Le spectre de la soif : la crise de l'eau potable
http://www.unesco.org/bpi/science/vf/content/press/franco/10.htm
Entre 1900 et 1995, la consommation mondiale en eau a été multipliée par 6, soit un rythme d'augmentation deux fois plus rapide que celui de la population au cours de la même période. D'après une récente analyse1, la pénurie d'eau dans certaines régions pourrait bien devenir le problème le plus préoccupant du XXIe siècle après la croissance démographique. A première vue, on pourrait penser que l'accès à l'eau douce est un problème purement socio-économique - certains disposant de ressources hydriques et/ou des moyens de les exploiter et d'autres non. C'est oublier que certaines applications de la science comme les engrais chimiques, divers processus industriels ou encore l'irrigation intensive sont en partie responsables de ce risque imminent de pénurie. Heureusement, il est d'autres applications de la science qui offrent au moins une amorce de solutions.
Pourquoi l'eau va-t-elle devenir un problème au cours des prochaines décennies ?
- Une ressource déjà rare. Plus de 70 % de la surface du globe est recouverte d'eau mais 2,5 % seulement de cette masse est constituée d'eau douce, le reste étant l'eau salée des océans. Et sur cette quantité relativement réduite d'eau douce, 1 % seulement, soit moins de 0,007 % de la masse globale des eaux du monde, est d'un accès facile. C'est l'eau qu'on trouve dans les lacs, rivières, réservoirs et les nappes souterraines assez peu profondes pour que leur exploitation soit rentable. Seules ces réserves sont régulièrement reconstituées par les précipitations et la neige et peuvent donc être considérées comme une ressource renouvelable.
- Une répartition inégale. Les régions largement irriguées par de grands fleuves disposent d'importantes réserves en eau même si le niveau peut varier énormément entre saisons sèche et humide. Alors que le bassin de l'Amazone charrie 16 % de la masse des eaux fluviales du globe, les zones arides, qui représentent 40 % des terres émergées, ne disposent que de 2 % du total.
- La sécurité alimentaire. Plus la population augmente et plus la quantité d'aliments nécessaires pour nourrir la planète s'accroît. Depuis les années 60, les agriculteurs ont recours à l'irrigation intensive pour satisfaire cette demande croissante. L'irrigation représente actuellement 70 % de l'ensemble de la consommation mondiale d'eau douce. Dans les zones arides, l'irrigation absorbe jusqu'à 90 % des ressources en eau disponibles.
- Le gaspillage. Dans un sens, l'eau ne se perd jamais, puisqu'elle passe simplement d'un état ou d'un lieu à un autre. Mais il faut 1400 ans pour qu'une couche d'eau souterraine (ce qu'on appelle un aquifère ) se reconstitue.
• Dans les pays en développement les fuites représentent jusqu'à 50 % de la perte de l'eau potable.
• L'irrigation intensive, s'accompagne également de pertes qui peuvent aller jusqu'à 40 % de l'eau de pompage.
• Les membres d'une famille vivant dans des régions arides d'Afrique disposent de 10 à 40 litres d'eau par personne et par jour pour boire, faire la cuisine et se laver, alors que les habitants des villes d'Europe ou d'Amérique du Nord consomment de 300 à 600 litres par jour et par personne.
- La pollution. L'industrie restitue aux fleuves et aux lacs la majeure partie de l'eau qu'elle utilise, mais celle-ci est souvent contaminée. Et l'eau de drainage provenant de l'irrigation contient souvent des engrais et des pesticides qui polluent les sources et les rivières. Andras Szöllösi-Nagy, Directeur de la Division des sciences de l'eau de l'UNESCO, n'hésite pas à qualifier la pollution des eaux de véritable "bombe à retardement". Selon lui, en ce qui concerne les réserves d'eaux souterraines de l'Europe, "on peut considérer que la couche supérieure de l'aquifère est condamnée. La concentration en nitrates et en phosphates y est si forte que nous allons bientôt devoir forer jusqu'à un deuxième niveau, à supposer que celui-ci existe".
- L'explosion démographique. La population mondiale devrait compter 8,7 milliards d'hommes d'ici 2025, soit 2,6 milliards de plus qu'en 1995, et cette croissance sera surtout sensible dans les régions qui souffrent déjà de rareté ou de pénurie d'eau. A l'heure actuelle, les trois quarts de la population mondiale vivent dans des régions qui consomment un peu plus de 20 % des ressources en eau disponibles.
- Le changement climatique. Beaucoup d'analystes prévoient une élévation de un à deux degrés de la température de l'air d'ici 2050 par suite du réchauffement planétaire. Dans les zones arides, cela pourrait entraîner une baisse de 10 % des précipitations et une réduction de 40 à 70 % de la masse des eaux lacustres et fluviales. Dans les régions plus froides éloignées de l'équateur, l'amplitude accrue du dégel printanier pourrait se traduire par des inondations, alors que le débit d'étiage des rivières serait plus faible.
Que peut la science face au manque d'eau ?
Il existe beaucoup de solutions pour lutter contre la pénurie d'eau, à commencer par le dessalement des eaux saumâtres. Andras Szöllösi-Nagy compte beaucoup sur les solutions "douces" qui n'exigent pas une ingénierie trop développée. Selon lui, "les biotechnologies pourraient jouer un rôle considérable. Des bactéries et micro-organismes obtenus par manipulation génétique pourraient contribuer à la purification de l'eau, et particulièrement des nappes souterraines, en accélérant la décomposition des éléments polluants. Grâce au génie génétique, on pourrait également obtenir de nouvelles espèces végétales moins gourmandes en eau et capables de survivre en milieu aride".
Toutefois, il constate qu'il "n'existe pas de vision d'ensemble pour la gestion des ressources en eau au XXIe siècle". Avec le Conseil mondial de l'eau, l'UNESCO a entrepris une analyse des scénarios possibles pour les 35 ans à venir. Selon Szöllösi-Nagy, "nous manquons de données suffisantes et les modèles dont nous disposons sont presque toujours adaptés aux conditions de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Et nous ne disposons d'aucune donnée sur l'Afrique, qui joue pourtant un rôle essentiel dans la circulation globale des vapeurs atmosphériques. D'où l'incertitude considérable qui s'attache aux différents scénarios climatiques". Mais pour l'hydrologue, Internet pourrait bientôt modifier cette situation. "Grâce à la technologie du réseau, le co-t des systèmes d'observation en ligne et des systèmes de télé-observation pourrait passer de quelques centaines de milliers de dollars actuellement à quelques centaines de dollars. Tout ce qu'il faut comme matériel, c'est un simple téléphone portable".
Les scientifiques se penchent également sur le passé pour déterminer la périodicité des cycles naturels de précipitations d'abondance et de sécheresse. C'est ainsi qu'on procède au dépouillement méthodique des archives de Venise pour relever tout ce qui concerne les inondations, mais aussi les registres fiscaux, les livres de bord, les mémoires privés et les constatations consignées par des météorologues amateurs.
En attendant, il existe déjà des moyens de mieux utiliser nos ressources en eau :
• réduire les pertes - en réparant les fuites et en remplaçant l'irrigation intensive par l'irrigation au goutte à goutte (libérer l'eau goutte à goutte plutôt qu'en jet continu) ;
• collecter l'eau de pluie - recueillir les eaux de ruissellement des toits et autres surfaces planes ;
• réserver les eaux usées à l'usage industriel ;
• organiser des campagnes d'éducation et d'information. Inscrire le problème de l'eau sur l'agenda international des décideurs, en particulier dans les régions menacées de pénurie (y compris l'Europe). Dans les pays en développement, il faudrait associer les femmes à la gestion des ressources en eau car ce sont elles qui sont le plus étroitement impliquées dans l'utilisation de l'eau.
1 Glenn, J. C. et Gordon, T. J. (1998) State of the Future, issues and opportunities. New York : American Council for the United Nations University
http://www.unesco.org/bpi/science/vf/content/press/franco/10.htm
Entre 1900 et 1995, la consommation mondiale en eau a été multipliée par 6, soit un rythme d'augmentation deux fois plus rapide que celui de la population au cours de la même période. D'après une récente analyse1, la pénurie d'eau dans certaines régions pourrait bien devenir le problème le plus préoccupant du XXIe siècle après la croissance démographique. A première vue, on pourrait penser que l'accès à l'eau douce est un problème purement socio-économique - certains disposant de ressources hydriques et/ou des moyens de les exploiter et d'autres non. C'est oublier que certaines applications de la science comme les engrais chimiques, divers processus industriels ou encore l'irrigation intensive sont en partie responsables de ce risque imminent de pénurie. Heureusement, il est d'autres applications de la science qui offrent au moins une amorce de solutions.
Pourquoi l'eau va-t-elle devenir un problème au cours des prochaines décennies ?
- Une ressource déjà rare. Plus de 70 % de la surface du globe est recouverte d'eau mais 2,5 % seulement de cette masse est constituée d'eau douce, le reste étant l'eau salée des océans. Et sur cette quantité relativement réduite d'eau douce, 1 % seulement, soit moins de 0,007 % de la masse globale des eaux du monde, est d'un accès facile. C'est l'eau qu'on trouve dans les lacs, rivières, réservoirs et les nappes souterraines assez peu profondes pour que leur exploitation soit rentable. Seules ces réserves sont régulièrement reconstituées par les précipitations et la neige et peuvent donc être considérées comme une ressource renouvelable.
- Une répartition inégale. Les régions largement irriguées par de grands fleuves disposent d'importantes réserves en eau même si le niveau peut varier énormément entre saisons sèche et humide. Alors que le bassin de l'Amazone charrie 16 % de la masse des eaux fluviales du globe, les zones arides, qui représentent 40 % des terres émergées, ne disposent que de 2 % du total.
- La sécurité alimentaire. Plus la population augmente et plus la quantité d'aliments nécessaires pour nourrir la planète s'accroît. Depuis les années 60, les agriculteurs ont recours à l'irrigation intensive pour satisfaire cette demande croissante. L'irrigation représente actuellement 70 % de l'ensemble de la consommation mondiale d'eau douce. Dans les zones arides, l'irrigation absorbe jusqu'à 90 % des ressources en eau disponibles.
- Le gaspillage. Dans un sens, l'eau ne se perd jamais, puisqu'elle passe simplement d'un état ou d'un lieu à un autre. Mais il faut 1400 ans pour qu'une couche d'eau souterraine (ce qu'on appelle un aquifère ) se reconstitue.
• Dans les pays en développement les fuites représentent jusqu'à 50 % de la perte de l'eau potable.
• L'irrigation intensive, s'accompagne également de pertes qui peuvent aller jusqu'à 40 % de l'eau de pompage.
• Les membres d'une famille vivant dans des régions arides d'Afrique disposent de 10 à 40 litres d'eau par personne et par jour pour boire, faire la cuisine et se laver, alors que les habitants des villes d'Europe ou d'Amérique du Nord consomment de 300 à 600 litres par jour et par personne.
- La pollution. L'industrie restitue aux fleuves et aux lacs la majeure partie de l'eau qu'elle utilise, mais celle-ci est souvent contaminée. Et l'eau de drainage provenant de l'irrigation contient souvent des engrais et des pesticides qui polluent les sources et les rivières. Andras Szöllösi-Nagy, Directeur de la Division des sciences de l'eau de l'UNESCO, n'hésite pas à qualifier la pollution des eaux de véritable "bombe à retardement". Selon lui, en ce qui concerne les réserves d'eaux souterraines de l'Europe, "on peut considérer que la couche supérieure de l'aquifère est condamnée. La concentration en nitrates et en phosphates y est si forte que nous allons bientôt devoir forer jusqu'à un deuxième niveau, à supposer que celui-ci existe".
- L'explosion démographique. La population mondiale devrait compter 8,7 milliards d'hommes d'ici 2025, soit 2,6 milliards de plus qu'en 1995, et cette croissance sera surtout sensible dans les régions qui souffrent déjà de rareté ou de pénurie d'eau. A l'heure actuelle, les trois quarts de la population mondiale vivent dans des régions qui consomment un peu plus de 20 % des ressources en eau disponibles.
- Le changement climatique. Beaucoup d'analystes prévoient une élévation de un à deux degrés de la température de l'air d'ici 2050 par suite du réchauffement planétaire. Dans les zones arides, cela pourrait entraîner une baisse de 10 % des précipitations et une réduction de 40 à 70 % de la masse des eaux lacustres et fluviales. Dans les régions plus froides éloignées de l'équateur, l'amplitude accrue du dégel printanier pourrait se traduire par des inondations, alors que le débit d'étiage des rivières serait plus faible.
Que peut la science face au manque d'eau ?
Il existe beaucoup de solutions pour lutter contre la pénurie d'eau, à commencer par le dessalement des eaux saumâtres. Andras Szöllösi-Nagy compte beaucoup sur les solutions "douces" qui n'exigent pas une ingénierie trop développée. Selon lui, "les biotechnologies pourraient jouer un rôle considérable. Des bactéries et micro-organismes obtenus par manipulation génétique pourraient contribuer à la purification de l'eau, et particulièrement des nappes souterraines, en accélérant la décomposition des éléments polluants. Grâce au génie génétique, on pourrait également obtenir de nouvelles espèces végétales moins gourmandes en eau et capables de survivre en milieu aride".
Toutefois, il constate qu'il "n'existe pas de vision d'ensemble pour la gestion des ressources en eau au XXIe siècle". Avec le Conseil mondial de l'eau, l'UNESCO a entrepris une analyse des scénarios possibles pour les 35 ans à venir. Selon Szöllösi-Nagy, "nous manquons de données suffisantes et les modèles dont nous disposons sont presque toujours adaptés aux conditions de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Et nous ne disposons d'aucune donnée sur l'Afrique, qui joue pourtant un rôle essentiel dans la circulation globale des vapeurs atmosphériques. D'où l'incertitude considérable qui s'attache aux différents scénarios climatiques". Mais pour l'hydrologue, Internet pourrait bientôt modifier cette situation. "Grâce à la technologie du réseau, le co-t des systèmes d'observation en ligne et des systèmes de télé-observation pourrait passer de quelques centaines de milliers de dollars actuellement à quelques centaines de dollars. Tout ce qu'il faut comme matériel, c'est un simple téléphone portable".
Les scientifiques se penchent également sur le passé pour déterminer la périodicité des cycles naturels de précipitations d'abondance et de sécheresse. C'est ainsi qu'on procède au dépouillement méthodique des archives de Venise pour relever tout ce qui concerne les inondations, mais aussi les registres fiscaux, les livres de bord, les mémoires privés et les constatations consignées par des météorologues amateurs.
En attendant, il existe déjà des moyens de mieux utiliser nos ressources en eau :
• réduire les pertes - en réparant les fuites et en remplaçant l'irrigation intensive par l'irrigation au goutte à goutte (libérer l'eau goutte à goutte plutôt qu'en jet continu) ;
• collecter l'eau de pluie - recueillir les eaux de ruissellement des toits et autres surfaces planes ;
• réserver les eaux usées à l'usage industriel ;
• organiser des campagnes d'éducation et d'information. Inscrire le problème de l'eau sur l'agenda international des décideurs, en particulier dans les régions menacées de pénurie (y compris l'Europe). Dans les pays en développement, il faudrait associer les femmes à la gestion des ressources en eau car ce sont elles qui sont le plus étroitement impliquées dans l'utilisation de l'eau.
1 Glenn, J. C. et Gordon, T. J. (1998) State of the Future, issues and opportunities. New York : American Council for the United Nations University