
Chacun peut aussi agir en soutenant l'action du Collectif français contre
l'irradiation
des aliments : en interpellant les politiques et les institutions, et en
signant la pétition.
1) « Salubrité des aliments et maladies d'origine alimentaire », OMS,
Aide-mémoire n°237, révisé mars 2007.
(2) De nombreuses organisations dénoncent les accords entre l'OMS et l'AIEA
: www.independentwho.info
(3) Herbes aromatiques séchées, épices et condiments végétaux.
(4) Oignon, ail, échalote, légumes et fruits secs, flocons et germes de
céréales pour produits laitiers, farine de riz, gomme arabique, volaille,
cuisses de grenouilles congelées, sang séché et plasma, crevettes,
ovalbumine, caséine et caséinates (additifs alimentaires).
À lire : Aliments irradiés. Atome, malbouffe et mondialisation, coordonné
par le Collectif français contre l'irradiation des aliments, Golias, avril
2008.
* Présidente d'Action Consommation, qui anime le Collectif français contre
l'irradiation
des aliments,
40, rue de Malte, 75011 Paris, 0148058681,
www.irradiation-aliments.org,
www.actionconsommation.org
L'irradiation ne rend pas les produits alimentaires radioactifs, mais elle
provoque une perte d'éléments nutritifs et de vitamines, et présente des
risques de cancérogénèse et de mutagénèse.
Article paru dans le Hors Série Politis de mai-juin 2008 : Commerce bio et
équitable - enjeux et dérives
Article au format PDF :
http://www.actionconsommation.org/publication/docs/politis47.pdf